Séance du 25 novembre 1999






LOI DE FINANCES POUR 2000

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 2000, adopté par l'Assemblée nationale (n°s 88 et 89, 19999-2000).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis de nouveau pour parler de politique budgétaire.
Pour la commission des finances, la politique budgétaire est une affaire de choix et de volonté. Elle ne doit pas se borner à constater, fussent-ils satisfaisants, les résultats ou les dividendes d'une bonne conjoncture.
Nous avons, et je vais m'efforcer de le montrer, des raisons de craindre que ce budget ne soit un budget des occasions manquées et que la belle conjoncture - nous nous félicitons tous de voir notre pays en bénéficier - ne soit pas mise à profit comme il le faudrait.
Nous voyons les entreprises évoluer quotidiennement et nous sommes obligés de constater que la sphère privée de l'économie diverge de plus en plus de la sphère publique.
Celle-ci requiert, nous le savons tous, des réformes de fond, des réformes de structure. L'Etat ne peut plus demeurer, à l'approche de l'an 2000, ce qu'il est depuis 1945.
Nous avons devant nous des échéances évidentes comme celle de la nécessaire réforme des retraites, mais, sur ces sujets de fond, nous ne voyons venir que des réflexions supplémentaires, des concertations, des discussions et des rapports.
Ce que des chiffres tout à fait précis et indiscutables nous permettent d'observer, c'est que nous avons atteint le niveau historiquement le plus élevé en matière de prélèvements obligatoires, ceux-ci apparaissant maintenant dans deux lois financières : la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale, laquelle met en jeu des masses dépassant en importance celles de la loi de finances.
Nous constatons aussi que ces prélèvements obligatoires servent à financer des dépenses publiques qui ne baissent pas, avec un déficit budgétaire dont la diminution est très soigneusement - trop soigneusement, à mon sens - « lissée » dans le temps.
M. Claude Estier. Il vaut mieux le diminuer que l'augmenter, tout de même !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout dépend de la conjoncture dans laquelle on se situe, monsieur Estier. Il faut comparer des choses comparables !
La commission des finances, fidèle à ses principes de volontarisme, vous proposera, mes chers collègues, un autre chemin que celui que le Gouvernement nous soumet.
En termes d'objectifs, nos préconisations visent à réduire le poids des charges qui pèsent sur l'économie, à améliorer la compétitivité des entreprises. Pour cela, on le sait bien, il faut circonscrire le champ de la sphère publique. Il faut non seulement dépenser moins, mais aussi et surtout dépenser mieux.
En termes de méthode, monsieur le ministre, nous pensons qu'il convient de renouveler l'approche de ces discussions financières. Il s'agit de les situer dans la durée, et non pas seulement dans l'annualité budgétaire. Il faut surtout aborder l'ensemble de la sphère publique, c'est-à-dire, en particulier, l'Etat et les organismes sociaux.
Il n'est pas acceptable que les assemblées parlementaires n'aient pas une discussion globale sur un état consolidé des recettes issues des prélèvements obligatoires et sur leur affectation.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous savons bien que les deux lois, loi de financement et loi de finances, sont de nature différente, l'une fixant des objectifs, l'autre autorisant des dépenses, mais nous savons tout autant que les prélèvements obligatoires naissent de part et d'autre, qu'ils pèsent globalement sur l'économie et qu'ils sont à la charge des mêmes contribuables ou redevables.
C'est pourquoi nous vous demandons, monsieur le ministre, d'examiner notre proposition de méthode et d'envisager, pour de futures échéances, cette présentation consolidée des prélèvements obligatoires, de telle sorte que l'on ne voie pas renaître à un endroit ce que l'on a supprimé à un autre, de telle sorte que cesse ce que nous avons appelé le « jeu de bonneteau fiscal » dont vous nous régalez depuis des semaines. (Sourires.)
Monsieur le ministre, il faut aussi que cette approche soit comparative. Vous qui êtes désormais amené, de par vos fonctions, à passer sans cesse d'un continent à un autre savez bien que les frontières en matière d'appréciation des finances publiques et de marche de l'économie ont à présent une valeur toute relative. Dès lors, l'important est de savoir comment on se situe par rapport aux autres et ce que l'on fait des chances objectives dont notre pays peut aujourd'hui profiter.
Tel est le cadre général, mes chers collègues, dans lequel la commission des finances a entamé l'examen du projet de budget pour 2000, et je vais maintenant présenter rapidement les principales étapes de notre raisonnement.
Nous avons tout d'abord cherché à appréhender le contexte macroéconomique dans lequel nous nous situons.
Celui-ci est caractérisé par une croissance en volume du produit intérieur brut estimée à 2,8 % pour 2000. Pour l'année 1999, nous venons de l'apprendre, la croissance du PIB s'établira à 2,7 %. Nous pouvons donc compter sur une croissance très significative et sur les ressources qui en sont directement issues.
Bien entendu, cette conjoncture nationale ne saurait être séparée de son environnement. De ce point de vue, il est bon, monsieur le ministre, de rappeler en quelques mots les hypothèses sur lesquelles vous vous êtres fondé pour bâtir les équilibres de ce projet de loi de finances.
Tout d'abord, vous considérez, comme la plupart des observateurs, que l'évolution mondiale de l'économie ne devrait pas être affectée par des discontinuités nouvelles. Vous vous situez dans l'hypothèse, au pire, d'une décélération douce de l'économie aux Etats-Unis. Vous vous situez aussi dans l'hypothèse d'une absence de nouvelle crise financière dans le monde, notamment en provenance de la zone asiatique. Mais cela ne change rien aux dangers objectifs qui restent présents dans le monde d'aujourd'hui.
Je prends l'exemple d'un pays que vous avez analysé en profondeur, le Japon : chacun sait que son taux de déficit public et le poids de son endettement sont autant de facteurs de fragilité susceptibles de jouer si des circonstances imprévues survenaient. Ce sont là des éléments qu'il convient de garder à l'esprit : la possibilité d'une conjoncture moins favorable ou de discontinuités dans l'évolution de l'économie mondiale.
S'agissant de la France, les analystes de l'économie, y compris ceux qui nous observent de l'étranger, mettent le plus souvent en avant les handicaps structurels qui pourraient conduire notre pays à des évolutions moins heureuses que celles que nous appelons de nos voeux.
Parmi ces handicaps structurels, j'évoquerai, d'abord, un marché du travail qui reste trop cloisonné, du fait, notamment, des insuffisances de notre appareil de formation et de l'inadéquation de certains systèmes de prestations d'assistance qui engagent à rester dans l'inactivité et non à reprendre le travail.
J'évoquerai, ensuite, une situation des finances publiques qui n'est pas complètement redressée et qui peut effectivement constituer un handicap structurel pour notre pays. A cet égard, je me permettrai de rappeler une évidence : l'économie connaît des cycles, et l'on ne reste pas toujours sur des tendances favorables ; les retournements de cycles arrivent bien un jour, que ce soit sur le plan national, européen ou mondial.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Aurons-nous fait jouer comme nous le pouvons et comme il le faudrait les facteurs contracycliques que la politique budgétaire doit mettre en oeuvre ? N'aurons-nous pas des regrets, n'aurez-vous pas des regrets, monsieur le ministre, lorsque le retournement de cycle apparaîtra, et il apparaîtra bien un jour ?
C'est une question qu'il faut poser : utilisons-nous comme il le faut les ressources de la croissance pour préparer un avenir qui sera peut-être plus rigoureux ?
Je voudrais maintenant, là encore très cursivement, aborder les conditions de l'équilibre du projet de loi de finances tel que votre document les fait apparaître.
Selon votre projet, la croissance engendre environ 80 milliards de francs de recettes supplémentaires. Vous en consacrez un cinquième à la hausse des dépenses, une moitié à la baisse des prélèvements - mais cela inclut 14 milliards de francs de la baisse d'impôts qui avait déjà été décidée dans le passé - un quart seulement à la réduction du déficit, et il reste 5 % pour des effets comptables.
Nous pensons, monsieur le ministre, au sein de la commission des finances, que la réduction du déficit budgétaire de 1999 à 2000 ne reflète pas un effort suffisant.
Il est symbolique à cet égard que, de 1999 à 2000, la réduction du déficit soit inférieure à ce qu'elle était de 1998 à 1999. Vous freinez l'effort au lieu de l'amplifier, comme la conjoncture le permettrait.
Les hypothèses que vous prenez sont des hypothèses quelque peu décalées par rapport au pacte de stabilité sur lequel votre gouvernement s'est engagé voilà un an. Je rappelle qu'il évoquait 2,5 points de déficit public pour 2,5 points de croissance du produit intérieur brut, et ce dans l'hypothèse prudente. Or, en réalité, nous aurions 2,8 points de croissance et 2,4 points de déficit public, ce qui signifie que l'utilisation de la croissance pour réduire le déficit est freinée par rapport aux hypothèses du pacte de stabilité européen.
Cette année, chacun sait que l'exécution de la loi de finances de 1999 a été favorable, voire très favorable. Nous avons échangé nos chiffres respectifs par communications interposées.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je préfère les miens !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je ne souhaite absolument pas que cela puisse faire l'objet de polémiques, car il ne s'agit que d'arithmétique et il n'y a pas lieu, mes chers collègues, de polémiquer sur l'arithmétique.
M. Henri de Raincourt. C'est vrai !
M. Philippe Marini, rapporteur général. En lisant votre récent communiqué, monsieur le ministre, ce qui est un honneur rare pour un rapport de la commission des finances, j'ai eu le sentiment,...
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mérité !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... que nous avions touché juste et à un endroit qui fait mal. (Rires sur les travées du Rassemblement pour la République.)
Or le calcul que nous avons effectué est à la portée de tout un chacun ; il est extrêmement simple : il se fonde sur les profils d'exécution des années précédentes, 1995 à 1998. Il n'est pas affecté, contrairement aux termes de votre communiqué, par ce que vous appelez « les phénomènes calendaires », car il repose sur les chiffres du 31 juillet. Ce calcul arithmétique aboutit à une vraisemblance de plus-values nettes de recettes fiscales comprise dans une fourchette de 30 milliards de francs à 40 milliards de francs.
M. Josselin de Rohan. C'est la cagnotte !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cela ne prend pas en compte les phénomènes de report d'une année à l'autre, qui sont naturellement à la discrétion du Gouvernement.
La Cour des comptes elle-même ne s'est pas fait faute de relever, pour ce qui concerne l'année 1998, un comportement un peu manipulateur des chiffres - permettez-moi de le dire - qui consiste à utiliser les dégrèvements à bon escient en fin d'exercice et les reports sur l'exercice suivant, également à bon escient, pour que l'on ne soit pas en mesure de rattacher à l'année en cours toutes les recettes de la gestion de l'année en cours.
Voilà quelques considérations sur la conjoncture.
A présent, par rapport aux autres, comment nous situons-nous ? Notre niveau de déficit public est toujours plus élevé que dans le reste de l'Union européenne. L'écart qui existera en l'an 2000 entre la France et l'Allemagne, qui est à la moyenne de la zone euro, restera supérieur à 0,4 point de PIB, soit près de 40 milliards de francs de différence.
Quant à la dette publique, sa stabilisation dans le produit intérieur brut nous paraît fragile et, là aussi, votre volontarisme nous semble insuffisant. Certes, l'Etat devrait revenir, en 2000, à un excédent primaire, ce qui signifie tout simplement, pour les non-spécialistes, qu'il n'empruntera plus pour financer sa dette. C'est assurément une bonne chose. Mais il continuera tout de même à emprunter 50 milliards de francs pour solder son fonctionnement, ce qui serait naturellement interdit à la plus petite comme à la plus grande de nos communes.
Il faut tout de même rappeler que le volume des emprunts qui seront levés sur les marchés de capitaux en 2000 s'élève à 622,5 milliards de francs, ce qui doit notamment permettre de rembourser des emprunts venus à échéance ; à concurrence de 407 milliards de francs. Telle est la réalité de l'endettement public !
Pardonnez-moi de vous dire, monsieur le ministre, que le fait de voir l'endettement public dépasser le chiffre retenu par les critères de Maastricht en 1999 est, pour nous, très alarmant. La situation de nos finances publiques présente encore de nombreux signes inquiétants. Un déficit public structurel subsiste ; il est analysé dans mon rapport écrit. Il démontre bien la nécessité d'engager des réformes plus profondes de l'appareil d'Etat. Là encore, les comparaisons internationales ne sont pas à notre honneur.
Il faut également déterminer, dans ce projet de budget, quelles sont les vraies priorités de votre gouvernement. Il s'agit de priorités en faveur non pas des dépenses d'investissement mais des dépenses de fonctionnement.
Dans une masse globale de dépenses de l'Etat qui augmente de près de 1 % en valeur, lorsque l'on considère les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement, on constate que la rubrique la plus pénalisée concerne les investissements militaires, qui diminuent de 5,5 %.
M. Emmanuel Hamel. C'est très grave !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est très grave, en effet, pour l'avenir, pour l'indépendance de notre pays et pour sa place en Europe.
On observe aussi que l'ensemble des dépenses d'investissement marquent le pas.
La vraie priorité du Gouvernement, c'est la fonction publique : les dépenses s'élèvent à 675 milliards de francs, soit 40 % du budget de l'Etat ; elles augmentent de 3,5 %, à peu de choses près. Autrement dit, la seule augmentation des dépenses de rémunération du personnel de l'Etat représente, en chiffres bruts, 22,5 milliards de francs.
Monsieur le ministre, tout cela nous conduit évidemment à porter une appréciation qui ne peut pas ne pas être marquée par quelques inquiétudes, surtout lorsque nous voyons ce qui se passe en matière de recettes, c'est-à-dire de prélèvements obligatoires.
Vous nous avez promis, ou plutôt votre prédécesseur, avec l'habileté dialectique que nous lui connaissions et qui lui était coutumière, des baisses d'impôt tout à fait exceptionnelles. A la vérité, ce projet de budget comporte, certes, une mesure de baisse fiscale, mais une seule, et pour près de 20 milliards de francs : le taux réduit de TVA pour le secteur du logement. En dehors de cette mesure, que constatons-nous ?
Vous corrigez, de manière coûteuse, votre erreur de l'an dernier sur le droit au bail, que vous avez modifié de manière exagérément complexe alors que personne ne vous le demandait. Cela coûte des milliards de francs à l'Etat et mécontente nombre de propriétaires et de locataires.
Nous observons aussi ce jeu étonnant entre la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finances initiale. Une surtaxe exceptionnelle et provisoire avait été créée sur les bénéfices des entreprises. Elle est supprimée par la loi de finances ! Elle est immédiatement rétablie, par ce jeu de « bonneteau fiscal », dans la loi de Martine Aubry.
Ainsi, les bonnes nouvelles qu'annonçait votre prédécesseur se trouvaient, pour certaines d'entre elles du moins, aussitôt contredites par les positions plus ingrates de sa collègue ministre de l'emploi et de la solidarité !
C'est donc la contribution sur les bénéfices des sociétés qui, par pur hasard, vient prendre la place de la surtaxe exceptionnelle et provisoire.
C'est le même raisonnement ou la même pratique extrêmement condamnable que nous observons à propos d'un nouvel impôt, créé l'année dernière par la loi de finances, qui disparaît du budget de l'Etat pour être réinstauré dans la loi de financement de la sécurité sociale, à savoir la taxe générale sur les activités polluantes, dont l'assiette va s'enfler d'année en année (M. le ministre rit) de manière à devenir une contribution de rendement tournant complètement le dos à l'idée d'une écotaxe,...
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est Nostradamus !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... une taxe sans le moindre effet sur les comportements des pollueurs.
Monsieur le ministre, tout cela aboutit à un taux de prélèvements obligatoires de 45,3 % du PIB en 1999. Nous sommes en effet dans le peloton de tête pour le taux de prélèvements obligatoires, avec 2,5 points de plus que l'Allemagne et 8 points de plus que la moyenne de tous les pays de l'OCDE.
Ces comparaisons, monsieur le ministre, devraient inciter le Gouvernement à la modestie et le conduire à entrer dans une démarche fondamentale de réforme, plutôt que de s'octroyer le mérite de réductions d'impôts qui ne sont qu'illusoires ou qui ne sont que des effets d'annonce.
Par rapport à ce constat, bien entendu, les positions de la commission des finances doivent marquer des options totalement différentes.
Nous estimons qu'aujourd'hui la priorité doit être donnée à la diminution des prélèvements obligatoires. Mes chers collègues, il faut en finir avec ce que je m'étais amusé à appeler le « théorème de DSK » : les impôts baissent, mais les prélèvements obligatoires augmentent. Il faut en finir avec ces méthodes ! Il faut aussi dépenser mieux tout en dépensant moins et, naturellement, il faut respecter nos engagements internationaux et gagner en compétitivité.
Cette démarche devrait nous conduire à remettre en cause un certain nombre de méthodes traditionnelles dans l'examen des lois de finances.
Nous pouvons nous demander si nous sommes toujours, en termes de finances publiques, sous la Ve République. En effet, en matière de finances publiques, la Ve République comporte un texte fondateur : l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. Cette ordonnance repose sur un principe de base l'universalité budgétaire : toutes les recettes sont affectées à toutes les dépenses.
Or, avec deux lois de finances, une loi de financement de la sécurité sociale et le budget de l'Etat, les contours variant de manière arbitraire de l'une à l'autre, sommes-nous encore dans le cadre tracé par l'ordonnance du 2 janvier 1959 ? Cette ordonnance, nous n'en percevons plus que les contraintes les plus formelles, les plus réductrices de l'initiative parlementaire. A la vérité, si nous voulions faire notre travail de parlementaire en profondeur, si nous voulions aller jusqu'au bout de l'exercice que nous ambitionnons, il nous faudrait pouvoir changer la structure de la dépense publique et celle des recettes de l'Etat, toutes choses que nous ne pouvons pas faire.
Nous avons, au cours des deux années précédentes, monsieur le ministre - nous ne renions rien de cet exercice, qui était indispensable - procédé à un réexamen des dépenses ; nous avons essayé de montrer la façon dont devrait se « retailler », selon nous, le volet des dépenses. Cet exercice de pédagogie était, je le répète, indispensable.
Aujourd'hui, s'agissant de la loi de finances pour 2000, nous souhaitons braquer les projecteurs dans une direction un peu différente, celle des prélèvements obligatoires.
Nous avons beaucoup de modifications à apporter au volet des recettes de la loi de finances. Nous avons donc présenté un grand nombre d'amendements, qui reflètent notre démarche progressive vers une vraie réforme fiscale.
Mais nous estimons aussi qu'il faut apprécier, de manière assez globale, l'efficacité de la politique conduite par l'Etat et examiner, département ministériel par département ministériel, les politiques conduites, pour porter un jugement sur leur conformité ou non à nos principes de gestion et aux valeurs que nous défendons dans l'action politique.
Pour aller dans le sens d'une véritable diminution des prélèvements obligatoires, nous considérons, par exemple, qu'en matière d'impôt sur le revenu il faut se livrer à un certain nombre de remises en cause.
Nous nous demandons pourquoi vous considérez comme une évidence le fait que tout le bénéfice de la croissance doive rester à l'Etat. En effet, le barème de l'impôt progressif n'évolue qu'au rythme de la hausse des prix, alors que la croissance est réelle et tout à fait substantielle. Pourquoi ne pas en rendre une fraction aux contribuables ? Pourquoi, tout simplement, ne pas appliquer aux contribuables une indexation différente du barème, comme vous acceptez de la faire - insuffisamment, à notre gré - vis-à-vis des collectivités territoriales pour l'évolution de la dotation globale de fonctionnement ?
Si l'on regarde l'impôt sur le revenu, on constate qu'il y a beaucoup à faire, notamment pour aller dans le sens de la politique familiale que nous appelons de nos voeux. Si l'on considère l'imposition du patrimoine, là encore, on constate qu'il y aurait beaucoup à faire pour éviter que les patrimoines ne se délocalisent, pour éviter de faire de votre impôt chéri, monsieur le ministre, je veux dire l'impôt de solidarité sur la fortune, un impôt à rendement décroissant. A cet égard, je ne peux que me référer ici à certaines lignes d'un rapport récent écrites par un député apparenté communiste, M. Jean-Pierre Brard.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est toujours mieux que Jacques Attali ! (Sourires.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Certes, M. Brard est l'auteur ou le promoteur d'amendements que je condamne, mais, au moins, il a eu la franchise d'écrire que l'ISF était un impôt à rendement décroissant et que la matière imposable était en train de fuir compte tenu des excès constatés en ce domaine.
Non, monsieur le ministre, il n'est pas correct, il n'est même pas conforme à nos principes constitutionnels, que l'on puisse réclamer à certains contribuables plus que leur revenu !
Sur ces sujets, notre discussion ne manquera pas d'être nourrie de beaucoup d'arguments.
En ce qui concerne la fiscalité des entreprises, nous voudrions rappeler au Sénat que, depuis 1997, ce ne sont pas moins de douze mesures d'aggravation des charges des entreprises qui ont été décidées par la majorité qui vous soutient, monsieur le ministre.
Nous ne comprenons pas que l'on équilibre la loi de finances avec de nouvelles pénalisations fiscales. Je prends l'exemple des remontées de dividendes au sein des groupes. Dans le monde d'aujourd'hui, la plupart des entreprises sont organisées en groupe. Mais ce sont 4 milliards de francs qui sont ainsi pris au passage pour compenser des mesures qu'il a fallu concéder à tel ou tel élément de votre majorité plurielle.
Monsieur le ministre, nous ouvrirons naturellement, dans la discussion de ce projet de loi de finances, un volet « collectivités territoriales » qui nous permettra de poser les vrais problèmes de gestion de nos collectivités territoriales.
C'est à l'occasion de la loi de finances, mais aussi de la discussion du projet de loi tenant compte des résultats du recensement, que nous vous dirons quelles sont nos attentes et quels sont nos souhaits pour améliorer le dispositif proposé.
Enfin, en ce qui concerne les crédits ministériels, je voudrais rappeler les principes sur lesquels nous nous sommes fondés.
Nous avons tout d'abord examiné les conditions de gestion de chaque ministère. Nous nous sommes demandé si la rationalisation progressait ou non, en particulier par rapport à nos précédents travaux.
S'agissant de l'éducation nationale, je n'aurais garde d'oublier le récent rapport de la commission d'enquête présidée par M. Adrien Gouteyron qui dénonçait l'existence d'une trente et unième académie virtuelle. (Exclamations amusées sur les travées du RPR.)
S'agissant, par ailleurs, des dépenses de gestion courante, nous considérons qu'il est du devoir des ministres de freiner leur évolution et de promouvoir des redéploiements. Nous estimons qu'un bon budget doit préparer l'avenir et qu'il y a, dans la dépense publique, des éléments positifs qui peuvent témoigner de cette volonté de préparer l'avenir.
De ce point de vue, nous regrettons que, dans nombre de domaines, et tout particulièrement dans celui de la défense, l'investissement soit pénalisé.
En définitive, monsieur le ministre, au terme d'un examen dont je viens simplement de rappeler les grands traits, voici ce que j'aurais tendance à vous dire, ou à vous redire : vous avez bien de la chance d'avoir une telle conjoncture, de bénéficier de telles recettes,...
M. Roland du Luart. Assurément !
Mme Hélène Luc. Ce n'est pas de la chance !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... d'avoir pour principal problème de trouver les moyens de cacher votre cagnotte, alors que d'autres ont connu un sort inverse.
Encore une fois, monsieur le ministre, vous avez une très grande chance. (Exclamations sur les travées socialistes.) Mais tirez-en profit dans l'intérêt de la France. Ne faites pas un budget de facilité reposant uniquement sur la conjoncture ; ayez le courage de préparer l'avenir, et pas seulement les prochaines élections ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je siège au Sénat depuis sept ans et j'ai l'honneur de saluer, au banc du Gouvernement, le sixième ministre de l'économie des finances.
M. Henri de Raincourt. Ça use ! (Sourires.)
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Six ministres en sept ans, c'est un rythme soutenu pour qui veut analyser dans la durée, comme c'est indispensable, l'évolution de nos finances publiques.
Mais il est sans doute plus difficile encore, pour chacun de ces ministres, d'inscrire son analyse et son action dans le long terme.
Au fond, votre projet de budget traduit bien, monsieur le ministre, cette limite ou cette difficulté.
J'ajoute, comme l'a expliqué avec talent M. le rapporteur général, qu'il est désormais nécessaire d'examiner ce projet de loi au regard de l'ensemble de la politique des finances publiques, sauf à n'avoir qu'une vision tronquée de la situation. Mon propos fera donc aussi référence aux dispositions contenues dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Mes chers collègues, l'examen auquel nous sommes conviés concerne, certes, le projet de budget pour la seule année 2000, mais cet exercice n'a de sens que s'il tient compte des enseignements du passé pour s'inscrire dans une perspective d'avenir.
S'agissant brièvement des enseignements du passé, comment oublier, monsieur le ministre, qu'arrivant au Sénat en 1992 je fus saisi d'effroi par les tragiques conséquences budgétaires liées au choc conjoncturel si violent qui frappa notre économie, choc que, sept ans après, et malgré la somme d'efforts accomplis, nous n'avons toujours pas surmonté ?
Tout au long de ces sept années, je n'aurai connu, comme vous, que la lente, douloureuse et ingrate remontée de l'enfer budgétaire vers un équilibre que nous ne parvenons pas à retrouver.
Et pourtant, monsieur le ministre, nous aurions peut-être pu disposer, à l'époque, de réserves pour amortir ce choc, puisque nous sortions de ces années bénies de croissance durant lesquelles l'indolente ambition du gouvernement de M. Rocard visait à vouloir absolument dépenser plus, selon le concept célèbre de la réhabilitation de la dépense publique.
Fort de cet enseignement, je me demande aujourd'hui si le budget que vous nous présentez ne s'inspire pas de la même idée : dépensons toujours plus,... on verra bien demain,...
Si votre projet de budget a une apparence flatteuse, il n'est, hélas ! qu'illusion, comme l'indiquait à l'instant M. le rapporteur général.
A court terme, tout va bien, semble-t-il, dans le périmètre du seul Etat. Le déficit budgétaire se réduit de 20 milliards de francs. Les dépenses sont apparemment stables en volume. Nourries par une conjoncture favorable, les recettes devraient progresser de 2,7 %. La dette diminuerait, en proportion de la richesse nationale. Comme l'a dit M. le rapporteur général, on peut même supposer que la situation serait meilleure encore que le Gouvernement ne veut bien le dire puisque, en 1999, les recettes seront probalement largement supérieures à la prévision de la loi de finances initiale.
Nous en reparlerons à l'occasion de la discussion du collectif et du projet de loi de règlement. Le déficit pourrait se réduire de plusieurs milliards de francs supplémentaires. Je ne vous en fais pas reproche, et je m'en réjouis avec vous. (Sourires.)
Cela étant, au-delà de cette apparence flatteuse, qu'en est-il, mes chers collègues, de la réalité ?
La réalité, ce sont des prélèvements qui ne cessent de croître. L'arbre de quelques baisses ciblées de TVA ne saurait cacher la forêt de taxes et de cotisations supplémentaires en tout genre qui apparaît dans l'implacable augmentation du taux de prélèvements obligatoires enregistrée depuis 1997.
Monsieur le ministre, votre réduction du déficit ne s'appuie sur aucun effort ; elle repose exclusivement sur la facilité, et quelle facilité ! Ce sont naturellement des prélèvements supplémentaires. Vous devrez admettre prochainement que ceux-ci augmentent toujours, pour atteindre le record historique de 45,6 % ou 45,7 % du produit intérieur brut de 1999.
Vous aviez promis de réduire les impôts, vous aurez fait le contraire ! En paroles, qu'il s'agisse de l'impôt sur les sociétés ou de l'impôt sur le revenu, il n'est question que d'allégements, mais, en actes, nous ne voyons que des augmentations.
Quant à la taxe générale sur les activités polluantes, quant à la contribution additionnelle sur les bénéfices des sociétés, ce sont bien des impôts nouveaux qui, dès 2001, coûteront aux contribuables 18 milliards de francs supplémentaires.
Pourtant, et je veux y insister, dès l'automne 1997, le Gouvernement nous annonçait la réduction des prélèvements obligatoires pour l'année suivante, et chaque année, depuis, ces prélèvements ont augmenté. Par rapport au programme de stabilité, notifié à Bruxelles simplement au mois de décembre dernier - ce n'est pas ancien, monsieur le ministre - vous allez prélever 70 milliards de francs de plus que prévu en 1999, et vous ne réduirez le déficit que de 20 milliards de francs. C'est tout de même une importante « perte en ligne », comme on dit chez moi.
M. Roland du Luart. Et comment !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Toujours prompt à vous chercher des circonstances atténuantes, je me suis donc demandé pourquoi vous ne réduisiez pas les prélèvements, puisque vous l'aviez promis.
Votre intention aurait pu être vertueuse ; vous auriez pu vouloir davantage et plus vite réduire le déficit, et donc la dette ; vous auriez pu vouloir lancer des grands investissements.
Mais pas du tout ! Vous ne réduisez pas les prélèvements tout simplement parce que vous ne réduisez pas les dépenses. Comme l'impôt est égal aux dépenses, il augmente avec elles : vouloir plus de dépenses, c'est vouloir plus d'impôts. Vous engagez toujours des dépenses nouvelles et vous engagez chaque fois des dépenses inappropriées.
Prenons l'exemple, devenu caricatural, des 35 heures. Le coût en sera de 4 milliards de francs en l'an 2000 pour l'Etat et, au total, de 65 milliards de francs pour les contribuables. Je vous épargne l'augmentation des dépenses de la fonction publique, sinon pour relever qu'elle représente tout de même 22,5 milliards de francs. Et que dire, en cette période de prospérité dont vous vous glorifiez par ailleurs, de l'augmentation de 10 milliards de francs des moyens de la lutte contre les exclusions ?
Monsieur le ministre, vous ne parviendrez jamais à réduire les impôts si vous engagez en permanence des dépenses nouvelles. Aucun discours sincère sur la baisse des prélèvements ne sera possible et sérieux tant que vous ne réduirez pas les dépenses.
Mais, au fond, souhaitez-vous les réduire, ces dépenses ? A l'évidence, non ! (M. le ministre s'esclaffe.)
Finalement, vous confondez les buts de l'Etat avec ses moyens. Vous confondez l'intérêt général de la nation avec l'intérêt de ceux qui ont en charge de la servir. Vous accablez d'impôts le secteur privé et l'emploi privé pour préserver des privilèges du secteur public et de l'emploi public.
L'exemple de la SNCF illustre bien cette situation. Chacun connaît sa dette et son déficit. Alors, mes chers collègues, qu'est ce qui est le plus urgent, la satisfaction des voyageurs ou le passage aux 35 heures des cheminots ?
M. Josselin de Rohan. Il ne les font même pas !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Vous imaginez la réponse : les cheminots d'abord ; pour le service au public, on verra plus tard !
Mme Hélène Luc. C'est incroyable d'entendre des choses pareilles !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. D'une manière générale, le Gouvernement serait bien inspiré de ne pas confondre l'intérêt de l'Etat avec celui de la fonction publique, en veillant notamment à ce que l'évolution de la masse salariale de cette dernière ne soit pas inversement proportionnelle à la durée du travail.
S'agissant des dépenses, le plus préoccupant est de constater que les crédits de fonctionnement augmentent toujours davantage, au détriment de l'investissement. L'Etat s'endette pour financer les dépenses courantes. En cette année de croissance promise, le déficit de fonctionnement s'établira à environ 50 milliards de francs. Au total, la dette publique devrait croître de plus de 158 milliards de francs en 2000. En huit ans, mes chers collègues, le niveau des investissements publics sera passé de 2,8 % à 1,8 % du produit intérieur brut.
Si le niveau des investissements du budget général était, en 2000, celui de 1992, vous disposeriez, monsieur le ministre, de 90 milliards de francs. Vous pourriez ainsi construire des autoroutes, et aussi l'autoroute ferroviaire Lyon-Turin, au lieu de ne faire qu'en parler. Vous pourriez aussi financer le canal Seine-Nord ou moderniser les équipements dont notre armée a besoin, et là je me tourne vers M. le président de Villepin.
L'investissement, c'est l'avenir et, en réalité, avec votre projet de budget, vous ne préparez pas l'avenir.
Pensez à certaines périodes passées où des gouvernements cigales laissèrent la France fort dépourvue quand la bise fut venue !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Oh ! Et le loup et l'agneau ?
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. « Pour rester, en période de basse conjoncture, en deçà du seuil de 3 % de déficit public dans le produit intérieur brut, il est nécessaire qu'en période de croissance le déficit soit substantiellement et rapidement résorbé. » Je fais mienne cette maxime,...
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. De qui est-elle ? (Sourires.)
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. ... tant elle est pleine de prévoyance. Or, cette maxime est la vôtre, monsieur le ministre ; elle figure à la page trente-sept de votre rapport pour le débat d'orientation budgétaire pour 1999, que vous nous avez présenté en mai 1998.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il faudrait le faire !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Vous avez raison, monsieur le rapporteur général, il faudrait effectivement le faire. Nous essayons d'aider M. le ministre à le faire.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous sommes à votre disposition, monsieur le ministre.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. N'oubliez pas, monsieur le ministre, que, lorsque le vent de croissance est contraire, quand il freine l'action du Gouvernement, la chute peut être brutale ; en une seule année, les recettes de l'Etat s'effondrent, les dépenses s'envolent et le solde explose en un déficit abyssal.
Souvenons-nous de 1992 : les recettes avaient chuté de 70 milliards de francs par rapport aux prévisions, les dépenses du budget général avaient bondi de 23 milliards de francs et le déficit s'était creusé de 115 milliards de francs. Puis la spirale de l'enfer s'était aussitôt emballée et avait emporté, sur la même trajectoire, l'année 1993, qui s'était traduite par un effondrement des recettes de 107 milliards de francs et une poussée des dépenses de 30 milliards de francs supplémentaires. Le déficit, quant à lui, s'était, en une seule année, dégradé de 181 milliards de francs par rapport aux prévisions.
Or, vous ne nous proposez, aujourd'hui, de réduire le déficit que de 20 milliards de francs par an. A ce rythme, il faudrait sept ans au moins pour compenser le déficit creusé en une seule année.
Ce que vous montriez comme un exemple à ne pas suivre lors du débat d'orientation budgétaire pour 1999 est soudain devenu le modèle de votre politique budgétaire.
Ainsi, à l'issue d'une septième année consécutive de réduction du déficit, le Gouvernement n'ambitionne que de revenir au niveau de celui de 1992, qui, à l'époque, était pourtant considéré comme désastreux.
Ce rappel illustre, monsieur le ministre, la légitimité de la critique qui vous est faite de vous hâter bien trop lentement dans la réduction du déficit.
Si, je vous l'accorde, en 1992, on pouvait en effet ne pas prévoir la terrible récession de 1993 ; en revanche, en 1999, vous ne pouvez pas ignorer les chocs auxquels la France doit faire face dans un avenir immédiat. Ces chocs, que chacun connaît, ce sont la sortie du dispositif des emplois-jeunes, les retraites privées et, surtout, les retraites publiques, ainsi que l'avenir de l'assurance maladie dans un pays vieillissant.
Votre gouvernement pouvait, pour son imprévoyance, avoir une excuse en 1992 ; il n'en aura aucune demain. En effet, nous ne sommes plus face à un risque de quelques dizaines de milliards de francs. Si des réformes ne sont pas entreprises, c'est une impasse de plusieurs milliers de milliards de francs qui se profile à l'horizon pour les générations du prochain siècle.
Nous ne sommes pas face à un risque de retournement conjoncturel ; on peut espérer que l'euro nous en préservera. Nous sommes face à la certitude d'un choc structurel d'une violence absolue.
Pourtant, l'augmentation du coût des retraites publiques sonne comme un avertissement dès le présent projet de budget : plus de 12 milliards de francs, soit une augmentation de 6,8 %, c'est-à-dire sept fois plus que pour l'ensemble des dépenses publiques. Elles augmenteront, en francs constants, de quelque 80 milliards de francs au cours des dix prochaines années.
Alors même que nos déficits restent les plus élevés de l'Union européenne, que leur niveau n'est pas encore revenu à celui d'avant la crise du début des années quatre-vingt-dix, que nous continuons à financer toujours notre protection sociale à crédit, que notre dette publique atteint 5 500 milliards de francs, le Gouvernement, monsieur le ministre, semble ne s'inquiéter que des 35 heures.
La France est menacée de chocs financiers d'une extrême violence, certes pas l'an prochain mais dès 2005. Que fait le Gouvernement pour y faire face ? Rien !
Non, votre projet de budget ne révèle aucune prise de conscience de la réalité, de l'importance et de l'urgence des enjeux !
Pour le Sénat, monsieur le ministre, la noblesse de la politique est d'éclairer nos compatriotes sur les vrais enjeux, sur leur avenir et celui de leurs enfants et petits-enfants, qu'elles qu'en soient les difficultés et, parfois, l'ingratitude.
Que de réformes n'aurez-vous reportées ! En le disant ainsi, je n'ai naturellement pas voulu vous froisser, ni votre personne ni même le Gouvernement. J'ai simplement voulu vous dire qu'à l'analyse des sept années qui viennent de s'écouler, comme des projections que nous sommes déjà en mesure de faire pour les années à venir, vous utilisez mal le vent de la croissance qui vous porte, vous croquez les fruits de la croissance avant même qu'ils soient mûrs, (M. le ministre rit) vous consommez le blé en herbe, vous utilisez ce rendez-vous budgétaire comme une sorte d'exercice de communication, alors que vous devriez engager les réformes de structure indispensables pour que la France réussisse.
Monsieur le ministre, méfiez-vous des chances insolentes ! Pour quelles durent, il faut les mériter. A défaut, elles se vengent.
Pour ce qui concerne la majorité de notre commission des finances, l'illusion budgétaire sympathique et souriante que vous lui proposez ne la séduit pas. Notre commission des finances est décidée à consacrer toute son énergie, sa foi, son courage, sa détermination à faire de la politique vraie et responsable, c'est-à-dire éclairer l'avenir, offrir les voies et moyens du progrès, en croyant à l'intelligence, à la fierté, à la dignité des Français et en sollicitant celles-ci parce que c'est la grandeur de la France. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, nous entamons un débat, un vrai débat, sur le projet de loi de finances pour 2000. D'emblée, je voudrais dire, reprenant les propos de M. le rapporteur général, que ce projet de budget est une affaire de choix et de volonté.
Nous avons fait le choix de la croissance, d'une croissance partagée et nous avons la volonté de moderniser l'Etat.
Ce n'est pas le budget des occasions manquées, pour reprendre l'expression de M. le rapporteur général ; c'est le budget des réussites nouvelles. La réussite en témoigne. En effet, jamais depuis longtemps, dans notre pays, les entreprises et les particuliers n'ont eu une telle confiance dans l'avenir.
La réussite, c'est la création, par nos entreprises, de 650 000 emplois depuis juin 1997, à partir du moment où M. Dominique Strauss-Kahn, auquel je rends hommage devant vous, a eu la responsabilité, sous l'autorité du Premier ministre, M. Lionel Jospin, de la politique économique et industrielle de notre pays.
La réussite et la nouveauté, c'est que, à partir de l'an prochain, la dette publique va enfin reculer, pour la première fois depuis vingt ans.
Aussi, monsieur le président de la commission des finances, vous n'avez pas le monopole de l'avenir. Beaucoup d'hommes politiques ont parlé de la réduction de la dette. Eh bien, nous, nous allons parvenir à la réduire.
La France n'entrera pas à reculons dans le millénaire prochain, contrairement à ce que laissait penser l'état d'esprit qui régnait à l'été 1997, quand la perspective de l'euro et la stagnation économique étouffaient tout optimisme, toute confiance dans le destin de notre pays.
Nous avons retrouvé le goût de la réussite - quand je dis « nous », c'est l'ensemble du pays, ce sont les entrepreneurs, les consommateurs, ceux qui travaillent - et l'appétit de croissance, nous avons fait du plein-emploi une idée neuve, après le marasme que notre pays a connu depuis de début de la décennie.
Monsieur le président de la commission des finances, vous avez évoqué les enseignements du passé. Ils sont clairs : entre 1993 et 1997 - mais je pourrais remonter à 1992, puisque c'est le moment où vos amis et vous-même avez pris des responsabilités importantes - nous avons vécu une période de croissance rompue, certes par une crise internationale, mais aussi par une politique économique inadaptée. En effet, chacun se souvient de la hausse de deux points de la TVA, qui a brisé net le ressort de la croissance qui repartait de nouveau.
M. Claude Estier. Eh oui !
Mme Hélène Luc. Ils l'oublient !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais vous avez gardé l'argent !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Entre 1997 et 2000, année qui fait l'objet du présent projet de budget, nous sommes passés de la croissance rompue à la croissance retrouvée.
Nous croyons à la nécessité de faire des réformes structurelles, mais nous les faisons dans la croissance, alors que la période antérieure était celle des réformes velléitaires, ou même de l'absence de réformes structurelles, sans la croissance. Les Français ont choisi en 1997 et les entreprises, les consommateurs et les épargnants ont choisi en 1999. Il ont choisi entre le passé et l'avenir, entre la nostalgie et le volontarisme.
Je vais développer brièvement, en répondant aux interrogations que M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général ont formulées, le contenu du présent projet de budget, en commençant par ce qui l'inspire véritablement, c'est-à-dire une volonté de croissance durable.
Cette croissance durable est aujourd'hui une perspective tout à fait crédible. Je ne reviendrai pas sur nos débats de l'an dernier, où un scepticisme certes courtois mais aigu régnait quand étaient évoquées les perspectives de croissance étayant le projet de budget pour 1999. Je constate qu'à l'excès de pessimisme d'alors - je me tourne vers vous, monsieur le rapporteur général -...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous n'avons pas remis en cause vos hypothèses !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Oh si !
M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, monsieur le ministre.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'accepte les interruptions lorsqu'elles sont constructives. Mais, en l'occurrence, il suffit de lire le compte rendu des débats publié au Journal officiel voilà un an pour constater que vous regardiez la croissance avec un air narquois.
Je ne veux pas revenir sur 1999, si ce n'est pour dire un mot des recettes fiscales. Les années 1998 à 2000 auront été, et je crois que personne n'en doute, les trois meilleures années de cette fin de siècle.
M. Yves Fréville. Ça, c'est vrai !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. La croissance française entre 1997 et 2000 a été plus rapide que sur l'ensemble des sept années antérieures. Pour 2000, nous avons retenu une perspective de croissance, vous l'avez noté, monsieur le rapporteur général, de 2,8 %, qui se situe au centre d'une fourchette de 2,6 % à 3 %, afin de tenir compte des incertitudes qui demeurent et sur lesquelles vous avez porté un jugement lucide. Si nous pensons que l'an prochain nous aurons une bonne croissance, c'est parce que nous partons d'une idée simple : notre croissance ne dépend plus exclusivement de ce qui se passe autour de nous, elle dépend de plus en plus de ce qui se passe chez nous.
M. Claude Estier. Très bien !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Certes, l'an prochain, nous aurons, comme c'est le cas actuellement, selon toute probabilité, une bonne progression de nos exportations. Le fait que, malgré une croissance assez forte, nous ayons encore des excédents commerciaux substantiels constitue bien la preuve que notre économie est compétitive et que nos entreprises, malgré le fardeau que vous dénoncez des prélèvements obligatoires, sont dynamiques sur les marchés étrangers comme sur le marché français.
Notre croissance repose sur un socle de demande intérieure solide, qui est fondé sur la consommation des ménages mais pas seulement sur celle-ci.
Puisque vous aimez les citations, et je le comprends fort bien, je citerai ce que dit le Fonds monétaire international dans son dernier rapport sur la France : « Le cercle vertueux confiance-emploi-consommation-croissance semble être au coeur de la meilleure performance relative de la France, comparée à celle de ses principaux partenaires européens. » Le Fonds monétaire international, que je ne prends pas comme un arbitre de nos débats, mais qui d'ordinaire est relativement sévère par rapport aux performances de notre économie, porte sur ce point un diagnostic qui est fondamentalement juste.
D'ailleurs, si l'on se fie aux experts internationaux, la France sera, l'an prochain, en tête de la croissance des grands pays européens et mondiaux. L'an prochain, si l'on en croit le Fonds monétaire international, c'est notre pays qui, parmi les pays du G7, aura la médaille d'or de la croissance...
M. Philippe Marini. rapporteur général. Et la médaille d'or des prélèvements !
M. le président. Poursuivez, monsieur le ministre.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Oui, monsieur le président, vous avez raison, ce ne sont que des taquineries !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Nous complétons l'information de l'assemblée !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je comprends tout à fait que le fait qu'une telle croissance succède à une telle morosité vous fasse un tantinet de peine !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais non !
Mme Hélène Luc. On dirait pourtant que si !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais nous nous réjouissons tous que notre pays ait, l'an prochain, la médaille d'or de la croissance du G7.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Absolument !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. L'OCDE nous prédit cet avenir enviable pour 2001. Pour la Commission européenne, qui vient de publier ses propres prévisions, nous sommes tout à fait dans le peloton de tête.
Ce matin - pour ne pas commenter l'actualité ! - les comptes trimestriels ont montré une croissance de 1 % pour le seul troisième trimestre, ce qui laisse augurer d'un bon second semestre.
Et il n'est pas exclu, il est même possible, que soit finalement approchée la perspective de 2,7 % de croissance sur laquelle reposait la loi de finances pour 1999. Or, souvenez-vous que cette perspective, nous l'avions arrêtée avant les chocs asiatique, japonais et russe, qui nous ont frappés de plein fouet. Je crois donc que les perspectives de croissance sont bonnes.
Par vos images météorologiques, vous voudriez nous convaincre, monsieur le président de la commission, que ces perspectives de croissance ne sont alimentées que par des vents favorables venant du large, par des alizés qui gonfleraient nos voiles, je constate qu'elles sont aussi alimentées par une politique économique qui les stimule et par le dynamisme de nos entrepreneurs, et je tiens à rendre hommage à ces derniers pour le rôle qu'ils jouent dans l'accroissement des richesses et pour leur responsabilité dans les nombreuses créations d'emplois que j'ai évoquées.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Cette politique, pourquoi ne l'avez-vous pas mise en oeuvre en 1992 ?
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cela dit, cette perspective de croissance est confrontée à un certain nombre de risques sur lesquels M. le rapporteur général a eu raison d'insister. Je pense notamment à l'économie américaine, dont chacun admire les performances puisque, par rapport à l'économie française, elle a accumulé depuis vingt ans vingt points de croissance, pour parler comme les spécialistes.
Prenons garde à ne pas oublier l'aléa que constitue l'aggravation du déficit extérieur américain, qui finit par poser question. Nous avons choisi la prudence en retenant une hypothèse de 2,8 % et nous avons ouvert cette fourchette pour tenir compte d'un éventuel ralentissement sensible de l'économie américaine l'an prochain.
Mais, quel que soit le jugement porté sur les Etats-Unis, je voudrais dire que, si la dernière décennie de ce siècle a été une décennie américaine, j'ai la volonté - unanimement partagée ici, me semble-t-il - que la prochaine décennie voie le réveil du Vieux Continent, le réveil de l'Europe.
Je ne m'attarderai pas sur la situation du Japon, qui est effectivement source d'incertitudes, car la sortie de la déflation de cette grande économie n'est pas complètement assurée. Quoi qu'il en soit, en dépit des aléas extérieurs, nous pouvons être confiants pour l'an prochain.
L'économie est cyclique, me direz-vous. Nous devons, me semble-t-il, profiter de cette période de croissance, croissance qui ne doit pas seulement aux éléments extérieurs, mais aussi à la volonté des entrepreneurs, des consommateurs, des épargnants français et probablement aussi un peu au Gouvernement, pour conforter nos chances de la prolonger.
Certes, il est difficile d'extrapoler à partir d'une courte période. Toutefois, grâce à l'existence de l'euro et, au-delà, de l'euro 11, c'est-à-dire de la réunion des ministres des finances des onze pays de la zone euro, grâce à la Banque centrale européenne, nous allons renforcer notre capacité à coordonner les politiques économiques européennes dans le domaine budgétaire comme dans le domaine monétaire, ce qui devrait soutenir la croissance.
Il est très important de continuer à jouer à la fois sur des taux d'intérêt au plus bas niveau possible et sur une gestion très rigoureuse des finances publiques en persévérant dans la voie de la réduction de l'endettement des administrations publiques.
Il ne suffit pas d'avoir une bonne politique macroéconomique en France ni même en Europe. Nous devons aussi relever les capacités de croissance de notre pays, ce que les économistes appellent le potentiel de croissance. Sur ce point, je voudrais souligner deux réformes structurelles que le Gouvernement et la majorité entendent conduire en priorité.
La première réforme concerne les nouvelles technologies. Souvenez-vous, en 1997, alors que le Minitel régnait encore en maître, M. le Premier ministre - et je pense que M. Dominique Strauss-Kahn a participé à ce nouvel élan - a annoncé son intention de faire entrer avec détermination la France dans l'âge des nouvelles technologies, ce que l'on appelle « la révolution numérique ».
Si nous avions pris beaucoup de retard, notamment par rapport aux Etats-Unis, l'action entreprise par le Gouvernement, le dynamisme des entreprises, l'appétence des consommateurs pour ces nouvelles technologies nous permettent, me semble-t-il, de surmonter progressivement ce handicap.
Je présenterai au premier semestre de l'an prochain un projet de loi sur la société de l'information pour donner à cette nouvelle dynamique des règles et en conforter la croissance.
La seconde réforme concerne l'emploi. Vous-mêmes, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, avez convenu qu'une croissance forte et durable ne suffira pas pour revenir au plein emploi.
Deux actions complémentaires sont tout à fait essentielles.
Il faut d'abord accompagner le retour à l'emploi de ceux qui ont été exclus du marché du travail. Croyez bien que ce sera une dimension importante de la réforme des prélèvements directs, taxe d'habitation et impôts sur le revenu, que le Gouvernement va mettre en chantier l'an prochain pour que sa trace soit imprimée dans les budgets pour 2001 et 2002.
Outre ce premier effort de caractère tout à fait essentiel, il faut aussi doter nos entreprises, notre économie de toute la main-d'oeuvre qualifiée dont elle a besoin. Pour ce faire, nous devons renforcer l'effort de formation initiale et de formation continue.
Voilà des champs d'actions structurelles tout à fait essentiels sur les nouvelles technologies et sur l'emploi.
Puisque l'objet de ce débat est bien le budget et pas uniquement l'économie générale, je tiens à vous dire qu'une sérieuse politique des finances publiques contribue à une croissance durable.
De ce point de vue, permettez-moi de vous présenter rapidement ce que je pourrais appeler le « triangle d'or » de la politique des finances publiques, en rappelant que vous avez lancé l'un et l'autre un appel pour que l'on débatte non seulement du budget de l'Etat, mais aussi du budget de la sécurité sociale.
Pour ce faire, nous avons deux occasions que nous pourrions utiliser mieux à l'avenir que par le passé.
D'abord, le programme à moyen terme des finances publiques que le Gouvernement doit adresser à nos partenaires européens au début de l'année et dont nous avons débattu l'an dernier en commission des finances.
Ensuite, le débat d'orientation budgétaire, qui nous réunit au printemps et qui pourrait d'autant plus être élargi au-delà du seul budget de l'Etat que les documents et éléments que le Gouvernement vous fournit à cette occasion couvrent l'ensemble du champ.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Rendez-vous est pris !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Quels sont les trois côtés du « triangle d'or » des finances publiques ?
La base du triangle, c'est l'évolution maîtrisée des dépenses publiques, car, contrairement à ce que vous avez dit l'un et l'autre, nous suivons bel et bien une politique de maîtrise de la dépense de l'Etat.
Comparons l'évolution de la dépense de l'Etat en francs constants de 1997 à 2000, 0,3 % par an, à ce qu'elle était entre 1993 et 1997 - références que je prends un peu au hasard (Sourires) à savoir 1,6 ou 1,7 % par an.
Puisque vous voulez donner au Gouvernement des leçons de vertu, ce qui est votre droit le plus strict, ...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Non, pas de leçons de vertu !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... je voudrais vous inciter à dépasser les comparaisons dans l'espace, auxquelles le rapporteur général vous invite, pour faire aussi des comparaisons dans le temps.
Nous voulons que l'évolution des dépenses de l'Etat soit maîtrisée et prévisible. Nous avons conscience que la fixation d'une norme en matière de dépenses de l'Etat, indépendamment de la conjoncture, permet de mieux organiser la dépense publique à court et à moyen terme, tout en stabilisant la conjoncture si d'éventuelles difficultés surviennent.
Le deuxième côté du triangle, c'est la baisse des impôts. Quelles que soient les contorsions auxquelles vous vous livrez dans la présentation, il est indéniable que le budget qui vous est soumis comporte 40 milliards de francs de baisse d'impôts. L'Assemblée nationale nous a aidés à en faire un peu plus, mais c'est, bien évidemment, la majorité de l'Assemblée nationale.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Les Français n'en voient guère la traduction !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Et ils savent ce qu'ils paient !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je serai plus explicite dans un instant.
Je crois que cette baisse d'impôts de 40 milliards de francs est bonne pour l'économie et pour l'emploi. Puisque vous vous souciez de l'avis de nos compatriotes, ils se rendent bien compte que la TVA sur les travaux d'entretien du logement, par exemple, diminue.
Troisième et dernier côté de ce triangle d'or des finances publiques, la réduction du poids de l'endettement public.
Je l'ai dit en introduction : pour la première fois depuis vingt ans, le ratio de la dette publique rapportée à la production nationale va baisser l'an prochain. J'ai eu l'occasion de feuilleter dans la presse le compte rendu d'une étude que le Sénat a commandée à l'Office français des conjonctures économiques. Dans ce document, un très beau graphique montre qu'en pourcentage du produit intérieur brut la dette publique plafonne, en 1999, pour diminuer ensuite. Les meilleurs experts que vous convoquez pour servir votre cause, qui est une noble cause,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. La cause de la France !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... reconnaissent ainsi très clairement que la dette publique va indéniablement diminuer.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Vous empruntez néanmoins pour le fonctionnement !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Pourquoi la dette publique diminue-t-elle ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Elle ne diminue pas assez !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Tout simplement parce que les déficits publics diminuent.
M. Marini nous incite fort justement à nous livrer à des comparaisons internationales. Or, si nous comparons la baisse des déficits publics de l'ensemble des administrations entre 1997 et 2000, le chiffre est, pour la France, de 1,7 point de produit intérieur brut.
C'est la baisse la plus rapide de tous les pays de l'Union européenne. Certes, le déficit initial était assez élevé, mais n'attendez pas que je plaide coupable pour les chiffres de juin 1997 !
Je crois donc que nous allons très nettement dans la bonne direction. Notre politique forme un tout : il est clair que la maîtrise de la dépense publique et la stratégie de désendettement alimentent notre capacité à faire baisser les impôts des Français.
A ce stade, je ferai justice d'une querelle, évidemment courtoise, qui nous oppose sur les plus-values des recettes pour 1999.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. le rapporteur général, qui est un prince de l'extrapolation (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants),...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce n'est que de l'arithmétique simple !
Mme Hélène Luc. Reconnaissez que l'image est belle !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. L'arithmétique vous envoie parfois dans le décor !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Le juge de paix tranchera !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. le rapporteur général, qui a donc poursuivi les courbes de recettes jusqu'à la fin du mois de juillet, a estimé que, si les choses continuent de la sorte, il y aura des plus-values de recettes de 30 à 40 milliards de francs.
J'aimerais que vous ayez raison, monsieur le rapporteur général, mais, malheureusement, mon caractère prudent et réaliste, par rapport à votre tempérament impétueux et romantique...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ne vous engagez pas trop !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... en matière de recettes fiscales, me conduit à être beaucoup plus circonspect.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Nous verrons bien !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Dans le collectif que je vous soumettrai bientôt et que M. le président de la commission a évoqué, nous tablons sur un surplus de recettes de 13 milliards de francs en 1999,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce sera bien au-delà !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... essentiellement au titre de l'impôt sur le bénéfice des sociétés et, pour une moindre part, au titre de l'impôt sur le revenu, la TVA subissant toutefois le fait que la hausse des prix prévue à hauteur de 1,3 % dans la loi de finances pour 1999 ne sera plus que de 0,5 % ou de 0,6 %. Or, chacun comprendra que, si le chiffre d'affaires du pays croît en valeur un peu moins vite que prévu, les recettes de TVA, elles aussi, progressent un peu moins vite que prévu.
Nous aurons l'occasion d'en débattre ; je n'entrerai pas dans une querelle technique à propos des phénomènes calendaires, car cela lasserait la Haute Assemblée. Quoi qu'il en soit, il est vrai que l'administration fiscale a été plus performante et qu'un certain nombre de contribuables ont acquitté leur impôt sur le revenu au mois de septembre alors qu'ils le faisaient habituellement au mois d'octobre.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Pas plus cette année que les autres années !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. De plus, vous savez bien qu'au mois de décembre les entreprises paient un acompte, qu'elles ont la possibilité de moduler.
Voilà pourquoi, par rapport à l'optimisme exacerbé de votre rapporteur général, je conserve une attitude de prudence et de sagesse.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Pourquoi ne baissez-vous pas les impôts ?
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ces baisses d'impôt, parlons-en !
Certaines d'entre elles, chacun de vous le sait, ont été décidées l'an dernier - peut-être pas toujours par vous - dans le cadre de la loi de finances.
Il en est ainsi, par exemple, de la suppression progressive de la taxe professionnelle, qui, l'an prochain, va toucher un million d'établissements, c'est-à-dire près de 90 % des contribuables, et qui va se poursuivre. On peut en attendre, à terme, une création d'emplois estimée par les professionnels entre 18 000 et 25 000.
De même, nous avions demandé, pour entrer dans l'euro, une contribution temporaire aux grandes entreprises. Celles qui réalisent moins de 50 millions de francs de chiffre d'affaires, qui créent le plus d'emplois et qui ont souvent une situation financière plus difficile, n'étaient pas visées et nous avions promis que, pour les autres, cette contribution serait temporaire, comme d'ailleurs celle de 1995. Nous tenons notre engagement : nous la supprimons.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Ils vont passer à la caisse autrement !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous recréez cette contribution à côté !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le rapporteur général, je sens que vous êtes impatient de dialoguer, et je vous réponds très volontiers : ce qui est créé à côté, c'est une contribution sociale sur les bénéfices...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Voilà !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... qui, avec la taxe générale sur les activités polluantes - dont vous avez parlé, monsieur Lambert - sert à financer des baisses de cotisations sociales.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais la contribution sera payée par les mêmes !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Certaines entreprises, vous le verrez en examinant le projet de loi de financement de la sécurité sociale, acquitteront moins de cotisations sociales : il s'agit de celles qui emploient beaucoup de main-d'oeuvre et qui signent des accords de réduction du temps de travail ; d'autres, en revanche, paieront un tout petit peu plus : il s'agit de celles qui font des bénéfices particulièrement importants et de celles qui ont des activités quelque peu polluantes. Mais c'est un jeu à somme nulle et il est trop facile de citer les impôts que l'on augmente sans citer les cotisations que l'on baisse en contrepartie.
M. Roland du Luart. La somme est nulle en masse !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En effet, la somme est nulle en masse, monsieur du Luart.
Nous avons également pris trois mesures fiscales en faveur du logement.
La baisse de 20,6 % à 5,5 % de la TVA sur les travaux d'entretien dans les logements représente près de 20 milliards de francs. Cette demande émanait, à l'origine, du groupe socialiste, mais le président de votre commission des finances, alors qu'il était rapporteur général, avait plaidé en ce sens, et je me souviens aussi, monsieur Marini, que vous aviez vous aussi souhaité que cette baisse intervienne. Le voeu était donc unanime, non seulement à l'Assemblée nationale mais aussi au Sénat.
Ce voeu, pour être concrétisé, supposait une négociation européenne difficile. Dominique Strauss-Kahn a réussi cette négociation et, aujourd'hui, le voeu est devenu réalité. Chaque année, dix millions de familles pourront bénéficier de cette mesure, tandis que 263 000 entreprises et 1 130 000 salariés vont trouver une activité supplémentaire grâce à elle.
A ce sujet, certains ont craint que les artisans ne mettent une partie de la baisse dans leur poche, pour parler familièrement. Mon ministère a procédé à une enquête sur ce point et le résultat est clair : 92 % des artisans enquêtés - et l'enquête a été faite très sérieusement - ont répercuté la baisse de la TVA. Par conséquent, je crois que les professionnels ont joué le jeu. Le Gouvernement leur a fait confiance, et je crois que les consommateurs, eux aussi, peuvent leur faire confiance.
Une deuxième mesure a été prise sur proposition du ministre de l'équipement, des transports et du logement, M. Gayssot, avec la suppression en deux ans du droit de bail pour les locataires. Cet impôt vieillot, peut-être sympathique, remontait au xviiie siècle et frappait d'une taxe de 2,5 % tous les loyers. Or, dès le 1er janvier prochain, les locataires qui paient un loyer de moins de 3 000 francs par mois - soit 90 % des locataires et 95 % des occupants de logements sociaux - paieront 2,5 % de moins. Je crois que c'est une bonne nouvelle pour la solidarité, pour le pouvoir d'achat et, indirectement, pour l'emploi.
Dernière mesure, nous avons baissé les droits de mutation, ce que l'on appelle familièrement les frais de notaire. Nous avons ainsi aligné les frais payés par les particuliers sur ceux qui sont payés par les entreprises. Il y a là un levier qui peut permettre à de jeunes ménages d'accéder à la propriété.
Par ailleurs, d'autres baisses d'impôt vont intervenir, même si vous nous reprochez d'avoir peu d'imagination en la matière.
Pour les entreprises nouvelles, nous avons supprimé l'impôt payé au moment de la création de l'entreprise, impôt injuste puisque l'entreprise n'avait pas encore fonctionné. Par ailleurs, nous avons abaissé les droits de mutation sur les fonds de commerce de 12 % à 4,8 %. Vous le voyez, le Gouvernement est capable de se porter au-devant des non-salariés !
Nous avons aussi supprimé l'imposition forfaitaire de 5 000 francs pour 180 000 petites entreprises réalisant moins de 500 000 francs de chiffre d'affaires.
Et je passerai rapidement, pour ne pas lasser votre attention, sur la fiscalité écologique et sur le fait que nous poursuivons l'effort de relèvement, 7 centimes par 7 centimes, du prix du gazole pour réduire peu à peu, en sept ans, l'écart entre ce carburant et le super sans plomb, afin de le ramener à l'écart européen. Je souligne d'ailleurs au passage que, pour la deuxième année, la fiscalité sur le super sans plomb ne change pas : puisque vous aimez les comparaisons, monsieur le rapporteur général, sachez que nous sommes l'un des rares pays de l'Union européenne à ne pas recourir à la facilité de la fiscalité pétrolière.
J'en terminerai avec les impôts en répondant à M. Marini, qui nous a parlé de mesures fiscales importantes.
J'ai eu l'occasion, monsieur le rapporteur général, de feuilleter rapidement votre excellent rapport. J'y ai vu des mesures comme la baisse de la TVA sur les pompes funèbres, l'assouplissement du régime des tontines, l'abaissement des taux des plus-values de cession de 16 % à 15 %. L'inspiration est tout à fait claire, mais je ne sais pas si vous arriverez à 40 milliards de francs avec ce genre de mesures !
Le débat que nous aurons ensemble éclairera les mesures importantes que le Gouvernement a prises dans le budget pour 2000. Nous aurons aussi l'occasion d'évoquer, dans la perspective du budget pour 2001, nos réflexions en matière d'impôt sur le revenu et de taxe d'habitation - impôts qui pèsent sur nos compatriotes, y compris les plus modestes - en vue d'accroître la justice fiscale et de développer l'emploi.
Vous vous êtes inquiété, monsieur le rapporteur général, à propos de l'impôt de solidarité sur la fortune. Je veux vous rassurer : les recettes de 1999 vont progresser de 10 %. Cet impôt n'est donc pas encore aussi décadent que vous le souhaitiez.
Je voudrais maintenant dire un mot très rapide des dépenses pour souligner que, derrière la stabilité des dépenses en volume qui vous est proposée pour 2000, il y a une profonde réforme de structure : nous réorientons la dépense publique, monsieur le président de la commission des finances, car nous avons la volonté de dépenser mieux. Nous n'avons pas la volonté farouche d'amoindrir le service public en dépensant moins, mais nous voulons dépenser mieux, c'est vrai, c'est-à-dire consacrer plus d'argent à l'emploi et à la solidarité, car c'est, je le crois, un bon investissement économique et social pour l'avenir.
C'est ainsi que le budget de l'emploi et de la solidarité était, en 1997, inférieur à la charge de la dette, mais aussi au budget de la défense. Dans le projet de budget qui vous est soumis - je crois que c'est significatif - il devient le deuxième budget de l'Etat, derrière le budget de l'éducation nationale.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Ce n'est pas rassurant !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cela ne vous rassure pas ? Moi, je trouve que c'est un pari sur l'éducation, sur la formation, sur l'emploi et sur la solidarité, et je crois que l'Etat a une responsabilité en la matière. Peut-être la niez-vous, mais nous ne sommes pas, de ce point de vue, du même côté.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous consacrons davantage, pour notre part, à l'emploi et à la solidarité.
Allez-vous remettre en cause, dans vos propositions budgétaires, la couverture maladie universelle ?
M. Roland du Luart. Elle n'est pas financée !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est une question intéressante à poser ! Nous, nous considérons que c'est une réforme majeure.
Allez-vous remettre en cause les crédits supplémentaires que nous consacrons à la politique de la ville, alors que vous dénoncez fréquemment, et à juste titre, les incidents qui ont lieu ici ou là ?
Allez-vous dénoncer les crédits supplémentaires que nous accordons à la justice, à la protection judiciaire de la jeunesse, par exemple ?
Refusez-vous de majorer les crédits de la sécurité ? Le Gouvernement, lui, a fait de la sécurité une de ses priorités, ce qui se traduit par un accroissement des capacités d'investissement de la police de 38 % l'an prochain, en vue notamment d'améliorer, de rénover et de construire des commissariats de police dans les zones difficiles.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Cela représente combien en valeur ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Le taux de la délinquance augmente aussi !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Quant au budget de la défense, je vous garantis d'ores et déjà qu'il est parfaitement compatible avec les deux objectifs fondamentaux que sont la professionnalisation et les grands programmes d'équipement.
M. Xavier de Villepin. Il est en baisse !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Par ailleurs, augmenter les crédits de la culture et de l'audiovisuel public ou les crédits consacrés à l'environnement et à l'aménagement du territoire, c'est faire autant d'investissements d'avenir.
En matière de dépenses, je terminerai par l'importante question qu'a posée le président de la commission des finances à propos des dépenses d'équipement.
Je ne peux m'empêcher de rappeler qu'entre 1993 et 1997 les dépenses d'équipement ont baissé de 20 %, alors que, toutes sources de financement public confondues, les crédits d'équipement sont repartis à partir de 1997,...
M. Jacques Oudin. Grâce aux collectivités locales, pas grâce à vous !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... et je suis prêt à vous en donner la preuve, monsieur Oudin ! Ainsi, en matière de contrats de plan Etat-régions, le Gouvernement a pris une décision généreuse en ajoutant à la première enveloppe de 95 milliards de francs sur la période 2000-2006 une deuxième enveloppe de 25 milliards de francs. Ce sont donc 120 milliards de francs que l'Etat va consacrer à l'équipement du pays entre 2000 et 2006, soit une somme sans commune mesure avec ce qui avait été affecté antérieurement.
M. Philippe Marini, rapporteur général. La période est plus longue !
M. Jean Delaneau. Cinq ans !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Par ailleurs, au lieu d'être concentrés dans une très forte proportion sur un équipement routier qui confinait parfois à la route vicinale,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Oh !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... ces contrats de plan vont porter sur des dépenses prioritaires dans les domaines de l'éducation ou de la formation, ou encore sur la politique de la ville.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. On voit que vous ne circulez pas, monsieur le ministre !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il faut sortir de Paris !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Il y a des régions où vous n'êtes pas venu depuis longtemps !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je connais une région qui vous est sympathique et où les embarras de circulation ne sont pas aussi élevés que vous semblez le dire !
M. Jean Delaneau. Venez à Tours !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Venez dans l'Oise, monsieur le ministre !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Au-delà du débat local, je veux simplement vous dire qu'en matière d'investissements l'ampleur des crédits inscrits dans les prochains contrats de plan Etat-régions montre bien que nous avons le souci d'équiper le pays dans le domaine routier, dans le domaine ferroviaire, dans le domaine urbain, dans le domaine de l'éducation et de la recherche.
Enfin, je devrais vous montrer que, en matière de gestion des finances publiques, nous faisons des efforts tout à fait importants. Comme ni M. le président de la commission des finances ni M. le rapporteur général n'y ont consacré trop de temps, trouvant peut-être que le Gouvernement ne réalisait pas suffisamment d'efforts, je souhaitais en dire quelques mots.
M. Alain Lambert président de la commission des finances. Vous pouvez faire mieux, c'est cela ?
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous faisons sans doute mieux qu'avant, mais nous pouvons certainement faire mieux encore, je vous l'accorde.
Ces dépenses supplémentaires dont j'ai parlé pour les budgets prioritaires sont financées intégralement par des redéploiements. Il y a là une démarche pratique, qui correspond d'ailleurs à la théorie que M. le président de la commission et M. le rapporteur général ont développée : dans chaque projet de budget, les dépenses ont été échenillées en fonction d'objectifs à atteindre, et nous avons adopté une démarche nouvelle pour un tiers des projets de budget, ne nous contentant pas d'aligner des moyens, mais annonçant des résultats à atteindre. Il s'agit là, à mon avis, d'une optique tout à fait intéressante. C'est le passage d'une culture de moyens à une culture de résultats : nous partons du service public, de la qualité et de l'ampleur que nous souhaitons lui donner, pour calculer ensuite au plus juste les moyens correspondants. Cela me semble important.
Cette démarche a aussi une dimension pluriannuelle, et le ministère dont j'ai maintenant la responsabilité, après Dominique Strauss-Kahn, a innové dans ce domaine. Ainsi, des contrats sur trois ans sont élaborés pour la direction générale des impôts et pour la direction des relations économiques extérieures : des objectifs en matière de gains d'efficacité à obtenir sont quantifiés et, en échange, une bien plus grande liberté de gestion est accordée aux responsables de ces deux belles administrations. Mais vous verrez aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, en examinant le projet de budget du ministère de l'intérieur, que nous avons proposé pour quatre préfectures une globalisation des crédits. Les préfets concernés, que j'ai rencontrés, en sont tout à fait satisfaits.
Voilà quelques-unes des réformes que nous avons engagées. Peut-être ne sont-elles pas spectaculaires, mais je pense que nous révisons en profondeur la structure et la gestion des dépenses de l'Etat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'intime conviction - l'élan de la croissance et la qualité des réformes de structures qui sont menées le confirment - que le projet de budget pour 2000 vise à rendre notre pays plus fort, plus juste, et qu'il s'inscrit pleinement dans la perspective que le Premier ministre a fixée, c'est-à-dire le retour au plein emploi à la fin de la prochaine décennie. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.) .

(M. Jean Faure remplace M. Christian Poncelet

au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 117 minutes ;
Groupe socialiste, 96 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 67 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 60 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 35 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 27 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 13 minutes.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous apporter une précision.
Craignant que ma mémoire ne me trompe, j'ai repris le procès-verbal de la séance du 19 novembre 1998, page 4620 du Journal officiel. Je citerai deux phrases de l'intervention que je faisais l'année dernière dans les mêmes circonstances : « Or, nous observons que le cadrage macro-économique que nous soumet le Gouvernement est un cadrage volontariste - cela ne nous déplaît pas nécessairement - mais qu'il a été fixé à la fin du premier semestre de 1998, avant qu'interviennent ou se précisent certains aléas extérieurs. »
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. CQFD !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Plus loin, je poursuivais : « Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, la majorité sénatoriale ne remet pas en cause le cadrage macro-économique que vous proposez. Ce cadrage est volontariste, et nous le prenons comme tel. »
Monsieur le ministre, nous n'avons pas remis en cause, l'année dernière, vos hypothèses économiques. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous ferai, moi aussi, de belles citations.
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est toujours périlleux d'intervenir dans la discussion budgétaire immédiatement après le rapporteur général, le président de la commission des finances.
M. Emmanuel Hamel. Et le ministre !
M. Roland du Luart. Bien sûr !
La précision, la pertinence et la pugnacité de leurs propos conjugués ne laissent souvent à leurs successeurs que le choix entre la répétition et la paraphrase.
Mais la pédagogie ne va pas sans insistance, non plus que la persuasion sans explication.
C'est pourquoi je souhaite présenter, au nom du groupe des Républicains et Indépendants, les principales observations que lui inspire le projet de loi de finances soumis à l'examen du Sénat.
L'euphorie d'une croissance retrouvée et, semble-t-il, solide pour les semestres à venir a pour effet, habituel mais malencontreux, d'occulter les problèmes de fond de l'économie française, que ce soit en matière budgétaire ou fiscale. Ainsi, le Gouvernement n'a pas voulu tirer les conséquences de l'expérience budgétaire de M. Michel Rocard et il est en train d'en répéter exactement les erreurs les plus coûteuses.
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. Roland du Luart. Les chiffres parlent d'eux-mêmes et permettent de répondre aux trois questions essentielles : les problèmes budgétaires de fond sont-ils en voie d'être réglés ? La politique budgétaire suivie nous permet-elle d'affronter un retournement de conjoncture ? Les effets à terme des mesures prises depuis trois ans ont-ils été correctement appréciés ? Je m'efforcerai de répondre brièvement à cela.
Tout d'abord, il n'y a pratiquement pas de réduction sensible du déficit structurel : les trois années de gestion de la majorité plurielle - 1998, 1999 et 2000 - se traduisent par une baisse de 0,5 point de PIB seulement de ce déficit structurel, alors que cette baisse avait atteint 2 points - quatre fois plus d'efforts ! - pour les trois années 1994, 1995 et 1996. Cela a d'ailleurs été reconnu ici-même par M. le ministre lors du débat d'orientation budgétaire.
Par ailleurs, et en supposant que la croissance se poursuive sans accrocs jusqu'en 2004, le déficit public, exprimé en termes de besoin de financement des administrations, sera à cette date du même ordre de grandeur que celui que connaissait la France avant le ralentissement conjoncturel qui a culminé en 1993. C'est l'enseignement que nous livre la projection macroéconomique commandée par la délégation pour la planification, sur laquelle reviendra sans doute mon collègue Joël Bourdin.
Enfin, et avant même de tenir compte des déformations structurelles liées au financement des retraites, des flux considérables de dépenses nouvelles ont été lancées depuis trois ans, qu'il s'agisse des 35 heures, des emplois-jeunes ou des effectifs et des rémunérations de la fonction publique, dépenses nouvelles qui produiront à plein leurs effets dans quelques années.
Ainsi, à moyen terme, nous pourrions être de nouveau à 3 % de déficit : 1,5 % de déficit budgétaire et 1,5 % de besoin de financement public lié au problème des retraites.
Au total, non seulement la France demeure l'un des plus mauvais élèves de l'Europe des Quinze sur le plan budgétaire - le journal Les Echos plaçait ce matin notre pays à l'avant-dernière place - mais les conditions d'une crise budgétaire dans les années à venir sont, à mon avis, réunies : pas d'action résolue sur le déficit structurel, diminution insuffisante du déficit global pour nous mettre à l'abri d'un retournement conjoncturel et facilité financière au niveau des mesures nouvelles.
Dans ces conditions, nul satisfecit n'est à délivrer aux gestionnaires en place. On demeure par ailleurs confondu devant les commentaires apportés au projet de budget pour l'an 2000 : alors que les problèmes sont, à mon sens, devant nous, les discussions sur l'utilisation des plus-values fiscales occupent le devant de la scène, à tel point qu'un sondage montrerait sûrement qu'une majorité de nos compatriotes estiment que nous sommes en situation d'excédent budgétaire permettant toutes les largesses.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est vrai !
M. Roland du Luart. En disant cela, mes chers collègues, je ne souhaite ni provoquer, ni pontifier, ni persifler, cela s'entend. Mais je tiens le pari. A titre d'exemple de notre inculture économique collective, déjà dénoncée par François Furet, parmi d'autres, je lis dans un sondage publié avant-hier que seul un Français sur quatre sait que, dans le système actuel, toutes les cotisations versées par les actifs sont utilisées pour payer les retraites actuelles. Bref, trois Français sur quatre semblent imaginer que leurs cotisations sont « mises de côté » pour payer leurs retraites à venir.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, et M. Philippe Marini, rapporteur général. Eh oui !
M. Roland du Luart. Il y a là, mes chers collègues, un défi redoutable à relever par les parlementaires et par tous les gouvernements, actuel et à venir : élever le niveau des connaissances économiques de base de tous nos compatriotes en leur offrant des débats clairs et courageux.
Les discours catastrophes sur l'Europe, sur la mondialisation, sur les multinationales, trouvent ainsi en France un terreau idéal, celui de l'inculture économique. Le ministre des finances l'a très bien démontré pour l'OMC. Je n'en veux personnellement pour preuve que les commentaires déplacés qui ont été commis après l'annonce du plan social triennal de Michelin. Il y a là aussi une exception française dont nous n'avons nul lieu d'être fiers, car elle nous conduit à affronter l'avenir à reculons.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Roland du Luart. Trois exemples sur les entreprises illustreront mon propos.
Tout d'abord, s'agissant de Michelin, dont la commission des finances a auditionné le président, la semaine dernière, aucun commentateur n'a relevé que cette entreprise n'a procédé, sur les vingt dernières années, qu'à 186 licenciements par désignation sur 25 000 suppressions de postes, ni que sa productivité sur le continent européen est inférieure de 15 % à 20 % à celle de ses grands concurrents, ni même qu'elle a longtemps soutenu l'usine Wolber implantée à Soissons en rachetant sa production au-dessus de son prix de revient pour la revendre à perte.
Je cesse mon énumération pour souligner le comportement singulier du Gouvernement et de sa majorité qui « surfent » sur un mécontentement populaire entretenu à dessein et annoncent qu'il faudra supprimer les aides publiques en cas de compression des effectifs d'entreprises bénéficiaires, alors même que ce raisonnement est globalement fallacieux et que des financements importants sont débloqués pour aider Peugeot et Renault à repyramider leurs effectifs. Comprenne qui pourra !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ah oui !
M. Roland du Luart. J'en viens à mon deuxième exemple concernant les entreprises : si l'on prend en compte l'ensemble des placements d'actions sur le marché primaire en France en 1999, on s'aperçoit que 20 % seulement des titres placés à Paris, cette année, ont été achetés par des investisseurs résidents, contre 30 % par des Américains, 20 % par des Anglais et 30 % par des investisseurs du reste du monde. Même si le placement en actions est devenu une activité largement mondialisée, on ne peut qu'être perplexe devant la faible place des investisseurs nationaux.
Mais ce phénomène s'explique : nous payons le prix fort d'une surtaxation de l'épargne à risques, d'une absence de fonds de pension et d'une attitude rétrograde à l'égard des entreprises privées.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très juste !
M. Roland du Luart. Nous préparons ainsi les conditions d'un appauvrissement à terme de notre pays, et il me semble pour le moins paradoxal que les efforts considérables de productivité consentis par nos ouvriers et par nos cadres aillent à 80 % rémunérer cette année des actionnaires étrangers. Cela aussi, il faudrait l'expliquer clairement à nos compatriotes.
Le troisième et dernier exemple concernant les entreprises s'inscrit dans le prolongement immédiat du précédent.
Prenons quatre grandes entreprises, privatisées depuis peu, à savoir le Crédit local de France, Pechiney, la Seita et Aérospatiale. Regardons quelle sera demain leur nationalité juridique : belge, canadienne, espagnole et néerlandaise.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Intéressant !
M. Roland du Luart. Là encore, je me garderai de tout chauvinisme primaire. Mais nous devrions, mes chers collègues, nous interroger plus en profondeur sur l'avenir de nos grandes entreprises au regard de notre fiscalité et de notre droit social.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, et M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Roland du Luart. Cette liste pourrait être plus large encore si les présidents français de grandes entreprises mondiales, ceux que nous auditionnons en commission des finances, ne consacraient tous leurs efforts à maintenir leur siège social sur le sol national. Songeons, par exemple, à la fusion Rhône-Poulenc-Hoechst : je me réjouis que le siège social d'Aventis soit à Strasbourg ; mais la majorité du capital finalement détenue par nos partenaires allemands rend-elle cette situation durable ? Je forme en tout cas des voeux pour qu'il en aille ainsi longtemps.
L'avenir de notre pays est pourtant lié à celui de nos entreprises. C'est l'inventivité, le courage et le dynamisme de nos ouvriers, techniciens, cadres et patrons qui constituent notre richesse, notre matière première renouvelable. Et c'est pourquoi nous devons nous attacher à promouvoir, selon des modalités propres à notre génie national, ce que l'ambassadeur américain Félix Rohatyn appelle le « capitalisme populaire », comme aux Etats-Unis, dont les systèmes de retraite des fonctionnaires possèdent 7 000 milliards de dollars d'actions, et où 80 millions d'Américains détiennent des titres financiers.
Un seul exemple de ce « capitalisme populaire » est la société de transports rapides UPS, qui vient d'être introduite en bourse aux Etats-Unis. Cette société, qui emploie 300 000 personnes et compte 60 000 employés participant au capital, a vu, depuis sa création, 30 000 de ses employés devenir millionnaires en dollars, alors qu'ils avaient commencé, pour la plupart, comme chauffeurs de camion.
Bien sûr, la situation des Etats-Unis n'est pas idyllique, mais il convient d'examiner lucidement les causes de leur succès, et d'en tirer des leçons pour la France.
Première leçon : la fiscalité doit s'attacher à favoriser la création et le financement des entreprises. Depuis trois ans, des atermoiements continuels ne nous permettent pas de disposer convenablement des deux outils qui ont fait leurs preuves : les stock-options et les fonds de pension.
La fiscalité de l'épargne à risques a été alourdie, la fiscalité des entreprises rendue instable, toujours plus complexe et pénalisante pour les groupes en situation de concurrence internationale.
L'harmonisation européenne, c'est inquiétant, fait du sur-place, ce qui pourrait compromettre la stabilité, voire, hélas ! la pérennité de l'euro. Nous devrions donc nous attacher résolument à créer une convergence fiscale européenne, comme nous l'avons fait en matière budgétaire et monétaire.
Deuxième leçon : même en préservant une nécessaire spécificité nationale, le succès économique appelle, et le droit communautaire exige, une libéralisation adaptée de toutes les activités en réseau, qu'il s'agisse des transports, de l'énergie ou des télécommunications. La lenteur et la pusillanimité dont la France fait étalage m'inquiètent vivement quand j'observe les exemples européens. Malgré les travaux de nos collègues Revol et Larcher, pour ne prendre que deux exemples, nous nous plaçons délibérément dans une position difficile, génératrice d'ajustements douloureux pour EDF, La Poste ou la SNCF.
Troisième leçon : la résorption quasi miraculeuse du chômage, qu'on nous annonce pour dans 10 ans environ, n'ira pas de soi. La projection à l'horizon 2004, réalisée par l'Observatoire français des conjonctures économiques pour le compte de la délégation pour la planification, indique clairement que, en 2004, après cinq années de forte croissance, le chômage sera encore à son niveau structurel, soit de l'ordre de 9 %.
Nous avons donc à consentir des efforts importants pour rendre la croissance plus créatrice d'emplois, à moins que ce ne soit un mal français lié à nos rigidités, car, avec des mesures proprement françaises, nous enregistrons un taux de chômage qui est du double de celui des pays anglo-saxons. Et je m'interroge sur les raisons.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Roland du Luart. La mise en oeuvre des 35 heures, et plus particulièrement son financement, ira à l'encontre du but recherché. Et ce n'est un secret pour personne que les grands cabinets d'audit internationaux considèrent cette mesure comme un facteur négatif à prendre en considération pour toute décision d'investissement en France ». Je cite Merril Lynch, dans son bulletin du 1er juillet 1999.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous avez de bonne lectures !
M. Roland du Luart. Au total, et pour conclure mon propos, le projet soumis à notre examen est loin d'emporter la conviction. C'est un budget sans ambition, qui ne s'attaque pas aux trois difficultés majeures : la maîtrise des dépenses, la résorption du déficit et la décrue des prélèvements obligatoires. M. Marini, rapporteur général et M. Lambert, président de la commission des finances, l'ont excellemment démontré.
La croissance que nous enregistrons est une croissance nourrie du dynamisme de nos partenaires, du rattrapage des années quatre-vingt dix consacrées à la préparation de la France à l'euro et de la situation monétaire rendue possible par l'avènement de la monnaie unique. Prétendre qu'elle trouve ses racines dans une politique nationale avisée, c'est commettre une erreur d'analyse que je juge grave.
Cette croissance retrouvée aurait dû se traduire par une politique budgétaire et fiscale ambitieuse. Ce n'est pas le cas. Je ne puis que le regretter pour mon pays et pour mes compatriote. Bien entendu, vous l'aurez compris, le groue des Républicains et Indépendants ne pourra voter ce projet de budget en l'état. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe du RDSE. - M. le président de la commission et M. le rapporteur général applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de budget pour l'an 2000 permettra-t-il de dépenser mieux pour prélever moins ? J'en doute sincèrement et vous-même, monsieur le ministre, n'en êtes pas si sûr. En effet, la véritable question que Bercy se pose, en cette fin d'année 1999, est plutôt de savoir comment continuer à dépenser tout en réduisant un petit peu le déficit et surout en donnant beaucoup l'illusion de moins prélever.
Le Gouvernement dit qu'il va réduire les prélèvements obligatoires, alors qu'ils atteignent un record historique. Il annonce que les impôts vont baisser, alors que l'impôt sur le revenu augmente, l'impôt sur les sociétés augmente, tous les impôts augmentent, d'au moins 33 milliards de francs au total.
Bref, ce budget de la France est celui en Europe, où les impôts diminuent le moins et où la maîtrise des dépenses est la moins assurée. N'étant pas stabilisées, ces dernières, en fait, n'augmentent pas de 0,9 %, ainsi que vous l'affirmez, mais de près de 3,5 %, ce qui trahit un manque certain de courage en pleine reprise de la croissance économique mondiale.
Nous le savons tous, nos finances publiques souffrent de deux défauts principaux - l'excès des prélèvements, d'une part, et des déficits publics, d'autre part - sans pour autant parvenir à diminuer les inégalités sociales de la nation.
Nos prélèvements obligatoires continuent de croître. En effet, contrairement aux affirmations et aux annonces, les prélèvements obligatoires ont augmenté, depuis 1997, d'au moins 0,7 % du PIB.
Vous avez dit aux ménages, en 1997, que leurs prélèvements allaient diminuer d'environ 24 milliards de francs. En 1999, le prélèvement supplémentaire par ménage s'est ainsi élevé à 3 000 francs en moyenne, tandis que les prévisions de recettes, dans le même temps, engendreront des rentrées supplémentaires de 160 milliards de francs - près de 100 milliards de francs pour la TVA, 40 milliards de francs pour les impôts sur le revenu et 20 milliards de francs pour la TIPP.
Où sont donc ces allégements promis par le Gouvernement ? Qui peut croire que vous parviendrez à tenir vos promesses en 2001 en matière d'allégements d'impôts sur le revenu, de baisse de la taxe d'habitation et de la TVA ? A juste titre, les citoyens ne les reçoivent que comme autant de promesses électorales.
Pourquoi n'y a-t-il pas de baisses d'impôt à l'horizon 2000 ? La raison est simple : la dépense publique n'est pas maîtrisée par votre gouvernement.
Monsieur le ministre, la première lacune de ce projet de budget est l'absence de maîtrise des dépenses publiques, clé de la réduction du déficit et de l'endettement. Force est en effet de constater une aggravation sensible de la pression fiscale subie par les Français - je l'ai dit, hélas ! champions d'Europe en la matière - et le vécu fiscal de plus en plus douloureux de nos compatriotes.
Ainsi, à la fin de 1997, 23 milliards de francs d'impôts supplémentaires - votés sous forme de mesures urgentes à caractère fiscal et financier - ont fait passer aux prélèvements obligatoires la barre des 46 %, permettant à l'Etat de détenir une « cagnotte » de 15 à 20 milliards de francs pour 2000 et 2001 du fait de la CSG de l'abondance des rentrées fiscales et sociales de l'année 1999, qui croîtront, une fois de plus, plus vite que le PIB.
Peut-être nous expliquerez-vous que la surestimation de l'inflation minore l'évolution réelle du PIB, ce qui justifierait l'absence de baisse des prélèvements. Mais il devrait en être tout autant pour les impôts. Si au moins cette augmentation des prélèvements obligatoires en 1999 était compensée par une baisse importante du déficit public !
En tout cas, il est évident que les prévisions de recettes fiscales pour 2000 sont très prudentes, voire minorées alors même que c'est maintenant que les réformes en profondeur doivent être menées.
Monsieur le ministre, ce manque de rigueur budgétaire a pour conséquence une croissance de notre endettement public.
A juste titre, je m'inquiète de la réduction trop lente de nos déficits publics lorsque l'on constate que la dette totale de l'Etat a atteint 4 250 milliards de francs en 1998, soit une hausse de 8,1 % par rapport à 1997.
De plus, vous annoncez pour l'an prochain une diminution du déficit budgétaire de 20 milliards de francs, ce qui porterait l'ensemble des déficits publics de 2,9 % à 1,8 % du PIB. Or, nous avons dépassé, fin 1997, le seuil de 60 % de dette publique par rapport au PIB, ce qui est le maximum fixé par le « funeste » traité de Maastricht,...
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Philippe Darniche. ... et ce seuil a été constamment franchi depuis. Par cet effort insuffisant, nous restons les mauvais élèves de l'Union européenne et ne pourrons demeurer longtemps à la remorque de nos partenaires économiques.
Même si ce projet de budget pour 2000 comporte plusieurs effets d'annonce de baisses d'impôt, aucune d'entre elles n'est forte, massive et structurelle. Les deux « réformettes » fiscales du budget pour 2000, qui sont, d'une part, la baisse de la TVA sur les travaux d'entretien dans le logement et, d'autre part, la poursuite de la réforme de la taxe professionnelle, ne rendent pas votre copie plus digeste.
La baisse de la TVA sur les travaux d'entretien, mesure en soi intéressante, est la seule bonne nouvelle de ce budget.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est déjà ça !
M. Philippe Darniche. Je la voterai, car elle a le triple avantage d'améliorer les logements, de lutter contre le travail au noir, de favoriser l'économie nationale. Cependant, sa mise en oeuvre est confuse, car les textes d'application sont encore imprécis et méritent de meilleurs éclaircissements.
M. Philippe Marini, rapporteur général. On va améliorer cela !
M. Philippe Darniche. Par ailleurs, je n'accorde que peu de confiance au chiffrage par Bercy de la baisse d'impôts correspondante. En effet, les 19 milliards de francs annoncés sont manifestement surestimés, car ce montant ne prend pas en compte les recettes à attendre d'un surcroît probable de travaux confiés à des professionnels.
En ce qui concerne les entreprises, l'avantage net de la réforme de la taxe professionnelle est de seulement 2 milliards de francs ; en effet vous reprenez 2 milliards de francs avec l'augmentation de la cotisation minimale à la valeur ajoutée, 1,2 milliard de francs avec l'accroissement de la cotisation nationale de péréquation, 2 milliards de francs avec la suppression de la réduction pour embauche et investissement, 2 milliards de francs avec les économies sur l'écrêtement à la valeur ajoutée et 2,7 milliards de francs de surcroît d'impôt sur le bénéfice du fait que la taxe professionnelle est déductible, soit au total 10 milliards de francs.
Monsieur le ministre, ce que vous donnez d'une main, vous le reprenez largement de l'autre. Et je passe sur les 4,3 milliards de francs de la cotisation Aubry sur les bénéfices, sur les 4,2 milliards de francs d'augmentation de la quote-part pour frais et charges à intégrer au produit des participations des sociétés-mères et sur les 1,5 milliard de francs au titre de la réduction de l'avoir fiscal, soit un supplément de prélèvements de 10 milliards de francs, sans compter l'extension de l'écotaxe de 3,2 milliards de francs ni la future taxe sur les heures supplémentaires de 8 milliards à 10 milliards de francs.
En résumé, la baisse de la pression fiscale sur les entreprises n'est pas au rendez-vous.
En ce qui concerne les familles, l'année 2000 ne sera pas non plus pour elles - et je le regrette profondément - une année favorable. Vos mesures fiscales sont pénalisantes et résolument « anti-familles ». Vous nous l'avez déjà prouvé dans un passé récent en les pénalisant par l'abaissement du plafond du quotient familial et par la diminution de la réduction d'impôt pour emplois familiaux.
J'en appelle aujourd'hui, au nom des familles de France et aux côtés des associations familiales, à une prise de conscience politique en faveur d'une véritable politique familiale, généreuse et ambitieuse.
J'en reviens à la dépense publique. En consacrant 54 % de son PIB à la dépense publique, la France bat tous les records des pays développés. Ainsi, le budget du Gouvernement privilégie les dépenses de fonctionnement - dont la progression de 1,62 % est supérieure à celle du budget lui-même - et sacrifie l'avenir au présent, comme le démontre un budget d'investissement insuffisant, avec moins de 80 milliards de francs pour l'investissement civil et 160 millards de francs en comptant l'investissement militaire.
Dans le même temps, rien n'est fait pour juguler certaines dépenses : par exemple, les effectifs de la fonction publique ne baissent pas, et aucune réflexion prospective n'est conduite en ce domaine.
Pourtant, monsieur le ministre, le retour de la croissance devrait encourager l'Etat à se réformer et à engager des réformes de structure en matière de baisse des prélèvements obligatoires.
En revanche, vous n'avez pas hésité à freiner exagérément l'augmentation des dotations de l'Etat aux collectivités locales, qui pourtant sont à ses côtés dans le combat pour l'emploi. On a rarement vu un budget si mauvais pour les communes, les départements et les régions (M. le ministre lève les bras au ciel), ainsi que l'a déclaré notre éminent confrère, Daniel Hoeffel, vice-président de l'Association des maires de France, en s'adressant, hier soir, au Premier ministre, lors du congrès des maires.
Le recensement général fait apparaître deux millions de Français de plus, qui induisent pour l'Etat des recettes supplémentaires, mais aussi, pour lui et pour les collectivités, des charges nouvelles. La DGF devrait donc être abondée des sommes nécessaires à l'occasion de chaque recensement général, comme le prévoit expressément la loi de 1993, soit, en l'espèce, d'environ 1,5 milliard de francs. Or, vous avez décidé de ne pas appliquer la loi et d'étaler la majoration sur trois ans, de sorte que 200 millions de francs seulement sont inscrits pour 2000. Je le déplore avec amertume.
La réforme de la taxe professionnelle, telle que l'applique le Gouvernement, représente un marché de dupes pour les collectivités locales et se referme sur celles-ci comme un piège financier et fiscal. En effet, en ne relevant que de 0,8 % la première dotation de compensation de la taxe professionnelle apparue en 1999, vous les pénalisez, alors que cette dotation devrait être indexée sur l'inflation et la moitié de la croissance, soit un peu plus de 2 %. Enfin, l'autonomie fiscale des collectivités locales, qui figure pourtant à l'article 72 de la Constitution, est progressivement remplacée par des dotations d'Etat, dont l'évolution relève, pour l'essentiel, de contraintes budgétaires.
Vous me permettrez, monsieur le ministre, d'émettre maintenant quelques remarques visant particulièrement les crédits de la formation au sein du budget du ministère de l'emploi et de la solidarité, ainsi que les crédits du budget de la santé.
Tout d'abord, je traiterai de la formation professionnelle.
A ce sujet, je voudrais insister sur la trop forte illisibilité du système de formation professionnelle pour ceux qui devraient en être les bénéficiaires. Comment un jeune faiblement qualifié ou un chômeur de longue durée peut-il s'y retrouver dans un tel maquis d'organismes ?
Par ailleurs, je m'interroge sur la possibilité d'instaurer une véritable « formation professionnelle tout au long de la vie » avec une « employabilité » qui dépend de sa propre formation, comme le prévoit un dispositif qui date de 1971. Les besoins ont changé, nous le savons, et le temps presse pour adapter et moderniser les règles applicables en matière de validation des compétences et organiser le droit individuel à la formation. Tout cela nécessite des fonds, et vos propositions budgétaires sont insuffisantes pour 2000.
Monsieur le ministre, le congé individuel de formation ne mérite-t-il pas une grande réforme ? J'estime, pour ma part, qu'il est essentiel d'assurer dans notre pays l'adéquation entre l'offre de formation et les attentes des intéressés comme des entreprises. A quoi sert de bien former s'il n'y a pas de débouchés ? La formation doit pouvoir déboucher sur un emploi, être pour le salarié une occasion d'épanouissement et de meilleure insertion.
J'affirme par ailleurs qu'il est nécessaire de baisser les charges sur les bas salaires pour relever les salaires directs les plus modestes. Comment peut-on prétendre, dans une période de plein retour à la croissance, que l'on réduit les inégalités, alors que le nombre de titulaires du RMI continue de s'accroître au rythme de près de 8 % l'an, que les emplois créés sont, pour 40 %, des emplois d'intérim précaires et que les écarts de revenus et de patrimoines ont recommencé à se creuser ?
Aujourd'hui, la baisse des charges sur les bas salaires - personne n'en conteste le bien-fondé - est financée aux deux tiers par la hausse de l'impôt sur les tabacs et, pour une part plus faible, par la taxation des activités polluantes, des lessives, des détergents, c'est-à-dire par une aggravation de la fiscalité, alors qu'elle devrait être gagée par des économies sur les dépenses.
Pour ce qui concerne les crédits du budget de la santé, nous savons tous que, s'ils sont en forte progression, c'est, hélas ! parce que l'exclusion augmente en France.
Cette hausse découle principalement de la mise en place de la CMU - que personne ne conteste - et de l'accroissement des crédits consacrés au RMI.
En revanche, l'augmentation des crédits accordés à la prévention de la toxicomanie, qui fait des ravages de plus en plus importants chez nos jeunes, à la prévention de l'alcoolisme et du suicide ainsi qu'à l'aide aux personnes handicapées est beaucoup moins spectaculaire.
Je pense, en particulier, aux parents d'enfants handicapés ou malvoyants, qui attendent une vraie politique ambitieuse de scolarisation de leurs enfants. Les structures d'accueil, les moyens de transport et de locomotion restent insuffisants. Le problème est particulièrement douloureux s'agissant des 14 000 autistes qui, en 1997, restaient à la charge de leurs familles.
Il est donc urgent de réviser la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales.
Je constate, en outre, que l'évolution de l'allocation aux adultes handicapés, dont le montant est de 3 540 francs mensuels, reste indéniablement plus lente que celle du SMIC brut. Sa revalorisation dans le projet de budget pour 2000 aurait été éminemment souhaitable.
Quant à la loi du 10 juillet 1987, j'insiste - comme chaque année - sur les carences de son application. Notamment au sein des services de l'Etat, l'objectif d'intégration professionnelle de 6 % pour les travailleurs handicapés physiques est loin d'être atteint dans notre pays. Nous connaissons tous des situations très pénibles auxquelles vos services n'apportent pas de réponse, au mépris du respect de la loi.
Monsieur le ministre, votre budget pour l'an 2000 est celui des occasions manquées, comme l'a si bien indiqué notre excellent rapporteur général, M. Philippe Marini, c'est aussi celui du gaspillage de nombreuses marges de manoeuvre données par la croissance mondiale à la France.
Cette croissance offre des recettes supplémentaires qu'au lieu d'affecter au remboursement de la dette le Gouvernement gâche en effectuant des dépenses nouvelles. Or, personne ici ne sait si notre croissance se poursuivra encore longtemps au rythme actuel et quand s'effectuera l'inévitable retournement de la conjoncture internationale. Les lendemains risquent d'être très douloureux. Comme vous, je souhaite que ce retournement intervienne le plus tard possible.
Je persiste à croire que, bénéficiant d'une conjoncture économique particulièrement favorable, vous auriez pu diminuer les prélèvements fiscaux afin de favoriser durablement le redémarrage économique de nos entreprises, en France et à l'étranger.
Au fil des ans, vos amis et vous-même n'avez proposé que des « saupoudrages », que quelques allégements très ciblés, dépourvus de ligne directrice et sans véritable perspective d'avenir. (M. le ministre sourit.)
Votre budget pour 2000 ne comporte ni vraie baisse des impôts ni vraie réduction des dépenses, alors qu'il est grand temps pour notre pays d'en finir avec cet excès de pression fiscale par une politique résolue et simultanée de simplification à l'égard des entreprises et d'allégement à l'égard des ménages.
Comme l'ensemble de mes collègues non inscrits, au nom desquels j'interviens aujourd'hui, je voterai comme le souhaite la commission des finances. Je tiens d'ailleurs à remercier son président et ses différents rapporteurs pour l'excellente qualité de leur travail. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une économie en croissance, des recettes fiscales abondantes, un commerce extérieur en excédent, un chômage en régression,...
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Merci !
M. Josselin de Rohan. ... tel est le contexte dans lequel s'inscrit le projet de loi de finances que nous sommes appelés à examiner.
Nous ne pouvons que nous louer de cette conjoncture, qui s'accompagne d'un faible taux d'inflation et du maintien des taux d'intérêt à un niveau bas.
Il nous paraît légitime que le Gouvernement revendique sa part de succès devant ces heureux résultats, puisqu'on lui attribuerait certainement la responsabilité de l'échec dans un autre environnement. Voyez que nous débutons gentiment !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Honnêtement !
M. Josselin de Rohan. La loi de finances reflète-t-elle l'heureuse orientation de notre économie ?
On pourrait le croire, si l'on s'en tenait aux annonces gouvernementales. Le déficit budgétaire diminue et les impôts devraient être réduits de 39 milliards de francs pour l'an 2000 : 27 milliards de francs pour les personnes physiques et 12 milliards de francs pour les entreprises.
Cité par le journal Le Monde du 18 septembre dernier, votre prédécesseur, monsieur le ministre, déclarait en présentant à la presse le projet de loi de finances pour l'an 2000 : « Avec un déficit réduit de 1,7 point de PIB entre juin 1997 et l'an 2000, la France fait mieux que les cinq plus grands pays européens, mieux que la moyenne des Quinze, mieux que la moyenne des Onze. »
On aurait donc bien mauvaise grâce à témoigner de réserves.
Pourtant, comme le soulignent un certain nombre d'analystes, ainsi que M. le rapporteur général dans son excellent rapport et son très brillant exposé, la réalité est beaucoup plus contrastée.
La France conserve son retard par rapport à la moyenne européenne et, bien qu'elle dispose d'une croissance plus forte pour ce qui est de la maîtrise des finances publiques, les déficits publics devraient se situer à 2,9 % du PIB en 1999, contre 1,9 % en moyenne dans la zone euro. Quant au poids des dépenses publiques dans la richesse nationale, il demeure plus élevé en France que partout ailleurs : 53,2 % du PIB, contre 48 % dans l'ensemble de la zone euro et 32 % aux Etats-Unis.
Lors de sa déclaration à l'Assemblée nationale, le 19 juin 1997, M. le premier ministre s'exprimait en ces termes : « J'ai dit mon attachement à la stabilisation des prélèvements obligatoires, qui ont fortement augmenté au cours des trois dernières années. Si la croissance le permet, mon objectif, à terme, est de les diminuer. »
Qu'en est-il aujourd'hui ? Alors qu'en 1996 le taux des prélèvements obligatoires atteignait 44,8 % du PIB avec une croissance faible, il atteint 45,3 % avec un taux de croissance beaucoup plus élevé. Nous sommes à 2 points de plus que la moyenne de la zone euro et à près de 7 points de plus que la moyenne des pays de l'OCDE.
La Banque centrale européenne n'a pas manqué de rappeler que la reprise de la croissance devrait « offrir des opportunités pour accélérer les réformes structurelles nécessaires à l'assainissement budgétaire ». C'est à l'aune de ces objectifs qu'il faut juger le projet de loi de finances.
Le projet de loi conduit-il à la maîtrise des dépenses publiques ? Amorce-t-il les réformes permettant le développement de notre économie ? C'est tout le débat !
Nous aurions souhaité, monsieur le ministre, qu'une rigueur calviniste présidât à l'élaboration du budget ; nous sommes encore loin du compte.
M. Emmanuel Hamel. Rigueur luthérienne conviendrait mieux !
M. Josselin de Rohan. Je ne vous soutiendrai pas sur ce point, mon cher collègue ; il me semble qu'en matière de dépenses publiques la doctrine calviniste est un peu mieux établie !
D'abord, la réduction de la dépense publique est un concept étranger à la gauche, qu'elle soit singulière ou plurielle ; ensuite, le Gouvernement a joué des possibilités que lui offrait le double système de financement de la sécurité sociale et de l'Etat pour opérer des transferts de charges d'un volet sur l'autre, ce qui occulte la réalité des finances publiques, ainsi que l'ont très justement souligné M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général du budget.
Faute de pouvoir examiner un compte consolidé, vous l'avez indiqué, monsieur le rapporteur général, nous disposons d'un projet de loi qui donne au Gouvernement les apparences de la vertu, le projet de loi de finances, et d'un autre dans lequel il laisse la bride à sa nature dépensière et taxatrice, le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le ministre de l'économie et des finances joue le rôle du Dr Jeckyll, celui des affaires sociales de Mr Hyde - je devrais plutôt dire, en l'occurrence, de Mrs Hyde - mais, au total, l'important est de savoir ce que supportent comme charges les contribuables.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce n'est pas très courtois !
M. Josselin de Rohan. Marchons-nous vers la parité, oui ou non ? Il n'y a tout de même pas de sexe faible quand il s'agit d'exercer des fonctions gouvernementales, ou alors je ne comprends plus rien !
Il eût été normal que les Français jouissent pleinement des dividendes de la croissance en bénéficiant d'une diminution de leurs impôts.
M. le rapporteur général a apporté la démonstration que les recettes fiscales étaient minorées puisqu'en 1999 le produit des impositions dépasserait de 30 milliards de francs ce qui avait été annoncé.
Je sais qu'il est devenu le « prince de l'extrapolation », mais vous n'avez pas apporté la démonstration qu'il avait tort, monsieur le ministre ! Tout se passe, a-t-il remarqué, comme si le Gouvernement se constituait une réserve, sans doute pour certaines échéances, au lieu d'apporter un soulagement immédiat aux contribuables.
Si l'on tient compte du fait que, l'an prochain, les entreprises devront acquitter, au titre du financement de la sécurité sociale, l'écotaxe et la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés, on voit bien que le Gouvernement reprend d'une main ce qu'il a accordé de l'autre.
Félicitons-nous toutefois des allégements accordés pour les transmissions d'entreprise. Ce que les socialistes, hier, avaient voulu avec succès, hélas ! rendre inconstitutionnel est devenu aujourd'hui orthodoxe, mais il y a au Ciel plus de joie pour le pécheur qui se repent que pour les actes de 999 justes !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est une citation de Calvin ? (Sourires.)
M. Josselin de Rohan. Non, mais je sais, monsieur le ministre de l'économie et des finances, que, votre culture religieuse étant très étendue, vous aurez vous-même identifié l'auteur.
Réjouissons-nous de la diminution des taux de TVA pour les travaux réalisés dans les logements mais étonnons-nous de voir qu'un particulier qui veut installer sa cuisine puisse acquitter une TVA de 5,5 % - tant mieux pour lui ! - tandis que les matériaux, eux, seront taxés à 20,6 %. Il y a encore des progrès à faire !
Si l'on prend l'exemple de la taxe professionnelle, on constate que, si les entreprises peuvent se prévaloir, pour 2 milliards de francs, de la suppression progressive de la base salaires de l'assiette de la taxe professionnelle, la réforme leur coûtera en fait 10 milliards de francs, du fait de l'augmentation de la cotisation minimale à la valeur ajoutée, de l'accroissement de la cotisation nationale de péréquation, de la diminution de la compensation puis de la réduction pour embauche et investissement, des économies sur l'écrêtement de la valeur ajoutée et du surcoût de l'impôt sur les bénéfices du fait de la déductibilité de la taxe professionnelle ! Connaissez-vous beaucoup d'Etats modernes qui possèdent une telle panoplie ?
Le Gouvernement nous annonce pour l'an 2000 une stabilisation des dépenses en volume. Nous observons, en premier lieu, qu'après une réduction des dépenses en 1997, la hausse a repris dès 1998 et la Cour des comptes a souligné un dérapage de 0,9 point. Le budget de 1999 avait prévu une inflation de 1,3 % ; or, le chiffre de l'inflation attendu pour 1999 devrait être de 0,5 %.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Eh oui !
M. Josselin de Rohan. Les dépenses auront augmenté non pas de 1 % mais de 1,8 %, soit trois fois plus que l'inflation constatée.
Le résultat est là : rapportée au PIB, la dépense publique représente 54 % en 1999, soit le taux le plus élevé des pays industrialisés.
En outre, la stabilisation des dépenses annoncée par le Gouvernement ne prend pas en compte les modifications importantes apportées au périmètre des dépenses inscrites au budget de l'Etat.
Ainsi, les postes de dépenses qui risquent de connaître les progressions les plus importantes dans l'avenir sont débudgétisés et renvoyés soit à des fonds, soit au budget de la sécurité sociale. Je mentionnerai le fonds pour l'allégement des charges sociales créé pour le financement des 35 heures et le fonds pour le financement de la couverture maladie universelle.
Le financement de ces fonds se fera notamment par le transfert des droits sur les tabacs, de la TGAP initiale créée en 1999, dont l'assiette est étendue, et de la contribution sur les mutuelles et les organismes de prévoyance. L'ensemble des recettes ainsi débudgétisées devrait figurer au budget de l'Etat. Il convient d'y ajouter les prélèvements sur recettes en faveur des collectivités locales et de l'Union européenne venant en déduction des ressources brutes de l'Etat. De même, doivent être pris en compte les remboursements et dégrèvements d'impôts dont les provisions ont été surestimées. Au total, leur montant est estimé à plus de 50 milliards de francs, ce qui, ajouté au montant des dépenses du budget, donne une progression de celles-ci de plus de 3 %.
Cette modification de la structure et du périmètre du budget de l'Etat remet en cause un principe du droit budgétaire qui veut, pour qu'une affectation soit justifiée, qu'il existe un lien entre la recette et la dépense concernées. Dans le cas du transfert des droits sur les tabacs et de la TGAP, il n'existe aucun lien avec l'allégement des charges sur les bas salaires.
La stabilisation des dépenses budgétaires dissimule une progression des dépenses hors charges d'intérêt de la dette. La réduction de l'inflation et des taux d'intérêt a permis une réduction de 2,5 milliards de francs de la charge de la dette. Les dépenses hors charges d'intérêt et les prélèvements sur recettes progressent de 33 milliards de francs.
L'analyse de la composition structurelle de la dépense permet de constater qu'en 2000, de nouveau, la progression des dépenses résulte des seules dépenses de fonctionnement. Les documents budgétaires montrent que celles-ci augmentent de 17,2 milliards de francs, c'est-à-dire de 2,8 %, soit plus de trois fois la hausse des prix. Ce chiffre témoigne bien de l'absence de maîtrise des dépenses publiques par le Gouvernement.
De même que les dépenses de fonctionnement continuent de progresser, vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission, les dépenses d'investissement sont constamment réduites. Pour 2000, cette réduction est de 2 %, puisque les crédits inscrits aux titres IV et V du budget passent de 164,8 milliards à 161,5 milliards de francs. Rapportées au total des dépenses du budget, les dépenses d'investissement représentent 9,58 % en 2000, contre 9,86 % en 1999. La baisse continue !
La moitié de ces dépenses d'équipement concernent la défense nationale. Il reste donc, sur un total de dépenses de l'Etat de 1 591,2 milliards de francs, 6,1 milliards de francs pour les routes, 5 milliards de francs pour l'équipement et la construction des universités et 4,9 milliards de francs pour l'industrie. Ces chiffres sont à rapprocher des 14 milliards de francs que coûteront les retraites de la SNCF en l'an 2000.
Notons pour l'anecdote que le transfert des droits sur les alcools, opéré par le gouvernement Balladur, du budget de l'Etat au budget de la sécurité sociale avait été qualifié à l'époque par le parti communiste de « véritable trahison » qui rognait sur les acquis sociaux. Que devraient dire nos collègues appartenant à ce parti devant les transferts actuels ? Ne craignez rien, ils voteront sagement le budget !
Le projet de loi de finances est l'occasion des rendez-vous manqués.
le gouvernement Jospin commet la même erreur que le gouvernement Rocard : le refus de désendetter l'Etat alors que la bonne santé de notre économie dégage des surplus fiscaux. Avec un taux de la dette publique dépassant les 60 % du PIB, notre pays ne respecte plus les critères fixés par le traité de Maastricht.
Vous nous annoncez, monsieur le ministre, une réduction de 0,6 % point pour l'an 2000, mais, dans le même temps, M. le rapporteur général nous précise que vous solliciterez le marché pour 622 milliards de francs. L'effort de réduction de la dette est plus faible que pour 1999, alors que, pourtant, vous disposez d'excédents fiscaux plus importants et que, de plus, vous empruntez pour couvrir vos dépenses de fonctionnement.
Mais c'est dans le domaine fiscal que votre politique semble la moins novatrice.
D'année en année, notre système fiscal devient de plus en plus complexe, opaque et lourd. Il est source de délocalisation, il décourage les initiatives et pénalise le succès. Beaucoup le reconnaissent, même dans vos rangs. N'est-ce pas M. Fabius - mais demeure-t-il pour vous une référence ? - qui avertit que ce sont les impôts plus que les efforts de l'opposition qui conduiront à la défaite électorale de la gauche ?
M. Marc Massion. Qui « conduiraient » !
M. Josselin de Rohan. Jusqu'à présent, cependant, vos timides velléités de réforme ont avorté dans l'oeuf. Peut-être est-ce cette menace qui a conduit le Premier ministre à promettre des allégements pour les prochaines années. Encore ces promesses sont-elles entourées de tant de circonlocutions, de précautions, et préparées par tant de synodes, que leur réalisation paraît bien problématique !
Votre prédécesseur, avec une lucidité dont je confesse que nous avons manqué, a tenté de remettre en cause le déplafonnement de l'ISF, mais c'était attenter aux principes les plus sacrés, et cela ne se fera pas.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Un péché capital !
M. Josselin de Rohan. Le même, ainsi que M. Allègre, s'était engagé devant notre assemblée à revoir la fiscalité sur les stock-options ; le niveau des actions possédées par l'ex-dirigeant d'une grande entreprise conduit à remettre la réforme aux calendes, parce que nous avons une nouvelle politique fiscale : la politique fiscale émotionnelle.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Et ad hominem !
M. Josselin de Rohan. Entre-temps, pas moins de dix-sept taxes, selon notre collègue Jacques Oudin, ont été créées ou aménagées, entre 1997 et 1999, pour financer la sécurité sociale et la réduction du temps de travail.
Et, tenez-vous bien, entre 1981 et 1997, quatre-vingt mesures fisales ont changé six fois le régime des prélèvements sociaux appliqués à l'épargne !
Dans le domaine de la fiscalité locale, la situation devient franchement intolérable. L'Etat ne cesse de transférer de nouvelles charges. Ainsi régions et départements sont-ils sans cesse conviés à participer au financement des CTE, des universités, des livres scolaires, des routes dites nationales, des gares, de la restructuration des arsenaux, pour ne prendre que quelques exemples.
Mais on observe simultanément qu'au terme de la réforme de la taxe professionnelle, en 2003, plus de 50 % des recettes de fonctionnement des communes proviendront de l'Etat par l'intermédiaire de concours existants et de dotations compensatoires pour les allégements consentis à telle ou telle catégorie de contribuables. A quoi il faut ajouter les compensations de la réduction des droits de mutation et, demain, celles de la taxe d'habitation.
A terme, la situation des collectivités locales deviendra intenable, car leurs ressources dépendront des dotations de l'Etat calculées en fonction de ses contraintes budgétaires et dont l'indexation est, au surplus, déconnectée de la croissance. Devenues variables d'ajustement des budgets de l'Etat, elles devront accroître leur fiscalité pour continuer à financer leurs engagements. L'alourdissement des impôts locaux est chaque jour très mal ressenti par les contribuables. La territorialité de l'impôt, qui est tout de même l'un des fondements de notre droit fiscal, devient aujourd'hui un vain mot.
Il faut mettre fin à cette dérive et entreprendre une réforme de la fiscalité locale qui permette aux collectivités locales de disposer de recettes spécifiques, évolutives et importantes, faute desquelles leur autonomie est un leurre, faute desquelles la décentralisation est vidée de tout son sens.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !
M. Josselin de Rohan. Pourquoi ne pas engager une réflexion approfondie sur ce point et demander à une commission composée de représentants des régions, des conseils généraux, des maires et des deux assemblées ainsi que d'experts qualifiés d'analyser la situation de la fiscalité locale à l'aube d'un nouveau siècle et d'effectuer des propositions de mise en ordre et de réforme ?
Une chose est certaine, nous ne pouvons aborder les défis qui nous attendent au siècle prochain avec une fiscalité aussi archaïque, compliquée et impopulaire.
Grâce aux analyses très pertinentes et aux recommandations très judicieuses de la commission des finances, de son président et de son rapporteur général, que nous félicitons pour leur remarquable travail, nous savons à quels principes devrait obéir une bonne loi de finances : la baisse des prélèvements obligatoires, le meilleur contrôle de la dépense publique, la réduction du déficit budgétaire et de l'endettement.
Nous ne trouvons pas, dans le projet qui nous est présenté, une traduction suffisante de ces objectifs.
Pour cette raison, nous voterons un projet remanié et enrichi des amendements proposés par la commission des finances, mais aussi dépouillé de toutes les dispositions malencontreuses qu'il recèle. En votant le projet tel qu'il devrait être et non point tel qu'il est, nous ferons non seulement un acte de pédagogie, mais aussi un acte de foi, car il s'agira par là même d'esquisser et de poser les fondements d'une politique alternative. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. A vous en croire, monsieur le ministre, le projet de loi de finances pour 2000 serait le premier dans la voie d'une programmation pluriannuelle des finances publiques qui devrait se caractériser par une baisse des impôts, une dépense publique maîtrisée, un déficit et un taux d'endettement réduits.
Ces trois piliers constituent la clé de voûte de cette programmation et de la modernisation de la gestion publique, affirmez-vous.
Vous venez, dans votre intervention, de le confirmer en tant que ministre, désormais à part entière, de l'économie, des finances et de l'industrie. A ce propos, je me permets de vous adresser toutes mes félicitations pour cette nomination.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est trop gentil !
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est donc au ministre que je m'adresse, ministre qui, au nom du Gouvernement, souhaite des orientations budgétaires valables pour toute une période.
Pour juger d'un tel choix, voyons déjà ce qu'a donné le budget de 1999, qui préparait ces nouvelles orientations.
Vous affirmez que plus de 13 milliards de rentrées supplémentaires ont été enregistrées, avec une croissance du PIB de 2,2 % à 2,5 % et une hausse de 1 % des dépenses. Beaucoup d'observateurs estiment que ce supplément de rentrées sera plus important. Pour l'an 2000, vos prévisions ne sont-elles pas minorées ?
Ma première question sera donc simple : à combien estimeriez-vous cet excédent, puisque vous faites un choix de croissance supérieure et que vous optez pour une dépense publique de progression nulle ?
Il devrait donc dépasser 13 milliards de francs si l'on en croit votre prédécesseur qui, lors du débat budgétaire à l'Assemblée nationale, affirmait que la confiance des Français se renforçait, du consommateur au chef d'entreprise, et que la consommation alimentant la croissance était la plus forte des pays européens, provoquant les félicitations du FMI. Comme autres motifs de satisfaction, la France réaliserait la meilleure croissance pour l'an 2000 de tous les pays du G 7, y compris les USA. L'emploi salarié aurait progressé de 3 %, contre 0 % en Allemagne et 1 % en Italie.
Confirmez-vous cette vision optimiste de la situation ? Je vous pose cette question pour mieux appréhender l'utilisation qui pourrait être faite de cet excédent primaire permettant un accroissement de certaines dépenses et répondant aux besoins notamment de l'emploi et des revenus des Français les plus défavorisés.
Mon propos n'est nullement de porter critique sur la confiance que peut avoir un ministre des finances dans son projet de budget. Rassurez-vous. Je n'emprunterai pas les chemins de M. Marini,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Quelle surprise !
Mme Marie-Claude Beaudeau. ... qui vous prédisait l'an dernier tant de malheurs et qui s'est fortement trompé, avec votre contribution, chers collègues de la majorité sénatoriale.
Mme Hélène Luc. Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Vous prévoyiez avec beaucoup de certitude une croissance de l'ordre de 1,5 % à 2 % au plus.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je n'ai jamais dit cela !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Elle aura été de 2,3 % à 2,5 %.
Avec scepticisme, vous prétendiez que la hausse des prix était sous-estimée. Elle n'a été que de 1 %. Vous notiez que les recettes fiscales ne seraient pas atteintes et que de nouveaux impôts s'imposeraient. Or, les recettes ont été excédentaires.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je n'ai jamais dit cela !
Mme Marie-Claude Beaudeau. S'agissant de l'excédent primaire envisagé dans le budget pour 2000 - j'en viens à ma seconde question, qui est complémentaire de la première -, comment entendez-vous l'utiliser ? Vous avez prévu des mesures nouvelles, que je voudrais examiner.
La baisse des impôts se traduira par la suppression progressive de la part des salaires de la taxe professionnelle, la suppression de la contribution de solidarité sur l'impôt sur les sociétés, compensée par une nouvelle contribution sur les bénéfices des sociétés de plus de 5 millions de francs, donc loin d'être équivalente. La baisse n'aura que peu d'influence sur le contribuable moyen ; elle concerne surtout entreprises et sociétés.
En revanche, la baisse de TVA à 5,5 % sur les travaux d'entretien sera intéressante pour les ménages et pour l'emploi. La suppression du droit au bail entraînera une baisse de loyer pour 80 % des locataires. Il s'agit d'une mesure très positive.
La suppression de quarante-neuf petits impôts désuets compliquant la vie des citoyens et rapportant peu à l'Etat constitue plutôt une modernisation. Avec la réduction de l'imposition sur le chiffre d'affaires inférieur à 500 000 francs, cela fait plusieurs mesures apportant quelque amélioration à la vie de certains contribuables.
Nous ne négligeons pas non plus l'augmentation de certains budgets - celui de l'environnement pour 8,6 %, celui de la justice pour 4 %, celui de la culture pour 1 %, mais aussi celui de la sécurité - tout en considérant que l'augmentation de 3,3 % du budget de l'éducation nationale est loin des besoins réels. Cet ensemble de mesures entraînent une augmentation de 0,9 % du budget de l'Etat.
Nous sommes cependant bien obligés de noter que ces mesures ne tiennent nullement compte de certains appels pressants.
Des accords salariaux interviendront dans la fonction publique, à n'en pas douter, et il faudra les honorer.
Des effets budgétaires relatifs à des négociations sur la réduction du temps de travail inévitables interviendront si l'on en juge par les mouvements qui s'engagent dans la fonction publique.
Monsieur le ministre, vous avez affirmé à plusieurs reprises que le service public est au coeur de notre modèle social, qu'il nourrit la croissance, garantit l'égalité des chances et redonne espoir, mais que l'Etat est au coeur du service public, fondement de la République, enfin, que la réforme devrait être au coeur de l'Etat, avec des usagers plus exigeants, des technologies qui évoluent et des impôts qui diminuent. « Il faut donc, avez-vous dit, dépenser mieux ».
Nous ne pouvons que souscrire à cette démonstration. Mais je me méfie de l'adverbe « mieux ». La droite aussi l'emploie, en l'associant dans son rêve budgétaire à un autre adverbe : « moins ». Elle dit : « moins et mieux ».
Vous dites, monsieur le ministre, vouloir dépenser mieux. Mais en y associant « plus », je suppose !
Car, si vous voulez introduire une modernisation de l'ensemble de notre appareil d'Etat, dans l'immédiat, elle devra se traduire par des créations d'emplois, entraînant d'ailleurs à plus long terme un surcroît de recettes.
Le secteur public a besoin d'une politique de dépenses ambitieuse, productrice de croissance, répondant aux besoins de la population. Je reviendrai tout à l'heure sur cette notion de dépense publique devant être réduite, mais je voudrais sans attendre évoquer deux problèmes à ce propos.
Premièrement, le financement de l'hôpital public se révèle fort insuffisant et injuste pour les hôpitaux, dont la majoration de la dotation a été réduite à la portion congrue, amputée par ailleurs d'un versement à la CNRACL.
Nous vous demandons de revoir votre position à cet égard et de verser un complément à la CNRACL sans le faire transiter par la dotation des hôpitaux.
Deuxièmement, un examen attentif des effets de la réforme de la dotation globale de fonctionnement attribuée aux collectivités territoriales s'impose.
En 1993, prétextant de la dégradation de la situation économique, le gouvernement Balladur nous avait en effet proposé une réforme de la dotation globale de fonctionnement dont la caractéristique essentielle avait été de limiter la progression réelle de cette importante dotation budgétaire.
La dotation a connu ensuite une progression pour le moins erratique, tandis que la mise en oeuvre du pacte de stabilité a conduit à gager une plus forte progression de cette dotation sur la réduction des autres, singulièrement sur celle de la dotation de compensation de la taxe professionnelle.
La mise en oeuvre du pacte de croissance et de solidarité, malgré les correctifs qu'elle a apportés à la situation antérieure et les mesures qui l'ont accompagnée - je pense à la majoration de la dotation d'aménagement et des dotations de solidarité - ne peuvent cependant nous faire oublier l'essentiel : la nécessité d'une nouvelle réforme de la dotation globale de fonctionenment, plus respectueuse du rôle des collectivités locales dans la vie économique et sociale du pays et non simple variable d'ajustement de la situation des comptes publics. De nombreuses collectivités locales éprouvent encore bien des difficultés pour boucler leur budget. C'est le cas de la plus grande ville de mon département, Argenteuil, qui est d'ailleurs la plus grande ville d'Ile-de-France.
La meilleure preuve ne nous en est-elle pas fournie cette année, où la relance de la croissance se traduit, du fait de l'économie générale de la dotation, par une régularisation négative sur les dotations précédemment votées, que les mesures adoptées par l'Assemblée nationale n'ont fait que corriger ?
Permettez-moi de revenir sur ma deuxième question.
Comment envisagez-vous d'utiliser l'excédent budgétaire puisque le chiffrage des mesures nouvelles que vous proposez est très loin d'atteindre les recettes fiscales supplémentaires prévisibles.
Nous attendons votre réponse, car une alternative, et une seule, se présente : ou bien cet excédent participera encore à la réduction des déficits, ou bien le budget prendra en compte un apport, réel et efficace, pour réduire les inégalités, le chômage et favoriser la consommation.
A ce propos, je tiens à vous dire, monsieur le ministre, que, si nous ne sommes pas des partisans d'un déficit galopant et s'enflant, nous ne souhaitons pas non plus voir brandir celui-ci comme un étendard symbolisant une austérité renforcée, payée par la dépense sociale. Le premier élément de l'alternative est l'application directe du pacte de stabilité monétaire européen. Le surplus de recettes devrait être affecté en grande partie à la réduction des déficits, et c'est ce que vous proposez. Mais le mouvement est pervers. En effet, pour endiguer l'effet boule de neige de la dette, on en fait naître une autre, engendrant des restrictions d'activités et de la dépense publique sociale. N'est-ce pas tout le sens des injonctions du président de la Banque centrale européenne, qui s'oppose à tout débat remettant en cause le freinage ou le blocage des dépenses publiques à destination des hommes, que ce soit en matière de formation, d'éducation, d'insertion dans l'emploi, d'aides sociales, de santé ou de logement ?
Confirmez-vous que vous envisagiez de diminuer le déficit en utilisant les recettes fiscales supplémentaires dans le supplément de recettes en 2000 ?
Dans la nouvelle répartition que vous envisagez disparaît l'augmentation des dépenses publiques, devenue nulle, pour ne plus laisser place qu'à une baisse modeste des impôts et à une diminution beaucoup plus importante des déficits.
Nous aimerions nous tromper, monsieur le ministre.
Pour notre part, nous pensons que l'efficacité des dépenses publiques passe par une programmation hardie d'objectifs d'emplois, de promotion et d'insertion. La programmation de leur freinage entraînera, au contraire, la stagnation ou la récession.
Ainsi, la deuxième branche de l'alternative, que nous faisons nôtre, se fonde sur une politique de dépense publique productive de croissance et d'emplois, répondant aux besoins de la population.
Cette politique passe par un engagement des entreprises et non par une diminution de la part des contributions sociales qui leur incombent.
Les aides au patronat atteignent le niveau record de 170 milliards de francs, auxquels il faudra ajouter 110 milliards de francs accordés aux entreprises pour alléger le coût des 35 heures, ce qui représente 12 000 francs par an et par salarié.
La bourse, les stock-options et les profits des entreprises n'ont jamais été aussi florissants. Jamais les plus riches n'ont été si riches.
Le CAC 40 a dépassé les 5 000 points.
Les plus-values des stock-options attribuées au plus haut encadrement des plus grandes sociétés françaises, soit 28 000 personnes, atteignent 45,4 milliards de francs. Les bénéfices des plus grands groupes français ont progressé de façon exceptionnelle : ainsi, ceux de Renault ont augmenté de 63 %, ceux de la BNP de 23 % et ceux de Saint-Gobain de 20 %.
Les bénéfices des trente premières entreprises françaises ont augmenté en moyenne de 30 % et, parmi elles, le secteur bancaire a enregistré 74 milliards de francs de profits en 1998.
Une partie de ces profits doit revenir à la nation et faire l'objet de taxations nouvelles et d'intégration dans un calcul de l'impôt mettant à égalité de prélèvements salaires et profits et permettant aux plus démunis d'accéder à une meilleure répartition des richesses.
Nous déposerons des amendements à ce sujet.
Je ne ferai qu'une seule remarque, mais elle est de taille : si l'on considère le montant des dividendes distribués par les entreprises privées pour l'année 1997, on note qu'il se révèle supérieur en valeur absolue à celui de la masse salariale. Le profit se révèle supérieur aux salaires ! Il peut donc absorber cotisations sociales et augmentations des salaires, rendant possible augmentation du pouvoir d'achat et consommation.
Partant de ces analyses, des propositions nouvelles peuvent être formulées.
Nous proposons de mieux définir un dispositif démocratique et rigoureux de prévention des licenciements, licenciements dont la plupart demeurent fondés sur la seule recherche du profit.
Nous suggérons également une revalorisation des minima sociaux pour faire reculer pauvreté et exclusion et pour permettre une meilleur réinsertion.
Or, l'INSEE vient de le noter, la population défavorisée a tendance à augmenter et ses ressources à diminuer, sans beaucoup d'espoir de réinsertion ; 10 % de la population semble condamnée à stagner dans une quasi-misère. Un certain nombre de salariés payés à un SMIC insuffisant basculent dans cette pauvreté. Un clivage inquiétant apparaît. Dans ces conditions, la prime de départ de 300 millions de francs en stock-options attribuée à M. Jaffré est une réalité scandaleuse comparée à la pauvreté croissante.
Le budget de la France doit tout faire pour réduire cet écart de plus en plus humiliant pour notre société.
Nous pensons également que, malgré l'augmentation des crédits du budget de l'éducation nationale, un nouvel effort serait bien nécessaire pour contribuer au rattrapage des retards persistants et à l'institution de formes nouvelles d'aides, là où ces retards se confirment.
Tout d'abord, la réforme tant attendue de l'impôt sur le revenu doit s'engager. La réduction trop importante du nombre des tranches pénalise les bas revenus tout en ne frappant pas suffisamment les plus hauts revenus.
Le Gouvernement a encore repoussé la révision de la taxe d'habitation, pourtant devenue nécessaire pour en assurer la modernisation et la rendre plus juste. Un nouvel impôt émerge : la contribution sociale généralisée. La fixation d'un seuil n'est-elle pas devenue nécessaire pour les petits revenus : salaires et retraites ?
M. le Premier ministre vient d'annoncer la réforme de l'impôt sur le revenu et de la taxe d'habitation pour 2001 en des termes que nous ne pouvons qu'approuver. Nous regrettons que ce ne soit pas pour 2000 que le Gouvernement l'ait décidée.
De même, des dispositifs antispéculatifs ne s'imposent-ils pas pour que les revenus du capital soient taxés au même titre que ceux du travail ?
L'avoir fiscal été réduit de 45 % à 40 %. Nous vous proposons de le réduire plus fortement, ce qui pourrait entraîner un gain de plusieurs milliards de francs.
L'impôt de solidarité sur la fortune ne rapportera cette année que 13 milliards de francs. Il ne prend toujours pas en compte les richesses réelles. Cet impôt devrait inclure les biens professionnels. Le rendement pourrait en être doublé et atteindre les 28 milliards nécessaires au paiement du revenu minimum d'insertion, aboutissant à un équilibre de sagesse et de justice. Revenu minimum d'insertion égale impôt de solidarité sur la fortune : quelle belle formule de solidarité ! Je vous propose, mes chers collègues, de l'adopter.
Les impôts indirects conservent toujours un poids élevé. Ils alimentent l'injustice fiscale. Dans l'attente d'une baisse généralisée, ne faudrait-il pas, je vous le redemande avec insistance, monsieur le ministre, ramener à 5,5 % la TVA applicable à certains produits et activités sensibles ? Je pense, en particulier, aux produits alimentaires de consommation courante, à la restauration, aux activités de main-d'oeuvre, ainsi qu'aux réseaux de chaleur, dont les 39 sites de géothermie restant en fonctions, de façon à préserver l'expérimentation de la seule énergie propre, énergie dont nous aurons bien besoin, demain, pour lutter contre l'effet de serre.
Le principe du prélèvement sur le mouvement des capitaux semble acquis par la majorité plurielle. Pourquoi, dès lors, refusez-vous de débattre de la loi Tobin ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Quelle loi ? Une loi du Congrès américain ?
M. Alain Lambert, président de la commission de finances. Ne prenez pas vos exemples aux Etats-Unis !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je sais où cela vous fait mal, messieurs !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Pourquoi allez-vous chercher des professeurs américains ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Pourquoi, monsieur le ministre, refusez-vous de débattre de la taxe Tobin et, dans les instances internationales dont nous sommes membres, d'en demander l'application au monde entier pour l'an 2000 ?
Cette taxe, imaginée en 1972 par James Tobin, consiste à taxer de 0,1 % à 0,5 % les transactions de change entre les monnaies pour décourager la circulation financière purement spéculative. Moralement juste, elle peut se révéler efficace dans l'action de résistance au processus fondamental d'appropriation de la plus-value, c'est-à-dire des richesses réelles destinées au capital. Elle pourrait constituer une barrière efficace pour empêcher des sommes gigantesques de circuler et de constituer une véritable dictature des marchés financiers.
Pourriez-vous me dire, monsieur le ministre, si vous prévoyez de la soumettre au Parlement pour une mise en oeuvre réelle, et, si oui, dans quel délai ?
Enfin, notre groupe déposera des amendements ayant pour objectif d'aider l'investissement favorable à l'emploi en freinant la spéculation, de rendre possible plus de justice fiscale et de réduire les inégalités, enfin, de donner des moyens supplémentaires aux collectivités territoriales.
Nous attendrons la fin du débat pour nous déterminer, car je sais, monsieur le rapporteur général, que vous envisagez de troubler le jeu...
MM. Alain Lambert, président de la commission de finances et Philippe Marini, rapporteur général. Oh ! (Sourires.)
Mme Marie-Claude Beaudeau. ... en affirmant une position différente, même si c'est de façon moins brutale que l'an passé.
Amputer les budgets, même ceux que vous trouviez insuffisants, n'était ni logique ni rentable ; je qualifierais même cette démarche de « politique de gribouille ».
Cette année, vous voulez compléter la notion de réduction par celle de qualité : faire un meilleur budget avec moins de dépenses.
La démonstration, je vous le dis, sera délicate !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est le rôle de l'opposition de s'opposer !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Quant à nous, nos propositions viseront à faire mieux en qualité, mais aussi en engagement de crédits. La dépense est noble, efficace, productrice de richesses si elle est utilisée pour l'emploi, l'investissement, le pouvoir d'achat du plus grand nombre. C'est ce que nous nous efforcerons de démontrer tout au long de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons le débat budgétaire avec retard. Ce retard est peut-être justifié, mais les raisons qui ont été avancées à cet égard ne m'ont pas totalement convaincu. Quoi qu'il en soit, cette situation nous enferme dans des contraintes de calendrier qui ne peuvent que déboucher sur des difficultés quant à l'examen d'un certain nombre de textes, et je voudrais qu'il soit bien clair que le Gouvernement en portera seul la responsabilité.
Une autre anomalie de cette discussion tient au fait que, à l'intérieur même du temps qui lui est consacré, nous allons devoir procéder à la deuxième lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale et à l'examen du texte sur l'incorporation du résultat du recensement pour la répartition des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales.
Que signifie, monsieur le ministre, la conjonction de ce retard et de cette « thrombose » de textes, à la lumière d'une lecture attentive des articles 45 et 47 de la Constitution ? Avez-vous vraiment la volonté - je veux le croire ! - de laisser le Sénat débattre de ce budget en toute sérénité et de manière approfondie afin qu'il puisse jouer son rôle dans notre démocratie ? C'est une question que l'on peut se poser face à un certain nombre de contraintes calendaires.
Cette désagréable sensation, au moment d'aborder cette décision qui est la plus importante de l'année, est renforcée par la consistance même des documents qui vont nous occuper vingt jours durant.
Avant d'en venir au sort réservé aux collectivités locales et à l'aménagement du territoire, permettez-moi quelques remarques liminaires et une réflexion sur ce qui s'avère être une exception française, chaque jour plus importante, exception aussi réelle et sérieuse que celle que nous revendiquons - et très bientôt, de nouveau, à Seattle - cette exception culturelle à laquelle nous sommes fortement attachés.
Cette autre exception française, vis-à-vis de l'Europe comme du monde entier, c'est le niveau de nos prélèvements obligatoires en général et le poids excessif de notre fiscalité en particulier, un poids que, quoi que vous en disiez, monsieur le ministre, ce budget va encore aggraver.
Mes remarques liminaires porteront sur le malaise que l'on peut ressentir à l'observation globale de votre projet. Très honnêtement, j'en retire pour ma part le sentiment d'entrer avec lui dans un univers artificiel aux décors riches de trompe-l'oeil. Je me permettrai de vous en donner quelques exemples, qui me paraissent révélateurs d'un certain désordre, au moins intellectuel.
Le déficit annoncé, de 215,4 milliards de francs, est à rapprocher de la réalité financière de l'instant que nous vivons. On pourrait espérer infiniment mieux. Dès lors, il y a deux solutions : ou bien vous pensez que la croissance va marquer le pas ou bien, puisque l'on pourrait pratiquement déjà clore l'année 1999 avec ce chiffre, vous peignez en noir ce que vous concevez en rose. (Sourires.)
On se demande pourquoi, surtout si l'on rapproche ce trompe-l'oeil d'un autre trompe-l'oeil, qui opère, lui, en sens inverse - Le Point vient fort opportunément de le dénoncer cette semaine - et qui consiste à peindre en rose ce qui est en réalité noir, c'est-à-dire l'évolution du chômage, dont le taux est astucieusement manipulé par les transferts de catégories et les radiations à tout va !
Trompe-l'oeil aussi, cette affirmation d'une baisse de la fiscalité dont, si je sais lire, une part importante vient de l'arrivée à terme de la surtaxe d'impôt sur les sociétés.
Cela me fait penser, monsieur le ministre, à cette pratique, fort justement dénoncée par le code de commerce, qui consiste, pour un commerçant, à augmenter ses prix pour pouvoir solder après.
Si vraiment vous considérez comme un allégement fiscal la venue à terme d'une surtaxe temporaire, on peut tout de même se dire qu'il y a quelque part quelque chose qui ne marche pas très bien !
Trompe-l'oeil encore, cette réforme des 35 heures, considérée comme essentielle - elle est, paraît-il, la cause du retard du débat budgétaire - qui est d'ailleurs en train de faire exploser le secteur parapublic : La Poste, la SNCF, tout le monde est en grève parce que le passage aux 35 heures n'est pas vraiment prévu, pas très bien intégré, parce que chacun pense qu'on travaillera 31 heures quand on travaillait auparavant 35 heures. Bref, tout cela semble s'engager dans un certain désordre.
En tout cas, on cherche en vain le financement de ce que sera l'incidence des 35 heures sur le budget de l'Etat.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Bonne question !
M. Paul Girod. A moins qu'il ne faille le trouver dans un nouveau trompe-l'oeil, celui que M. le rapporteur général appelle avec bonheur le « jeu de bonneteau fiscal » : il s'agit de promener ce financement, pour le privé - pas pour le public, je le reconnais - du côté de la sécurité sociale, en faisant apparaître toute une série de nouvelles taxes qui, par leur émergence même, réduisent à néant ce qui reste de la modération fiscale annoncée dans le budget stricto sensu.
Trompe-l'oeil toujours que l'évolution de notre endettement, qui ne cesse de progresser à partir de déficits publics qui demeurent les plus élevés de l'Union européenne. De par leur structure, ils sont de 0,8 point de PIB supérieurs à la moyenne de la zone euro. C'est ainsi que le coût de la dette devient supérieur au rendement des actifs financiers de l'Etat. Cela devrait logiquement amener le Gouvernement à alléger le poids du secteur public. Malheureusement, il n'en est rien ! Certains budgets - enseignement supérieur, enseignement scolaire, fonction publique, pour ne citer que les principaux - malgré les imprévoyances concernant les 35 heures, voient leurs dépenses de fonctionnement atteindre des sommets.
De plus, une éventuelle intégration des emplois-jeunes au sein de la fonction publique augmentera aussi - et cela non plus n'est toujours pas prévu - le poids du fonctionnariat français.
Bref, la France prélève toujours plus, pour toujours plus de dépenses courantes : 50 milliards de francs d'endettement supplémentaire, si j'ai bien lu, vont alimenter des dépenses courantes. Quel gestionnaire sérieux peut justifier cela au moment précis où le « retour à bonne fortune », expression bien connue en matière commerciale ou industrielle, que constitue la croissance prescrirait de faire l'inverse ?
Monsieur le ministre, de quelles imprécations ne couvre-t-on pas les chefs d'entreprise qui, pour employer exactement la même technique, conduisent leur établissement à la faillite et leur personnel au chômage !
Compte tenu des défis qui nous attendent, qui ont été longuement décrits, mais auxquels votre projet de budget ne prépare pas, craignez de voir vos propres amis joindre leurs voix déçues aux nôtres, le moment venu. Vous voulez nous considérer comme de perpétuelles Cassandre. Or, nous ne faisons que décrire la réalité.
J'ai d'ailleurs vaguement le sentiment que M. Fabius commence déjà à le comprendre et se prépare à s'exprimer en ce sens.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il est plus sévère que nous !
M. Paul Girod. A l'heure où la concurrence est mondiale et s'exacerbe, où elle s'étend au domaine fiscal, la situation de notre pays dans ce domaine reste critique : alors que les prélèvements obligatoires, au sein de l'Union européenne, représentent en moyenne 42,4 % du PIB, nous en sommes, en France, à 45,7 %, probablement plus, en tout cas largement au-dessus du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de l'Italie - c'est-à-dire nos principaux concurrents - du Portugal ou de la Grèce.
Tout le monde le sait, nos concitoyens attendent une baisse significative du total des prélèvements fiscaux. Puisque la conjoncture économique est favorable, ils n'accepteront pas très longtemps d'être surtaxés, car épargnants et entrepreneurs ne doivent pas faire les frais - et je m'adresse ici à certains de nos collègues - d'une conception trop égalitariste de la justice sociale.
A cause du poids excessif de notre fiscalité, à quoi assistons-nous ? A la fuite des hommes et à celle des capitaux. Les charges sociales et la fiscalité sont confiscatoires, les administrations sont omnipotentes et tentaculaires, les procédures sont trop complexes : autant d'obstacles à la consommation, à l'investissement et à l'emploi.
La croissance doit impérativement s'accompagner d'un formidable mouvement d'allégement de la fiscalité, en même temps que du redressement de la balance financière de l'Etat. Ne nous y trompons pas, cet allégement est la seule méthode qui soit à même de redynamiser et d'encourager ceux qui, par leurs compétences et leur motivation, sont susceptibles de résorber le chômage, en particulier celui des jeunes, ou d'éviter le départ de ces derniers.
Gardons toujours présent à l'esprit que nous avons perdu près de 60 000 informaticiens, partis vers des pays que l'on décrit comme socialement terrifiants : les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, où ils ont préféré s'installer plutôt que de travailler chez nous.
Si nous ne changeons pas de mentalité sur la manière dont nous encadrons nos entreprises et les créateurs d'initiative, nous continuerons à subir cet exode des cerveaux.
Monsieur le ministre, faute de changer notre conception même de la notion de dépenses publiques, de leur affectation comme de leur alimentation, nous allons vers des lendemains qui « déchantent ».
La seconde partie de mon propos portera sur le sort qui est réservé à l'aménagement du territoire et aux collectivités locales.
Tout d'abord, je souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur la manière dont il appréhende les zonages qui ont été institués par la loi dite « loi Pasqua » de 1995 et par le pacte de relance pour la ville de 1996. A ce jour, l'un des principaux problèmes tient à l'absence de chiffrage de leur coût budgétaire.
En outre, le projet de loi de finances pour 2000 prévoit une prorogation des exonérations de charges fiscales et sociales dans les zones de revitalisation rurale. On peut certes s'en réjouir. Mais je trouve regrettable, monsieur le ministre, que cette prorogation soit limitée aux quatre prochaines années. Il est évident que la remise d'un rapport, dans les prochains mois, sur l'évaluation de ces exonérations serait particulièrement bienvenue. On ne peut pas faire l'économie d'un rapport d'étape sur l'efficacité d'une mesure qu'on prolonge un peu à l'aveugle, en la limitant, non moins à l'aveugle, dans le temps.
Enfin, dès l'an prochain, le Sénat sera très attentif aux conséquences des résultats du recensement de 1999 sur le périmètre des zones de revitalisation rurale qui est défini en fonction de critères de population. Pour les territoires qui vont perdre leur éligibilité à ce statut, il faudra veiller à ce que des mesures de substitution soient prises en leur faveur.
L'aménagement du territoire nécessite, nous le savons tous, une participation active des entreprises. C'est d'ailleurs ce qui justifie la réglementation différentielle appliquée en matière d'aide à ces dernières, différentielle puisqu'elle varie d'une zone à l'autre, d'une collectivité à l'autre. Cette technique vise à faire en sorte que, en cas de délocalisation, les entreprises se dirigent vers les zones les plus fragiles.
A cet égard, il est un peu paradoxal qu'une des zones qui va être ainsi considérée comme fragile se trouve située en plein coeur de la région parisienne, tandis que d'autres régions en pleine désertification, de par leur éloigement ou de par leur manque de voies de communication, ne sont pas suffisamment retenues à ce titre.
Le soutien à l'activité en zone rurale demeure plus que jamais nécessaire. Le Gouvernement, associé au Parlement, doit encourager la réalisation d'infrastructures et la mise en place de mécanismes financiers et fiscaux permettant de réduire ces inégalités et les écarts de richesse entre les différentes parties du territoire national.
Nous venons d'assister à un extraordinaire numéro à propos des dotations complémentaires dans les contrats de plan. Ce sont des chèques tirés sur l'avenir. On nous promet qu'ils seront honorés. Je veux bien le croire !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il est vrai que, par le passé...
M. Paul Girod. Mais, à voir ce qui s'est passé depuis deux ans, je ne saurais avoir des certitudes à cet égard.
Cela dit, monsieur le ministre, ce que je constate, c'est que la part d'investissement dans le budget de l'Etat baisse tous les ans et que ce n'est pas du meilleur augure pour le respect des engagements que l'on prend en ce moment, à travers les contrats de plan, à grands effets d'annonce.
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. Paul Girod. Cela peut faire partie aussi des motifs de désillusion à venir, provoquant l'émergence de voix qui ne manqueront pas de vous rappeler ce que vous avez dit.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Encore du trompe-l'oeil !
M. Paul Girod. Si nous n'avons pas les moyens de recréer de la vie dans les zones qui sont actuellement en difficulté, nous n'arriverons à rien. Encore une fois, au-delà des annonces, il faudra observer les réalités.
Mon intervention serait incomplète si je laissais de côté les dispositions du projet de budget relatives aux collectivités locales et à la décentralisation.
Pour 2000, l'imputation budgétaire en faveur des collectivités locales devrait s'établir à 291 milliards de francs. Les comparaisons ne sont pas commodes, ne serait-ce qu'en raison des 4 milliards de francs de DGD qui vont disparaître du fait de l'application de la loi sur la couverture maladie universelle. Non seulement cela trouble les calculs, mais, de surcroît, monsieur le ministre, je vous le signale au passage, cela met un certain nombre de départements et leurs communes devant des difficultés inextricables dans la mesure où ils avaient, pour des raisons évidentes - y compris pour des raisons d'application stricte des règles budgétaires - l'habitude d'appeler les contingents avec un an de décalage.
Force est de constater que, en matière de finances locales, il n'y a pas de grande mesure phare, en dehors de la contrepartie financière du projet de loi relatif à la prise en compte des résultats du recensement général de 1999 pour la répartition des dotations de l'Etat aux collectivités.
Les résultats du recensement mettent en évidence toute une série de choses - nous en reparlerons lorsque nous examinerons le projet de loi en question - en particulier les limites de la conception actuelle de la dotation globale de fonctionnement, qui n'est pas du tout la conception de départ et encore moins celle que les élus locaux espèrent légitimement voir mise en oeuvre.
La répartition se fait à partir d'un certain nombre de critères contraignants. Surtout, elle ne prend pas en compte la réalité de ce qu'est le service de proximité aux habitants, dont le nombre augmente globalement, et qui est assuré par les collectivités territoriales. En effet, la DGF dans son ensemble a été enfermée dans une enveloppe normée qui ne tient pas compte de l'évolution réelle des charges des collectivités territoriales, surtout quand l'Etat leur transfère de nouvelles charges.
Monsieur le ministre, la stratégie du Gouvernement ne peut pas consister à renforcer le contrôle sur les collectivités territoriales. Sous prétexte d'atténuer les effets négatifs, sur telle ou telle catégorie de nos concitoyens, de certaines caractéristiques propres aux impôts locaux, l'Etat se transforme de plus en plus en contribuable local majeur. Le fait qu'il se substitue à la libre administration des collectivités locales, à travers une liberté fiscale que la Constitution leur reconnaît, conduit l'Etat à leur reprocher en permanence l'évolution de ce qu'il appelle son effort - qui est en réalité la conséquence de ses propres choix - et à en profiter pour ensuite « gauchir » - pas de chance, le mot vous va trop bien ! - la répartition des sommes concernées afin que lesdites collectivités soient contraintes d'obéir à sa politique et à ses choix généraux.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Les pauvres !
M. Paul Girod. Les changements politiques, les foucades et les décharges de l'Etat en matière financière sur les collectivités territoriales, assortis de cette substitution de l'Etat au contribuable local et à la liberté fiscale des collectivités, aboutissent à une situation qui, comme l'insécurité judiciaire des maires, a été fortement exposée avant-hier, hier et même sans doute aujourd'hui lors du congrès de l'Association des maires de France.
Toutes ces caractéristiques donnent à votre projet de budget, monsieur le ministre, un certain nombre de contours incertains que j'ai du mal à cerner.
Parmi les membres du groupe du Rassemblement démocratique social et européen, certains, pour des raisons tenant à leur engagement personnel, voteront ce texte. Mais la plupart d'entre nous observerons l'évolution législative avec prudence. Ils se rallieront sans doute aux avertissements que vous dispensent en permanence M. le rapporteur général et M. le président de la commission des finances. Le moment venu, c'est-à-dire dans quelque vingt jours, ils verront quel sort ils feront au texte. Je ne suis pas certain qu'ils n'auront pas essayé, au passage, de dissiper les zones d'ombre, de dénoncer les trompe-l'oeil, afin que leur vote soit fondé sur l'honnêteté intellectuelle. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)

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