Séance du 26 octobre 1999







M. le président. Par amendement n° 72, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt, Autain, Bony, Carrère, Courrière, Godard, Lejeune, Pastor, Picheral, Rouvière, Signé et Trémel proposent d'insérer, après l'article 11, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 80 du code de procédure pénale, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - Dans les cas prévus aux articles 121-3 du code pénal, L. 2123-34, L. 3123-28, L. 4135-28, L. 4422-10-1 et L. 5211-8 du code général des collectivités territoriales, la mise en examen ne peut intervenir que si l'enquête préliminaire diligentée par le procureur de la République ou l'information conduite par le juge d'instruction leur fait estimer que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que, s'il y a lieu, des difficultés propres aux missions que la loi lui confie.
« Le procureur de la République ou le juge d'instruction ont la faculté de solliciter du président du tribunal de grande instance la désignation de tout expert. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Ce débat, qui met en jeu, au fond, l'engagement des poursuites, les modalités d'engagement et le rôle des parquets, a paru opportun à plusieurs de mes amis et à moi-même pour poser une question concernant les modalités de mise en examen dans les cas d'accident, d'incident où est mis en cause pour négligence un particulier, un élu, un fonctionnaire, un responsable privé ou autre.
Nous avons, bien entendu, présente à l'esprit la situation des élus locaux, mais cet amendement ne concerne pas qu'eux. Nous considérons, en effet, qu'il n'y a pas à faire, autant que l'on peut l'éviter, de loi spéciale pour certaines catégories de citoyens. Mais ayant présente à l'esprit la situation des élus locaux, nous savons bien que la mise en examen vaut condamnation dans l'opinion publique. L'opinion est en effet complètement indifférente à la décision de non-lieu qui intervient, la plupart du temps, un ou deux ans après. Seul reste le souvenir de la mise en examen.
L'amendement n° 72 vise à prévoir que, dans les cas visés par l'article 121-3 du code pénal, appelé autrefois la loi Delevoye, dispositif qui concerne tout le monde et pas une catégorie particulière de citoyens et qui est repris, même si mon ami Michel Dreyfus-Schmidt fait toujours remarquer que la rédaction n'est pas identique, dans plusieurs articles du code général des collectivités territoriales, lequel concerne les diverses catégories d'élus locaux, il ne puisse jamais y avoir de mise en examen sans que le procureur saisi au cours de l'enquête préliminaire ou le juge d'instruction, si un juge d'instruction est saisi, ait d'abord déterminé si l'intéressé a fait ou non toutes les diligences normales pour éviter l'incident, l'accident ou le drame.
Ainsi, pour employer une formule un peu brutale, je dirai que le système actuel aboutit à tirer avant de discuter, et que, avec l'amendement n° 72, je propose de discuter avant de tirer.
Permettez-moi de vous dire que, pour de très nombreux responsables publics et privés comme pour les citoyens en général, le système que nous proposons serait une grande délivrance. En effet, les choses seraient claires : quand la mise en examen interviendrait, c'est que l'enquête préliminaire diligentée par le parquet ou l'information conduite par le juge d'instruction conclurait, après démonstration et, éventuellement, expertise, à l'existence de présomptions très lourdes, presque des preuves, que les diligences normales n'auraient pas été faites ; dans ce cas-là, la mise en examen s'imposerait.
Tel est l'objet de l'amendement n° 72. Je répète, afin de ne pas voir dénaturer demain mes propos dans la presse, qu'il concerne tous les citoyens et pas seulement les responsables publics ou privés, les fonctionnaires et les élus.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission ne peut pas être favorable à cet amendement, bien que, vous le savez, elle souhaite de tout coeur améliorer la situation des maires, notamment, et, d'une manière générale, de tous ceux qui sont attraits devant les tribunaux pour des délits par imprudence.
Mais - ce sera ma première observation - il ne me paraît pas nécessaire, monsieur Charasse, de dire que le procureur de la République ou le juge d'instruction a la faculté de désigner des experts. Il peut en effet désigner des experts, et je ne vois donc pas l'intérêt de cet ajout.
M. Michel Charasse. C'est un point de détail !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Lorsque j'aurai réglé chaque détail, il ne restera plus rien ! (Sourires.) Je vous « grignote » !
M. Michel Charasse. Je vous attends à la sortie ! (Nouveaux sourires.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Par ailleurs, l'amendement n° 72 donne l'impression que la mise en examen peut être décidée soit par le procureur de la République, soit par le juge d'instruction. Vous m'accorderez que seul le juge d'instruction - je vous « grignote » également sur ce point - peut mettre en examen.
M. Michel Charasse. Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non, ce n'est pas ce qu'il a dit !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Un peu de patience, mes chers collègues. A cette heure, vous allongez inutilement les débats ! (M. Michel Charasse s'exclame.)
Je vous dis que votre amendement donne cette impression !
J'en viens au fond de la question. Permettez-moi de dire que je connais bien le texte que vous évoquez. J'étais en effet le rapporteur de la commission qui l'a proposé et qui était présidée par M. Delevoye. Et vous savez assez comment sont répartis les travaux entre le rapporteur et le président d'une commission.
Très personnellement concerné par ce texte, je suis très attentif aux résultats qu'il produira et aux appréciations des uns et des autres. Je crois d'ailleurs que l'on ne pourra l'apprécier réellement que lorsque l'on aura laissé s'écouler le temps nécessaire pour les appels, les pourvois en cassation et les arrêts sur renvoi. Et si, effectivement, ce délai est trop long, c'est tout de même comme cela que la jurisprudence se forme !
M. Michel Charasse. En attendant, quelle injustice !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. J'en viens, si vous voulez bien me laisser un peu la parole, monsieur Charasse, au fond du problème.
Vous dites que l'on ne pourra mettre quelqu'un en examen que lorsque seront réunies toutes les preuves de la culpabilité.
M. Michel Charasse. Non !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. On disposera non seulement d'indices graves ou concordants, ce que nous avons décidé au moment de l'examen du projet de loi relatif à la présomption d'innocence, mais on aura aussi vérifié que le prévenu ou la personne concernée n'aura pas accompli toutes les diligences. Mais je vous renvoie au texte que nous avons adopté alors !
Pratiquement, nous serons à la fin de l'instruction !
Votre amendement concerne la procédure pénale et relève du texte sur la présomption d'innocence, que nous avons examiné en première lecture, il est en navette et il pourra être amélioré, puis il reviendra en seconde lecture au Sénat. Laissons donc les choses à leur place ! C'est à la lumière du texte sur la présomption d'innocence qu'il faudra, éventuellement, revoir cet amendement ! Vous savez que c'est une question de méthode à laquelle, à juste titre, nous sommes attachés à la commission des lois, parce que c'est notre devoir.
Par ailleurs, je me permets de vous rappeler que nous avons examiné la question de la mise en examen de près : nous avons prévu qu'elle ne pourrait avoir lieu que s'il y avait des indices graves ou concordants et nous avons insisté sur le statut du témoin assisté. Nous espérons bien que ce statut se développera et qu'il y aura moins de mises en examen.
Nous pensons en tout cas que ce n'est pas le moment ici de remettre en question toute l'analyse de l'excellent rapporteur du texte sur la présomption d'innocence, notre collègue M. Jolibois, et je ne vais pas empiéter sur ses réflexions, qui ont été très approfondies en la circonstance.
Pour l'essentiel, votre système revient pratiquement à supprimer la notion de mise en examen et à la confondre, finalement, avec l'ordonnance de renvoi. En effet, s'il faut avoir réuni toutes les conditions de la culpabilité avant de mettre quelqu'un en examen, cela signifie que l'on supprime purement et simplement la mise en examen. C'est une conception !
A titre personnel, je me demande d'ailleurs s'il ne faudra pas, finalement, renoncer un jour à la mise en examen, et des voix très autorisées se sont exprimées en ce sens. C'est cependant un débat que nous ne pouvons pas aborder sérieusement ce soir ! Nous ne pouvons pas, en un revers d'amendement, bousculer tout le système de l'instruction qui, jusqu'à nouvel ordre, suppose, à un certain stade qui n'est pas le stade final mais celui des indices graves ou concordants, la mise en examen.
Pour toutes ces raisons, nous ne sommes pas favorables à l'amendement n° 72.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je suis moi aussi défavorable à cet amendement, qui soulève de nouveau l'importante question de la responsabilité pénale des décideurs publics...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas seulement !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... pour faits d'imprudence, et je considère, vous le savez, que cette question est extrêmement importante.
D'une manière générale, cet amendement revient, en quelque sorte, à subordonner les poursuites à la démonstration préalable de la culpabilité de la personne. La mise en examen ne serait possible, si l'on vous suivait, que si le juge d'instruction estimait la personne coupable, ce qui serait paradoxal puisque l'information a précisément pour objet de rechercher les éventuelles responsabilités pénales des personnes mises en cause.
M. Jean-Jacques Hyest. C'est exact !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Notre procédure pénale est actuellement imparfaite, sans doute, puisqu'elle permet des mises en examen trop faciles. Mais des réponses ont déjà été apportées à cette question par les dispositions adoptées par le Sénat lors de l'examen du projet de loi renforçant la présomption d'innocence.
Lorsque cette dernière loi entrera en vigueur, la mise en examen d'une personne - et donc d'un décideur public, tel un maire mis en cause pour des faits d'imprudence - ne pourra intervenir qu'en cas d'indices graves ou concordants, alors qu'actuellement un simple indice suffit. Dans les autres cas, la personne ne pourra être entendue que comme témoin assisté.
Par ailleurs, la loi du 23 juin 1999 renforçant l'efficacité de la procédure pénale a étendu les possibilités de procéder lors de l'enquête à des examens techniques, qui sont de véritables expertises, pour éviter l'ouverture d'une information. Ces examens techniques permettront donc de mieux cerner les éventuelles responsabilités.
En réalité, les objectifs visés par cet amendement l'ont déjà été dans le projet de loi renforçant la présomption d'innocence et dans la loi du 23 juin 1999. De plus, j'ai indiqué, lors de la discussion générale, la semaine dernière, que des améliorations pourraient encore être apportées lors de la navette au projet de loi renforçant la présomption d'innocence.
A mon avis, il est donc inutile de vouloir de nouveau instituer des garanties similaires sous des formes différentes et critiquables.
Je ne suis pas opposée à ce que des textes spécifiques soient adoptés si nécessaire ; je l'ai montré en acceptant la disposition sur les associations de maires, et j'ai engagé une réflexion spécifique sur le sujet en instituant la commission présidée par M. Massot. Mais j'estime vraiment, en l'état, que cet amendement ne peut être accepté, et je vous demande donc de le rejeter. M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 72.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les choses évoluent lentement !
Nous attendons avec intérêt le rapport de la commission présidée par M. Massot, et je me souviens que, lorsque nous avons discuté du texte auquel faisait allusion tout à l'heure M. Fauchon, nous demandions à cor et à cri le rapport d'une commission que présidait un autre conseiller d'Etat, M. Jacques Fournier, mais que, à l'époque, M. Goasguen ne voulait pas nous communiquer ce rapport. M. Fauchon doit s'en souvenir !
Il se souviendra peut-être aussi qu'à l'époque nous défendions le point de vue selon lequel il n'y avait pas de raison de faire des cas particuliers pour les élus, les militaires ou les fonctionnaires et que c'était - et que c'est toujours ! - pour l'ensemble des justiciables qu'il fallait - et qu'il faut ! - légiférer, même si, en effet, en proportion, les élus paient une part particulière aux délits par imprudence.
Personnellement, j'ai toujours pensé, quand j'étais enfant - et je le pense encore - qu'il n'était pas juste de punir l'enfant qui dit : « Je ne l'ai pas fait exprès. » Au demeurant, le code pénal lui-même prévoit qu'il n'y a de délit que lorsqu'il y a intention de le commettre ! Il faudra donc bien, un jour, en arriver là.
C'est pourquoi c'est avec plaisir que j'ai vu M. Fauchon - qui, à l'époque, s'opposait à ce que je proposais - déposer une proposition de loi dans laquelle il s'oriente dans ce sens. Certes, il ne va pas jusqu'à supprimer tous les délits involontaires, mais il fait une différence selon que le dommage est direct ou indirect ; bref, il s'oriente dans cette direction, et nous pourrons, évidemment, en reparler.
Je pense toutefois qu'il ne suffit pas de faire cette différence et qu'il faut purement et simplement décider que, en l'absence de violation de la loi, on ne saurait faire état d'une faute si elle est involontaire : on ne doit pas punir ce qui est involontaire.
Pourquoi ne pas saisir l'occasion qui nous est offerte par l'amendement n° 72, qui a été signé par un certain nombre de sénateurs socialistes à la suite de M. Charasse, pour régler ce problème ?
Quoi qu'il en soit, monsieur le rapporteur, il ne faut pas faire dire à M. Charasse autre chose que ce qu'il a dit.
M. Michel Charasse. Bien sûr ! M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'a pas dit que c'était le procureur qui se livrait à la mise en examen ! Vous interprétez son amendement, alors qu'il faudrait s'intéresser au fond, et j'ai l'impression que j'ai lu votre proposition de loi avec plus d'attention que vous n'avez lu l'amendement n° 72 du groupe socialiste !
Aux termes de cet amendement, la mise en examen ne peut intervenir que si, premièrement, « l'enquête préliminaire diligentée par le procureur de la République », ou, deuxièmement, « l'information conduite par le juge d'instruction »...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. « leur » fait estimer !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. A l'un ou à l'autre, évidemment !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Ce n'est pas au procureur de la République de mettre en examen !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non, mais c'est le procureur de la République qui, bien souvent, défère devant le juge d'instruction ou ouvre l'instruction. Vous chicanez !
Je poursuis : « leur fait estimer »...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Fait estimer au juge d'instruction !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... « que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales... »
Ils estiment ! Il n'est pas question d'en faire quelque chose d'établi, il faut qu'eux au moins aient recherché, avant de procéder à une mise en examen, si la cause de non-responsabilité que prévoit d'ores et déjà la loi pour l'ensemble des citoyens et pour les élus est ou non remplie.
Cela me paraît tout à fait normal si l'on veut tenter de limiter ces inculpations, ces mises en examen dont nous estimons tous qu'elles sont trop rapides.
Voilà pourquoi je pense que cet amendement mérite pour le moins de retenir l'attention. Si ce n'est pas aujourd'hui, ce sera demain ; mais, de toute façon, il faudra intervenir en la matière, en n'oubliant pas qu'est en effet en cause le sort de tous les justiciables poursuivis pour des délits involontaires. L'expression elle-même - ces deux mots accolés - jure d'ailleurs puisque, je vous le rappelle, le code pénal lui-même exclut la poursuite des délits involontaires en prévoyant qu'il n'y a délit que lorsqu'on a l'intention de commettre une infraction pénale.
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bret. M. Robert Bret. Avec cet amendement, il s'agit de revenir sur les conditions de mise en examen des élus, ...
M. Michel Charasse. Non !
M. Robert Bret. ... mais pas seulement des élus, nous ont précisé nos collègues MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt.
Les signataires de l'amendement souhaitent que la mise en examen ne puisse avoir lieu qu'après enquête préliminaire destinée à apprécier si les conditions de la cause exonératoire sont réunies.
Une telle modification permettrait, selon les auteurs, d'éviter que les élus soient déclarés « coupables » par les médias, alors même que l'enquête du procureur conclura à l'absence de délit.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen souhaitent quant à eux exprimer leurs doutes quant à l'intérêt du système proposé, même s'ils comprennent le bien-fondé des préoccupations qu'il vise à satisfaire.
Sur le fond, d'une part, il semble que, s'il était adopté, l'amendement modifierait profondément la procédure pénale française : c'est tout le système de la mise en examen qui serait alors remis en question.
Actuellement, la procédure est régie par l'article 80-1 du code de procédure pénale, qui donne la possibilité au juge d'instruction de « mettre en examen toute personne à l'encontre de laquelle il existe des indices laissant présumer qu'elle a participé, comme auteur ou complice des faits dont il est saisi ». Indice et non pas preuve !
C'est ensuite sur la méthode que nous sommes réservés.
Comme nous l'avions déjà indiqué lors de la discussion du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, il ne nous semble pas de bon ton de légiférer ainsi, au coup par coup, sur une question qui mériterait une réflexion plus large.
En juin dernier, un groupe d'études sur la responsabilité pénale des décideurs publics a été mis en place sous la présidence de M. Massot, membre éminent du Conseil d'Etat, vice-président de la section des finances. Mme la garde des sceaux nous a précisé que ce groupe avait été spécialement interrogé sur la notion de faute pouvant être opposée aux décideurs publics, et nous a informés que ce groupe rendrait ses conclusions avant la fin de l'année.
Laissons ce groupe achever ses travaux en toute sérénité : nous disposerons ainsi de tous les éléments pour aborder le problème de façon globale et pour y apporter les meilleures réponses.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. J'ai bien écouté ce qui a été dit par les uns et par les autres.
Je ne reviendrai pas sur les observations rédactionnelles de M. le rapporteur : on peut remplacer les mots « leur fait estimer » par les mots « fait estimer au juge », je veux bien admettre qu'il s'agit d'une erreur de rédaction. Mais il n'a jamais été dans mon idée que le procureur de la République puisse mettre en examen, il ne faut pas me faire dire ce que je n'ai pas voulu dire !
Sans vouloir prolonger ce débat, je poserai une question très simple, monsieur le président : nous nous trouvons dans la situation visée par l'article 121-3 du code pénal ainsi que par certains articles du code général des collectivités territoriales, et la mise en examen signifie, pour l'opinion publique, la condamnation. En effet, il y a l'interpellation à grand renfort de sirènes, il y a l'affolement sur les marches du Palais, il y a les photos, il y a les reportages, bref, l'intéressé est coupable avant d'avoir été déclaré coupable.
Je pose donc la question à la fois au garde des sceaux et au Sénat : que propose-t-on pour que ce ne soit plus le cas ?
Vous me direz qu'il y a deux solutions : on peut changer l'opinion publique, ou on peut changer la loi. Mais comme l'opinion publique est chauffée à blanc au sujet de tous les responsables, qu'ils soient publics ou privés - parce que, une fois de plus, il n'y a pas que les élus qui sont concernés par ce texte ! - on a peu de chances de pouvoir la changer. Par conséquent, il faut adapter les textes, et c'est pourquoi j'ai modestement essayé de trouver une solution.
Laquelle, mes chers collègues ? J'ai pensé écrire noir sur blanc ce qui me paraît être le devoir élémentaire de celui dont la Constitution fait le gardien de la liberté individuelle. Dans la mesure où il ne faut pas faire n'importe quoi avec la liberté individuelle, on doit commencer, avant de mettre quelqu'un en examen, voire en détention, par se poser un minimum de questions pour savoir s'il y a présomption de culpabilité.
Or on constate que, pour des affaires graves, on va généralement très vite, et la mise en examen intervient tout de suite. Je me demande ce que l'on a eu le temps d'examiner dans ces cas-là ! On nous a ainsi montré ce pauvre moniteur de ski en menottes à la télévision, alors qu'il va être jugé - le procès est en cours - et que l'on ne sait pas encore ce que le tribunal va décider. Mais, peu importe, pour l'opinion, il est coupable !
Pour ma part, je cherche une solution. J'entends bien ce que nous disent un certain nombre de collègues : un groupe de travail présentera ses propositions avant la fin de l'année. Mais combien de temps va-t-il falloir attendre ? Combien d'injustices seront-elles commises à l'égard d'un certain nombre de responsables d'associations - y compris privées, parce que les associations publiques ne sont pas les seules concernées - de fonctionnaires, d'élus ? Combien de maires faudra-t-il pousser au désespoir et au retrait de leurs fonctions d'ici aux élections municipales, avant que l'on aboutisse à une autre solution ?
On me reproche de démanteler la mise en examen.
Mais à partir du moment où la mise en examen est considérée par nos compatriotes comme une condamnation, elle porte en elle-même sa propre mort, et il faudra bien trouver un autre système. Pour ces cas-là, au moins, alors que l'on sait que, neuf fois sur dix, l'instruction aboutit à un non-lieu, j'ai proposé une solution par le biais de l'amendement n° 72.
Je ne veux pas être plus royaliste que le roi, et je veux bien admettre que cet amendement qui, à mon avis, présente un caractère d'urgence - vous verrez, mes chers collègues, ce que le congrès des maires de France nous dira à ce sujet, même si nous ne sommes pas aux ordres d'un congrès des maires - pourra être revu lors de la deuxième lecture du projet de loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes.
Par conséquent, je retire mon amendement... (Exclamations amusées sur les travées du RPR.)
Mais vous pouvez le reprendre, mes chers collègues !
Je retire donc mon amendement, mais je ne me le tiens pas pour dit. Si, d'ici à la deuxième lecture - si deuxième lecture il y a - du projet de loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes, Mme le garde des sceaux pouvait progresser vers une solution, fût-ce en anticipant sur les conclusions des travaux de la commission Massot, laquelle ira sans doute plus loin dans de nombreux domaines, ou sur les réflexions de nos amis et collègues de la commission des lois, ce serait, croyez-moi, très utile.
C'est dans cet esprit - mais on ne m'y prendra pas deux fois - que je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 72 est retiré.
Par amendement n° 73, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 11, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 432-4 du code pénal, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - Le fait, pour les membres du pouvoir exécutif ou leurs délégués, pour ceux du pouvoir législatif et pour les magistrats de l'ordre judiciaire, administratif et financier et les officiers de police, de méconnaître, à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, le principe et les règles de la séparation des pouvoirs est puni de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 francs d'amende.
« L'action publique est mise en mouvement à l'initiative du ministère public, du ministre de la justice, du ministre ou des fonctionnaires concernés ainsi que par les élus du suffrage universel concernés. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. J'ai été très heureux d'entendre Mme le garde des sceaux évoquer tout à l'heure, à propos de l'amendement de M. Dreyfus-Schmidt, le principe de la séparation des pouvoirs ; je me suis dit : « Tiens, il n'est pas mort ! »
Cet amendement a pour objet de mettre au clair l'application du principe de la séparation des pouvoirs, étant entendu que, si une autorité exécutive ou législative - il s'agit ici d'un principe fondamental, ai-je besoin de le dire, de nos institutions - porte atteinte à l'indépendance de l'autorité judiciaire, des dispositions du code pénal permettent d'engager des poursuites. En revanche, si l'autorité judiciaire, qu'il s'agisse d'ailleurs de l'ordre judiciaire, de l'ordre administratif ou de l'ordre financier - je pense aux chambres régionales des comptes - porte atteinte aux deux pouvoirs exécutif ou législatif, il n'existe aucune disposition permettant de poursuivre depuis que la réforme du code pénal a supprimé la forfaiture et les textes anciens qui prévoyaient des sanctions.
J'ai donc fait une proposition. Cela étant, monsieur le président, à cette heure tardive, je ne suis pas acharné à défendre cet amendement.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. On ne le dirait pas !
M. Michel Charasse. Je vais prendre connaissance des avis de la commission des lois et du Gouvernement, mais de toute façon nous nous retrouverons lors de l'examen du projet de loi organique concernant la responsabilité des magistrats, s'il vient un jour en discussion, ce dont je ne suis pas encore persuadé !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Avec cet amendement, M. Charasse atteint un haut degré de perfectionnement dans ses exercices de recherche juridique.
M. Michel Charasse. Merci !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il me plonge toujours dans un mélange d'admiration et de consternation.
Quoi qu'il en soit, voilà que l'on nous propose de créer un nouveau délit pour punir ceux qui ont le tort de confondre le législatif, l'exécutif et le judiciaire ! Cela fait beaucoup de délinquants depuis que la République a été proclamée en France ! En effet, je me permets de signaler à notre collègue M. Michel Charasse que, depuis la Révolution française, depuis Saint-Just et quelques autres, il n'est, hélas ! pas dans notre tradition de distinguer sérieusement les pouvoirs. Les Américains l'ont fait, mais pas nous.
En tout état de cause, est-ce ce soir, à cette heure tardive, que nous allons inscrire un nouveau délit dans le code pénal, que nous ne sommes d'ailleurs pas en train de réviser ? Est-ce ce soir que nous allons définir un délit aussi flou et insaisissable que celui qui consiste à méconnaître, dans l'exercice de ses fonctions, la règle de la séparation des pouvoirs ? Il n'existe pas de pouvoir judiciaire, au sens constitutionnel du mot, dans nos institutions.
M. Jean-Jacques Hyest. On en crée un !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Le pouvoir législatif lui-même comporte une zone d'interférence assez étendue avec le pouvoir exécutif. La séparation des pouvoirs, je le répète, ne fait donc pas partie de notre tradition constitutionnelle - je suis de ceux qui le déplorent, et elle ne figure pas vraiment non plus dans nos institutions actuelles, ni dans notre droit positif - il s'agit plutôt d'un effet d'annonce.
En conclusion, je ne vois pas du tout le moyen d'entrer dans cette voie, qui me semble relever davantage, je le répète, de la recherche scientifique, voire du pittoresque, que du travail législatif positif.
Par ailleurs - je le rappelle à notre collègue -, existent tout de même les recours pour excès de pouvoir, lesquels sont encadrés, donnent lieu à une jurisprudence et permettent de sanctionner, au moins par la voie civile, les abus susceptibles d'être commis.
Enfin, nous passons notre temps - et cela est vrai aussi de M. Charasse en d'autres circonstances - à dire que nous avons la manie de « pénaliser » à tour de bras, ce qui soulève ensuite de nombreuses difficultés.
Pour toutes ces raisons, la commission des lois ne peut donner un avis favorable à l'amendement de M. Charasse.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je remercie, tout d'abord, M. Charasse d'avoir bien voulu retirer l'amendement n° 72.
Je suis opposée à l'amendement n° 73 parce qu'il prévoit de créer une nouvelle infraction, ce qui peut quelquefois se justifier, mais non pas, à mon avis, dans le cas présent.
L'ancien code pénal napoléonien sanctionnait du crime de forfaiture les atteintes à la séparation des pouvoirs commises par des magistrats qui se seraient immiscés dans l'exercice du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif.
De façon intentionnelle et réfléchie, ces dispositions n'ont pas été reprises dans l'avant-projet de nouveau code pénal élaboré par la commission de révision présidée par M. Robert Badinter, alors garde des sceaux. Elles n'ont pas non plus été reprises par le Parlement lors de l'adoption du nouveau code, en 1992.
La suppression de ces infractions demeure, à mon sens, justifiée.
Il n'est donc pas, dans ces conditions, souhaitable de vouloir rétablir une telle infraction, aussi imprécise que les précédentes et au surplus élargie, dans un souci de parallélisme, aux empiétements commis par l'exécutif ou le législatif sur le judiciaire.
Si un juge judiciaire ne respecte pas la séparation des pouvoirs, je rappelle que deux types de sanctions existent actuellement : il s'agit, d'une part, de la nullité de la procédure, prononcée par la Cour de cassation et, si nécessaire, par le tribunal des conflits, et, d'autre part, des poursuites disciplinaires, fondées notamment sur les articles 10 et 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 sur l'organisation judiciaire, qui n'ont pas été abrogés. Je rappelle à cet égard que, au début des années quatre-vingt, une sanction disciplinaire a été prononcée contre un juge spécifiquement pour atteinte à la séparation des pouvoirs.
Il est donc inutile, me semble-t-il, de créer une nouvelle infraction. Au Sénat, qui regrette, avec raison, une pénalisation excessive de la société en général et de la vie publique en particulier, je pose la question suivante : faut-il réellement créer une nouvelle incrimination susceptible d'être invoquée à tout moment par des citoyens mécontents de leur maire, d'un juge d'instruction ou d'un préfet ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est tous azimuts !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Voilà pourquoi je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de rejeter cet amendement.
Je précise que le Sénat, lors de la discussion sur le projet de loi tendant à renforcer la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, a déjà rejeté un amendement analogue.
M. le président. Monsieur Charasse, maintenez-vous l'amendement n° 73 ?
M. Michel Charasse. Je propose, pour ma part, au Sénat de trouver une réponse à un problème qui n'a plus de solution depuis la révision du code pénal.
J'avais proposé, lors du débat sur le projet de loi tendant à renforcer la présomption d'innocence et les droits des victimes, de rétablir les anciens textes relatifs à la forfaiture. Le Sénat ne l'a pas voulu, après avoir pourtant adopté deux ans plus tôt une disposition allant dans ce sens.
Je pose simplement la question suivante : que se passe-t-il aujourd'hui, par exemple, quand les chambres régionales des comptes se prononcent sur l'opportunité de projets municipaux ou départementaux, alors même que ces interventions portent incontestablement atteinte au domaine de compétence des assemblées élues, lesquelles ne relèvent que des citoyens quant à cette appréciation ?
En un mot, monsieur le président, ne voulant pas retarder le débat, je retire cet amendement, mais je ne renonce pas. Nous reparlerons de cette disposition lors du débat sur le statut des magistrats.
M. le président. L'amendement n° 73 est retiré.

Article 12