Séance du 26 janvier 2000







M. le président. Par amendement n° 236, Mme Pourtaud, MM. Dreyfus-Schmidt, Collomb, Lagauche, Weber et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, d'insérer après l'article 30, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 22 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est complété in fine par un alinéa ainsi rédigé :
« Jusqu'au 30 juin 2001, le Conseil supérieur de l'audiovisuel n'est pas tenu de lancer des appels à candidatures pour les fréquences disponibles lorsque, conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 1er, leur attribution risquerait d'entraver les expérimentations ou la mise en place de la diffusion numérique hertzienne terrestre. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne voudrais pas que la rédaction de l'objet de notre amendement puisse introduire un doute dans l'esprit de certains.
En effet, nous avons écrit : « Il convient de permettre au CSA de procéder à un gel des fréquences disponibles afin de ne pas créer des situations acquises interdisant l'arrivée de nouveaux entrants lors de la mise en place de la télévision numérique hertzienne terrestre. »
Nous savons tous de quoi il s'agit : si une fréquence analogique est libérée, le CSA se trouve dans l'obligation de faire appel à candidatures en application d'une jurisprudence du Conseil d'Etat, mais nullement en application de la loi. Or il est évident que le CSA doit recouvrer sa liberté et ne pas faire appel, éventuellement, à candidatures, non pas peut-être pour une télévision locale et associative qui ne gênerait personne en diffusant quelques heures pour une durée de six mois, mais, par exemple, pour certains qui voudraient s'installer dans le paysage audiovisuel sachant que le Conseil supérieur de la magistrature... (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Louis de Broissia. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pardonnez-moi ce lapsus, mes chers collègues, mais j'ai du mal à « digérer » la manière dont le Congrès a été décommandé lundi dernier ! (Sourires.)
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel donc devrait définir une politique d'ensemble en attendant le numérique. En effet, à l'évidence, celui qui détiendrait une fréquence analogique prétendrait ensuite avoir une priorité pour obtenir une fréquence numérique. Il faut rendre au CSA la liberté qui était la sienne et qu'est venue restreindre la décision du Conseil d'Etat que vous connaissez.
Sachant que vous êtes de fervents partisans de la liberté d'appréciation du Conseil supérieur de l'audiovisuel, je ne doute pas que vous réserviez à notre amendement le succès qu'il mérite.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Hugot, rapporteur. L'objectif de cet amendement est de renverser la jurisprudence du Conseil d'Etat « SARL JL Electronic » du 29 juillet 1998. Elaborée à l'occasion des contestations touchant le gel des fréquences affectables à la télévision analogique locale de terre, cette jurisprudence oblige le CSA à lancer des appels à candidatures pour les fréquences vacantes en dehors de tout plan d'ensemble.
La liberté d'action n'est cependant rendue au CSA par cet amendement que dans l'intention de lui permettre de procéder à un gel des fréquences disponibles afin de ne pas gêner l'arrivée de nouveaux entrants lors de la mise en place de la télévision numérique hertzienne de terre, comme l'explique l'objet de l'amendement n° 236.
Du fait de cet objectif restreint, cet amendement apparaît susceptible de justifier le gel des fréquences analogiques nécessaires au lancement du projet de déploiement d'une quinzaine de télévisions d'agglomération soutenu par la presse quotidienne régionale, et auquel la commission des affaires culturelles a apporté son soutien.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Le Gouvernement était défavorable à cet amendement, mais la défense qui vient d'en être faite apporte un éclairage différent.
Cela étant, même si je comprends le souci de Mme Pourtaud, qui craint que le CSA ne soit juridiquement contraint, conformément à la jurisprudence du Conseil d'Etat, de lancer des appels à candidatures pour des fréquences analogiques - même dans le cas où ce serait au détriment des nécessités futures du déploiement du numérique - tant que la planification des fréquences ne sera pas plus avancée nous ne saurons pas si ce risque est avéré. En conséquence, cette disposition, de nature temporaire, pourrait n'avoir aucun objet.
En outre, il paraît de mauvaise technique juridique qu'un article particulier de la loi vienne modifier l'article 1er de cette même loi, qui a un caractère fondamental puisqu'il détermine les limites légitimes pouvant être apportées par le CSA à la liberté de communication. L'objectif visé devrait être atteint par une modification directe de l'article 1er.
Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement n° 236 tel qu'il est actuellement rédigé.
M. le président. Madame Pourtaud, votre amendement est-il rectifié ainsi que vous le suggère Mme le ministre ? Mme Danièle Pourtaud. Monsieur le président, après avoir entendu les remarques de Mme la ministre, je rectifie l'amendement n° 236 afin de remplacer les mots « L'article 22 » par les mots « Le deuxième alinéa de l'article 1er ».
Par ailleurs, je supprime les mots : « , conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article premier,... »
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 236 rectifié, présenté par Mme Pourtaud, MM. Dreyfus-Schmidt, Collomb, Lagauche, Weber et les membres du groupe socialiste et apparentés, et tendant à insérer, après l'article 30, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le deuxième alinéa de l'article 1er de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est complété in fine par un alinéa ainsi rédigé :
« Jusqu'au 30 juin 2001, le Conseil supérieur de l'audiovisuel n'est pas tenu de lancer des appels à candidatures pour les fréquences disponibles lorsque leur attribution risquerait d'entraver les expérimentations ou la mise en place de la diffusion numérique hertzienne terrestre. »
Quel est l'avis de la commission sur cet amendement ainsi rectifié ?
M. Jean-Paul Hugot, rapporteur. Je loue l'effort d'imagination de notre collègue, mais je crains que la réponse apportée au problème ne soit vraiment disproportionnée. L'article 1er de la loi de 1986 pose les principes de la liberté de communication. Je demanderai du temps pour étudier de façon approfondie toutes les implications d'une telle évolution.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Sur la forme, je comprends que l'objection que j'ai formulée pose des difficultés de procédure.
Sur le fond, il me paraîtrait plus raisonnable de revoir ce problème en deuxième lecture. A défaut, je m'en remettrai à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 236 rectifié.
M. Michel Pelchat. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat. Je suis contre cet amendement car celui-ci n'apporte rien au texte, et je m'en explique.
Certes, j'ai bien compris la problématique soulevée. Effectivement, le CSA est amené aujourd'hui à lancer des appels à candidatures pour les fréquences analogiques disponibles, ce qui obérerait d'autant les possibilités futures d'attribution de fréquences numériques hertziennes.
Mais le problème est que, si cet amendement est adopté, c'est la loi actuellement en vigueur qui continuera de s'appliquer jusqu'à la publication de la loi que nous sommes en train de discuter. Le jour où cette dernière sera publiée, nous aurons légiféré sur le numérique et le CSA saura comment attribuer les fréquences numériques. En conséquence, ce problème réel que vous soulevez aujourd'hui n'existera plus, car le CSA disposera alors d'un cadre juridique pour procéder aux attributions de fréquences numériques.
Si je comprends la préoccupation des auteurs de l'amendement, je ne voudrais pas laisser croire à l'opinion - vous le savez, nos débats sont parfois mal interprétés, malheureusement - que le Sénat s'est prononcé contre l'attribution de fréquences aux télévisions locales.
Effectivement, dans certains lieux, peut-être que plusieurs fréquences disponibles pourraient permettre d'attribuer dès aujourd'hui une fréquence analogique à une télévision locale sans perturber pour autant demain une distribution des fréquences hertziennes numériques. Mais l'adoption de cet amendement pourrait être interprétée, je le répète, comme une volonté du Sénat de s'opposer à l'attribution de fréquences analogiques à des télévisions locales.
C'est pourquoi je ne suis pas favorable à cet amendement. D'une part, il n'apporte rien dans l'immédiat et, d'autre part, il n'empêchera pas les pétitionnaires de former des recours pour demander au CSA de lancer un appel à candidatures pour les fréquences analogiques hertziennes disponibles.
La seule réponse que nous puissions apporter à ce problème - je m'adresse à Mme le ministre - est d'arriver rapidement au terme de la procédure et à la publication de la loi. Mais j'ai cru comprendre que ce n'était pas la voie dans laquelle s'engageait le Gouvernement, même si cela n'est pas de votre fait, madame le ministre, au vu de toute une série d'événements qui surgissent, et notamment le problème d'Arte.
Personnellement, il ne me paraît pas raisonnable de reporter à la fin du mois de mars la discussion de ce texte en deuxième lecture par l'Assemblée nationale, et au mois d'avril l'examen par le Sénat. Et je ne parle pas de toutes les incertitudes qui pèsent encore sur ce texte, quant à la cinquième chaîne, au numérique hertzien qu'il faudra entièrement revoir, à la réglementation relative à Internet, autant de questions que nous n'avons fait qu'ébaucher et que nous devrons approfondir en deuxième lecture.
Je le répète, je comprends la préoccupation nos collègues, mais la meilleure façon d'y répondre est d'adopter définitivement cette loi et de la publier très rapidement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voudrais répondre aux objections qui nous ont été faites.
Tout d'abord, sur la forme, l'arbre ne doit pas cacher la forêt. Ce qui importe, c'est que ce texte fasse l'objet de la navette afin que l'Assemblée nationale en soit saisie. Qu'il soit rattaché à l'article 1er, comme vous l'avez souhaité, madame la ministre, peu importe, l'essentiel est qu'il figure dans le projet de loi.
Je voudrais maintenant réagir aux propos de notre collègue M. Pelchat. Nous avons dit très clairement que cela ne doit pas empêcher d'accorder une fréquence à une association, cela va de soi. Nous ne demandons pas le gel des attributions, nous demandons la possibilité pour le CSA de ne pas accorder.
Le rapporteur a pris un exemple sur lequel je vais le suivre. Il nous a dit que la commission avait pris position en faveur des projets du syndicat de la presse quotidienne régionale. Je crois avoir suivi les travaux du Sénat avec assiduité, je n'ai pas eu le sentiment que l'on ait pris cette position. Si tel est le cas, c'est grave parce que, en tout état de cause, il faudrait éviter - et rien dans le texte ne le permet - qu'il puisse y avoir un monopole double, et dans la presse écrite et dans la télévision régionale. Personne ne le souhaite, j'imagine.
Or, en certains endroits, la presse régionale jouit, en effet, d'un monopole total. Il faut donc bien en discuter ; il faut bien qu'éventuellement des dispositions soient prises à cet égard ; il faut que le CSA puisse en discuter et savoir quelle politique il arrêtera. De même, je crois bien avoir reçu une lettre assez comminatoire où il était question de « syndication de la publicité ». Cela m'effraie beaucoup car personne ne doit avoir le monopole de la publicité, et surtout pas des groupes qui, souvent, appartiennent à des personnes qui ont fait fortune dans l'industrie du ciment ou dans la distribution de l'eau plutôt que dans les métiers de la presse proprement dits. Telle est la réalité.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette question mérite un débat non seulement ici, mais aussi au CSA. La question n'est pas de savoir si vous avez pris position, monsieur le rapporteur, mais ce qu'en pense le CSA. Il est donc souhaitable de lui laisser la liberté d'apprécier.
M. Michel Pelchat nous dit : de toute façon, lorsque cette loi sera votée, on aura déjà légiféré sur le numérique, des décrets d'application seront peut-être même prévus pour le numérique avant que tous les décrets ne soient pris sur la liberté de communication, vous prenez donc des précautions.
Vous êtes d'accord avec nous, mais vous avez peur que les décisions ne soient prises trop tard. Vous êtes d'accord avec nous, admettez donc l'hypothèse que nous arrivions moins tard que vous ne le craigniez !
Je suis certain de vous avoir convaincu avec cet argument, qui me paraît fort, et je demande au Sénat de voter l'amendement n° 236 rectifié.
M. Alain Joyandet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet. Je ne peux pas soutenir cet amendement, mais sans doute pas exactement pour les mêmes raisons que notre collègue M. Michel Pelchat.
Sur le fond, il me semble en effet que la quantité de fréquences disponibles étant relativement limitée, s'il y a des possibilités de diffusion nouvelles, il faut les encourager et non pas geler des fréquences.
Actuellement, notamment dans les régions, la demande est de plus en plus forte. Si nous avons des fréquences à proposer, il me semble tout à fait opportun de les attribuer, y compris si cela doit constituer un précédent pour le numérique hertzien terrestre.
Quant à la forme, ensuite, je suis assez inquiet en ce qui concerne les délais. L'échéance est certes fixée au mois de mars, mais elle ne sera pas nécessairement respectée.
Ce projet de loi a déjà connu bien des soubressauts et il peut en subir encore ! Il ne faudrait pas que cette situation de gel, même partiel, se prolonge. Les associations ont en effet besoin d'espaces de liberté supplémentaires.
Mme Danièle Pourtaud. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Je suis quelque peu surprise de l'ampleur que prend le débat. N'est-ce pas accorder un excès d'honneur à cet amendement que de penser qu'il prévoit le dispositif qui permettrait à la presse d'accéder ou de ne pas accéder à la télévision locale et de trouver les recettes lui permettant de le faire ? Revenons-en au texte proprement dit !
Il s'agit de rendre au CSA sa liberté, étant donné la jurisprudence actuelle du Conseil d'Etat, pour lui permettre de rendre possible l'installation du numérique hertzien sur l'ensemble du territoire.
En effet, vous le savez très bien, mes chers collègues, il existe des endroits où les fréquences disponibles sont abondantes, mais il en existe aussi d'autres où ce n'est pas le cas. Il s'agit donc non pas, comme l'a dit M. Pelchat, d'interdire au CSA, quand il y a plusieurs fréquences, d'en attribuer et de lancer les appels d'offres correspondants, mais de lui permettre de ne pas le faire lorsque les fréquences ne sont pas suffisamment nombreuses, afin que, lorsque nous ouvrirons le numérique hertzien - et je souhaite autant que vous, mon cher collègue, que cela arrive prochainement - il reste suffisamment de fréquences pour que les opérateurs, auxquels on demandera d'utiliser le numérique hertzien tout en continuant à diffuser par la voie analogique - ce qui ne libérera donc pas de fréquence - puissent diffuser en numérique hertzien.
Je voudrais dire à notre collègue Michel Pelchat que je souhaite bien entendu, tout comme lui, que cette loi, lorsqu'elle aura été votée, ouvre la possibilité de commencer la diffusion par voie numérique hertzienne. Cependant, j'ai tendance à penser que cela ne sera pas, à défaut du grand soir, le grand matin, c'est-à-dire que cela ne se fera pas du jour au lendemain. En attendant, nous nous trouvons donc toujours dans la même situation.
Par ailleurs, si cet amendement était voté aujourd'hui, les dispositions qu'il prévoit ne seraient pas opérationnelles demain, mais le CSA pourrait peut-être quand même s'appuyer sur elles parce que les débats parlementaires ne sont pas secrets et qu'il n'est pas inhabituel que l'on prenne appui sur ces derniers pour créer ou inverser une jurisprudence.
Je tenais à recadrer le débat parce que ce texte répond à l'attente d'un certain nombre de parlementaires présents dans cet hémicycle. J'espère donc qu'ils le voteront.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Après Mme Pourtaud, je réaffirme qu'il s'agit de permettre au CSA de disposer des fréquences nécessaires lors du passage au numérique hertzien terrestre.
Je voudrais aussi rassurer M. Pelchat. En effet, dans la communication que j'ai présentée en conseil des ministres sur la diffusion numérique hertzienne terrestre, j'ai indiqué qu'il était nécessaire que le CSA se fonde sur un plan précis pour attribuer les nouvelles fréquences disponibles sur le réseau numérique hertzien. Voilà pourquoi il convient que le CSA puisse aujourd'hui bloquer l'attribution des fréquences.
Le CSA peut d'ores et déjà agir conformément aux souhaits exprimés par Mme Pourtaud.
Par ailleurs, la seule discussion devant le Sénat de cet amendement permet au CSA de justifier ses décisions.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 236 rectifié, repoussé par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 31