Séance du 3 février 2000







M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Legendre pour explication de vote.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, deux ans quasiment jour pour jour après l'adoption par notre assemblée de la proposition de loi relative au stationnement des gens du voyage, nous sommes sur le point d'adopter un nouveau texte qui, nous l'espérons, sera quant à lui promulgué.
Ce texte, dûment amendé par un Sénat guidé par les excellentes propositions de notre rapporteur M. Jean-Paul Delevoye, est un texte équilibré.
Il est équilibré car M. le rapporteur a su maintenir de la mesure dans la passion, qualité dont il a fait maintes fois preuve.
Ce projet de loi, dans la rédaction que nous adoptons aujourd'hui, sera, nous l'espérons, à même d'apporter des solutions pour l'accueil des gens du voyage.
Parallèlement, il donne aux maires, même si nous étions nombreux à être tentés d'aller plus loin, les moyens d'engager une lutte plus efficace contre les stationnements sauvages.
En effet, l'interdiction de stationnement, dès lors qu'une aire d'accueil a été prévue, et, surtout, la procédure de référé accélérée ainsi que le rétablissement de la compétence du juge administratif pour les occupations illicites du domaine public sont d'indéniables avancées.
Il n'était pas nécessaire d'aller plus loin, non parce que nous prônons le laxisme, mais simplement parce que les lois existent déjà. Il suffit de les faire appliquer. Ainsi que le soulignait hier notre collègue M. Bernard Murat, il est de la responsabilité de l'Etat et de ses représentants de faire tout simplement respecter la loi.
Vous serez donc jugé sur les actes, monsieur le secrétaire d'Etat. Des droits importants sont octroyés aux gens du voyage. Des devoirs et des responsabilités en découlent, qui devront être scrupuleusement observés. Le Gouvernement doit en être le garant. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Tout au long de nos débats, nous avons cheminé entre la nécessité de trouver des solutions satisfaisantes pour l'accueil des gens du voyage - c'est le volet des schémas départementaux et du schéma national, l'Etat devant assumer ses responsabilités pour les grands rassemblements, monsieur le secrétaire d'Etat - et la nécessité d'éviter que les collectivités, mais aussi les particuliers, ne soient en butte à un stationnement illicite qui est de plus en plus insupportable.
Nous disposions depuis dix ans d'une loi. Ses effets ont été insuffisants. Pourtant, elle prévoyait déjà un schéma départemental et imposait des obligations aux communes. Elle n'a pas atteint ses objectifs, mais je pense que désormais le développement de l'intercommunalité dans le cadre départemental devrait permettre de trouver des solutions.
Le dispositif ne doit pas reposer sur les seuls représentants de l'Etat, ou alors l'Etat doit prendre ses responsabilités et ne plus associer financièrement les collectivités locales, ce qui, après tout, est un point de vue concevable.
Je crois que le texte que le Sénat va vraisemblablement adopter parvient à un équilibre.
Au-delà de ce texte, j'ajouterai - ce n'est pas nouveau, cela remonte même à la nuit des temps ! - que ceux qui voyagent sont parfois considérés par la population sédentaire comme des gens au comportement différent et sont donc souvent rejetés.
Vous avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il y avait un recensement. Je pense néanmoins que nous ne connaissons pas bien cette population des gens du voyage. Elle évolue et, au milieu des traditionnelles populations tziganes ou gitanes, il y a des foyers de criminalité et de délinquance. Des affaires d'une extrême gravité l'ont montré. Je citerai le gang des châteaux. Mais d'autres grands trafics internationaux, notamment en matière de drogue, ont pour source des camps de gens du voyage.
Cela ne relève pas de votre responsabilité, monsieur le secrétaire d'Etat, mais il faudrait demander au ministère de l'intérieur ou au ministère de la défense de poursuivre cette grande délinquance, d'autant plus que ces personnes disposent souvent des moyens importants.
Ces populations ont droit, je l'ai dit, au respect de leur mode de vie, au logement, à condition qu'elles respectent les règles de la vie en société. Or beaucoup de maires nous disent que, hélas ! aujourd'hui, ces personnes ont un comportement menaçant qui n'est pas citoyen que ni les maires ni l'ensemble de la nation ne peuvent accepter.
Ces populations ont le droit de vivre comme elles l'entendent, mais, parallèlement, il faut dégager des moyens. A cet égard, je souhaite que l'Etat s'engage beaucoup plus financièrement. La solidarité nationale doit jouer. En effet, ni les communes ni les départements ne peuvent seuls faire face à ce problème.
Les dispositions votées par le Sénat ne doivent pas être repoussées d'un revers de main. Si tel était le cas, nous n'aurions pas beaucoup progressé dans ce débat difficile. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous venons de consacrer un jour et demi à l'examen de ce projet de loi que de très nombreux élus locaux et citoyens attendent, car il sera pour eux un signe très important de la volonté du Gouvernement de défendre concrètement ou de ne pas défendre les valeurs républicaines.
La plupart de nos collègues ont eu l'occasion au cours des débats de brosser un tableau non exhaustif, néanmoins très préoccupant, des différents problèmes posés aux élus locaux par les nombreux comportements peu citoyens de certains des gens du voyage.
Je l'ai dit et je le répète : le présent projet de loi n'apportera d'amélioration à cette déplorable situation de fait que si l'Etat a la volonté politique de faire appliquer les lois de la République.
De nombreux orateurs - en particulier M. Hyest il y a un instant - ont évoqué le nécessaire équilibre entre les droits et les devoirs qui s'appliquent aux gens du voyage, comme à tous nos concitoyens. Il était bon de rappeler que la loi est la même pour tous et que ceux qui sont si prompts à réclamer l'exercice de leurs droits sont souvent ceux qui oublient systématiquement qu'ils ont aussi des devoirs envers la communauté nationale, des devoirs envers la République.
Notre collègue du groupe communiste républicain et citoyen, Mme Bidard-Reydet, a tenu à rappeler hier un autre principe fondateur de notre République, la devise gravée sur les frontons de nos mairies : « Liberté, Egalité, Fraternité ». Combien elle avait raison !... Mais elle n'aurait pas dû en tirer, comme elle l'a fait, des conclusions complètement déconnectées de la réalité quotidienne vécue par les élus locaux.
Cette non-prise en compte des réalités du terrain a prévalu lors de la rédaction du présent texte. C'est ce que la majorité sénatoriale lui reprochait et c'est ce qu'elle s'est efforcée de corriger par les amendements qu'elle a adoptés.
La Haute Assemblée a heureusement fait preuve de davantage de réalisme, de pragmatisme et de rigueur quant à l'analyse des problèmes posés par les gens du voyage et quant aux solutions de nature à les régler.
Nous vous avons aussi entendu, M. le secrétaire d'Etat et certains de nos collègues mettre en avant leur approche tolérante et humaniste de ce problème. Je tiens à leur rappeler que la défense de ces valeurs n'est pas l'apanage de certaines travées de la Haute Assemblée, et je revendique aussi, quant à moi, une conception humaniste de notre société.
Cependant, force est de constater que l'humanisme est souvent un paravent, pour certains, masquant une vision angélique et béate des remèdes à apporter aux maux dont souffre notre société, quand ce n'est pas une attitude complaisante et laxiste.
La plupart des élus locaux de France, confrontés au développement de véritables zones de non-droit du fait du comportement de certains gens du voyage savent pertinemment que, trop souvent, l'Etat entretient à leur égard cette attitude complaisante et laxiste que mes collègues, sur toutes les travées, ont rappelée au cours de nos débats.
Je ne désespère pas que nos actuels gouvernants finissent un jour par ouvrir les yeux sur l'ampleur de leur propre laxisme, comme ils ont commencé à le faire - mais bien trop tard, malheureusement, on l'a vu tout à l'heure lors des questions d'actualité - sur les problèmes de sécurité et de violence en général et dans le milieu scolaire en particulier.
Vous venez de comprendre que ce serait finalement peut-être une bonne idée que de réintroduire un minimum d'éducation citoyenne et d'ordre dans nos écoles, alors que, voilà dix ans, ceux qui prônaient cela étaient traités de ringards et de conservateurs.
M. Michel Caldaguès. Exact !
M. Dominique Braye. Cette prise de conscience, lorsque vous la ferez enfin vôtre, monsieur le secrétaire d'Etat, nécessitera alors, comme pour les problèmes de la violence scolaire que j'évoquais précédemment, des moyens répressifs accrus, plus coûteux et moins bien acceptés que la simple application des lois et réglementations existantes.
Vous pardonnerez donc aux sénateurs de vous dire qu'ils pensent avoir raison avant vous - comme ce fut le cas pour les problèmes de violence scolaire - quand ils vous disent que, si les mesures proposées par le Sénat ne sont pas retenues à l'issue de la navette parlementaire, la réalité des problèmes de terrain vous obligera une fois de plus à abandonner votre candeur, mais une fois encore trop tard, une fois que le mal se sera inévitablement aggravé.
Permettez-moi, pour conclure, de revenir à notre belle devise républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité », et vous comprendrez certainement ce que j'entends par un humanisme réaliste, qui est le seul qui vaille, à mes yeux.
Liberté pour les gens du voyage de vivre leur mode de vie, oui ; mais aussi liberté pour tous nos concitoyens et leurs élus de n'avoir pas à subir quotidiennement leur mépris des lois de la République.
Selon une formule pleine de bon sens et connue de tous, la liberté des uns s'arrête là où commence celles des autres.
Egalité des droits des gens du voyage et des droits des autres citoyens, oui ; mais aussi égalité des devoirs entre les gens du voyage et les autres citoyens. L'égalité républicaine, c'est d'abord l'égalité de tous devant la loi, et non toujours des droits pour les uns et toujours des devoirs pour les autres.
Fraternité, enfin, entre les citoyens français, oui ; mais fraternité entre citoyens qui reconnaissent également l'autorité de la loi. La fraternité, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, impose de respecter autrui et non de vivre à ses dépens en bafouant les principes dont on se réclame.
Fort de ces convictions, je voterai le texte tel qu'il a été amendé par la Haute Assemblée, car il a le mérite de mettre en oeuvre une vision plus réaliste, plus juste et plus rigoureuse des principes républicains qui doivent aussi s'appliquer aux gens du voyage.
Dura lex sed lex : la loi est dure, mais c'est la loi, et elle est la même ou, du moins, elle doit être la même pour tous. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je ne reprendrai pas les propos de M. Braye dont certains aspects me semblent excessifs et donc un peu dérisoires. Je partage son souci d'humanisme, mais la façon dont il l'a exprimé me semble en contradiction totale avec l'esprit de ce texte.
Le projet de loi transmis par l'Assemblée nationale était équilibré. Il respectait les droits et les modes de vie des gens du voyage.
M. Dominique Braye. Que deviennent leurs devoirs ?
M. Jean-Claude Peyronnet. Ce texte permettait, par des mesures contraignantes, de réaliser un nombre suffisant de places d'accueil pour les gens du voyage dans l'ensemble des départements, et ce de, façon concomitante afin que certaines communes ne soient pas découragées.
Le projet de loi prévoyait ainsi que le schéma départemental devait être élaboré en dix-huit mois et qu'à défaut d'accord le préfet pouvait prendre seul la décision, se substituer aux communes défaillantes pour réaliser les aires. Mais vous avez adopté un certain nombre de mesures de prorogation qui affadissent le texte.
A mon avis, toutes ces mesures vont à l'encontre du but recherché, quelle que soit la bonne foi des uns et des autres. Nous ne pouvons pas accepter le texte tel qu'il ressort de nos travaux, car nous sommes pour une vraie efficacité. Dans le cas présent, il faut non pas faire une entorse à la décentralisation, mais laisser le préfet jouer pleinement son rôle, et il ne semble pas que nous soyons en contradiction avec nous-mêmes.
En revanche, la Haute Assemblée, dans sa majorité, risque de l'être avec elle-même. En effet, on ne peut pas, à certains noments, reprocher à l'Etat de ne pas faire son devoir et lui refuser les moyens de l'accomplir en cas de défaillance des communes !
Cela dit, le débat m'a semblé de bonne qualité, à l'exception de quelques excès qui s'expliquent par l'aspect passionnel du sujet abordé. Des améliorations et des précisions qui ne peuvent pas du tout être considérées comme négatives ont été apportées. Toutefois, nous voterons contre le texte tel qu'il vient d'être modifié, mais nous espérons que la navette permettra de l'améliorer.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen ne votera pas le texte tel qu'il vient d'être modifié par la majorité sénatoriale et qui, dans son état actuel, ne permettra pas d'améliorer les conditions d'accueil des gens du voyage.
Il ne constitue toujours qu'une incitation pour les communes et l'Etat n'a plus la possibilité de se substituer à celles qui seront défaillantes. Il n'y a ainsi aucune chance que l'application de ce texte soit plus positive que celle de l'article 28 de la loi de 1990. Vous avez sapé le dispositif tout en augmentant considérablement les pouvoirs des maires. Ce qui n'était qu'une contrepartie est devenu la mesure essentielle.
Nous ne pensons pas que la question des gens du voyage se limite aux seuls problèmes du stationnement illégal. La réalisation rapide d'un nombre suffisant d'aires d'accueil est, comme le prévoyait le texte du Gouvernement, le préalable indispensable au renforcement de la lutte contre les installations illicites et contre la surpopulation et les dégradations des aires aménagées.
Mes chers collègues, comment exiger des individus qu'ils se comportent comme des citoyens si nous ne les considérons pas comme tels ? M. Braye vient de rappeler la belle devise inscrite au fronton de nos mairies : « Liberté, égalité, fraternité ».
Pourquoi n'a-t-il pas alors voté les amendements proposés par notre groupe et visant précisément à abolir le carnet de circulation qui fait des gens du voyage des sous-citoyens dans notre pays ou tendant à abolir les limitations du droit de vote ? On peut toujours parler de liberté, d'égalité et de fraternité !
M. Dominique Braye. La liberté s'arrête là où commence celle des autres !
M. Robert Bret. Le débat concernant les gens du voyage soulève, on le sait, des questions de fond qu'il nous faut examiner en toute sérénité et auxquelles il faut apporter des réponses.
Le texte du Gouvernement apportaient des réponses fortes, mais vous refusez de reconnaître les discriminations que les gens du voyage vivent au quotidien. Vous faites rimer, comme à l'instant, « nomade » avec « délinquance » ! C'est fort dommageable, voire insupportable.
Je souscris pleinement aux propos de M. le secrétaire d'Etat quand il disait hier soir que la référence à l'humanisme n'est pas forcément limitée aux clivages partisans. Mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, je constate avec regret que vous ne nous en avez pas fait la démonstration, ni dans vos interventions, ni dans les amendements que vous avez adoptés lors de ce débat, ce qui contraint mon groupe à ne pas voter le projet de loi tel qu'il ressort de nos travaux.
M. le président. La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche. Me joignant à l'ensemble des collègues de la majorité sénatoriale qui sont intervenus, je veux brièvement dire à M. le secrétaire d'Etat combien nous attendions un texte permettant de corriger la loi de 1990, qui est notoirement insuffisante. Mais le projet que vous nous avez proposé, monsieur le secrétaire d'Etat, l'est tout autant.
Vous n'avez pas suffisamment écouté ici les élus, les nombreux maires qui se sont exprimés. J'ai la conviction que si votre projet était soumis, par référendum, à l'ensemble des maires de France, il serait très massivement rejeté. Je me réjouis par conséquent que le Sénat ait apporté des modifications qui sont de nature à leur donner satisfaction.
Hélas ! au cours de la navette parlementaire, je crains qu'un certain nombre des amendements essentiels qui ont été votés par la Haute Assemblée ne soient rejetés, ce qui rapidement, à l'évidence, ramènera, votre texte au niveau de celui de 1990, et le rendra peu applicable. Non seulement il ne donnera pas satisfaction, mais, au bout du compte, il ne réglera pas les troubles multiples que nous connaissons aujourd'hui.
En conséquence, les sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe et moi joignons notre voix à celle de l'ensemble de mes collègues qui sont intervenus brillamment au cours de ce débat. Je félicite et remercie M. le rapporteur et M. le président de la commission des lois pour les propositions qui ont été faites et je soutiendrai avec conviction le texte issu des travaux du Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

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