Séance du 26 octobre 1999







M. le président. « Art. 7. _ Les deuxième à cinquième alinéas de l'article 41 du même code sont remplacés par six alinéas ainsi rédigés :
« Il a tous les pouvoirs et prérogatives attachés à la qualité d'officier de police judiciaire prévus par la section 2 du chapitre Ier du titre Ier du présent livre, ainsi que par les lois spéciales.
« En cas d'infractions flagrantes, il exerce les pouvoirs qui lui sont attribués par l'article 68.
« Le procureur de la République contrôle le déroulement des enquêtes ainsi que les mesures de garde à vue.
« Il dirige l'activité des officiers et agents de police judiciaire dans le ressort de son tribunal. Il leur donne connaissance des directives générales de la politique pénale qui doivent être mises en oeuvre dans son ressort.
« Le procureur de la République et les chefs des services de police ou de gendarmerie se tiennent informés au moins une fois par trimestre des moyens à mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs fixés par les directives générales mentionnées à l'article 39-2.
« Lorsque la durée ou la complexité d'une enquête le justifie, le procureur de la République et le chef du service saisi définissent d'un commun accord les moyens à mettre en oeuvre pour procéder aux investigations nécessaires. Ces moyens peuvent être adaptés au cours de l'enquête. »
Sur l'article, la parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Nous abordons le coeur du troisième volet du projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale, à savoir le contrôle de l'autorité judiciaire sur la police judiciaire.
Nous savons que cet aspect de l'action publique est essentiel à l'impartialité des parquets : M. Hubert Haenel, très au fait de ces questions, nous a rappelé que « l'indépendance de l'autorité judiciaire en matière pénale dépend moins des liens entre les parquets et le ministère de la justice que de la qualité des relations entre le procureur de la République, le juge d'instruction et les services de police judiciaire ». De même, on sait que le procès pénal - et donc les classements sans suite - dépend d'abord de l'enquête de police.
Parallèlement au mouvement tendant à accroître l'autonomie et la responsabilité du ministère public, la garantie judiciaire implique un contrôle renforcé du parquet sur la police : c'est ce qu'on constate dans la majorité des pays européens, exception faite de la Grande-Bretagne, qui connaît une police très forte, hermétique à toute initiative tendant à réduire son rôle.
Le débat sur le contrôle de la police judiciaire n'est pas nouveau en France.
Régulièrement remis au goût du jour, on légifère, on réglemente, pour tenter de résoudre la dichotomie induite par la double hiérarchie qui s'exerce sur les officiers de police judiciaire : à l'autorité des magistrats s'ajoute en effet celle, potentiellement contradictoire, car relevant d'une autre logique, du ministre de l'intérieur ou du ministre de la défense.
Un décret du 23 décembre 1998 est venu renforcer le pouvoir des parquets sur la notation des OPJ en prévoyant, notamment, qu'elle porte sur la qualité du travail réalisé dans l'accomplissement de la mission de police judiciaire.
Aujourd'hui, au vu des difficultés constatées dans le déroulement des enquêtes, on souhaite renforcer l'effectivité du contrôle des parquets sur les enquêtes en cours et favoriser le dialogue avec les services de police de deux façons essentielles : d'une part, en prévoyant une information trimestrielle des chefs de service et du procureur de la République sur les moyens à mettre en oeuvre pour l'application des directives de politique pénale ; d'autre part, en priviliégiant la définition en commun des moyens à mobiliser en cas d'enquête complexe ou longue.
On comprend mal l'hostilité de la majorité sénatoriale à cette tentative de rééquilibrage, renforcée par l'institution de délais dans lesquels les OPJ doivent rendre compte au procureur de leurs enquêtes.
Autant elle a affirmé vouloir faire « oeuvre nouvelle » sur les relations entre les parquets et l'exécutif, autant on s'étonne qu'elle soit relativement muette sur la question des rapports police-justice. Le contrôle disciplinaire des OPJ par l'IGSJ, inspection générale des services de police judiciaire, n'épuise certainement pas la question.
Il s'agit donc d'un timide rééquilibrage, voulu et assumé par le garde des sceaux ; nous regrettons qu'il en soit ainsi.
Tel est le sens des propos que je souhaitais développer, en précisant que nous sommes néanmoins favorables à la démarche suivie par le Gouvernement.
D'abord, la question des rapports entre la justice et la police ne peut pas éternellement rester en suspend. On se doit de poser clairement la question du rattachement ou non de la police judiciaire à l'autorité judiciaire, de la création ou non de brigades judiciaires.
Faute d'aborder ces points essentiels, la réforme reste, selon nous, au milieu du gué, d'autant qu'elle passe sous silence les cas où il y aurait désaccord entre les chefs de la police et le procureur ou le juge d'instruction. A défaut de trancher réellement, on peut craindre que cet article ne soit source de conflit.
Comme on le sait, il ne s'agit pas d'une simple hypothèse d'école. Qui ne se souvient d'un certain directeur de la police judiciaire de la préfecture de Paris qui avait refusé son assistance au juge d'instruction dans la perquisition et qui avait été maintenu dans son poste malgré une décision de la chambre d'accusation ?
Nous regrettons, ensuite, que, faute d'aborder de manière globale le problème, on finisse par avoir une appréciation essentiellement circonstancielle de la question. La réforme qui nous est proposée semble se focaliser sur la délinquance financière et criminelle, au détriment de ce que l'on appelle habituellement « la petite délinquance ».
C'est en effet à travers ce prisme qu'il faut lire les sixième et septième alinéas proposés à l'article 7, qui, en faisant des chefs de service des interlocuteurs privilégiés du parquet, ne tiennent pas compte du fait que les procureurs sont le plus souvent directement en relation avec les OPJ.
Si les nouvelles dispositions peuvent contribuer à une meilleure coopération entre les services de police et la justice, n'aurait-il pas été opportun de s'interroger sur les moyens d'enrichir les pôles financiers déjà constitués en prévoyant, par exemple, un système de détachement ou de mise à disposition d'OPJ spécialisés ?
Sous réserve de ces quelques observations, les sénateurs communistes voteront le texte du Gouvernement, afin de marquer leur souci de voir le débat se poursuivre dans l'avenir.
M. le président. Par amendement n° 33, M. Fauchon, au nom de la commission, propose, dans la seconde phrase du cinquième alinéa de cet article, de remplacer le mot : « directives » par le mot : « orientations ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de coordination.
M. le président. Personne ne demande la parole ?..
Je mets aux voix l'amendement n° 33.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements proposés par M. Fauchon, au nom de la commission.
Le premier, n° 34, vise à supprimer l'avant-dernier alinéa de l'article 7.
Le second, n° 35, tend à supprimer le dernier alinéa de l'article 7.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous en arrivons aux questions relatives à la police judiciaire. M. Bret a assez justement évoqué les problèmes récurrents, pour employer un mot à la mode, qui se posent à cet égard.
Au vu de ce texte, qui ne marque pas une avancée réellement caractérisée, on comprend que Mme le garde des sceaux s'est rendue compte que le sujet n'était pas facile et qu'il ne fallait pas prendre le risque d'attribuer des mesures d'autorité aux juges et aux procureurs à l'égard de la police, mesures qui pourraient avoir des contre-effets et des conséquences qui, finalement, se révéleraient négatives. Pour une satisfaction purement verbale, on provoquerait chez les intéressés des mouvements de rétraction, de mauvaise volonté ou de mauvaise réception. L'effet obtenu serait ainsi contraire à l'objectif recherché.
Nous le comprenons parfaitement. Il s'agit là d'un problème culturel, d'organisation des pouvoirs publics. Il faut chercher à remédier à cette situation en renforçant sur le terrain les bonnes relations qui existent déjà, plus souvent qu'on ne le croit ; les magistrats que nous avons rencontrés nous l'ont confirmé. Certes, comme toujours, il y a des affaires spectaculaires. Ce qui est important ce sont les relations entre hommes ; nous devons nous attacher à les améliorer pour leur donner toute leur efficacité en vue du but commun à atteindre.
Nous comprenons bien cette partie du texte, mais nous sommes gênés de constater que, à deux reprises, on donne l'impression d'établir une sorte d'équivalence en mettant pratiquement sur le même niveau les procureurs et les services de police.
Je lis le texte : « Pour le bon déroulement des enquêtes, le procureur de la République et les chefs des services de police et de gendarmerie se tiennent informés régulièrement des moyens à mettre en oeuvre. » Mais j'espère bien qu'ils se tiennent informés régulièrement ! En plus, ils ont l'air d'être placés sur un pied d'égalité.
Ne voyez dans mes propos, madame le garde des sceaux, aucun esprit critique ou aucun esprit d'opposition. En fait, je ne comprends pas bien cette formule.
M. Patrice Gélard. Voilà !
M. Michel Charasse. Il y a un tel amour entre les services !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Un peu plus loin, je lis : « Lorsque la durée ou la complexité d'une enquête le justifie, le procureur de la République et le chef du service saisi définissent d'un commun accord, les moyens à mettre en oeuvre. » C'est possible qu'ils le définissent d'un commun accord, mais, là encore, on a l'impression qu'ils sont sur un pied d'égalité.
M. Michel Charasse. C'est constitutionnel !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Excusez-moi, monsieur Charasse, mais je lis dans le code pénal...
M. Jean-Jacques Hyest. Mais il abonde dans votre sens !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je vous remercie, j'avais mal compris ; on ne peut regarder à la fois ses papiers, monsieur Charasse, et Mme la garde des sceaux. Moi, je n'ai qu'un oeil ou deux, c'est tout ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest. Moi, j'en ai deux !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Parfois il vaut mieux fermer l'un des deux pour bien viser !
Toujours dans le code de procédure pénale, je lis : « La police judiciaire est exercée, sous la direction du procureur de la République, par les officiers, fonctionnaires et agents... », puis, plus loin : « Le procureur de la République procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale.
« A cette fin, il dirige l'activité des officiers et agents de la police judiciaire dans le ressort de son tribunal. »
Dans le texte même de l'article 7 qui nous est proposé, on retrouve bien la même formulation : « Il dirige l'activité des officiers et agents de police judiciaire dans le ressort de son tribunal. »
M. Patrice Gélard. Et voilà !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je comprends bien pourquoi vous avez souhaité faire figurer cette disposition, madame le garde des sceaux. Encore une fois, il n'entre pas du tout d'esprit polémique dans ces observations. Toutefois, il nous semble que, finalement, on a l'air de poser comme principe l'égalité de niveau entre les personnes qui sont chargées de donner les consignes et celles qui sont chargées de les exécuter.
On nous a fait remarquer que ce n'était peut-être pas opportun,...
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... lors des nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé.
Il est possible que cela se passe ainsi dans les faits, mais faut-il pour autant l'écrire en toutes lettres ?
M. Michel Charasse. Non, il ne faut pas l'écrire !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Faut-il permettre aux personnels de la police de répliquer au procureur en ces termes : « Mais monsieur, nous devons nous concerter. Je ne suis pas d'accord avec vous. Vous ne dirigez pas. Et il faut savoir encore quels moyens seront affectés » ?
Il nous apparaît donc que ces deux textes peuvent se révéler plus négatifs que positifs et qu'il est, dès lors, souhaitable de les supprimer. Sont visés particulièrement, à l'amendement n° 34, les mots : « se tiennent informés » - c'est admirable ! - et, à l'amendement n° 35, les mots : « définissent d'un commun accord ». Ces formules ne nous semblent pas correspondre à la situation réelle des parties dont nous parlons.
Voyez-vous, monsieur Bret, je me permets de vous le dire, c'est nous qui cherchons le véritable équilibre !
M. Robert Bret. Permettez-moi d'en douter !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 34 et 35 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je veux dire pourquoi je suis défavorable aux deux amendements proposés par M. le rapporteur.
La commission me semble attachée, comme moi-même, au renforcement du contrôle de la police judiciaire. Nous avons donc le même but, ainsi d'ailleurs que M. Bret. Mais, de façon assez paradoxale, la commission propose de supprimer deux des dispositions du projet qui vont dans ce sens.
Je voudrais éviter tout malentendu. Non, je ne crois pas que les dispositions du projet de loi soient inutiles, et encore moins qu'elles constituent un recul par rapport au droit actuel.
Certes, le procureur dirige la police judiciaire, mais celle-ci n'est pas, d'un point de vue organique, sous son autorité. La gendarmerie nationale dépend du ministère de la défense ; la police nationale dépend du ministère de l'intérieur. C'est une réalité qui tient à des raisons historiques autant que structurelles, notamment l'imbrication des missions de police administrative et des missions de police judiciaire. Il faut prendre en compte cette réalité.
Le parquet définit les missions, mais il ne maîtrise pas les moyens. D'où l'intérêt d'institutionnaliser une information ou une concertation obligatoire dans la gestion de ces moyens.
C'est une véritable nouveauté ; c'est vrai.
Je rappelle, car je crois que la commission n'a pas vu ce point, que le deuxième alinéa de l'article D. 2 du code de procédure pénale, qui existe depuis 1982, précise que le chef de la formation de police ou de gendarmerie saisie « coordonne l'exécution des opérations de police judiciaire effectués dans son service ».
C'est donc lui, actuellement, qui décide des moyens à affecter à telle ou telle mission confiée par l'autorité judiciaire. C'est lui qui décide de confier telle commission rogatoire à deux ou à dix enquêteurs. C'est lui qui, face à plusieurs demandes d'enquête du parquet ne pouvant être exécutées en même temps, va fixer les priorités.
C'est cela, la réalité judiciaire. C'est cela qui résulte des textes, qui résulte du fait que les policiers et les gendarmes relèvent des ministères de l'intérieur et de la défense, qu'ils ne sont pas des substituts qu'un procureur peut affecter dans son parquet à telle ou telle tâche.
Face à une telle situation, je crois qu'il ne faut pas être naïf. Aucun texte ne prévoit en la matière que le parquet - ou le juge d'instruction - ait son mot à dire. Or, à quoi bon donner des instructions, ce qui est prévu dans le code, si les moyens nécessaires à leur mise en oeuvre dépendent d'une autre autorité ?
C'est pour éviter ce type de difficultés que le projet de loi prévoit, selon les cas, une information ou une concertation obligatoire sur la question des moyens.
Certes, dans certains ressorts, les excellentes relations existant entre les magistrats et les services d'enquête font que ces dispositions viendront simplement consacrer des pratiques.
M. Christian Bonnet. Dans la plupart des ressorts !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Mais ce n'est pas le cas partout, car ces relations privilégiées, dont je me réjouis, évidemment, vont au-delà de la logique des institutions. D'où l'intérêt d'institutionnaliser, de généraliser ces « relations privilégiées », avec un dispositif à deux niveaux.
De façon générale, au regard des objectifs de politique pénale, une information obligatoire des magistrats doit avoir lieu sur l'utilisation des moyens par rapport à ces objectifs ; c'est ce que prévoit l'avant-dernier alinéa de l'article 41.
Pour certaines affaires particulières, difficiles et complexes, les moyens à mettre en oeuvre doivent faire l'objet d'une concertation et d'un accord ; c'est ce que prévoit le dernier alinéa.
Quand ces nouveaux textes entreront en vigueur, il faudra évidemment modifier en conséquence l'article D. 2, auquel j'ai fait allusion tout à l'heure, mais cette modification exige un préalable législatif.
Ces dispositions ne reviennent nullement à mettre sur un « pied d'égalité » les magistrats et les chefs des services d'enquête. Je réponds là à une autre objection de M. le rapporteur.
Le parquet et le juge d'instruction demeurent en effet les directeurs d'enquête, sans aucune espèce de contestation possible, mais ils auront désormais un rôle à jouer dans la gestion des moyens, ce qui constitue une évolution considérable par rapport à la réalité d'aujourd'hui.
Depuis plusieurs années, les dispositions du code de procédure pénale ont évolué pour permettre une meilleure maîtrise des moyens de la police judiciaire par l'institution judiciaire, dont n'était initialement reconnu que le rôle de direction.
Je veux rappeler ces évolutions.
C'est, par exemple, l'article 15-1 sur les catégories de services de police judiciaire, qui sont désormais déterminées par décret soumis au contre-seing du garde des sceaux, alors qu'auparavant une simpe circulaire du ministre de l'intérieur ou du ministre de la défense pouvait librement créer ou supprimer certains services.
C'est l'article 19-1 sur la notation des officiers de police judiciaire, qui a donné lieu au décret du 28 décembre 1998.
Ce sont les deux alinéas de l'article 41 que prévoit d'ajouter le présent projet de loi.
C'est l'amendement de votre commission sur l'inspection des services judiciaires.
Chacune de ces dispositions constitue une pierre de l'édifice que nous voulons construire ensemble.
Je vous le demande donc avec une particulière insistance : n'adoptez pas ces amendements de suppression ! Soyez cohérents avec vos objectifs de renforcement du contrôle de la police judiciaire.
Il ne faut pas avoir la naïveté de penser que ces dispositions résoudront tous les problèmes à l'avenir, mais il ne faut pas non plus faire l'erreur de prendre ce qui constitue une réelle avancée pour un recul.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Compte tenu des explications que vient de donner Mme le garde des sceaux, je retire les amendements n°s 34 et 35.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. le président. Les amendements n°s 34 et 35 sont retirés.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 7, modifié.

(L'article 7 est adopté.)

Article 8