Séance du 16 décembre 1999






DISPOSITIF PÉNAL
À L'ENCONTRE DES SECTES

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 131, 1999-2000) de M. Nicolas About, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur sa proposition de loi (n° 79, 1998-1999) tendant à renforcer le dispositif pénal à l'encontre des associations ou groupements à caractère sectaire qui constituent, par leurs agissements délictueux, un trouble à l'ordre public ou un péril majeur pour la personne humaine ou la sûreté de l'Etat.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en voulant défendre la liberté, on risque, finalement, d'y porter atteinte. La lutte contre les sectes est donc un sujet bien difficile.
La République française respecte de manière absolue deux principes fondamentaux.
Le premier est la liberté de croyance, qui est affirmée par la Déclaration des droits de l'homme, la Constitution de 1958 et la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l'Etat, mais aussi par des engagements internationaux, tels que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Le second principe est la liberté d'association, qui est reconnue de manière très large dans la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association.
Le problème, c'est que des groupements très dangereux s'appuient sur ces libertés fondamentales pour prospérer en toute quiétude. Ces groupements sont communément qualifiés de sectes, sans qu'on parvienne de manière claire à définir ce qu'est une secte. Etymologiquement, ce mot peut être rattaché à deux racines latines, les verbes « suivre » et « couper ».
En 1995, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale a tenté d'utiliser un faisceau d'indices permettant de qualifier un groupement de secte. Parmi ces indices, elle a retenu la déstabilisation mentale, les exigences financières exorbitantes, les atteintes à l'intégrité physique, les troubles à l'ordre public, l'embrigadement des enfants... En fait la plupart de ces indices constituent tout simplement des infractions pénales. Sur la base de ces critères, cette commission d'enquête a recensé, dans une liste hétérogène, près de 200 mouvements qu'elle a qualifiés de sectes.
Depuis quelques années, la lutte contre les sectes s'organise un peu mieux dans notre pays.
D'abord, l'arsenal pénal est important. De nombreuses infractions permettent de poursuivre les sectes, ou plutôt leurs dirigeants. On peut penser aux violences, aux infractions sexuelles, à l'escroquerie, à l'exercice illégal de la médecine et de la pharmacie. On peut surtout penser à l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse.
Voilà un an, sur mon initiative, le Parlement a adopté une loi tendant à renforcer le contrôle de l'obligation scolaire, qui doit nous permettre de mieux lutter contre les mouvements qui écartent les enfants de la société.
Le nombre de procédures judiciaires contre des dirigeants de sectes tend à augmenter. Ainsi 250 procédures judiciaires impliquant des mouvements sectaires ont été dénombrées au 31 juillet 1999 : 134 enquêtes préliminaires et 116 informations judiciaires. Une quarantaine de condamnations ont été prononcées.
Les gouvernements successifs ont commencé à prendre la mesure du problème. Ainsi, une circulaire du 29 février 1996 invite les magistrats du parquet à une grande vigilance à l'égard des sectes et rappelle les dispositions de droit pénal existantes. Elle insiste sur la nécessité de développer la coordination entre tous les services de l'Etat appelés à connaître la question des sectes.
Une autre circulaire a été adressée par l'actuel garde des sceaux aux procureurs, le 1er décembre 1998, elle insiste sur la nécessité d'associer étroitement les associations de lutte contre les sectes aux actions engagées et prévoit la nomination, dans chaque parquet général, d'un magistrat faisant office de « correspondant-sectes », de manière à assurer la coordination des procédures au niveau régional.
Mais ne nous leurons pas : les difficultés sont encore considérables. D'abord, beaucoup de victimes ne portent pas plainte et le parquet n'a pas toujours des éléments suffisants pour mettre en mouvement l'action publique. Les dénonciations ou les plaintes sont souvent déposées tardivement en raison de l'emprise des sectes sur les anciens adeptes. Ensuite, au cours des procédures, on assiste souvent à des désistements qui s'expliquent soit par des indemnisations proposées par la secte, soit par des pressions de la part de la secte, soit par la combinaison de ces deux éléments.
Par conséquent, on prend conscience du phénomène à tous les niveaux, c'est vrai, mais les sectes continuent à prospérer.
J'en viens maintenant à la question de la dissolution des sectes. En fait, cette dissolution est déjà possible aujourd'hui dans certains cas. La loi sur les associations prévoit que les associations ayant un objet illicite doivent être dissoutes. En outre, le code pénal prévoit, depuis 1994, la responsabilité des personnes morales pour de nombreuses infractions et, parmi les peines encourues, figure la dissolution.
En pratique, on n'a jamais dissous une secte sur le fondement de ces dispositions. En général, les plaintes concernent les dirigeants de sectes et non les sectes elles-mêmes de sorte que les juges ne peuvent pas condamner la personne morale. En plus, dans de nombreux cas, les sectes n'ont pas un statut leur donnant la personnalité morale de sorte qu'on ne peut les atteindre. Enfin, la responsabilité des personnes morales n'existe pas pour toutes les infractions pénales, loin s'en faut.
La responsabilité pénale des personnes morales existe depuis 1994 et, à ce jour, en pratique, les tribunaux n'ont prononcé que des peines d'amende. On peut espérer qu'une montée en puissance de la mise en cause des personnes morales se produira au cours des années à venir, mais, pour l'instant, les sectes ne sont pas mises en cause en tant que telles.
Il n'existe actuellement qu'une seule procédure contre une secte, prise en sa qualité de personne morale.
Or je crois que, dans certains cas d'urgence, la dissolution de groupements dangereux est non seulement souhaitable, mais également nécessaire. C'est pourquoi j'ai déposé une proposition de loi afin d'utiliser la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées pour dissoudre les groupements les plus dangereux.
Cette loi de 1936 est bien connue. Elle fait parfois peur, parce qu'elle a été créée dans un contexte particulier, celui des ligues des années trente qui espéraient renverser la République. Mais il ne faut pas oublier qu'elle a été complétée à de nombreuses reprises pour permettre de dissoudre, par exemple, les mouvements qui incitent à la haine raciale ou les mouvements terroristes.
Comment cette loi fonctionne-t-elle ? Le Président de la République peut dissoudre certaines catégories de mouvements par décret en conseil des ministres. Cela signifie qu'il faut à la fois l'accord du Président et du Gouvernement. De plus, le décret de dissolution peut faire l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat.
Sur la base de cette loi, des mouvements très divers ont été dissous. On peut citer les Croix-de-Feu, mais aussi le service d'action civique, le SAC, le comité du Kurdistan, l'association Ordre nouveau...
La proposition de loi que vous soumet la commission des lois tend à compléter cette loi de 1936 pour permettre la dissolution de groupements condamnés à plusieurs reprises pour certaines infractions ou dont les dirigeants ont été condamnés à plusieurs reprises et qui portent atteinte à l'ordre public ou constituent un péril majeur pour la personne humaine.
Parmi les infractions qui pourraient justifier la dissolution d'un groupement figurent naturellement les atteintes à la personne, en particulier les violences, les atteintes sexuelles, mais aussi certaines atteintes aux biens, qui donnent lieu à de nombreuses procédures contre des mouvements sectaires, en particulier l'escroquerie, l'abus de faiblesse, l'exercice illégal de la médecine et de la pharmacie.
Vous remarquerez que la commission des lois n'a employé le terme secte à aucun moment et qu'elle ne tente en aucun cas de définir la secte. Toute tentative de définition nous conduirait à des injustices, à mettre en cause des minorités religieuses. Or, cette proposition de loi se veut respectueuse de la liberté de croyance et de la liberté d'association.
On reconnaît l'arbre à ses fruits ! C'est pourquoi l'un des deux critères que nous retenons pour permettre la dissolution des sectes est celui des condamnations pénales déjà subies. Toutes les croyances sont respectables, mais à condition qu'elles s'exercent dans le respect de la loi.
Pour moi, le mouvement sectaire coupe l'individu de lui-même, de son libre arbitre, de ses biens, de sa famille qui, après tout, constitue sa protection naturelle. Il coupe l'individu de la société qui a pour mission de lui assurer le respect de sa sécurité et de sa liberté. Cela n'a donc rien à voir avec les convictions religieuses.
Respectueux des libertés, ce texte ne comporte aucun risque pour la liberté religieuse puisque seuls pourront être dissous des mouvements déjà condamnés pénalement que la condamnation ait concerné la personne morale ou un, voire plusieurs de leurs dirigeants.
Je crois profondément que ce texte constituera une incitation à mettre davantage en cause les mouvements sectaires eux-mêmes plutôt que leurs dirigeants comme c'est le cas actuellement.
Le texte proposé par la commission des lois est complété par deux autres articles. L'article 3 tend à aggraver les peines encourues en cas de reconstitution d'une association dissoute. Nous avons en effet constaté que les peines étaient plus lourdes en cas de reconstitution d'un groupement dissous en application de la loi de 1936 qu'en cas de reconstitution d'une association dissoute en application de la loi de 1901. Nous proposons donc d'harmoniser les peines.
L'article 2 tend, quant à lui, à prévoir la responsabilité des personnes morales en matière d'exercice illégal de la médecine et de la pharmacie. Nous avons constaté que, pour de nombreuses infractions, il n'était pas possible de mettre en jeu la responsabilité des personnes morales. Or, encore une fois, il me semble important de pouvoir attaquer les sectes elles-mêmes et pas seulement leurs dirigeants. Dans le cadre limité de cette proposition de loi, nous avons souhaité qu'on puisse mettre en cause la responsabilité d'une personne morale pour une infraction très souvent commise par les sectes : l'exercice illégal de la médecine.
Telles sont, mes chers collègues, les propositions formulées par la commission des lois. Ce texte doit nous permettre de faire face à des situations d'urgence et de disposer d'un instrument puissant de dissuasion à l'égard de groupes dangereux. Le mérite de cet instrument, c'est qu'il ne pénalise aucune croyance, aucune idéologie, aucune foi. Il ne pénalise que la violation des lois de la République. Pour cette raison, il me semble qu'il devrait pouvoir faire l'objet d'un consensus au sein de la représentation nationale. (Applaudissements.)
M. le président. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de la qualité de ce rapport.
M. Nicolas About, rapporteur. Je suis heureux, monsieur le président, d'avoir votre soutien.
M. le président. Il vous était acquis dès le départ, monsieur le rapporteur.
M. Nicolas About, rapporteur. C'est une preuve de confiance réciproque.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la France, pays des droits de l'homme, est devenue une référence en matière de lutte contre les sectes.
Trois rapports parlementaires - les deux derniers en quatre ans - ont été rendus publics et la mission interministérielle de lutte contre les sectes a succédé l'année dernière, à l'observatoire des sectes.
Des débats parlementaires ont eu lieu, souvent dans un contexte troublé par des drames. Celui de l'ordre du Temple solaire était dans tous les esprits en 1996 lors du débat à l'Assemblée nationale. L'affaire des scellés de Marseille et les différents démêlés judiciaires de la scientologie ont suscité, il y a trois mois, une nouvelle vague d'interrogations et d'indignation, et l'on s'est à nouveau posé la question de la relative impuissance des pouvoirs publics face aux sectes.
La France fait pourtant bonne figure dans le combat contre les sectes. Tout en garantissant et en protégeant les libertés de conscience, de culte, de réunion et d'association, nous disposons d'un arsenal légal permettant de sanctionner les infractions commises par les groupements et les associations, même lorsque ceux-ci se réfugient derrière le paravent religieux.
Cet équilibre n'a jamais été rompu et les conclusions du rapport sur la liberté religieuse à travers le monde du département d'Etat américain, qui compte dans ses membres des adeptes de la scientologie, sont à cet égard inadmissibles.
M. Nicolas About, rapporteur. Très bien !
Mme Dinah Derycke. Le rapport montre du doigt l'Allemagne et la France, qui sont dénoncés comme étant des pays totalitaires embarqués dans une guerre contre les sectes. Cette tentative d'intimidation, loin de nous faire céder, doit nourrir notre détermination à continuer le combat.
Ce combat, nous devons le livrer au niveau européen. C'est l'une des missions de la MILS, la mission interministérielle de lutte contre les sectes, qui a d'ailleurs été consultée par les pays de l'Est. Ces pays sont en effet en train de découvrir l'étendue des dégâts sur les individus et le noyautage de leur économie par les sectes. L'adoption à l'unanimité, par le Conseil de l'Europe, au mois de juin dernier, de la recommandation « Nastase » sur les activités illégales des sectes est un pas important, qui débouchera peut-être un jour sur une coopération judiciaire efficace.
Dans cette lutte contre les sectes, un rôle fondamental échoit à l'administration et au pouvoir judiciaire. Les deux rapports parlementaires ont souligné que leurs pratiques n'étaient peut-être pas assez attentives au phénomène sectaire.
Les gouvernements ont réagi : une première circulaire de M. Jacques Toubon en 1996, suivie d'une circulaire de Mme Elisabeth Guigou en décembre 1998, ont mis l'accent sur la vigilance nécessaire des magistrats. Gageons que cette prise de conscience et cette mobilisation pourront s'étendre à l'ensemble de l'administration.
La lutte contre les sectes se fait également chaque jour dans les tribunaux. La France possède - cela a déjà été dit - un dispositif juridique que la commission parlementaire de 1995 a jugé globalement adapté aux problèmes posés par les sectes.
Depuis 1994, le nouveau code pénal permet de traduire devant les tribunaux les personnes morales, ce qui ouvre de nouveaux champs au combat contre les sectes. L'article 2 de la présente proposition de loi permet d'étendre encore cette disposition et de poursuivre une personne morale pour exercice illégal de la médecine et de la pharmacie.
Un amendement de Mme Catherine Picard a introduit en première lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi sur la présomption d'innocence la possibilité pour les associations de lutte contre les sectes de se porter partie civile. Nous attendons tous que cette disposition prenne force de loi, regrettant cependant que les associations, à condition d'être reconnues d'utilité publique et dans ce domaine très spécifique de lutte contre les sectes, n'aient pas le pouvoir de mettre en mouvement l'action publique.
M. Raymond Courrière. Très bien !
Mme Dinah Derycke. Par ailleurs, la loi sur l'obligation scolaire entrée en vigueur l'année dernière prévoit un contrôle strict, à la fois des familles qui ne scolarisent pas leurs enfants et des écoles privées sans contrat avec l'Etat.
Malgré l'éventail des infractions qui peuvent être retenues contre les sectes, malgré la lourdeur des peines qui peuvent être décidées, le rapport de forces semble souvent inégal entre le pouvoir judiciaire et la mouvance sectaire, laquelle n'hésite pas à faire durer en longueur les procédures et utilise, avec un art consommé, les différents supports juridiques.
M. Raymond Courrière. C'est vrai !
Mme Dinah Derycke. Par ailleurs, les décisions judiciaires ne rendent compte que très partiellement des multiples dangers que font courir les sectes à leurs adeptes et à la société tout entière.
Notre collègue Claude Domeizel me faisait part, hier encore, de son impuissance et de celle de tous les élus, et même de celle de l'administration, à empêcher l'installation dans son département, les Alpes-de-Haute-Provence, de sectes connues pour leur dangerosité.
Le seul pouvoir reste la vigilance sur les agissements de ces groupements. Mais nous savons combien cette vigilance est difficile à exercer, tant ces mouvements ont pour règle la loi du silence et de l'intimidation.
Les critères de dangerosité ont été établis par le rapport Gest. Parmi eux, l'infiltration des pouvoirs publics mérite toute notre attention.
Notre discussion intervient en effet trois mois après la disparition des scellés à Marseille. Cette disparition a créé un électrochoc dans l'opinion, qui s'interroge sur une possible infiltration de cette secte dans le pouvoir judiciaire.
En ce qui concerne le pouvoir législatif, la présence de la représentante française de la scientologie dans la tribune d'honneur de l'Assemblée nationale, le 8 février 1996, avait choqué les républicains que nous sommes. Je suis donc heureuse aujourd'hui de saluer la présence, dans la tribune d'honneur du Sénat, des membres de l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu, l'UNADFI, et du Centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales, le CCMM, les deux principales associations de lutte contre les sectes, et, au banc du Gouvernement, la présence des conseillers techniques de la MILS.
M. Raymond Courrière. Bravo !
Mme Dinah Derycke. L'infiltration des pouvoirs publics est une menace importante qu'il faut considérer sans paranoïa excessive, mais sans légèreté non plus, car ces sectes puissantes ne poursuivent rien d'autre qu'un but antidémocratique.
M. Alain Vivien, président de la MILS, déclarait au mois de septembre : « Quand une organisation milite pour remplacer le système républicain par une élite et cherche à mettre la main sur des services de l'Etat, elle doit être dissoute. »
C'est sur les possibilités d'une telle dissolution que nous nous interrogeons aujourd'hui.
D'aucuns voudront entretenir la confusion et nous forcer à faire l'amalgame. Il s'agit non pas, bien évidemment, d'interdire les sectes, toutes les sectes, mais bien de dissoudre les sectes dangereuses. Comme l'expliquait Mme Elisabeth Guigou dans une intervention télévisée : « Ce n'est pas le fait d'être une secte en soi qui est répréhensible, c'est le fait de se livrer à des actes sous couvert de liberté d'opinion qui est répréhensible par la loi. »
Nous disposons de deux moyens pour dissoudre les sectes dangereuses : l'article 7 de la loi de 1901 et l'article 131-39 du code pénal.
Il est prévu à l'article 3 de la présente proposition de loi, à juste titre nous semble-t-il, une peine aggravée en cas de maintien ou de reconstitution d'une association dissoute ; il est vrai que les sectes, déjà passées maîtres dans l'art de l'autodissolution après contrôle fiscal, ne manqueront pas d'imagination pour se reconstituer après dissolution judiciaire.
Mais, malgré ces dispositifs qui, sur le papier, semblent satisfaisants, le constat est alarmant - vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur. Aucune personne morale représentant un mouvement sectaire n'a été dissoute depuis 1994, et l'administration n'a jamais jugée nulle, à ma connaissance, une secte constituée en association.
M. Nicolas About, rapporteur. Tout à fait !
Mme Dinah Derycke. L'intérêt principal de la proposition de loi réside donc dans l'institution d'un troisième outil.
L'aménagement de la loi de 1936 permet la dissolution de mouvements condamnés à plusieurs reprises pour des infractions à la loi pénale ou au droit pénal spécial, infractions qui constituent le lot quotidien des sectes visées.
La dissolution par décret du Président de la République d'une secte puissante et étendue serait un signal fort en direction des adeptes de ces sectes et de l'opinion publique.
L'interdiction par certains Länder allemands de la Scientologie a divisé en quelques années par trois le nombre de ses adeptes. Une telle dissolution en France constituerait également un signal fort en direction de l'opinion publique.
La dissolution, décision politique, présente également l'avantage de ne pas emprunter les voies judiciaires dans lesquelles, on l'a vu, les sectes savent manoeuvrer et faire durer les procédures.
Mais ne nous berçons pas d'illusions. Cette proposition de loi ne suffira pas, à elle seule, à régler le problème des sectes dangereuses. Le rapport que le président de la MILS remettra prochainement au Premier ministre permettra peut-être d'apporter des solutions plus globales à cette question, dont on mesure à la fois toute la gravité et toute la complexité.
Légiférer ne suffira pas. Il faut aussi mieux informer, prévenir, mieux éduquer, apprendre à faire la part du religieux et de l'exploitation financière, de la liberté de pensée et de l'avilissement moral. C'est une mobilisation de tous et à tout moment qui doit avoir lieu contre l'emprise sectaire.
C'est pourquoi, malgré ses réticences sur la forme et non pas sur le fond, le groupe socialiste a décidé d'adopter cette proposition de loi qui nous est présentée par M. About. Il considère en effet que le débat qui nous réunit aujourd'hui fait partie de cette prise de conscience nécessaire. (Applaudissements.)
M. Nicolas About, rapporteur. Remarquable ! Bravo !
M. le président. La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le phénomène sectaire prend, depuis plusieurs années, des proportions inquiétantes, à la fois par son caractère international et par les violences tant physiques que morales qu'il génère.
Récemment, comme le notait l'excellent rapport de notre collègue à l'Assemblée nationale Jean-Pierre Brard, au nom de la commission d'enquête parlementaire mise en place là-bas sur les sectes et l'argent, il indiquait que le phénomène sectaire « a perdu en spiritualisme ce qu'il a gagné en mercantilisme ». Ce faisant, il s'est « professionnalisé », en faisant appel à des montages de plus en plus complexes, alliant associations, sociétés de commerce international et sociétés à responsabilité limitée ; tel un parasite, il s'est niché dans tous les espaces de liberté de notre droit pour y prospérer.
La société française apparaît à bien des égards impuissante à endiguer le phénomène qui réussit à s'implanter dans toutes les couches de la société. On savait déjà que, via les formations professionnelles notamment, la Scientologie a pu prospérer dans les milieux économiques ou culturels. Aujourd'hui, avec la disparition de scellés, il est à craindre que les milieux judiciaires ne soient également touchés.
Les mécanismes sont connus : les manipulations, les escroqueries et les divers délits s'effectuent parfois au grand jour.
Certains mouvements, qui ont fait l'objet de plusieurs condamnations civiles ou pénales, continuent pourtant d'avoir pignon sur rue. Les sanctions judiciaires, quand elles sont prises, le sont souvent trop tard pour des victimes désemparées. Les récits judiciaires, souvent révoltants, nous font tous bondir et nous dire : « On le savait et on a rien fait. »
M. Raymond Courrière. C'est exact !
M. Thierry Foucaud. « Comment avons-nous pu laisser faire ? »
Avec ce texte, sensiblement modifié par la commission des lois, M. About a la volonté d'apporter une réponse à ce phénomène en permettant de prononcer plus facilement la dissolution des sectes.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s'associent volontiers à cette démarche, qui s'inscrit dans leur combat et leur préoccupation de ne pas voir perdurer des mouvements dont on sait combien ils peuvent être dangereux pour la personne humaine et la société tout entière.
C'est dans cette optique que nous voterons le texte qui nous est soumis aujourd'hui. Néanmoins, qu'il me soit permis de me faire l'écho d'un certain nombre d'interrogations quant aux modalités préconisées pour la lutte antisecte, notamment du point de vue de leur efficacité.
Je rappelle le mécanisme qui nous est proposé.
C'est par la voie d'une assimilation des sectes dangereuses à des « groupes de combat et milices armées » régis par la loi du 10 janvier 1936 que le Président de la République pourrait prononcer par décret en conseil des ministres la dissolution de ces mouvements. Une association ou un groupement, dès lors qu'il aurait fait l'objet de plusieurs condamnations pénales pour des délits qui laissent soupçonner la présence d'une secte dangereuse - dont la liste a été dressée en 1996 dans le rapport de la commission d'enquête sur les sectes en France -, tomberait sous le coup de cette loi.
Par ailleurs, si le texte était adopté, serait sanctionnée plus fermement la reconstitution d'associations dissoutes sur deux fondements juridiques : par application des dispositions de la loi de 1936 et par un alignement des sanctions prévues en cas de reconstitution d'une association dissoute en vertu de l'article 4 de la loi de 1901 ; toute association dissoute et reconstituée illégalement serait passible de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 francs d'amende.
Parallèlement, la commission des lois a souhaité ouvrir la possibilité de prononcer des sanctions pénales à l'encontre des sectes elles-mêmes, en tant que personnes morales, dans deux domaines spécifiques : l'exercice illégal de la médecine et l'exercice illégal de la pharmacie. Or ces dispositions peuvent susciter un certain nombre de questions, voire d'inquiétudes, que je souhaite exprimer ici.
On peut, d'abord, s'interroger sur l'opportunité d'un renforcement de notre arsenal juridique. Nombre d'observateurs soulignent en effet, non sans raison, que notre droit pénal, notamment, comporte un large panel de dispositions permettant de sanctionner les dérives sectaires.
Qu'est-ce qui nous garantit que les nouvelles dispositions, notamment celles qui sont relatives aux sanctions contre les personnes morales pour exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, seront mieux appliquées ?
Il est vrai que le rattachement à la loi de 1936 modifie quelque peu la problématique puisque le prononcé de la sanction relève alors du Président de la République. Serait-il en mesure d'être plus vigilant que l'autorité judiciaire dans la lutte contre le phénomène sectaire ?
On peut en douter eu égard à la portée politique, spécialement du point de vue international, qu'une telle démarche entraîne, même si, en ce domaine, deux gardiens, donc deux précautions, valent mieux qu'une !
Il reste que le rattachement à la loi de 1936 mérite d'être discuté.
Au-delà de ce que cette loi draine comme souvenirs pour le mouvement populaire, pour le mouvement ouvrier - rappelons tout de même que c'est sur son fondement que des mouvements révolutionnaires de gauche ont pu se trouver interdits et n'oublions pas non plus son utilisation par le régime de Vichy - ce rattachement peut soulever des problèmes à un double titre.
D'abord, la diabolisation du phénomène sectaire peut s'avérer contre-productive en offrant à ces mouvements le luxe de s'ériger en martyrs.
Ensuite, la référence à plusieurs condamnations ne nous semble pas opérationnelle, car elle se base sur un critère quantitatif et induit une distinction peu convaincante : en poussant la caricature à l'extrême, pourrait se voir dissous, sur ce fondement, un groupement qui aurait été condamné par deux fois pour falsification de chèque de deux cents francs, mais pas celui dont le dirigeant aurait été condamné une seule fois pour viol.
La troisième réserve que je voudrais exprimer ici est la suivante : la position de la commission me semble traduire une vision parcellaire du phénomène sectaire.
En effet, elle se concentre essentiellement sur les associations, alors que l'on sait que cette forme juridique, si elle est la plus employée par les mouvements sectaires, est loin d'être exclusive : le statut de parti politique ou celui d'organisation non gouvernementale constituent également, aujourd'hui, des modes de constitution pour les groupements sectaires.
En outre, les sectes sont le plus souvent composées de plusieurs structures qui s'additionnent et s'enchevêtrent pour mieux se dissimuler à l'opinion publique.
On peut craindre, dès lors, que la proposition de loi ne fasse que déplacer le problème, les groupements trouvant refuge, comme ils savent parfaitement le faire, dans des structures parallèles.
Le rapport sur les sectes et l'argent avait ainsi pu observer : « Nombre de mouvements sectaires sont passés maîtres dans l'art d'utiliser à leur profit des cadres juridiques instaurés à toutes autres fins, telles que l'exercice de libertés publiques ou le développement d'activités utiles à la société. Des dispositifs prévus pour faciliter la vie associative, la pratique d'un culte, l'organisation de la vie politique et la coopération internationale se trouvent ainsi investis par des sectes qui en tirent des avantages indus. »
Je voudrais, enfin, formuler deux souhaits.
Tout d'abord, il convient avant tout de sauvegarder la liberté d'association et la liberté de conscience : même si le but est aussi légitime que la lutte contre les sectes, on peut toujours craindre que de telles restrictions ne servent, en des temps futurs, d'autres causes.
Ensuite, il faut appréhender le problème de façon plus globale, en mettant en particulier l'accent sur la prévention. Je salue les efforts de la chancellerie pour sensibiliser les magistrats, tant à l'Ecole nationale de la magistrature que dans les parquets, aux problèmes des groupements sectaires.
Cependant, la prévention, qui passe également par une meilleure information du public, reste trop souvent timorée. Il nous semble que les pouvoirs publics devraient être plus présents sur ce terrain.
« Les mesures proposées ici ne suffiront probablement pas à elles seules à faire disparaître ces dangers. Reflet des difficultés du monde actuel, symptôme d'un profond malaise social, image d'une crise morale autant que civique, le phénomène sectaire appelle aussi, en effet, une réponse globale à l'ensemble des grands problèmes de l'époque contemporaine. » C'est en ces termes que la commission d'enquête de 1995 concluait son rapport sur les sectes en France, et cette analyse me semble, plus que jamais, d'actualité. Ne la perdons pas de vue si nous voulons mener une lutte efficace contre des mouvements qui utilisent la détresse humaine pour s'enrichir. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi présentée par M. Nicolas About qui est soumise à votre assemblée tend à renforcer le dispositif pénal à l'encontre des associations ou groupements de fait à caractère sectaire dont les activités illégales peuvent constituer un trouble à l'ordre public et un péril majeur pour la personne humaine.
L'exposé des motifs qui accompagne cette proposition de loi souligne à juste titre la difficulté de définir juridiquement les sectes. Les différents rapports et conclusions des commissions parlementaires sur les sectes qui ont été mises en place dans le passé, de la commission Vivien en 1985 à la commission Guyard en 1999, en passant par la commission Gest en 1996, avaient déjà mentionné ce problème.
Cet exposé, tout comme le rapport de la commission des lois, souligne également que cette difficulté ne doit pas nous faire renoncer à légiférer et à protéger la société et le citoyen.
C'est sur cette seconde réflexion que je voudrais m'attarder.
Vous le savez sans doute, les rapports parlementaires sur les sectes, tout en préconisant une meilleure application du dispositif législatif et réglementaire, soulignent en majorité l'inopportunité d'une législation spécifique sur les sectes.
Au-delà des restrictions aux libertés de culte et d'association, constitutionnellement protégées, que serait susceptible de contenir une législation spécifique aux sectes, elle pourrait en outre conduire l'Etat à devenir l'arbitre entre des cultes identifiés et des croyances s'en démarquant ou n'ayant aucun rapport avec eux. Une telle option porterait atteinte au principe de laïcité.
Que l'on me comprenne bien : rejeter ici la tentation d'une législation spéciale ne signifie pas l'inaction.
Bien au contraire, les pouvoirs publics se sont efforcés - il est vrai, d'une manière accrue depuis les événements dramatiques liés à la disparition des davidiens à Wako, au Texas, en 1993, et les suicides collectifs de l'ordre du Temple solaire, en Suisse, en France et au Québec - de mettre en oeuvre tous les moyens existants pour permettre à la société de se défendre et de garantir à certains de ses membres la sécurité de vie qu'ils ne parviennent plus à garantir par eux-mêmes.
C'est ainsi que le gouvernement précédent avait mis en place, en mai 1996, l'Observatoire interministériel sur les sectes, conformément aux recommandations du rapport Gest. Cette instance était chargée d'analyser le phénomène des sectes, d'informer le Premier ministre du résultat de ses travaux, de faire des propositions afin d'améliorer les moyens de lutte contre les sectes.
La limitation de son champ d'action à la seule observation des phénomènes sectaires est, cependant, rapidement apparue inadéquate. Cela a conduit à son remplacement par la mission interministérielle de lutte contre les sectes, la MILS, présidée par M. Alain Vivien et créée le 7 octobre 1998.
Cette instance comporte en son sein un conseil d'orientation et un groupe opérationnel. Elle est chargée d'analyser le phénomène des sectes, d'inciter les services publics à prendre les mesures appropriées pour prévenir et combattre les actions préjudiciables susceptibles d'être commises par les sectes, de contribuer à l'information et à la formation des agents publics sur les méthodes de lutte contre les sectes.
En ce qui concerne le ministère de l'intérieur, une circulaire en date du 7 novembre 1997, adressée aux préfets et relative à la lutte contre les agissements répréhensibles des mouvements sectaires, avait déjà sensibilisé les administrations de l'Etat à l'échelon départemental aux agissements de certaines associations, ainsi qu'à la nécessité de mobiliser tous les services de l'Etat pour mettre en garde nos concitoyens contre les comportements illégaux et délictueux susceptibles de recevoir une qualification pénale que de telles associations peuvent décliner à leur encontre.
Parallèlement à cette action menée par les préfets, un important dispositif national de formation a été mis en place, qui complète la formation initiale des fonctionnaires de police. Ce dispositif est constitué par un module consacré aux activités illégales des sectes.
Un dispositif de formation équivalent à celui de la police nationale a été adopté par le ministère de la défense au profit de l'ensemble des militaires de la gendarmerie nationale. Il est complété par un stage spécifique dispensé aux enquêteurs des unités spécialisées en police judiciaire.
Enfin, les services opérationnels et spécialisés de la police nationale mais aussi du ministère de la défense, avec la gendarmerie nationale notamment, opèrent dans le cadre de leurs activités générales une surveillance constante de ces mouvements.
Ce dispositif sera complété prochainement par la diffusion d'une nouvelle circulaire rappelant notamment les missions de la MILS, le dispositif de lutte et le rôle de coordination des préfets. Cette circulaire permettra, en outre, de mieux articuler les dispositifs actuellement en vigueur.
D'autres départements ministériels, comme la défense et l'intérieur, ont en effet, de leur côté, développé des actions comparables.
Ainsi une importante campagne de sensibilisation au danger du développement des sectes a été engagée par le ministère de la jeunesse et des sports en octobre 1996. Dans ce cadre, a été constitué un réseau de correspondants en charge du dossier « associations coercitives à caractère sectaire » dans chacune des directions régionales de la jeunesse et des sports.
Le garde des sceaux, pour sa part, a adressé en 1996 aux procureurs généraux et aux procureurs de la République une circulaire qui recense les infractions susceptibles d'être commises par les sectes : escroquerie, abus de vulnérabilité, blessure ou homicide, enlèvement, séquestration, non-assistance à personne en danger, proxénétisme, incitation à la débauche et corruption des mineurs. Les parquets sont ainsi invités à engager les poursuites nécessaires.
Confirmant ces instructions ministérielles, une deuxième circulaire de la Chancellerie en date du 1er décembre 1998 est venue les compléter en demandant la désignation d'un correspondant « sectes » au parquet général et en organisant une meilleure concertation.
Ainsi, depuis près de trois ans les services de la Chancellerie suivent avec une attention soutenue les procédures mettant en cause les mouvements sectaires. Au 31 juillet 1999, pouvaient être dénombrées 250 procédures pénales relatives aux agissements illégaux des sectes, soit 134 enquêtes préliminaires et 116 informations judiciaires.
Le ministère de l'emploi et de la solidarité et le secrétariat d'Etat à la santé et à l'action sociale exercent une vigilance particulière en ce domaine, notamment au travers des directions des affaires sanitaires et sociales ainsi que de la délégation à l'emploi et à la formation professionnelle, en tenant compte des publics particulièrement fragiles qui entrent dans leur champ de compétences.
Dans cette optique, en réponse aux interrogations exprimées par les présidents de conseils généraux, une circulaire du 13 novembre 1997 a rappelé les conditions dans lesquelles un agrément peut être refusé ou retiré à une assistante maternelle.
Par ailleurs, une circulaire du 23 juin 1998 a appelé l'attention des préfets sur la situation spécifique des enfants vivant en communauté fermée.
En outre, une priorité a été donnée à la sensibilisation et à la formation du personnel du ministère et, plus généralement, de l'ensemble des professionnels qui interviennent dans le champ de compétences du ministère, et ce en liaison notamment avec l'Ecole nationale de la magistrature, l'Ecole nationale de la santé et le Centre national de la fonction publique territoriale.
Pour l'année 1999, ces formations sont particulièrement axées sur la protection de l'enfance. Une circulaire devrait être prochainement publiée afin d'accroître la mobilisation de l'ensemble des services du ministère.
Enfin, depuis la fin de 1998, une expérimentation a été mise en oeuvre afin d'assurer un suivi à des personnes sortant de sectes.
Mme la ministre déléguée à l'enseignement scolaire a, au nom du Gouvernement, apporté son soutien à la proposition de loi tendant au renforcement du contrôle de l'obligation scolaire présentée par M. About. Désormais, la loi du 18 décembre 1998, votée à l'unanimité par les deux assemblées, permet de vérifier la conformité de l'enseignement dispensé à domicile ou dans les établissements d'enseignement privés hors contrat avec les normes du droit de l'enfant à l'instruction.
Le législateur a d'ailleurs prévu des sanctions pénales à l'encontre des personnes morales, ce qui permet aux tribunaux de fermer les établissements en infraction.
La circulaire d'application en date du 14 mai 1999 appelle l'attention des recteurs, des préfets et des inspecteurs d'académie sur l'existence de ce dispositif et la nécessité de sa pleine mise en oeuvre. Des contrôles ont d'ailleurs commencé dès la rentrée de septembre 1999.
Il n'était pas inutile, à mon sens, mesdames, messieurs les sénateurs, de procéder à l'ensemble de ces rappels : ils démontrent à quel point le Gouvernement a su se mobiliser et mobiliser face à cette menace.
Pour autant, le Gouvernement reste réservé sur certaines dispositions de cette proposition de loi relative aux sectes. S'il partage les réflexions et objectifs de votre commission, certains des dispositifs juridiques proposés pour y parvenir lui paraissent, en effet, inappropriés et difficiles à mettre en oeuvre.
L'article 1er de la proposition de loi de M. About se fonde sur les dispositions de la loi de 1936 relative aux groupes de combat et milices privées et y ajoute la possibilité de dissoudre une association ou un groupement dont le dirigeant ou ses structures auraient été plusieurs fois condamnés à certaines infractions.
Or la loi de 1936, qui a été votée dans les circonstances que vous connaissez, décide de la suppression d'une liberté à valeur constitutionnelle pour des raisons précisément définies d'atteintes graves à l'existence même de l'Etat, à sa forme républicaine ou à ses principes fondamentaux.
L'architecture de ce texte, dont le dernier complément date de 1986 et visait les associations et groupements qui agissent en vue de commettre sur notre territoire des actes de terrorisme, montre que le décret de dissolution est pris sur des bases objectives qui sont l'analyse et le rapport, au travers de leurs actions, des menées et buts affichés par ces associations dont les activités troublent l'ordre public en portant atteinte aux principes de la République ou à la sécurité du territoire national.
Or votre proposition de loi, n'arrivant pas à définir la nature de l'atteinte à l'ordre public que pourraient porter les mouvements sectaires, ajoute à cette exigence une condition liée à l'accumulation de sanctions pénales.
Le trouble à l'ordre public, facilement défini pour chacune des situations visées par cette loi, ne serait ici constitué en réalité que par l'accumulation de condamnations. L'un des objets de la sanction pénale est pourtant de faire cesser, précisément, le trouble apporté à l'ordre public par l'infraction.
Il apparaît donc au Gouvernement que la rupture de conception dans l'économie générale de ce texte ne répond pas aux attentes de votre commission, dans la mesure où il ne permettra pas, notamment, de faire face à des situations d'urgence, puisque l'un des fondements ce seront les condamnations prononcées à plusieurs reprises de l'association ou des dirigeants et, de surcroît, du chef de certaines infractions prédéfinies.
Par ailleurs, la rédaction proposée appelle également quelques interrogations dans la mesure où elle pourrait signifier littéralement que, pour la prise en compte de condamnations définitives, les associations ou groupements de fait, ou leurs dirigeants, devraient avoir été condamnés sur le fondement de l'ensemble des articles ou dispositifs cités. Ce n'est sans doute pas le sens recherché par l'auteur de la proposition de loi.
Par ailleurs, au 9° de l'article 1er, on constate aussi une rupture dans le mode de rédaction, puisque l'on passe d'une énumération précise d'articles du code pénal et du code de la santé publique à un énoncé générique d'infractions dites de « fraude fiscale » qui peuvent souffrir de quelques ambiguïtés.
Enfin, si nous comprenons le sens que veut donner votre commission à la notion nouvelle de « péril majeur pour la personne humaine », nous ne pouvons que nous interroger sur l'appréciation juridique qui pourra en être donnée ultérieurement.
Aussi, si vous entendez utiliser le support de la loi de 1936 pour combattre les activités illégales de ces associations, il nous paraîtrait plus efficace de respecter la construction générale de ce texte et de viser, par exemple, la menace à la sécurité intérieure, à la sécurité économique ou à la sécurité des personnes portée par de tels agissements.
C'est en ce sens que le Gouvernement entend exprimer des réserves sur l'article 1er.
Quant aux articles 2 et 3 de la proposition de loi telle qu'elle ressort de l'examen de votre commission, le Gouvernement s'en remet à la sagesse de votre assemblée.
L'article 2 tend à permettre la mise en cause de la responsabilité d'une personne morale dans le cas d'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie.
Nous comprenons qu'il s'agit là de viser les personnes morales, notamment les associations qui ont une responsabilité pénale directe dans ce cadre : associations prescrivant des traitements en toute illégalité, par exemple, ou encore associations utilisant des personnes physiques dans le but d'exercer illégalement la médecine.
Il faut ici rappeler que ne sont pas visés par ces dispositions les associations ou établissements de santé qui, en toute bonne foi, ont en leur sein des personnes exerçant illégalement la médecine ou la pharmacie et qui n'ont aucune responsabilité directe dans ces pratiques.
Après ce rappel de principe, j'indique que le Gouvernement est favorable à cette mesure qui répond à un vrai besoin dans le secteur de la santé.
Quant à l'article 3, qui prévoit un alourdissement des sanctions en cas de reconstitution d'associations dissoutes, qu'il me soit simplement permis de vous rappeler qu'il n'existe pas d'identité entre les groupements tels qu'ils sont définis par la loi du 10 janvier 1936 et les associations de la loi du 1er juillet 1901. Cela explique, à mon sens, ces deux niveaux distincts de répression qui existent actuellement dans notre système juridique quant à la reconstitution de ces différentes structures. Il ne convient peut-être pas de mettre sur le même pied la reconstitution de groupes de combat portant atteinte à la légalité républicaine ou à l'intégrité du territoire, telle qu'elle est prévue à l'article 435-1 du code pénal, et celle d'une association dissoute par l'autorité judiciaire.
Ainsi, comprenant les préoccupations qui sont les vôtres et celle du Gouvernement, sans doute faut-il, comme nous le propose M. About, et sans créer de texte spécifique, penser à des modifications législatives qui donneraient toute leur efficacité aux moyens déjà mis en oeuvre par les pouvoirs publics.
L'une des idées fortes contenues dans votre proposition de loi, monsieur le sénateur, est celle de la dissolution. Il y a là, probablement, une arme efficace pour lutter contre les sectes qui développeraient des activités délictuelles ou criminelles. Le Gouvernement a entamé une réflexion approfondie afin d'explorer les pistes possibles, en liaison avec la mission interministérielle de lutte contre les sectes. Cette réflexion est en cours, elle n'est pas encore achevée.
L'ensemble de ces raisons, notamment les réserves juridiques que j'ai exprimées sur l'article 1er, conduisent le Gouvernement à adopter une position réservée et à s'en remettre à la sagesse de votre assemblée. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er