Séance du 18 janvier 2000







M. le président. La parole est à M. de Rohan, auteur de la question n° 670, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, depuis quelque temps, les rave parties se multiplient en Bretagne.
M. le président. Et ailleurs !
M. Josselin de Rohan. Le scénario est toujours le même : un samedi ou une veille de fête, vers vingt-trois heures, des centaines de véhicules automobiles convergent vers un lieu qui a été signalé sur minitel par message crypté et investissent ce lieu, situé en général à l'écart des grandes agglomérations, dans un bourg rural qui va très vite être dépassé par les événements.
Pendant une ou plusieurs nuits, les habitants du bourg vont ainsi être bercés par la musique techno, qui se déverse sur les ravers sans discontinuer.
Dans le même temps, les automobiles stationnent n'importe où puisque les bourgs n'ont pas, bien entendu, de parking suffisamment vaste pour abriter pareil rassemblement, et, passez-moi l'expression, madame le secrétaire d'Etat, la chienlit s'installe dans les lieux.
On note un très grand pourcentage de personnes en état d'ébriété prononcée, et aussi de drogués - il y a des odeurs qui ne trompent pas !
Quant aux forces de l'ordre, elles sont naturellement impuissantes à encadrer ce genre de rassemblement, puisqu'il ne s'agit que de la brigade de gendarmerie locale, composée au maximum de sept à dix personnes : comment pourrait-elle apporter une aide vraiment efficace au maire, lequel, nous le savons, est pénalement responsable de tous les débordements qui pourraient survenir, notamment des accidents qui pourraient se produire du fait du comportement irresponsable d'un certain nombre de ravers ?
Il est de notoriété publique que le moindre de ces rassemblements occasionne près de 50 000 francs de dégâts, ainsi qu'on peut le constater une fois que les ravers sont partis.
Cela devient véritablement insupportable. Cela met en cause la tranquillité des habitants, mais aussi l'ordre public et l'hygiène publique. Quand on voit ce que l'on demande comme précautions aux organisateurs de manifestations autorisées, on reste confondu devant le laxisme qui préside à l'organisation de ces rassemblements !
Mes questions sont simples.
En premier lieu, envisagez-vous de contraindre les organisateurs de raves parties à demander l'autorisation préalable aux communes et aux autorités administratives de département avant de tenir des rassemblements de cette importance ?
En deuxième lieu, êtes-vous prêts à donner instruction aux préfets, en cas de manifestation inopinée, de mettre à la disposition des maires des forces de gendarmerie ou de maintien de l'ordre suffisantes pour pouvoir faire face aux contraintes liés à ces rassemblements ? Et, dans le cas où les préfets en seraient incapables, seraient-ils en droit d'interdire immédiatement la poursuite de ces raves parties ?
En troisième lieu, êtes-vous prêts - c'est important - à demander aux procureurs de poursuivre les organisateurs de rave parties ayant donné lieu à des dégradations ou à des débordements ?
En tout cas, il n'est pas possible, madame le secrétaire d'Etat, de laisser les maires désarmés comme ils le sont aujourd'hui et responsables des conséquences d'événements qu'ils ne peuvent manifestement pas maîtriser.
M. le président. Nous demanderons à Michel Field de faire une émission spéciale sur ce sujet à la télévision, et nous serons servis !
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat. Monsieur le président, je ne suis même pas certaine que M. Field trouve toutes les réponses !
Monsieur le sénateur, c'est vrai, les rave parties sont un véritable phénomène de société.
Dès 1996, compte tenu du développement des manifestations rave et techno, les pouvoirs publics se sont saisis de cette question, qui pose d'évidents problèmes d'ordre public mais également de santé publique.
La réflexion menée par le Gouvernement a conduit à la rédaction de la circulaire interministérielle - intérieur, défense, culture et communication - du 29 décembre 1998, qui a appelé l'attention des préfets sur la nécessité d'encadrer de telles manifestations.
A cet égard, il convient de souligner qu'une mutation fondamentale s'est opérée au cours des derniers mois dans le sens d'une sortie de la clandestinité de tels rassemblements. Mais, comme le souci des responsables d'agir en tant que professionnels est rare, vous avez raison de dire que, depuis quelques semaines, il y a de nouveau des rassemblements quasi clandestins.
La circulaire du 29 décembre 1998 distingue clairement les manifestations qui doivent faire l'objet d'une autorisation préalable et celles qui ne sont pas déclarées. Les organisateurs des manifestations rave et techno sont incités à se rapprocher des autorités compétentes, qui doivent, d'une part, les responsabiliser et les sensibiliser aux difficultés à surmonter et, d'autre part, favoriser l'encadrement de ces rassemblements pour éviter les troubles que vous avez décrits ou les incidents graves qui peuvent survenir en cas d'implantation sauvage, comme cela a été le cas, en Bretagne, ce dernier week-end.
En tout état de cause, lorsqu'une manifestation à caractère récréatif rassemble plus de 1 500 personnes, ses responsables sont soumis à l'exigence de la déclaration préalable auprès du maire ou, à Paris, auprès du préfet de police, prévue par le décret n° 97-646 du 31 mai 1997 fixant les conditions d'application de l'article 23 de la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, ainsi qu'à la mise en place d'un service d'ordre.
L'inobservation de ces dispositions est punie des peines d'amendes applicables aux contraventions de la cinquième classe : 10 000 francs. Dès lors, si la tenue de la rave party est préalablement connue, l'autorité municipale peut intervenir après avis de la commission de sécurité compétente soit pour assortir la réunion d'un certain nombre de conditions, soit pour l'interdire.
A cet égard, le tribunal administratif d'Orléans, dans un jugement du 25 février 1997 concernant la société Othala Production, a rejeté la requête d'une société de spectacles qui contestait la légalité de l'arrêté par lequel le maire d'une commune avait interdit une manifestation similaire. Le juge administratif, pour confirmer la légalité de la décision du maire, a notamment retenu que, face à l'afflux du public attendu, « une mobilisation adéquate tant des forces de l'ordre que des moyens de secours appropriés aux risques d'incendie était très difficile à assumer ».
Par conséquent, la simple perspective du défaut de moyens suffisants fonde valablement le refus d'un maire. Si une telle manifestation se déroule et que des problèmes tels que ceux qui sont liés au commerce ou à l'usage de substances vénéneuses apparaissent, les dispositions des articles L. 628 et suivants du code de la santé publique peuvent être évoquées à l'appui d'une saisine du parquet.
En outre, d'autres griefs pourraient être relevés, notamment l'ouverture d'un débit de boissons sans autorisation, qui constitue une contravention conformément aux dispositions de l'article L. 31 du code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme, que tous les élus locaux connaissent bien, et, plus généralement, les atteintes à la propriété, comme ce fut le cas lors des deux dernières manifestations que vous avez citées.
Par ailleurs, les forces de police peuvent être sollicitées, notamment selon le droit commun des opérations de dispersion des réunions publiques interdites.
Parallèlement, une intervention en matière de police judiciaire peut être engagée, en se fondant sur l'article 78-2 du code de procédure pénale. Il s'agit alors de mettre en place des contrôles d'identité opérés sur réquisition du procureur de la République dans les lieux et pour une période déterminés par ce dernier, la saisine pouvant se faire en moins d'une heure.
Dans le cadre de la mise en oeuvre d'une action devant l'autorité judiciaire, le maire peut formuler une demande tendant à l'obtention de dommages et intérêts à l'encontre des personnes responsables des divers agissements précités, lesquelles peuvent alors se voir imposer de réparer les dommages causés par les infractions qu'elles ont commises.
Il importe désormais, puisque le droit nous donne toutes les possibilités, d'informer les maires, peut-être par l'intermédiaire de l'Association des maires de France. Avec le ministère de l'intérieur, nous pourrons diffuser une information claire et précise sur l'organisation inopinée - c'est la situation la plus difficile - des rave parties : le maire ou un adjoint de service peut saisir immédiatement l'autorité judiciaire via la gendarmerie ou l'autorité de police et, à partir de ce moment, il n'encourt plus la responsabilité que vous craignez qu'il n'endosse.
Une bonne information des maires, des poursuites engagées à l'encontre des responsables et des plaintes déposées par le ou les propriétaires - récemment, malheureusement, une propriétaire n'a pas voulu porter plainte, ce qui n'a pas facilité les choses, puisque l'action n'a pas pu être engagée - permettront de faire en sorte que les organisateurs, qui ont des motivations qui les regardent et que je n'ai pas à juger sur le plan moral, sentent qu'ils engagent leur responsabilité et qu'ils peuvent être poursuivis en tant que responsables si les dégradations sont importantes ou s'il y a eu des accidents.
M. Josselin de Rohan. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Je vous remercie de votre réponse, madame le secrétaire d'Etat. Mais l'administration, c'est comme la guerre vue par Napoléon : c'est un art simple, mais tout d'exécution.
Les textes existent - vous les avez rappelés - et ils ont été renforcés. En revanche, on constate sur le terrain la très grande prudence dont les préfets et les forces de gendarmerie font preuve devant ces rassemblements inopinés.
Ainsi, le 1er novembre dernier, dans une commune qui jouxte la mienne et qui « accueillait » une rave party qui a duré trois jours, le maire n'a pu compter que sur cinq gendarmes pendant quarante-huit heures. Lorsque la rave party s'est terminée, on lui en a proposé quarante. C'était au début qu'il fallait les gendarmes !
Dans une autre commune du Morbihan, le procureur n'a donné aucune espèce de suite aux demandes du maire tendant à ce que les organisateurs d'une rave party soient poursuivis, alors que, pourtant, elle avait causé des dégâts sur le territoire de sa commune.
Les textes existent, certes, mais il faut que les préfets reçoivent des instructions fermes, que M. le ministre de l'intérieur, que Mme le garde des sceaux leur demandent de faire preuve d'une rigueur exemplaire.
Si les préfets se croient autorisés à fermer les yeux, ces manifestations se poursuivront. Il faut donc des exemples forts, fermes et rapides.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Je vais prendre contact immédiatement avec M. le ministre de l'intérieur et Mme le ministre de la justice, parce que, s'il est vrai que nous avons les moyens, il faut que les préfets s'en saisissent.
Lors d'entretiens récents, M. le ministre de l'intérieur n'a pas exclu qu'il puisse y avoir des forces de police spécifiques, ce qui serait un peu dommage parce que, en accord avec M. le ministre de la défense, on serait obligé de mobiliser des forces spécifiques pour ce type de manifestation.
Si, en effet, il n'y avait que le bruit, vous avez raison, le trouble ne serait pas majeur. Mais, lors des dernières manifestations, il y a eu des incidents graves sur des propriétés privées ainsi que des incidents sur des personnes, des incidents qui auraient pu très mal finir : des jeunes, certains étaient mineurs, se sont en effet drogués jusqu'à l'excès.
Face à l'ampleur de ce phénomène de société, M. le ministre de l'intérieur a la même préoccupation que vous ; quant à Mme Guigou, elle s'est inquiétée du fait que, les parents étant dans l'ignorance des lieux où se déroulent ces évèvements, des accidents peuvent survenir et, malheureusement, tourner au tragique.
M. le président. Madame le secrétaire d'Etat, je veux à mon tour vous remercier de l'intérêt que vous portez à ce problème.
A Fuveau, dans les Bouches-du-Rhône, à l'issue d'une rave party, des jeunes ont tout détruit : des ateliers, des locaux d'entreprises... Pendant les jours qui ont suivi, ils ont même essayé de pénétrer dans Marseille avec des camions. Dieu merci, le préfet de police, alerté, les en a empêchés.
Le problème devient grave.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux, nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)