Séance du 24 février 2000







M. le président. La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Même s'il est absent en raison d'un déplacement à l'étranger, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Le déroulement de la procédure judiciaire vient de renvoyer devant le tribunal correctionnel le président, fût-il en congé, du Conseil constitutionnel. C'est une situation inédite sous la Ve République, qui ne peut laisser personne indifférent.
L'autorité, la crédibilité, la légitimité de cette institution majeure de la République ne va-t-elle pas se trouver affectée si son président demeure en son sein ?
D'un autre côté, la présomption d'innoncence, même si elle est violée quotidiennement, est un principe essentiel consacré par le code civil. A ce titre, nous n'avons pas vocation à nous joindre à la cohorte de ceux qui s'acharnent sur un homme face à son honneur et à sa conception du devoir d'Etat.
M. Guy Fischer. Que faites-vous d'autre ?
M. Henri de Raincourt. La situation ne peut trouver son issue que si l'intéressé le décide, ou s'il est fait appel au décret du 13 novembre 1959 relatif aux obligations des membres du Conseil constitutionnel.
Je sais aussi que le Gouvernement n'a pas la possibilité de décider la démission d'office, puisqu'il n'intervient pas dans le fonctionnement du Conseil constitutionnel. Mais le Premier ministre a la charge de diriger l'action du Gouvernement, qui détermine et conduit la politique de la nation. A ce titre, il ne peut demeurer muet, sauf à altérer la confiance que nos concitoyens placent dans les institutions.
Alors, ma question est simple : malgré le droit d'inventaire que vous vous êtes conféré à vous-même, pour des motifs de confort politique, allez-vous demeurer silencieux sur les effets d'une affaire qui ne peut que ternir l'image du Conseil constitutionnel et de ses membres, ou bien, choisissant l'éthique et la morale, entendez-vous prendre vos responsabilités de chef de la majorité plurielle ?
M. Henri Weber. C'est-à-dire ?
M. Henri de Raincourt. Vous avez appartenu aux mêmes gouvernements, vous êtes membres du même parti politique : au nom de la solidarité, de la complicité, de l'amitié partagées de longue date dans les mêmes combats politiques, allez-vous agir personnellement auprès du président du Conseil constitutionnel afin qu'il prenne la décision qui s'impose, celle d'un homme d'honneur, comme vous l'aviez fait voilà quelques mois avant que l'ancien ministre de l'économie, des finances et de l'industrie présente sa démission ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux. Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, vous vous interrogez sur le fonctionnement du Conseil constitutionnel et sur la situation de son président, qui a suspendu l'exercice de ses fonctions depuis le 24 mars 1999, « jusqu'à ce que les poursuites judiciaires dont il est l'objet soient terminées ». Sur celles-ci, il ne m'appartient évidemment pas de me prononcer. Tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable par un tribunal indépendant et impartial.
M. Jean Chérioux. Cela a été rappelé !
M. Henri de Raincourt. Oui, je l'ai rappelé !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. S'agissant du Conseil constitutionnel, qui est la plus haute juridiction de notre pays, ses décisions s'imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles en vertu de l'article 62 de la Constitution. Par conséquent, le Gouvernement ne porte pas d'appréciation sur les décisions qu'il prend ou ne prend pas.
Le Gouvernement a d'autant moins de raisons de le faire qu'il n'est aucunement partie prenante à la nomination de ses membres.
M. Henri de Raincourt. Je l'ai dit !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Comme vous le savez, aux termes de l'article 56 de la Constitution, le Conseil constitutionnel compte neuf membres, dont trois sont nommés par le Président de la République, trois par le président du Sénat et trois par le président de l'Assemblée nationale. En vertu de ce même article, c'est le Président de la République qui nomme le président du Conseil constitutionnel, qui veille également au respect de la Constitution et qui assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Par conséquent, en tant que membre du Gouvernement, je ne me prononcerai pas sur le fonctionnement actuel du Conseil constitutionnel, qui a à sa tête un président par intérim qui assume la plénitude de ses fonctions.
Je soulignerai qu'il est de l'essence même d'une juridiction d'être indépendante. C'est même la raison pour laquelle le mandat des membres du Conseil constitutionnel n'est pas renouvelable et qu'un certain nombre d'incompatibilités y sont attachées.
Je vous pose la question : que deviendrait l'indépendance des juridictions, et, au premier chef de la plus haute d'entre elles, si l'exécutif ou le législatif avaient le pouvoir de démissionner d'office son président, alors que le Conseil constitutionnel a le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois ?...
M. Dominique Braye. Ne transformez pas la question !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Assurément, nous ne serions plus dans un Etat de droit !
Seules les juridictions elles-mêmes ont ce pouvoir - vous l'avez d'ailleurs rappelé. C'est pourquoi le texte du décret du 13 novembre 1959 donne compétence au Conseil constitutionnel pour apprécier si l'un de ses membres a manqué aux obligations inhérentes à ses fonctions. C'est pourquoi l'article 10 de la loi organique du 7 novembre 1958 donne compétence au Conseil constitutionnel pour constater, le cas échéant, la démission d'office de l'un des ses membres.
Voilà ce que je voulais rappeler devant la représentation nationale, au Sénat. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Pelletier applaudit également.)

GUERRE EN TCHÉTCHÉNIE