Séance du 4 novembre 1999







M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 47 rectifié, MM. Vallet et Bimbenet proposent d'insérer, après l'article 6 bis , un article additionnel ainsi rédigé :
« Lorsqu'une entreprise emploie des salariés en temps partagé, les allégements de cotisations sociales sont appréciés en fonction de la totalité du temps de travail du salarié, puis attribués à chaque entreprise au prorata du temps de travail effectué par le salarié dans chacune d'entre elles. »
Par amendement n° 73, M. Jourdain propose d'insérer, après l'article 6 bis , un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est créé après le paragraphe 2 de la section 2 du chapitre II du titre I du livre II du code du travail, un paragraphe additionnel comprenant un article additionnel après l'article L. 212-4-7, ainsi rédigé :
« Paragraphe ... - Travail à temps partagé
« Art. L. ... - Le travail à temps partagé est l'exercice par un salarié pour le compte de plusieurs employeurs de ses compétences professionnelles dans le respect des dispositions applicables à la réglementation de la durée du travail.
« Le contrat de travail du salarié à temps partagé est un contrat écrit à durée déterminée ou indéterminée. Il mentionne notamment :
« - la qualification du salarié ;
« - les éléments de la rémunération ; le contrat peut prévoir les modalités de calcul de la rémunération mensualisée indépendamment du temps accompli au cours du mois lorsque le salarié à temps partagé est occupé sur une base annuelle ;
« - la convention collective éventuellement appliquée par l'employeur et, le cas échéant, les autres dispositions conventionnelles applicables ;
« - la durée du travail hebdomadaire ou, le cas échéant, mensuelle ou annuelle ;
« - la répartition de cette durée entre les jours de la semaine ou entre les semaines du mois ou de l'année ; quand cette répartition ne peut être préalablement établie, un avenant au contrat de travail la définit ultérieurement ;
« - la possibilité de modifier cette répartition ou la durée du travail par accord entre les parties ;
« - la procédure selon laquelle le salarié à temps partagé pourra exercer son droit à congés annuels ;
« - la liste des autres contrats de travail dont le salarié est titulaire ; toute modification de cette liste est portée à la connaissance de chacun des employeurs par lettre recommandée avec accusé de réception ; il en est de même de toute modification d'un contrat de travail portant sur la durée du travail ou sa répartition ou sur tout élément de nature à entraver l'exécution d'un autre contrat de travail ;
« - l'engagement de l'employeur de ne prendre aucune mesure qui serait de nature à entraver l'exécution par le salarié de ses obligations à l'égard de ses autres employeurs ;
« - l'engagement du salarié de respecter, pendant la durée du contrat comme après sa rupture, une obligation de discrétion sur toutes informations concernant chaque employeur ;
« - l'engagement du salarié à temps partagé de respecter les limites fixées par l'article L. 212-7 ».
La parole est à M. Bimbenet, pour défendre l'amendement n° 47 rectifié. M. Jacques Bimbenet. Nous proposons que le nouveau système d'exonération de charges puisse prendre en compte le cas des salariés à employeurs multiples, c'est-à-dire que l'exonération soit appréciée en fonction du temps de travail total du salarié et non pas en fonction de son temps de travail dans chaque entreprise.
L'allégement serait réparti dans chaque entreprise au prorata du temps de travail effectué par le salarié, ce qui nous semble normal.
M. le président. La parole est à M. Jourdain, pour défendre l'amendement n° 73.
M. André Jourdain. L'amendement que vient d'exposer M. Jacques Bimbenet et le mien reprennent des articles d'une proposition de loi relative au multisalariat en temps partagé que le Sénat a votée le 11 mars dernier.
J'ajoute que, dans l'amendement que j'ai déposé, j'ai tenu compte des observations de Mme Péry, en supprimant une phrase relative à la concurrence.
Ce jour-là aussi, madame Péry, vous aviez engagé le Gouvernement en disant qu'il traiterait des problèmes de multisalariat, de groupements d'employeurs dans la deuxième loi sur les 35 heures. Or, manifestement, rien, dans le présent texte, ne concerne le multisalariat.
Je suis d'autant plus surpris que, dans le plan national pour l'emploi, à la suite des demandes, des orientations de la Commission européenne, vous reteniez qu'il faut développer le groupement d'employeurs et le multisalariat.
Je suis également frappé par le fait que, dans certains départements ou certaines régions, le ministère du travail soutienne des organisations qui se créent pour aider au développement du multisalariat sans aucun cadre juridique.
C'est un tel cadre que je prévois avec cet amendement, qui répond à la demande de tous ceux qui étudient la question du multisalariat et qui sentent bien que son développement est entravé par un manque de cadre juridique.
Je signale, en outre, que, du fait de ce qui est prévu en ce qui concerne le temps partiel, cet amendement apporte des garanties et un plus grand choix au salarié. Le salarié est partie prenante dans le cadre d'un tel contrat, alors que ce n'est pas le cas dans un contrat à temps partiel, qui peut être modifié unilatéralement par l'employeur.
Je pense que le Sénat sera logique avec lui-même. Il a voté un tel dispositif le 11 mars dernier et je demande à mes collègues de renouveler leur vote.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 47 rectifié et 73 ?
M. Louis Souvet, rapporteur. Sur l'amendement n° 47 rectifié, la commission a émis un avis favorable.
S'agissant de l'amendement n° 73, mon ami M. Jourdain est malin, car il a essayé de faire en sorte que ce multisalariat, auquel il est très attaché, puisse enfin naître un jour, peut-être même aujourd'hui dans cette assemblée.
Je rappelle que notre collègue avait rapporté sa proposition de loi relative au multisalariat en temps partagé le 16 décembre 1998 devant la commission des affaires sociales.
Je me réjouis aujourd'hui que la commission, qui a de nouveau examiné ces dispositions, ait émis un avis favorable sur son amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Monsieur le président, je ferai une réponse synthétique, tant il est vrai que je me suis déjà exprimée sur ce sujet à une autre occasion.
M'adressant à M. Bimbenet, je rappellerai la position défavorable du Gouvernement sur l'amendement n° 47 rectifié, en soulignant que nous n'ignorons nullement la situation du multisalariat.
La condition d'emploi pour un minimum égal au mi-temps assure une cohérence entre l'allégement et les autres dispositions du projet de loi tendant à favoriser le développement du temps partiel choisi.
Je dirai également que l'allégement doit pouvoir profiter à chaque employeur qui offre un mi-temps.
Peut-être puis-je ajouter que le groupement d'employeurs offre seul, me semble-t-il, un cadre adéquat à la prise en compte du multisalariat.
S'agissant de l'amendement n° 73, le Gouvernement ne méconnaît nullement que le développement de cette multiactivité, qualifiée de multisalariat à temps partagé par M. Jourdain, répond à la fois aux besoins des entreprises, qui veulent se procurer des salariés aux compétences précises sans être toujours en mesure de procéder à des embauches à temps plein, et aux souhaits des salariés employés à temps partiel, qui veulent compléter leur revenu par un second emploi.
Cela dit, le Gouvernement n'est pas favorable à la création d'un nouveau type de contrat de travail visant exclusivement la situation du multisalariat.
Il souhaite par ailleurs rechercher la meilleure solution possible dans l'application optimale du dispositif des groupements d'employeurs.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 47 rectifié, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 6 bis.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 73.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Nous retrouvons, à l'occasion de ce texte, l'amendement de notre collègue André Jourdain, que l'on sait être un ardent défenseur d'un statut du travail à temps partagé.
Je tiens à dire que nous avons été en désaccord sur ce point dans le passé, notamment au moment de la discussion de la proposition de loi de notre collègue, car son texte nous paraissait alors dépourvu des garanties les plus élémentaires pour les salariés. Nous y voyions un texte permettant aux employeurs de bénéficier de plusieurs allégements de charges, tandis que la liberté du salarié à conclure d'autres contrats, ses droits, par exemple en matière de convention collective, de congés payés, n'étaient pas pris en considération.
Sur ces points, l'amendement n° 73 constitue un progrès, avec la mention des conventions collectives applicables, la mention de l'exercice du droit à congés et même l'amélioration du mode de relations envisagées entre le salarié et chacun de ses employeurs.
Néanmoins, si notre collègue prend maintenant en compte les droits des salariés, le problème de fond demeure.
Le travail à temps partagé laisse le salarié dans une situation de précarité face à ses différents employeurs. On voit aisément les bénéfices que ces derniers retirent de ce statut, même si la suppression de l'allégement de 30 % des cotisations sociales patronales risque de rendre le travail précaire moins attractif. Mais on voit moins l'intérêt des salariés !
Pour la gestion du travail à temps partagé, le groupe socialiste continue de faire porter sa préférence sur le groupement d'employeurs. Le travail à temps partagé est une réalité issue des mutations technologiques, de l'évolution des modes d'organisation du travail liée à l'augmentation de la productivité par tête et à la disparition des grandes unités de production.
Certes, les petites entreprises de création récente n'ont souvent ni les moyens ni la volonté d'avoir un salarié à plein temps pour tel ou tel poste de travail, la comptabilité par exemple. Le législateur doit en tenir compte, mais il doit aussi veiller à assurer au salarié la sécurité d'une situation juridique stable.
Il est important de régler rapidement la situation juridique du travail à temps partagé, chacun en est conscient. Pour notre part, nous attendons beaucoup du groupement d'employeurs, au sujet duquel un rapport a été remis à Mme Aubry par M. Praderie, président de la fédération française des groupements d'employeurs.
Pour le moment, cette formule concerne environ 2 000 groupements et 7 000 salariés, la majorité dans le secteur agricole, où une tradition de mise en commun des ressources existe depuis fort longtemps.
L'industrie et les services commencent à s'intéresser à la formule, mais des réticences restent à vaincre : réticences psychologiques, de par la tradition très individualiste des entreprises, de par l'incapacité aussi de certains employeurs à organiser la gestion prévisionnelle de leur charge de travail et de leurs effectifs. Il semble parfois plus facile, même si cela se fait dans l'urgence et s'avère plus coûteux, d'avoir recours aux contrats à durée déterminée, à la sous-traitance ou à l'intérim.
Pourtant, l'utilisation du groupement d'employeurs pour les très petites entreprises pourrait permettre à celles-ci de remplir les conditions nécessaires pour bénéficier des aides à la réduction du temps de travail. Déjà, l'obstacle juridique du seuil de moins de 300 salariés pour adhérer à un groupement d'entreprises est levé par ce projet de loi.
Avant de légiférer à la hâte sur le travail à temps partagé, il serait préférable, nous semble-t-il, d'entendre l'auteur du rapport sur le groupement d'employeurs, M. Praderie, et de consulter les partenaires sociaux. Il y a là une voie sûre à explorer, qui offre aux entreprises la souplesse dont elles ont besoin, sans que cela signifie la précarité totale pour les salariés.
M. André Jourdain. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain. Je remercie ma collègue Marie-Madeleine Dieulangard d'avoir reconnu que j'avais fait des efforts pour améliorer mon texte, mais je signale que les points qu'elle a abordés concernant les conventions collectives et l'exercice du droit à congés figuraient déjà dans la proposition de loi que nous avons examinée le 11 mars dernier.
Je ne voudrais pas que l'on oppose groupement d'employeurs et multisalariat à temps partagé, car ce sont deux notions qui sont complémentaires. Là où il est possible de faire un groupement, pourquoi pas ? Mais là où ce n'est pas possible, pourquoi ne pas appliquer le multisalariat à temps partagé ?
Je voudrais vous faire observer, madame le secrétaire d'Etat, qu'il n'existe pas de multisalariat en groupement d'employeurs - mais c'était sans doute un lapsus de votre part - puisqu'il n'y a qu'un seul employeur. C'est du monosalariat. En revanche, comme l'a dit Mme Dieulangard, c'est du travail à temps partagé.
Effectivement, il faut faire une recherche, mais sans exclure d'office cette possibilité du multisalariat.
Madame Dieulangard, vous évoquiez le problème des groupements d'employeurs, surtout dans l'agriculture. Je vais vous donner un exemple.
La fédération nationale des coopératives d'utilisation en commun de matériel agricole s'intéresse à ma proposition. Une CUMA est un groupement d'employeurs, en l'occurrence des agriculteurs, pour lesquels travaillent un salarié ou plusieurs salariés.
Mais il arrive que ces groupements d'employeurs n'aient plus suffisamment d'heures à donner à leurs salariés. Ils se tournent alors vers le garagiste voisin, vers le petit artisan, vers la petite entreprise. Ce garagiste, cet artisan, cette petite entreprise vont-ils entrer dans un groupement formé d'agriculteurs ? C'est un problème. Ils m'ont dit que mon contrat serait la solution pour eux.
M. Emmanuel Hamel. Allons vers l'idéal !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 73, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 6 bis.

Article 7