Séance du 25 juin 1999
M. le président.
Par amendement n° 172, MM. Bret, Duffour et les membres du groupe communiste
républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 40, un article
additionnel ainsi rédigé :
« L'article 56-2 du code de procédure pénale est complété par deux alinéas
ainsi rédigés :
« En cas de difficulté survenant à l'occasion d'une telle perquisition, le
magistrat en réfère au président du tribunal de grande instance qui tranche,
par ordonnance rendue sur minute.
« Les règles fixées par le présent article s'appliquent aux perquisitions
effectuées dans tous les lieux de travail du journaliste, c'est-à-dire
également à son domicile personnel, dans son véhicule et dans son logement
provisoire en cas de déplacement professionnel. »
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
La loi du 4 janvier 1993 a imposé, aux termes de l'article 56-2 du code de
procédure pénale, la présence d'un magistrat lors d'une perquisition dans les
locaux d'une entreprise de presse.
S'il s'agissait d'une avancée au regard du droit en vigueur, cet article ne
nous a pas paru, pour autant, suffisamment protecteur.
Lors des débats parlementaires de 1992, notre groupe avait déjà souhaité
entourer de plus de garanties les perquisitions ou les saisies de documents en
matière de journalisme, et ce pour plusieurs raisons qui, aujourd'hui encore,
demeurent pertinentes.
Les journalistes ont vu, ces dernières années, leurs conditions de travail se
modifier, avec une tendance à travailler de plus en plus à leur domicile, lieu
où ils détiennent par conséquent des informations qu'ils utilisent pour leur
métier.
Les nouvelles méthodes de circulation de l'information ont accentué cette
tendance, en permettant aux journalistes de travailler à distance, loin des
salles de rédaction, et de stocker ainsi chez eux, dans leurs ordinateurs,
nombre d'informations.
Dans ces conditions, il est plus que nécessaire, aujourd'hui, de garantir une
meilleure protection du travail des journalistes pour préserver, notamment, la
liberté de l'information.
C'est en ce sens que nous proposons donc qu'un magistrat soit présent au cours
de toute perquisition au domicile des journalistes.
J'ajoute qu'il est nécessaire, même si ces situations sont rares, d'empêcher
que les journalistes aient à subir des perquisitions ou des saisies de
documents sans aucun rapport avec l'infraction qu'ils auraient commise.
C'est pourquoi nous estimons indispensable de renforcer la protection de la
libre information et d'y apporter, en conséquence, un maximum de garanties
quant au déroulement des perquisitions, ce qui passe nécessairement par la
présence d'un magistrat.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Cet amendement, qui vise à renforcer les garanties offertes
en cas de perquisition dans les entreprises de presse, a paru trop imprécis à
la commission. Il y est en effet question de « difficulté survenant à
l'occasion d'une perquisition », sans qu'aucune précision complémentaire soit
apportée.
En général, une perquisition fait toujours l'objet de difficultés. La
commission est donc défavorable à cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Avis défavorable également.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 172, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 147 rectifié
bis, M. Haenel et les membres du groupe
du Rassemblement pour la République proposent d'insérer, après l'article 40, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Le premier alinéa de l'article 97 du code de procédure pénale est remplacé
par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Lorsqu'il y a lieu, en cours d'information, de rechercher des documents, et
sous réserve des nécessités de l'information et du respect, le cas échéant, de
l'obligation stipulée par l'alinéa 3 de l'article précédent, le juge
d'instruction et les personnes visées au premier alinéa de l'article 56-1
lorsque leur présence est requise, ont seuls le droit d'en prendre connaissance
avant qu'il soit procédé à la saisie.
« Si le bâtonnier ou son délégué estime qu'une pièce dont la saisie est
envisagée est couverte par le secret professionnel, il peut eriger que la pièce
considérée soit placée sous scellés fermés.
« Dans un tel cas, le président du tribunal ou son délégué doit statuer dans
les cinq jours quant au caractère secret de la pièce placée sous scellé.
« A cette fin, il entend, à huis clos, le juge d'instruction saisissant, la
personne chez qui la perquisition a eu lieu, le bâtonnier ou son délégué, et
s'il le juge utile, le représentant du parquet.
« S'il estime qu'il n'y pas lieu à saisir cette pièce, le président ou son
délégué ordonne sa restitution immédiate, et l'abandon de toute référence à
cette pièce ou à son contenu dans le procès-verbal de perquisition,
l'inventaire des pièces saisies ou dans tout autre document versé aux débats.
»
Par amendement n° 188, MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 40, un article
additionnel ainsi rédigé :
« Le premier alinéa de l'article 97 du code de procédure pénale est remplacé
par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Lorsqu'il y a lieu, en cours d'information, de rechercher des documents, et
sous réserve des nécessités de l'information et du respect, le cas échéant, de
l'obligation stipulée par le troisième alinéa de l'article précédent, le juge
d'instruction et les personnes visées à l'article 56-1 lorsque leur présence
est requise, ont seuls le droit d'en prendre connaissance avant qu'il soit
procédé à la saisie.
« Si le représentant de l'Ordre ou de l'organisation professionnelle visé à
l'article 56-1 estime qu'une pièce dont la saisie est envisagée est couverte
par le secret professionnel, il peut exiger que la pièce considérée soit placée
sous scellés fermés.
« Dans un tel cas, le président du tribunal ou son délégué doit statuer, par
ordonnance motivée, dans les cinq jours quant au caractère secret de la pièce
placée sous scellés.
« A cette fin, il entend, à huit clos, le juge d'instruction saisissant la
personne chez qui la perquisition a eu lieu, le représentant de l'Ordre ou de
l'organisation professionnelle, et s'il le juge utile, le représentant du
parquet.
« S'il estime qu'il n'y a pas lieu à saisir cette pièce, le président ou son
délégué ordonne sa restitution immédiate, et la cancellation de toute référence
à cette pièce ou à son contenu dans le procès-verbal de perquisition,
l'inventaire des pièces saisies ou dans tout autre document versé aux débats.
»
La parole est à M. Haenel, pour défendre l'amendement n° 147 rectifié
bis.
M. Hubert Haenel.
L'amendement n° 147 rectifié
bis a pour objet de limiter le texte de
l'amendement n° 147 aux perquisitions dans les seuls cabinets d'avocats.
Cet amendement, que je qualifierais de bon sens, devrait permettre de mettre
fin, du moins momentanément, à la polémique entre certains barreaux et quelques
juges d'instruction à propos des conditions de perquisition.
Le dispositif qui vous est proposé est simple et rapide.
Pour illustrer mon amendement, je vous renvoie à la réponse que Mme la
ministre m'a adressée à la suite de la question écrite n° 15674 du 15 avril
1999, que j'avais posée.
En conclusion, la solution qui vous est proposée me paraît devoir répondre aux
préoccupations légitimes des uns et des autres.
M. le président.
La parole est à M. Badinter, pour présenter l'amendement n° 188.
M. Robert Badinter.
On note une admirable communauté d'inspiration entre votre amendement,
monsieur Haenel, et le nôtre !
M. Hubert Haenel.
Il n'y a rien d'étonnant !
M. Robert Badinter.
Je la traduirai non pas en une communauté d'origine, mais en une communauté de
préoccupations.
M. Pierre Fauchon.
C'est une convergence !
M. Robert Badinter.
Quoi qu'il en soit, il existe un problème qui concerne au premier chef, mais
pas seulement à mon sens, les avocats : c'est la question des perquisitions
effectuées dans des lieux professionnels où se trouvent des documents qui
peuvent être couverts par le secret professionnel.
Mais qui décide du secret professionnel ? Vous l'avez rappelé - on peut
prendre cet exemple - concernant les avocats, il est évident que le bâtonnier
ou son représentant présent lors de la perquisition a autorité pour considérer
qu'il y a là une pièce qui tombe dans le cadre de la protection du secret
professionnel. Le magistrat instructeur aujourd'hui a le pouvoir d'apprécier
seul cette qualité.
Il est évident aussi que, s'il y a divergence entre les deux, il convient de
recourir à l'arbitrage, à la décision donc, du président du tribunal ou de son
délégué ; c'est ce qui est prévu dans l'amendement par les mots : « par
ordonnance motivée dans les cinq jours ».
Quant au caractère secret de la pièce placée sous scellés, il n'y a rien là
qui puisse gêner en quoi que ce soit l'efficacité des recherches conduites par
le magistrat instructeur. C'est au contraire une sage précaution pour que le
secret professionnel, qui, je le rappelle, est non pas protection de l'avocat
mais protection de ceux qui font appel à lui, soit à l'abri de toute
interprétation qui se révélerait erronée de la part du magistrat
instructeur.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 147 rectifié
bis
et 188 ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur. La commission est favorable à l'amendement n° 147 rectifié
bis de M. Haenel, sous réserve d'une petite rectification.
Au dernier paragraphe de votre amendement, monsieur Haenel, il serait
préférable de remplacer les mots : « et l'abandon de toute référence » par les
mots : « et la suppression de toute référence ».
M. Pierre Fauchon.
L'interdiction !
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Effectivement, comme le suggère mon collègue M. Fauchon, il
vaudrait mieux parler de l'« interdiction » de toute référence.
L'« abandon », c'était le texte initial de l'amendement ; la « suppression »
serait un terme meilleur, mais l'« interdiction » est un terme général qui
paraît plus adapté encore.
M. le président.
Monsieur Haenel, souscrivez-vous à cette rectification ?
M. Hubert Haenel.
Oui, monsieur le président.
M. le président.
Je suis donc saisi d'un amendement, n° 147 rectifié
ter ; présenté par
M. Haenel et les membres du groupe du Rassemblement pour la République, et
tendant, après l'article 40, à insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le premier alinéa de l'article 97 du code de procédure pénale est remplacé
par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Lorsqu'il y a lieu, en cours d'information, de rechercher des documents, et
sous réserve des nécessités de l'information et du respect, le cas échéant, de
l'obligation stipulée par l'alinéa 3 de l'article précédent, le juge
d'instruction et les personnes visées au premier alinéa de l'article 56-1
lorsque leur présence est requise, ont seuls le droit d'en prendre connaissance
avant qu'il soit procédé à la saisie.
« Si le bâtonnier ou son délégué estime qu'une pièce dont la saisie est
envisagée est couverte par le secret professionnel, il peut exiger que la pièce
considérée soit placée sous scellés fermés.
« Dans un tel cas, le président du tribunal ou son délégué doit statuer dans
les cinq jours quant au caractère secret de la pièce placée sous scellés.
« A cette fin, il entend, à huis clos, le juge d'instruction saisissant, la
personne chez qui la perquisition a eu lieu, le bâtonnier ou son délégué et,
s'il le juge utile, le représentant du parquet.
« S'il estime qu'il n'y a pas lieu à saisir cette pièce, le président ou son
délégué ordonne sa restitution immédiate et l'interdiction de toute référence à
cette pièce ou à son contenu dans le procès-verbal de perquisition,
l'inventaire des pièces saisies ou dans tout autre document versé aux débats.
»
Monsieur le rapporteur, veuillez maintenant donner l'avis de la commission sur
l'amendement n° 188.
M. Charles Jolibois,
rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement, car elle ne
peut accepter à la fois l'amendement n° 147 rectifié
ter et l'amendement
n° 188, même s'il y a communauté d'inspiration et de propos.
M. Hubert Haenel.
Et de grande sagesse !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 147 rectifié
ter
et 188 ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Ces amendements concernent la question très délicate
des perquisitions dans les cabinets d'avocats.
Ces perquisitions ont donné lieu à une importante jurisprudence de la part de
la Cour de cassation et à plusieurs modifications législatives récentes, qui
n'ont, semble-t-il, pas apporté de solutions satisfaisantes.
Ces difficultés perdurant, un groupe de travail, présidé par M. le premier
président de la cour d'appel de Paris, M. Canivet, composé d'avocats et de
juges d'instruction et auquel la Chancellerie est associée, a été institué
voilà quelques semaines. Ce groupe a déjà procédé à plusieurs auditions et
devrait rendre ses conclusions prochainement.
Il résulte d'ores et déjà de ses travaux qu'il convient de distinguer deux
questions, qui concernent, d'une part, les règles de fond et, d'autre part, les
garanties procédurales destinées à assurer le respect de ces règles de fond.
Les amendements n° 147 rectifié
ter et 188 ne traitent que de cette
seconde question. Ils apportent tous les deux une réponse qui, à mes yeux, va
dans le bon sens, avec trois choix.
Premièrement, ils prévoient de laisser au magistrat enquêteur le soin de mener
la perquisition. Confier cet acte à un autre magistrat, qui ne connaît pas le
dossier, risquerait en effet de provoquer des saisies inutiles.
Deuxièmement, ils visent à préciser que le bâtonnier doit prendre connaissance
de chacun des documents avant leur éventuelle saisie.
Enfin, troisièmement, ils ont pour objet de préciser que le bâtonnier, s'il
conteste la saisie, peut saisir un magistrat impartial qui doit statuer sur la
contestation à bref délai, délai pendant lequel les documents litigieux sont
placés sous scellés fermés.
Ces solutions rejoignent celles qui sont actuellement envisagées par la
commission présidée par M. Canivet. Je pourrais donc m'en remettre à la sagesse
du Sénat. Je ne peux en effet donner dès à présent un avis favorable, pour deux
raisons.
D'abord, il est évident que le texte proposé ne peut être considéré comme
définitif. Il faudra attendre les conclusions du groupe de travail de M.
Canivet pour, lors de la navette, adapter le texte en conséquence. En
particulier, je crois qu'il est préférable de confier au président de la
chambre d'accusation, plutôt qu'au président du tribunal de grande instance, le
soin de trancher la contestation. Mais nous verrons.
En second lieu il me semble indispensable que la loi précise clairement les
règles de fond, et pas uniquement les règles de procédure, sur les
perquisitions dans les cabinets d'avocats.
Il n'est pas souhaitable en effet que les nouvelles garanties qui vont être
instituées en matière de perquisition concernent toutes les personnes soumises
au secret professionnel, et non les seuls avocats. Des règles spécifiques sont
justifiées pour les avocats, en raison de leur mission particulière. Ils
doivent donc bénéficier d'une protection spécialement renforcée, non pas dans
leur intérêt propre d'ailleurs, mais dans l'intérêt des droits de la
défense.
C'est la solution que vous venez à l'instant de retenir en adoptant des règles
particulières sur le placement sous contrôle judiciaire d'un avocat.
Il ne faut pas que les nouveaux textes concernent, par exemple, les médecins.
Un dossier médical est toujours protégé par le secret professionnel. Cela
n'empêche pas sa saisie dans une procédure pénale, en présence d'un
représentant de l'ordre des médecins. Mais il est essentiel de reconnaître la
spécificité du rôle de l'avocat et de ne pas l'assimiler à d'autres
professions.
Voilà pourquoi je m'en remettrai à la sagesse du Sénat.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
A cette heure, et compte tenu de ce qui a été dit, c'est bien volontiers que
nous retirons l'amendement n° 188 pour nous rallier à celui de M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Je vous remercie.
M. le président.
L'amendement n° 188 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 147 rectifié
ter, accepté par la
commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 40.
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