Séance du 18 janvier 2000







M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 667, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la secrétaire d'Etat, je souhaite, avec ma question orale, obtenir des réponses claires à propos d'un projet de création d'un établissement de crédit privé regroupant, en fait, l'ensemble des activités concurrentielles de la Caisse des dépôts et consignations, la CDC, que celles-ci soient filialisées ou non. Il ne s'agirait pas d'une grande première, et c'est bien ce qui m'inquiète. Ne s'agit-il pas, en effet, d'un long cheminement ?
Le Crédit local de France-Dexia est aujourd'hui passé sous contrôle de capitaux belges. La création de CDC-Marchés et l'ouverture du capital de la Caisse nationale de prévoyance s'inscrivent dans cette évolution.
Le projet auquel je fais référence est une étape qualitativement nouvelle et importante. Il s'agirait d'une banque d'investissement comprenant 2 800 personnes, dont 850 fonctionnaires et salariés provenant de l'établissement public Caisse des dépôts et consignations. Le capital serait de 32 milliards de francs, issus de la CDC - soit presque la moitié - et donc de 32 milliards de francs d'argent public.
Confirmez-vous ces objectifs et ces intentions ?
Cette situation, si elle se confirmait, serait extrêmement grave. En effet, le démantèlement de la CDC serait programmé, donc organisé. Ses missions d'utilité publique et sociale seraient remises en cause à un moment où la France en a pourtant besoin pour tous ses grands projets urbains de fond, soustraits à toutes les spéculations. De nombreux emplois seraient supprimés. La CDC compte plus de 400 filiales correspondant à un bassin d'emploi dans lequel on pourrait privatiser puisqu'il ne représente aucune réalité juridique reconnue.
Cette analyse est notamment celle de l'intersyndicale Caisse des dépôts constituée de la CGT, de la CFDT, de la CGC et de la CFTC.
L'attachement des personnels à la CDC n'est pas seulement lié à l'emploi. Il s'agit d'une pratique et d'une technicité de gérants des fonds publics qui vivent au quotidien toutes les tentations de privatisations.
Aujourd'hui, que reste-t-il du secteur public économique et financier ? La Caisse constitue le dernier élément, et M. le Premier ministre s'était engagé à stopper le démantèlement.
C'est d'ailleurs la constitution de fonds de réserve qui inquiète les salariés : 3 milliards de francs pour les futurs fonds de réserve pour les retraites et 3 milliards de francs pour les travaux de renouvellement urbain.
Cette décision n'exprime-t-elle pas une hâte de préservation de fonds publics avant la débâcle, livrant aux marchés financiers les activités de la CDC ?
Je voudrais insister, madame la secrétaire d'Etat, sur l'importance des fonds publics concernés. L'aisance des finances publiques ne résulte-t-elle pas aussi des résultats prospères de certaines sociétés, en particulier des entreprises dont l'Etat est principal ou unique actionnaire ? Combien l'Etat a-t-il récupéré en 1999 ? Une bonne vingtaine de milliards de francs, nous dit-on. Autant sont prévus au budget de l'Etat pour l'an 2000.
M. le secrétaire d'Etat au budget reconnaissait cette prospérité en affirmant que les « versements réalisés au cours du premier semestre font apparaître une hausse sensible par rapport aux prévisions de la loi de finances ». La CDC n'a-t-elle pas enregistré une hausse de 47 % de son bénéfice au cours du premier semestre, hausse due essentiellement aux plus-values de 2 milliards de francs dégagées lors de la fusion Sanofi-Synthélabo, dont elle est actionnaire ?
Combien la CDC aura-t-elle encaissé de plus-values lors de la fusion Elf-Total ? Combien aura-t-elle encaissé lors de l'opération BNP-Paribas ?
Les habitants des banlieues de l'ouest et du sud-ouest de Londres seraient sans doute bien étonnés d'apprendre que leur ligne de bus habituelle appartient à la CDC, que celle-ci s'occupe des soixante-dix kilomètres du nouveau tramway de Porto, du premier tramway irlandais à Dublin, qu'elle participe à la cinquième ligne du métro de São Paulo - 800 000 voyageurs par jour - qu'elle pilote la modernisation du métro de Londres, de l'ensemble du réseau du Luxembourg, et de celui de New York. L'Etat français, via la CDC, a-t-il vocation à organiser les transports en commun de la planète ?
L'importance des fonds concernés fait de la CDC un investisseur de premier plan. Cette mission rémunérée lui a permis d'accumuler 70 milliards de francs de fonds propres, qu'il faut évidemment gérer et investir. La gestion des stations skiables fait de la CDC le leader mondial des remontées mécaniques ; mais il y a aussi l'assainissement de l'eau, le traitement des déchets, le chauffage urbain, les projets de chemin de fer, d'autoroutes, de constructions d'aéroports, de ports, de pipe-lines... Nous sommes en plein coeur de l'investissement capitaliste !
Mes questions sont claires : voulez-vous livrer les capitaux français, le savoir-faire, les personnels à l'investissement d'un pôle capitaliste agissant au profit exclusif des puissances d'argent sur le plan mondial ? Pourquoi refusez-vous d'envisager la création d'un pôle français tourné vers les investissements dont la vie sociale et économique de notre pays a pourtant grandement besoin, et que le Gouvernement n'avait pas rejetée dans son principe il y a plusieurs mois ?
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat. L'action menée par le Gouvernement depuis juin 1997 à l'égard du secteur financier vise à remettre celui-ci au service de la croissance et de l'emploi, par une action convergente dans trois domaines.
Tout d'abord, la modernisation du secteur financier public a été engagée, dans l'intérêt de l'Etat et du contribuable comme dans celui des entreprises et de leurs salariés, afin de permettre à ces entreprises de participer avec ambition aux évolutions futures. C'est cette stratégie qui a, par exemple, imposé le maintien de la Caisse nationale de prévoyance, la CNP, dans le secteur public.
Par ailleurs, est menée une action structurelle pour améliorer les conditions de fonctionnement de notre secteur financier dans le cadre du marché de l'euro, action dont témoigne notamment la réforme des taux réglementés qui permet de concilier protection de l'épargne populaire et financement du logement social, puisque nous perdions une grande partie de nos financements.
Enfin, est engagée une stratégie de croissance favorisant le risque et l'innovation aux dépens de la rente, à travers la mise en place des « contrats en actions », de mesures en faveur de la création d'entreprises, des dispositions sur la modernisation du secteur financier de la loi du 2 juillet 1998 portant diverses mesures d'ordre économique et financier...
C'est dans ce cadre général que s'inscrit l'action du Gouvernement à l'égard de la Caisse des dépôts et consignations. Depuis sa création en 1816, la Caisse des dépôts et consignations a su constamment évoluer pour se mettre en position d'accomplir au mieux les missions que lui ont confiées les pouvoirs publics. Elle est aujourd'hui un acteur majeur de l'économie française. Elle est présente dans de nombreux secteurs d'activité : services bancaires et financiers, gestion des caisses de retraite, assurance de personnes, ingénierie et services aux collectivités locales. Au-delà de cette diversité s'impose un objectif : servir l'intérêt général, qu'il s'agisse de venir directement en appui aux politiques publiques ou de participer à la stabilité et au développement de l'économie.
Cette dualité, qui est au coeur même de la vocation de la Caisse des dépôts et consignations, doit cependant s'exercer dans des conditions de complète transparence et dans le respect des règles de concurrence.
L'objectif est double.
Il s'agit, d'une part, de consolider et de renforcer ses missions d'intérêt général : gestion des fonds d'épargne, développement local, aide à la modernisation des collectivités locales, lutte contre les exclusions, en particulier avec les caisses d'épargne, l'environnement et le développement durable, autant de missions importantes.
Il s'agit, d'autre part, de veiller à la viabilité et au développement de ses métiers financiers, dont il faut aujourd'hui assurer la réussite en leur fournissant les moyens nécessaires à leur développement.
C'est dans ce contexte que le directeur général de l'établissement a récemment présenté un projet visant à clarifier l'organisation du groupe Caisse des dépôts. L'appréciation du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Christian Sautter, sera guidée par deux préoccupations : toute évolution devra avoir pour objectif premier de renforcer la légitimité et l'efficacité de la Caisse des dépôts et consignations au service de la collectivité et de l'intérêt général ; l'unité et la cohérence du groupe devront être consolidées, en particulier sur le plan social. La Caisse des dépôts doit donc faire évoluer son organisation. Bien entendu, cela ne pourra se fairequ'après une concertation approfondie.
Je souhaiterais conclure en soulignant que ce projet doit renforcer le pôle financier public mis en place par Dominique Strauss-Kahn dans la loi relative à l'épargne et à la sécurité financière, sur l'initiative du groupe communiste. Le secteur public doit en effet s'appuyer sur un pôle puissant, structuré autour de la Caisse des dépôts et consignations avec, notamment, la Caisse nationale de prévoyance, La Poste, la Banque de développement des petites et moyennes entreprises, la BDPME, et les caisses d'épargne.
Fondé sur deux grands réseaux populaires, eux-mêmes appuyés par l'expertise de la Caisse des dépôts, de la CNP et de la BDPME, ce pôle a vocation à animer une forme importante du service public de l'épargne, au service de l'emploi et de la formation.
Il faut rappeler aux collectivités locales et aux entreprises l'existence de ces outils si efficaces, qui sont parfois oubliés.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la secrétaire d'Etat, je tiens à vous remercier de votre réponse, même si cette dernière ne me satisfait pas complètement. Il serait bon que le Parlement revienne sur notre proposition de création d'un pôle financier public qui définirait, au-delà des grandes orientations, la possibilité d'atteindre rapidement les missions de service public définitives.
Bien entendu, je partage totalement le point de vue que vous avez rappelé ce matin sur la transparence. Vous faites état d'un projet de M. le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. Evidemment, ce projet doit être maintenant discuté avec toutes les parties. Par ailleurs, il serait bon de discuter rapidement la proposition de l'intersyndicale de la Caisse des dépôts et consignations qui tend à rejeter une séparation entre les activités d'intérêt général et les activités financières concurrentielles. En effet, cette solution permettrait, à notre avis, un contrôle démocratique qui assurerait une transparence totale, tout en préservant l'ensemble des personnels de la caisse et leur statut.
Je pense que le Gouvernement tient compte du fait que le Parlement est l'autorité de tutelle de la Caisse, conformément à l'ordonnance que vous venez de rappeler. A ce seul titre, le Parlement doit être consulté sur ce projet de constitution d'un établissement privé qui s'appellerait CDC finances et sur les conditions de gestion des fonds propres. Il doit, à notre avis, porter un jugement sur l'utilisation de l'argent public et en assurer le contrôle. Madame la secrétaire d'Etat, vous avez rappelé toutes les missions de la CDC, qui concernent évidemment beaucoup de Français : les locataires, les épargnants, les assurés, les retraités, les élus locaux et les créateurs d'entreprise. Le débat amorcé ce matin devra se poursuivre.

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