Séance du 9 mars 2000






DIVERSES MESURES EN FAVEUR
DES COLLECTIVITÉS FORESTIÈRES

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 249, 1999-2000) de M. Michel Mercier, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur :
- la proposition de loi organique (n° 172, 1999-2000) de MM. Claude Huriet, Jean-Paul Delevoye, Jean-Pierre Fourcade, André Jourdain, François Abadie, Louis Althapé, Jean-Paul Amoudry, Pierre André, Philippe Arnaud, René Ballayer, Denis Badré, Mme Janine Bardou, MM. Jacques Baudot, Michel Bécot, Georges Berchet, Jean Bernard, Daniel Bernadet, Roger Besse, Maurice Blin, Louis Boyer, Dominique Braye, Henri Le Breton, Mme Paulette Brisepierre, MM. Louis de Broissia, Robert Calmejane, Bernard Cazeau, Auguste Cazalet, Gérard César, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Désiré Debavelaere, Jean Delaneau, Marcel Deneux, André Diligent, Jacques Donnay, Michel Doublet, Hubert Durand-Chastel, Daniel Eckenspieller, Jean-Paul Emin, Michel Esneu, Hubert Falco, Jean Faure, Bernard Fournier, Serge Franchis, Yann Gaillard, Jean-Claude Gaudin, Patrice Gélard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Francis Giraud, Daniel Goulet, Adrien Gouteyron, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Jean-Paul Hugot, Jean-Jacques Hyest, Alain Joyandet, Gérard Larcher, Jacques Legendre, Jean-François Le Grand, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain, Roland du Luart, Jacques Machet, Kléber Malécot, Philippe Marini, Paul Masson, Serge Mathieu, Michel Mercier, Louis Moinard, Aymeri de Montesquiou, Georges Mouly, Bernard Murat, Philippe Nachbar, Lucien Neuwirth, Paul d'Ornano, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Lylian Payet, Michel Pelchat, Jacques Pelletier, Jacques Peyrat, Xavier Pintat, Jean-Marie Poirier, Guy Poirieux, Ladislas Poniatowski, Jean-Pierre Raffarin, Victor Reux, Jean-Jacques Robert, Philippe Richert, Jean-Pierre Schosteck, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, François Trucy, Jacques Valade, André Vallet, Xavier de Villepin, Serge Vinçon, Guy Vissac et Hubert Haenel, tendant à accorder temporairement aux communes la libre gestion des fonds disponibles provenant de la vente de bois chablis après les tempêtes du mois de décembre 1999 ;
- la proposition de loi organique (n° 225, 1999-2000) de M. Philippe Nachbar, Mme Janine Bardou, MM. Christian Bonnet, James Bordas, Louis Boyer, Jean-Claude Carle, Jean Clouet, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Jean Delaneau, Ambroise Dupont, Jean-Léonce Dupont, Jean-Paul Emin, Jean-Paul Emorine, Hubert Falco, André Ferrand, René Garrec, Louis Grillot, Jean-François Humbert, Charles Jolibois, Jean-Philippe Lachenaud, Serge Mathieu, Michel Pelchat, Jean Pépin, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Guy Poirieux, Ladislas Poniatowski, André Pourny, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Henri de Raincourt, Charles Revet, Henri Revol, Louis-Ferdinand de Rocca Serra et François Trucy, proposant des mesures exceptionnelles pour les communes forestières à la suite de la tempête de décembre 1999.
Dans la discusison générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les hasards du calendrier ont voulu que le Sénat se penche sur la question des communes forestières victimes des tempêtes au moment même où le Gouvernement s'apprête à rendre publique la partie de son plan pour la forêt consacrée aux collectivités locales.
Le parallélisme du calendrier s'accompagne, je crois, d'un diagnostic commun : les forêts des collectivités locales ont été décimées par la tempête qui a frappé notre pays entre le 25 et le 29 décembre dernier.
Le volume des bois couchés ou tombés - les chablis - représente en moyenne quatre fois la récolte d'une année. Selon l'ampleur des dommages, les chablis représentent en général entre deux et dix années de coupe, d'entretien et d'exploitation, et jusqu'à cinquante années dans certaines petites communes, notamment de l'est de la France.
Dans ce contexte difficile, les collectivités forestières, notamment les communes, sont confrontées à des difficultés considérables.
Dans l'immédiat, elles doivent à la fois ramasser les bois tombés ou cassés et écouler une quantité de bois très supérieure à leur production habituelle. A défaut de pouvoir tout vendre, elles doivent pouvoir stocker les chablis. Au coût du stockage s'ajoute le manque à gagner résultant d'un effondrement des cours dont l'ordre de grandeur est de 30 % à 40 %.
Dans l'immédiat également - et paradoxalement, en quelque sorte - la vente des chablis va procurer aux collectivités forestières des recettes importantes, supérieures à leurs recettes habituelles et à leurs besoins budgétaires. Les collectivités devront gérer au mieux ce « pactole » afin de ne pas tout dépenser la première année et d'essayer d'étaler dans le temps l'utilisation des sommes ainsi amassées.
En effet, à moyen et à long terme, et jusqu'à la reconstitution de la forêt, la destruction des arbres se traduira par la disparition des recettes provenant d'exploitations forestières ; ces recettes représentent parfois jusqu'à plus de 30 % des recettes courantes des communes forestières, et leur disparition se traduira par des déséquilibres budgétaires structurels.
Devant l'ampleur de ces dégâts, le Sénat a réagi rapidement. Dès le 11 janvier, le président de la commission des finances, M. Alain Lambert, et son rapporteur général, M. Philippe Marini, formulaient des propositions dans un communiqué. Le 19 janvier, une proposition de loi, signée de MM. Huriet, Delevoye, Fourcade et de nombreux sénateurs siégeant sur presque toutes les travées de la Haute Assemblée, était déposée ; elle était bientôt suivie par la proposition de loi de M. Nachbar et des membres du groupe des Républicains et Indépendants. Ce sont les conclusions du rapport de la commission des finances sur ces deux textes dont nous allons discuter ce matin. Je dois présenter les excuses de notre collègue, M. Huriet, retenu dans son département par une visite de M. Glavany.
Les préconisations formulées par les sénateurs répondent à trois objectifs : encourager l'investissement forestier et la reconstitution de la forêt ; atténuer la chute des cours pour permettre aux communes de vendre leurs chablis à un prix raisonnable ; permettre aux communes de gérer au mieux les recettes exceptionnelles qui résulteront de la vente des chablis afin d'alimenter leurs budgets successifs à mesure que les déséquilibres apparaîtront.
D'après ce que le Gouvernement a déclaré ces dernières semaines, notamment par le biais d'une circulaire interministérielle en cours d'élaboration et relative aux communes forestières, il partage notre diagnostic et nos objectifs. Nous ne pouvons que nous en féliciter car nombre de ces actions relèvent clairement de la compétence du pouvoir exécutif, alors que celle du législateur n'est pas évidente.
Mme la secrétaire d'Etat exposera mieux que moi le contenu des mesures que le Gouvernement entend mettre en oeuvre en faveur des commmunes forestières, mais, à ce stade, il faut se féliciter que le Gouvernement ait pu mener une négociation avec les établissements financiers qui a conduit à la mise en place, par décret du 1er février, de prêts bonifiés, au taux de 1,5 %, en faveur des exploitants forestiers. Ces prêts permettent de financer la sortie des bois abattus par la tempête ainsi que leur stockage.
Le Gouvernement, notamment le ministre de l'intérieur s'exprimant à cette tribune, a annoncé la mise en place d'autres prêts en faveur des communes et de leurs établissements publics qui accepteront de geler leurs coupes ou la vente des coupes réalisées, de manière à réduire l'offre disponible et donc à assainir le marché.
Dans un registre différent, plusieurs membres du Gouvernement ont annoncé que les communes forestières sinistrées pourraient bénéficier de subventions de fonctionnement lorsque la perte des ressources issues de l'exploitation forestière conduirait à des déséquilibres budgétaires significatifs.
Cette initiative du Gouvernement est très positive, car seul le pouvoir exécutif peut prendre des mesures qui accroissent les charges de l'Etat : c'est l'application stricte de l'article 40 de la Constitution. En revanche, il appartient au Parlement de veiller à ce que cette initiative ne reste pas une simple déclaration d'intention.
C'est pourquoi, madame la secrétaire d'Etat, je souhaiterais que vous puissiez nous préciser aujourd'hui dans quelles conditions les communes sinistrées pourront bénéficier de telles subventions, comment elles seront calculées, qui les attribuera, pendant quelle durée, notamment.
Nous estimons, quant à nous, que le préjudice enregistré par les communes forestières doit faire l'objet d'évaluations approfondies et incontestables.
C'est pourquoi nous proposons, à l'article 5 de la proposition de loi dont nous discutons, la mise en place de commissions départementales chargées de faire l'inventaire des dégâts et d'en calculer les conséquences financières. Nous souhaitons que les collectivités locales soient pleinement associées à cet exercice.
Les subventions de fonctionnement permettront d'atténuer les déséquilibres budgétaires des collectivités forestières, mais elles ne les résoudront pas entièrement.
C'est pourquoi, pour compléter l'action du Gouvernement dans ce domaine, nous proposons également, à l'article 3 de la proposition de loi, d'autoriser les collectivités locales à inscrire en section de fonctionnement de leur budget les attributions qu'elles reçoivent du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée, le FCTVA, lorsque ces attributions correspondent à des investissements de reconstitution des forêts sinistrées.
Nous estimons que cette entorse aux règles d'imputation comptable des recettes du FCTVA se justifie par l'ampleur des difficultés budgétaires que les communes forestières rencontreront dans les années à venir. De plus, la portée limitée, en termes de masse financière, de la mesure ne nous semble pas de nature à détourner le FCTVA de sa vocation de soutien à l'investissement local puisque l'assiette du fonds n'est pas étendue aux dépenses de fonctionnement.
Quoi qu'il en soit, au-delà des subventions et de l'assouplissement des règles comptables, il nous semble que le meilleur moyen de remédier aux déséquilibres budgétaires des collectivités forestières est d'encourager la relance de l'économie forestière.
Notre proposition de loi comprend à cet effet deux dispositions qui reprennent des suggestions formulées dès le 11 janvier dernier par M. le président de la commission des finances et par M. le rapporteur général et qui ont été par la suite reprises par le Gouvernement.
Il s'agit tout d'abord de l'application du taux réduit de TVA de 5,5 % à l'ensemble des travaux forestiers et de sylviculture, qui a été jugée eurocompatible par la Commission européenne. Cette disposition bénéficiera non seulement aux collectivités locales, mais à l'ensemble du secteur forestier.
Il s'agit ensuite d'étendre le régime de remboursement du FCTVA concernant les dépenses réelles d'équipement relatives à l'exercice en cours applicable aux communautés de communes et aux communautés d'agglomération, non seulement aux communes forestières, mais également à l'ensemble des collectivités victimes de la tempête et des inondations du mois de novembre 1999.
Ces deux dispositions présentent un caractère relativement consensuel puisque le Gouvernement a déjà fait savoir à plusieurs reprises qu'il comptait les introduire dans le collectif budgétaire du printemps. Nous nous contentons donc de « devancer l'appel » avec cette proposition de loi.
Avant d'en finir, je voudrais évoquer un point sur lequel les convergences avec la Gouvernement risquent d'être un peu moins évidentes.
De quoi s'agit-il ?
Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, la vente des chablis va procurer aux collectivités forestières des recettes importantes et exceptionnelles. Ces recettes ne constituent pas une divine surprise ; c'est plutôt la perception anticipée de recettes qui auraient dû intervenir au cours des années suivantes.
Ces sommes constituent donc des « disponibilités », que les collectivités locales doivent, comme le prévoit l'article 15 de l'ordonnance portant loi organique du 2 janvier 1959, déposer au Trésor. Ces dépôts, il faut le rappeler, ne sont pas rémunérés.
Les recettes provenant de la vente des chablis seront naturellement inférieurs à ce que les collectivités auraient tiré de la vente de la même quantité de bois si la tempête n'était pas intervenue. Il y aura donc un manque à gagner, même s'il y a des recettes exceptionnelles.
Pour éviter un second manque à gagner, les fonds provenant de la vente des chablis doivent pouvoir être placés plutôt que de « dormir » dans un compte non rémunéré au Trésor public.
Jusqu'ici, notre analyse rejoint celle du Gouvernement. En effet, celui-ci envisage, comme nous l'a indiqué le ministre de l'intérieur, d'autoriser les collectivités locales à effectuer des placements en bons du Trésor, quitte à inventer des coupures plus petites que celles qui sont normalement pratiquées dans ce domaine. De cette manière, les fonds provenant de la vente des chablis rapporteraient un intérêt aux collectivités locales, tout en restant dans le réseau du Trésor public, ce qui permettrait d'assurer la liquidité permanente de ce réseau selon la doctrine classique des années trente des finances publiques.
C'est ici que nous divergeons quelque peu. En effet, le ministre des finances peut décider des dérogations à l'obligation de dépôt des fonds libres au Trésor, et autoriser les collectivités locales à réaliser des placements. Mais il a également la faculté de les autoriser à se tourner vers le secteur financier et à acheter des titres cotés ou tout autre produit financier.
Une dérogation de nature comparable existe déjà et, compte tenu du caractère particulièrement exceptionnel de la destruction du patrimoine d'une collectivité locale par une calamité naturelle, il nous semble que la mise en place d'une autre dérogation pour les fonds provenant d'une telle perte de patrimoine ne serait pas de nature à remettre en cause le principe général des dépôts au Trésor des fonds libres. Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie pourrait donc décider, sans qu'une modification législative soit nécessaire, de permettre aux collectivités locales de placer des fonds provenant de la vente des chablis en dehors du réseau du Trésor. Mais je ne suis pas sûr qu'il le souhaite vraiment ! (Sourires.)
C'est pourquoi nous sommes conduits à proposer une modification de l'article 15 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances. J'ai bien conscience de ce que peut représenter une réforme de cette ordonnance, si l'on considère que c'est probablement, de nos textes institutionnels - puisque cette loi organique fait partie du corpus constitutionnel - le seul qui n'a pas été modifié depuis la mise en place de la Constitution de 1958. Alors que nous avons pris, ces dernières années, l'habitude d'aller au moins deux fois par an à Versailles pour modifier la Constitution, jamais encore nous n'avons touché à l'ordonnance du 2 janvier 1959, ce qui montre bien où se trouvent les véritables règles d'organisation de nos pouvoirs publics sous la Ve République.
Faut-il aujourd'hui modifier cette ordonnance à propos des ventes de chablis ? En posant ainsi cette question, madame la secrétaire d'Etat, je facilite votre tâche, puisque vous ne manquerez pas de me répondre sur ce point dans quelques instants ! (Sourires.)
Faut-il transformer cette ordonnance en une sorte de statue de bois doré que nous irions tous régulièrement adorer sans jamais revenir sur son texte ! (Nouveaux sourires.) C'est peut-être un peu excessif et, sans porter atteinte à l'ordonnance, on peut sans doute entrouvrir la porte.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Pour l'ouvrir toute grande ensuite !
M. Michel Mercier, rapporteur. C'est ce à quoi nous vous invitons, madame la secrétaire d'Etat. Force est en effet de constater que cette obligation de dépôt au Trésor des fonds libres des collectivités locales, qui est un des fondements de nos finances publiques - Gaston Jèze l'a dit fort bien dans les années trente et Bloch-Lainé dans son ouvrage consacré au mouvement général des fonds l'a écrit excellemment - est de moins en moins appliquée. Les grandes collectivités locales ont trouvé, avec les moyens que leur offre aujourd'hui le marché financier pour la gestion de leur trésorerie, la possibilité d'échapper en pratique à cette obligation de dépôt des fonds au Trésor.
Seules les petites collectivités, qui n'ont ni des moyens financiers importants ni de grandes capacités d'ingénierie financière, sont tenues, en fait, de respecter cette règle.
Je sais bien qu'il ne faut pas faire de grande réforme au détour d'un problème particulier. Je souhaiterais néanmoins que, sur ce point aussi, vous nous disiez clairement, madame la secrétaire d'Etat - même si la période ne s'y prête guère, je le conçois bien - comment vous voyez dans l'avenir les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales.
En effet, il est toujours difficile, lorsque vous placez votre argent dans un établissement, de devoir demander à votre voisin de vous aider parce que votre banquier - c'est un banquier obligatoire qui s'appelle le Trésor - refuse toujours de vous accorder des avances.
Pour toutes ces raisons, et surtout parce que l'ampleur des dommages subis par les collectivités forestières appelle des réponses rapides et adaptées, la commission des finances a adopté la présente proposition de loi dans les conclusions qu'elle soumet maintenant à votre délibération. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Nachbar.
M. Philippe Nachbar. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voilà quelques semaines, le 9 février dernier, notre assemblée débattait des conséquences de la tempête du mois de décembre. Intervenant lors de ce débat, j'avais à la fois dressé le bilan de la situation des communes forestières et de la filière bois en France et présenté quelques propositions que j'ai tenu, avec les membres du groupe des Républicains et Indépendants, à reprendre dans la proposition de loi qui est débattue ce matin.
J'avais indiqué alors que le temps du bilan était venu. Sans reprendre les chiffres que j'avais détaillés devant la Haute Assemblée, j'en citerai quelques-uns pour montrer l'ampleur des difficultés que connaît aujourd'hui la filière bois.
La forêt française a en effet perdu 115 millions de mètres cubes à ce jour, c'est-à-dire plus de 310 millions d'arbres. J'ajoute, puisqu'on ne parle bien que de ce que l'on connaît bien, que mon département, la Meurthe-et-Moselle, a perdu 8 millions de mètres cubes, soit l'équivalent de dix années de production.
Les conséquences de cette situation sont évidemment très lourdes pour l'environnement - je n'y reviendrai pas - et pour la filière bois sur le plan économique. Je n'oublie pas en effet, même si l'objet de notre débat d'aujourd'hui est la situation des communes forestières, qu'il y a aussi des professionnels qui vivent de la forêt et qui sont en grande difficulté.
Les conséquences de la tempête vont également peser très durablement sur le budget des communes forestières qui se voient confrontées à d'immenses difficultés tant à court qu'à moyen et à long terme.
A court terme - nous débattons de ce sujet depuis quasiment le lendemain de la tempête du 26 décembre 1999 - les communes sont toujours confrontées à un double problème. D'une part, il leur faut dégager les routes permettant d'accéder aux massifs forestiers. Or, il faut le savoir, aujourd'hui, dans l'est de la France, un certain nombre de massifs ne sont toujours pas accessibles parce que les communes, faute de moyens tant financiers que techniques, ne sont pas venu à bout de l'immense quantité de bois qui obstrue les voies. D'autre part, il leur faut assurer la récolte et le stockage des bois, et ce dans l'urgence pour certaines essences qui, nous le savons aujourd'hui, ne peuvent se conserver très longtemps lorsqu'elles sont à terre.
A moyen et à long terme, un autre problème s'ajoutera, dont nous mesurons aujourd'hui les conséquences : la chute des cours du bois.
Nous avions espéré, à la fin du mois de décembre 1999 et au début du mois de janvier 2000, que les bois chablis se vendraient dans des conditions convenables. Nous savons aujourd'hui que ce n'est pas le cas. L'ONF le constate jour après jour, puisqu'il est parfois obligé d'annuler des ventes publiques organisées pour vendre les bois des forêts endommagées.
Nous constatons aujourd'hui que les cours s'effondrent, que certains essences prestigieuses se vendent à 15 %, voire à 25 % du prix normal. Ces chiffres, je les ai obtenus hier, par téléphone, auprès de communes qui vendent des essences très recherchées comme l'alisier et le sycomore.
Par ailleurs, nous savons désormais que ce phénomène s'inscrit dans la durée. Une partie des bois tombés restera à jamais dans la forêt et sera par conséquent perdue. Il est, bien sûr, impossible d'évaluer aujourd'hui les pertes, mais je crains qu'elles ne soient tout à fait considérables.
Enfin, à plus long terme encore, les conséquences de la tempête seront particulièrement lourdes sur les budgets communaux.
A titre d'exemple, toujours en Meurthe-et-Moselle où les forêts publiques communales représentent 163 000 hectares, 90 000 hectares sont à terre ou gravement endommagés.
Certaines forêts communales, notamment de feuillus malheureusement, sont détruites à 90 %. Cela signifie que, pour trente, quarante, voire cinquante ans, les communes propriétaires de ces forêts ont perdu l'essentiel de leur ressource forestière, laquelle représentait parfois jusqu'à 40 % du montant de leur budget. C'est d'autant plus grave que ces communes vont devoir remettre en état leurs routes et régénérer leurs forêts.
L'effort d'investissement de ces communes va se trouver compromis par une telle situation, avec toutes les conséquences qui s'ensuivront pour les secteurs d'activité, notamment pour le bâtiment et les travaux publics. C'est la raison pour laquelle j'avais suggéré, voilà quelques semaines, devant le ministre de l'intérieur et le ministre de l'agriculture qui participaient à notre débat sur les conséquences de la tempête, un certain nombre de mesures que j'ai tenu, avec l'ensemble de mon groupe, à reprendre dans le texte que nous examinons aujourd'hui.
Elles s'articulent autour de trois idées que notre rapporteur vient d'évoquer d'une manière excellente. C'est la raison pour laquelle je me contenterai d'en rappeler les principes.
La première disposition consiste, par dérogation à l'ordonnance organique de 1959, à autoriser les communes à placer les fonds qu'elles vont retirer de la vente des chablis. Certaines communes vont enregistrer des gains qui pourront paraître importants. Mais cette augmentation des recettes est illusoire, puisque, en fait, elle traduit une perte très lourde, voire quasi totale, de la ressource.
Il importe donc que les communes puissent gérer les fonds au mieux. Or je crois que l'on peut faire confiance aux élus, aux maires adjoints et aux conseillers municipaux pour qu'aucune décision imprudente ne soit prise concernant la gestion de ces fonds.
La deuxième idée vise, afin d'encourager l'investissement forestier, à déroger aux règles prévalant en matière de fonds de compensation pour la TVA.
Dans un premier temps, j'avais envisagé d'en étendre l'application. Le rapporteur et la commission des finances ont choisi une voie que j'approuve entièrement, consistant à la fois à accélérer le versement de la TVA, à modifier les règles d'imputation des travaux forestiers et à en réduire à 5,5 % le taux, ce que le Gouvernement avait déjà annoncé et dont je ne peux que le complimenter.
Enfin, puisque la concertation s'est opérée dès le lendemain de la tempête entre les services de l'Etat et les élus, il me paraît important de mettre en place, dans chaque département forestier concerné, une commission associant à parité les services de l'Etat et les élus. La collaboration entre les services préfectoraux, l'ONF et les communes a été exemplaire ; il convient, par conséquent, de l'institutionnaliser. Cette commission aurait pour mission et de faire l'inventaire du préjudice financier subi par les communes et d'informer le Gouvernement de ce qui serait nécessaire pour remédier à ces situations.
Voilà, très simplement résumés, les trois axes du texte que mon groupe et moi-même avons déposé. Ces mesures dérogent au droit commun, comme l'a dit notre rapporteur. C'est d'ailleurs avec émotion que je l'ai entendu évoquer celui que, dans une maison proche d'ici, mes professeurs présentaient comme le pape des finances publiques. Je n'aurais jamais pensé que Gaston Jèze serait cité dans ce débat !
Je sais que ces mesures dérogent au droit commun, aux règles de base des finances publiques. Mais, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles !
Les communes forestières sont en droit aujourd'hui, et leur exigence grandit jour après jour en raison de l'ampleur de leurs difficultés et de l'instatisfaction que font naître les mesures qui sont prises, de dire qu'après le temps de l'émotion est venu le temps de la solidarité.
Tels sont, monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les objectifs et les idées qui sous-tendent la proposition de loi que mon groupe et moi-même avons déposée et que nous examinons aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la grande tempête du xxe siècle entraîne des dégâts qui s'affirment dans tous les secteurs de la vie sociale et économique, pour aujourd'hui mais aussi pour une bonne partie du début du nouveau siècle, et les chiffres sont impressionnants.
C'est ainsi que l'EDF estime le coût global de la tempête à 10 milliards de francs, avec 10 000 kilomètres de lignes réparées d'urgence et devant être consolidées. Par ailleurs, la SNCF évalue à 500 millions de francs les réparations des lignes, des voies et des bâtiments. Enfin, le million de déclarations de sinistres sera dépassé.
La forêt et l'agriculture sont les victimes principales de cette catastrophe.
En Bretagne, mais aussi en Meurthe-et-Moselle, des centaines de milliers de litres de lait ont été jetés.
En Dordogne, de nombreuses plantations de noyers sont détruites.
Dans le Sud-Ouest, pruniers et fraisiculture ont subi de lourds dégâts, le maraîchage aussi. Des élevages de volailles ont été décimés. Que l'on considère les abris tunnels pour l'aviculture ou les serres, c'est tout un outil de production qui a été touché. Il faudra du temps pour le reconstruire. L'effort national s'impose.
Aujourd'hui, nous parlons de la forêt, mais il ne faut pas oublier l'agriculture, qui, elle aussi, a besoin d'un grand effort national.
Avant de reparler du bilan, il nous faut nous interroger sur notre responsabilité. N'avons-nous pas rendu la forêt française plus vulnérable par une politique que bien des forestiers ont du mal à comprendre ? Depuis des dizaines d'années, nous pratiquons en effet une politique dommageable à notre forêt.
Dans une recherche de profit immédiat, ne pratique-t-on pas, avec la coupe à blanc, le raccourcissement des délais pour de nouvelles coupes, la régénération « table rase », une méthode rendant la forêt plus vulnérable aux ouragans et aux tempêtes et compromettant son développement ?
Où sont passés la régénération naturelle, les dégagements de semis qui protégent et valorisent le développement des essences, la régénération protectrice et fondée sur une vie naturelle des arbres ?
Il ne faut pas oublier non plus que l'augmentation des émissions de dioxyde de carbone résulte en premier lieu de la combustion des énergies fossiles. Mais elle se fonde aussi sur le recul de la forêt, qui joue le rôle d'absorbateur de dioxyde de carbone. La forêt est en effet un facteur de l'équilibre écologique de la planète.
Toujours dans une recherche de profit immédiat, n'a-t-on pas affaibli les forêts ancestrales de feuillus en replantants des résineux en plaine, là où la nature ne les aurait jamais admis ? Des résineux ont été plantés de façon inadaptée, ce qui les rend plus vulnérables aux assauts du vent. Evidemment, un chêne a besoin du siècle pour être un très bel arbre, alors qu'un résineux, il suffit d'attendre vingt ans pour le couper. Mais quelle différence, les essences de résineux en plaine ne donnant qu'un bois de qualité plus que médiocre !
Il faudra réfléchir avant de lancer la nouvelle stratégie forestière. Il n'existe plus de forêt primaire sur le territoire national, sauf peut-être en Corse. Notre forêt exige des interventions plus intelligentes.
Le rapport Bianco prévoit un développement de la ressource et de l'emploi, soit plus de 6 millions de mètres cubes de bois et plus de 100 000 emplois.
La prochaine loi forestière nous permettra de donner un avis à ce propos. En attendant, la forêt française a souffert à un point tel que, dans bien des régions, il faudra du temps pour la relever.
Le bilan fait apparaître 27 603 000 mètres cubes de chablis pour les forêts de collectivités. Les régions les plus touchées sont, par ordre décroissant en valeur absolue : la Lorraine avec 13,4 millions de mètres cubes de chablis, l'Alsace avec 3,8 millions de mètres cubes, la Champagne-Ardenne avec 3,49 millions de mètres cubes, la Franche-Comté avec 2,27 millions de mètres cubes et l'Auvergne avec 1,067 million de mètres cubes.
En valeur relative, c'est le Poitou-Charentes qui a le plus fort pourcentage de chablis en 1999 par rapport à la récolte de 1998 avec 25,44 %, suivi du Limousin avec 9,90 %, de Champagne-Ardenne avec 9,63 %, de l'Ile-de-France avec 9,09 %, de la Lorraine avec 9,01 %, de la Haute-Normandie avec 6,22 % et de l'Auvergne avec 5,04 %.
Ce ne sont pas seulement 11 000 communes forestières qui sont touchées. Les parcs et les bois des grandes agglomérations - je pense à ceux de Paris et de nos banlieues - sont également concernés.
En entendant défiler ces chiffres et pourcentages, n'est-ce pas l'ensemble de la forêt française qui est touché ?
Notre inquiétude est grande. Les populations et élus des communes forestières s'interrogent : comment faire ?
Après les intempéries, le ministre de l'agriculture a publié une brochure que nous ne pouvons qu'approuver et qui s'intitule : Gérer l'urgence, sauvegarder le patrimoine, préparer l'avenir. Quelles mesures pour les communes forestières ?
Je partage tout à fait l'analyse de M. le ministre. Trois objectifs majeurs sont définis : assurer la mobilisation des bois, permettre le stockage et favoriser la valorisation des bois, organiser la reconstitution des écosystèmes forestiers ; je les approuve.
Le Gouvernement a pris des premières mesures financières pour s'engager dans cette voie. Ses engagements portent déjà sur plus de 2 milliards de francs pour l'exercice 2000, auxquels s'ajoute la mise en place d'une enveloppe de prêts bonifiés de 12 milliards de francs. Ces crédits sont complétés par le recrutement de 250 agents forestiers et l'appel « au bois » de 200 ingénieurs et techniciens sous les drapeaux. Des aides immédiates ont été accordées pour le déblaiement des voies forestières et des emprunts assortis d'un faible taux d'intérêt ont été mis à disposition.
Mais, madame la secrétaire d'Etat, ces mesures sont-elles suffisantes pour aider les communes forestières qui tirent de la forêt de 40 % à 60 % de leurs revenus nets ? Nous ne le pensons pas.
Ces communes ont à équilibrer leur budget. Tous les bois touchés ne sont pas exploitables : près de 30 % seront en effet impropres à la vente. La recherche du profit en tout genre va conduire à l'affaiblissement des cours. La conservation des bois de qualité nécessite des investissements importants.
Certaines communes vont être contraintes à vendre, sans attendre, ce qui représente habituellement de six à sept années de récoltes. Des arbres vont encore tomber. Les bilans définitifs seront établis en avril et en mai.
Le groupe communiste républicain et citoyen est donc conduit à s'exprimer sur la proposition de loi rapportée par notre collègue de la commission des finances, Michel Mercier. Nous ne pouvons qu'approuver l'article 2 prévoyant que les dépenses réelles à prendre en compte pour le FCTVA seront celles de l'exercice en cours lorsqu'elles portent sur les dommages dus aux inondations et à la tempête.
L'article 3 permet l'inscription à la section de fonctionnement du budget de la commune des attributions du fonds correspondant à des dépenses d'investissement pour reconstitution de forêts sinistrées.
L'article 4 complète l'article 279 du code général des impôts permettant la réduction du taux de TVA pour les travaux de sylviculture et d'exploitation de forêts.
L'article 5 prévoit la constitution d'une commission paritaire, Etat et collectivités territoriales, pour déterminer le montant d'une subvention d'équilibre annuelle pour aider chaque commune à reconstituer la ressource financière.
On peut cependant s'interroger sur l'orientation du travail de ces commissions. En effet, il ne semble pas nécessairement souhaitable que soit institué un principe d'équilibre automatique sans contrepartie résidant, par exemple, dans le maintien de la vocation forestière des terrains boisés et frappés par la tempête.
Il s'agit donc là de mesures équilibrées, efficaces et susceptibles de permettre aux communes forestières de résoudre un problème local d'équilibre budgétaire et un problème national de valorisation de nos richesses forestières.
En commission des finances, j'ai émis un vote positif sur ces articles. Je pense que, de son côté, le Gouvernement les approuve, si j'en juge par le contenu des mesures déjà prévues par lui.
Pourquoi, mes chers collègues de la commission des finances, faire émerger un problème qui n'a alors plus rien à voir avec la tempête ?
L'article 1er que vous proposez est à l'image de la tempête forestière : il constitue une véritable bourrasque financière que nous ne pouvons accepter, même si, les besoins des communes concernées rapportés au nombre des communes touchées, les sommes en jeu ne dépassent pas, dans de nombreux cas, le million de francs.
Si le Sénat - le Gouvernement donnant son accord - adoptait le principe de l'article 1er - ce que je ne pense pas - les collectivités locales pourraient alors déposer leurs disponibilités ailleurs qu'au Trésor public. L'argent public « pur » serait transformé en argent public « de profit ». Vous comprenez bien, chers collègues, que nous entrons alors dans un monde financier nouveau car, très vite, de la forêt, nous passerions à tous les secteurs de la vie économique.
Votre proposition, monsieur le rapporteur, est aussi tempête, car elle ouvre un champ nouveau de dispersion de l'argent public et de rentabilité de celui-ci. En ce sens, elle répond pleinement aux souhaits des établissements bancaires privés, qui souhaitent, grâce au relâchement de quelques principes républicains budgétaires et comptables relatifs aux collectivités locales, faire main basse sur des mouvements financiers nouveaux issus des budgets des collectivités locales.
Nous avons combattu l'ordonnance du 2 janvier 1959. Mais, lorsque dans l'article 15 de cette ordonnance relative aux lois de finances, il est précisé que : « Les collectivités territoriales de la République et les établissements publics sont tenus de déposer au Trésor toutes leurs disponibilités », nous ne pouvons, comme républicains, que partager ce choix politique - jacobin peut-être - qui place au-dessus de l'argent producteur d'argent l'argent valeur publique respectée, utilisée pour le bien de tous.
Si nous dérogions à cet article 15 de l'ordonnance, un champ nouveau se dessinerait et, au-delà des circonstances exceptionnelles de tempête, les exceptions se multiplieraient et l'argent des communes pourrait alimenter la spéculation, avec toutes les conséquences des dérives prévisibles, et les élus auraient constamment la tentation de répondre à des propositions axées sur la rentabilité.
Quant à la question du rendement du placement des sommes déposées par les collectivités locales, on peut souligner que les dernières émissions d'obligations assimilables du Trésor portent aujourd'hui un intérêt de 3 % à 4 %, résultant d'ailleurs du mouvement de baisse des taux que nous avons noté en 1998 et en 1999, tandis que la dette publique est grevée d'un taux moyen de 5,58 %.
Une dernière question se pose : comment motivez-vous votre proposition ?
Première motivation : le placement des bons du Trésor représenterait une faible rentabilité. Peut-être ! Mais allez-vous souhaiter la hausse des taux d'intérêt, le retour de l'inflation et l'aggravation des déficits publics ? (M. le rapporteur rit.) J'en serais étonnée, compte tenu des propositions que je vous entends bien souvent faire en commission des finances.
Seconde motivation : une telle possibilité permettrait à certaines banques de renforcer leur réseau d'implantation et de prendre pied sur le marché des collectivités locales.
Ces deux motivations ne sont pas acceptables. Les communes n'ont pas encore été trop gangrenées par l'argent-roi - en l'espèce, il s'agit d'un faible argent-roi -...
M. Michel Mercier, rapporteur. Cela ne risque pas de leur arriver, compte tenu de ce que vous leur accordez comme dotations !
Mme Marie-Claude Beaudeau. ... mais, une fois la brèche ouverte, quelles en seraient les conséquences, monsieur le rapporteur ? Ces remarques nous conduisent à penser qu'un tel texte pourrait faire l'objet d'un consensus dont bénéficieraient les 11 000 communes forestières françaises et la forêt. Mais l'article 1er vient tout gâcher. S'il devait être maintenu en l'état, nous nous verrions contraints, avec beaucoup de regret, d'émettre un vote négatif. La forêt est noble. Elle doit être respectée, non seulement pour s'embellir, mais aussi pour survivre. De la forêt, l'homme a besoin et, comme l'affirmait saint Bernard, n'apprend-il pas autant dans les bois que dans les livres ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Voilà enfin une bonne référence !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Bravo pour la référence ultime ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme vous le savez tous, les conséquences de la tempête du 26 décembre dernier sont extrêmement lourdes pour les communes forestières. Le volume très important de chablis nous place en effet dans une situation économique et financière difficile, voire incertaine, car nous ignorons encore comment compenser les pertes des prochaines années. L'initiative de mes collègues Claude Huriet et Philippe Nachbar me semble à cet égard tout à fait excellente, et je souscris pleinement à leurs propositions de loi respectives.
Je veux souligner l'importance que revêt pour les communes forestières la possibilité de placer le produit des ventes de chablis hors des bons du Trésor. En effet, nous allons vendre cette année le double, le triple - voire vingt fois plus parfois pour certaines communes - de ce que nous aurions dû vendre chaque année. En revanche, nous vendrons très peu ou rien les trois, quatre, cinq ou vingt prochaines années. Cela représentera à terme, bien entendu, un manque à gagner considérable pour les communes forestières.
La possibilité - et non l'obligation - de réaliser des placements financiers dans le secteur privé semble à cet égard une bonne solution pour réduire la dépendance à la solidarité nationale et pouvoir sinon rééquilibrer les budgets de nos communes - ce serait trop beau ! - du moins les améliorer. Les intempéries exceptionnelles que nous avons subies à la fin de l'année 1999 justifient, me semble-t-il, une dérogation aux règles financières qui s'imposent habituellement aux collectivités locales.
Je ne reviens pas sur ce qu'a dit excellement notre rapporteur Michel Mercier, mais je voudrais citer, pour traduire le problème général que je viens d'exposer, un exemple que je connais bien : celui de la commune de Sapois, dans le Jura, dont je suis maire et qui a cette année - elle n'est pas l'une des plus sinistrées, j'allais dire gangrenées, madame Beaudeau - 2 500 mètres cubes de chablis.
Ce volume représente à peu près les ventes de cinq années, qui auraient rapporté, bon an mal an, 200 000 francs par an, c'est-à-dire le quart du budget de fonctionnement annuel de ma commune. Sur cinq ans, ces recettes se seraient élevées à 1 000 000 francs. Or je viens de vendre, et j'ai eu beaucoup de chance, 2 000 mètres cubes pour une recette nette de 380 000 francs. En espérant vendre les derniers 500 mètres cubes au même prix, ma commune percevrait une recette nette complémentaire de 70 000 à 80 000 francs. C'est donc une recette globale de 450 000 francs que je percevrai cette année, mais pour cinq ans. Je subirai donc une perte de 550 000 francs par rapport aux recettes perçues en situation normale. Ce n'est pas négligeable pour une petite commune de trois cents habitants.
Vous comprendrez, madame le secrétaire d'Etat, que je cherche à faire fructifier le plus possible les 250 000 francs que je n'espérais pas en 2000 pour compenser un peu les pertes des années futures, en utilisant les possibilités offertes par la proposition de loi de Claude Huriet que j'ai cosignée.
J'avais d'ailleurs espéré que l'Etat instituerait un fonds de mutualisation, qui aurait permis à ma commune de Sapois de transférer les 250 000 francs de trop-perçu cette année à des communes qui ont accepté de geler leurs coupes, c'est-à-dire de ne pas vendre leur bois cette année afin de ne pas envenimer la crise. Mais, hélas ! rien de tel n'a été proposé, d'où mon souhait de placer cet argent pour essayer de ne pas trop dépendre, à l'avenir, de la solidarité nationale.
Je voudrais maintenant aborder un autre sujet : la création d'aires de stockage pour conserver les bois par aspersion.
La communauté de communes que je préside va réaliser deux de ces aires afin d'accueillir environ 50 000 mètres cubes de bois de qualité. Ces bois ne viendront pas, ou peu, des communes membres de la communauté, car celles-ci ne possèdent pas, hélas ! de bois à forte valeur. Ils viendront d'autres communes du Haut-Jura qui ont subi des dégâts considérables, en termes de quantité, certes, mais aussi de qualité, s'agissant en particulier des épicéas, essence de grande valeur mais très sensible aux maladies, et qu'il faut d'urgence préserver. Il en va de même des hêtres en ce qui concerne les feuillus.
Ces communes du Haut-Jura, riches en valeur forestière, n'ont pas suffisamment de points d'eau pour assurer l'arrosage de leurs produits, d'où l'idée, pour résoudre ce problème, de se tourner vers le territoire de ma communauté, au nom prédestiné puisque composé des noms de deux rivières, l'Ain et l'Anguillon, par conséquent un territoire riche en eau.
Par solidarité, nous avons donc accepté la création d'aires de stockage. Mais, en ma qualité de futur maître d'ouvrage, je suis dans le flou le plus complet tant au regard du taux définitif de subvention - on m'a parlé de 80 %, mais cela n'a rien d'officiel - qu'au regard de la TVA.
D'après des informations toujours non officielles, ma communauté de communes pourra être assujettie à la TVA au taux actuel de 20,6 %. Cela signifie que, pour 1 000 000 francs de travaux hors taxe, je paierai 1 206 000 francs toutes taxes comprises. Certes, je récupérerai les 206 000 francs de TVA, mais, d'après les renseignements que j'ai pu obtenir, l'activité de telles zones n'étant pas pérenne, je devrai restituer au bout de trois ans, en fin d'activité de ces zones, 17/20 de ces 206 000 francs, c'est-à-dire 170 000 francs. Dans ce cas, il faudra bien que la communauté de communes inclue ces 170 000 francs dans le coût de facturation. Ce sont les services fiscaux de mon département qui m'ont donné ces renseignements, lesquels ont été confirmés par la préfecture.
Le coût à la charge des communes qui auront déposé leur bois va donc être majoré. Ne serait-il pas possible, madame le secrétaire d'Etat, pour éviter cela, de réduire à 5,5 %, comme cela vient d'être décidé pour d'autres activités forestières, le taux de la TVA applicable aux travaux effectués sur ces aires ? Tel est l'objet de l'amendement que j'ai déposé à l'article 4.
Enfin, je voudrais profiter de cette occasion pour rappeler les contraintes d'organisation du travail dans les entreprises de première transformation du bois. Certes, il ne s'agit pas, madame le secrétaire d'Etat, de votre domaine de compétence. J'avais alerté Mme Aubry sur ce point en lui demandant si des dérogations pouvaient être apportées à l'application de la loi sur les 35 heures compte tenu des circonstances, qui entraînent des durées de travail importantes, supérieures à 35 heures. Je n'ai toujours pas de réponse alors que la situation exige que des mesures soient prises très rapidement.
Telles sont, monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les observations d'un homme de terrain sur certains problèmes forestiers liés à la tempête et sur les excellentes propositions de mes collègues MM. Claude Huriet et Philipe Nachbar.
J'insiste sur l'extrême urgence qu'il y a à prendre des décisions, des décisions claires, précises et réalistes. Il faut en effet mettre un terme à une période d'attente qui n'a que trop duré, alors que l'arrivée des beaux jours risque de favoriser le développement très rapide des maladies du bois. Ce serait alors une nouvelle catastrophe, au plan tant écologique qu'économique. Une suffit amplement ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens d'abord à saluer l'excellente initiative de MM. Huriet, Delevoye, Fourcade et Jourdain, ainsi que celle de M. Nachbar, qui, en déposant les propositions de loi organique dont nous discutons aujourd'hui, ont montré, une fois de plus, combien le Sénat était vigilant sur le rôle qui lui est confié à l'article 24 de la Constitution, soucieux des difficultés rencontrées par les collectivités locales, et qu'il restait le lieu privilégié de débat sur tout ce qui concerne ces dernières.
C'est la capacité même de notre chambre à être une force de proposition constructive que nous démontrons aujourd'hui par l'examen de ces textes. Leur inscription à l'ordre du jour dans le cadre de la « fenêtre parlementaire » témoigne du fort attachement des sénateurs aux problèmes quotidiens des collectivités locales. C'est encore la démonstration que le réalisme et la connaissance du terrain font la qualité du travail du législateur.
Certes, la Constitution encadre strictement l'initiative législative du Parlement ; cependant, la discussion des textes qui arrivent devant nous aujourd'hui va permettre de poser la question de la modernisation des relations financières entre l'Etat et les collectivités locales, modernisation que chacun trouve indispensable.
Le groupe du RPR s'est largement associé à cette initiative législative pour plusieurs raisons, au premier rang desquelles l'urgence qui doit nécessairement s'attacher à la prise en considération des conséquences des tempêtes du mois de décembre 1999.
Le dispositif contenu dans les propositions de loi qui nous sont soumises me semble répondre au triple impératif auquel les maires des communes forestières sont confrontés, à savoir : assurer à moyen terme l'équilibre de leurs finances publiques, maintenir la valorisation du patrimoine et veiller, à terme, au bon entretien du domaine. Il n'est naturellement pas question de déroger définitivement au principe fondateur des finances publiques, qui interdit le placement des produits des propriétés domaniales sur la place privée. Il ne s'agit nullement en effet de spéculer avec l'argent public. Il est seulement question d'adapter notre droit financier aux évolutions qui se sont produites dans les vingt dernières années.
Il s'agit en outre de prendre en compte les conséquences financières qui vont résulter pour les communes des événements du mois de décembre.
Certes, face à l'obligation imprévue de la vente des bois, les communes forestières vont disposer d'une manne financière qui, par son ampleur, va, dans un premier temps, largement excéder leurs besoins habituels. Par ailleurs, cette manne sera immédiatement disponible, mais sa valeur absolue sera largement inférieure à celle qu'elle aurait pu être sur le long terme. En effet, compte tenu de la chute des cours du bois, de la piètre qualité des chablis et des lourdes charges dues au déblayage, la perte financière des communes sera très importante.
L'obligation de placement des fonds disponibles des collectivités locales au Trésor n'est donc pas remise en cause. Il convient simplement de constater que la libre gestion temporaire des fonds provenant exclusivement de la vente de ces chablis est de nature à atténuer les conséquences financières catastrophiques de la tempête de décembre 1999. Elle constituerait par là même une mesure de bonne administration, d'anticipation et de prévisibilité.
Il n'est plus à prouver que le marché privé est plus attractif que le Trésor. Il existe toute une série de produits financiers à très faible risque mais très rémunérateurs.
Cette considération est à prendre en compte dans la mesure où les fonds disponibles des collectivités sont actuellement placés sans intérêt au Trésor et que le risque encouru resterait mesuré du fait de la diversité des produits offerts. Le fait pour les collectivités de pouvoir tirer un meilleur parti des fruits de leur capital, largement endommagé, pourrait compenser en partie les pertes enregistrées.
Le dispositif dont nous discutons n'est pas complètement révolutionnaire puisque le ministre des finances est implicitement autorisé à déroger aux règles de placement des fonds des collectivités par l'article 15 de l'ordonnance portant loi organique relative aux lois de finances du 2 janvier 1959. Il convient donc d'inviter M. le ministre à mettre en oeuvre les prérogatives que le législateur a entendu lui conférer dès la mise en place de notre Constitution.
D'autres mesures proposées par la commission, comme l'accélération du versement des attributions du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée ou encore l'imputation des attributions du FCTVA en section d'investissement dans le budget des collectivités sinistrées, de même que la diminution du taux de TVA sur l'ensemble des travaux forestiers sont de nature à encourager les travaux de réparation et de reconstitution de la forêt, tâche à laquelle chacun doit s'atteler.
De même, la proposition qui consiste à associer les collectivités à l'évaluation des conséquences financières des dommages qui ont été causés à leur patrimoine permettra de resserrer les liens de confiance qui existent au niveau local entre le représentant de l'Etat et les maires. L'inscription de ce principe de participation va dans le bon sens et constituerait un gage pour les élus locaux.
Cependant, les communes forestières ne sont pas les seules à souffrir des conséquences de la tempête et mon propos serait incomplet si je n'évoquais pas plus globalement la politique forestière qui a découlé de cet événement. M. le rapporteur a lui-même pris acte de la nécessité d'élargir le débat : force est de constater que, sur le terrain, l'administration n'a pas toujours été en mesure de répondre aux interrogations des maires, et ce malgré l'extrême disponibilité et la grande compétence des préfets et des agents, que je salue ici.
Si les fonctionnaires disposaient effectivement de circulaires, ils n'avaient pas toujours connaissance de l'articulation pratique ou juridique des mécanismes proposés par le Gouvernement. Les choses ont donc été longues à se mettre en place, beaucoup trop longues.
Les blocages administratifs ont été trop nombreux et ils le demeurent. Il y a un décalage évident entre le terrain et la structure centrale.
Les déclarations de sinistre étant faites, peu d'éléments de réponse concrets nous sont maintenant apportés. Le montant global des enveloppes allouées par l'Etat nous est parfois avancé, sans que jamais un dispositif prévisionnel précis ou un véritable plan de sauvetage de la forêt nous soit soumis, et ce bien qu'il ait été annoncé ; et cela fera bientôt trois mois que la catastrophe s'est produite !
Que constatons-nous aujourd'hui ?
Certes, le Gouvernement a annoncé le déblocage de plusieurs milliards de francs à destination de la filière bois, mais, sur cette somme globale mise à disposition des collectivités et des particuliers, ce sont essentiellement des prêts à taux bonifiés qui sont proposés.
Pour bénéficier de ces prêts, les forestiers se voient exiger par les banques des garanties qu'ils ne pourront pas apporter. Je soulignerai par ailleurs que, dans un premier temps, ils ne connaissent pas encore les établissements bancaires référents. Il existe donc une évidente inadéquation entre les moyens mis en oeuvre et les objectifs visés.
Dans la somme de 1,2 milliard de francs effectivement mobilisée pour la forêt, je déplore l'extrême complexité du morcellement des aides publiques : celle-ci ne manque pas d'engendrer ces blocages administratifs que je soulignais à l'instant et qui paralysent l'intégralité de la chaîne de subvention.
Il faut donc envisager de toute urgence des aides à l'exportation et un soutien actif des cours du bois, mais aussi dégager un volet fiscal volontariste pour alléger les charges non seulement des communes forestières, mais aussi des entreprises de la filière et des propriétaires afin de leur donner les moyens de reconstituer le patrimoine perdu.
Sur le plan local, on ne peut pas passer sous silence le fait que l'intervention des conseils généraux et des conseils régionaux a le plus souvent permis de répondre aux situations d'urgence : c'est une nouvelle démonstration de l'intérêt du rapprochement de la prise de décision des administrés.
A circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles. L'urgence commande.
Les bois se détériorent, s'abîment ; les insectes vont les endommager ; de réels risques d'incendie vont apparaître tant il est évident que toutes les forêts ne seront pas dégagées avant l'été. Les feux, notamment dans le sud de la France, sont considérés par tous comme inévitables.
Des champignons germent et endommagent les bois dans les Landes. Ailleurs, c'est la pourriture qui menace. D'ores et déjà, 70 millions de mètres cubes de bois sont perdus, soit la moitié des 140 millions de mètres cubes qui ont été endommagés. Le manque à gagner pour les communes et les propriétaires privés va être catastrophique.
Perte financière d'une part, problèmes juridiques, d'autre part : les élus sont confrontés à de multiples difficultés.
En cas d'accident, leur responsabilité, celle des collectivités, ne manquera pas d'être engagée sur la base du défaut d'entretien normal. Les tribunaux sont parfois sévères : ils pourraient arguer de la prévisibilité des incidents. Toutes ces interrogations sont le quotidien de nos collègues maires : ils nous interpellent, nous devons les écouter.
Je ne peux, vous le comprendrez, manquer d'évoquer à la tribune de cette assemblée la problématique spécifique du département de la Loire. Au-delà du simple propos sur les communes forestières, dois-je vous dire combien je déplore que le Gouvernement n'ait à aucun moment jugé souhaitable le classement total ou partiel de notre département en zone de catastrophe naturelle ? « Cela ne change rien » nous a-t-on assuré, mais, si cela ne change rien, pourquoi la procédure existe-t-elle ?
Comment puis-je faire comprendre à mes collègues, maires ruraux de communes, forestières ou non, que « cela ne change rien », alors qu'à une dizaine de kilomètres de là, dans le Puy-de-Dôme, la commune voisine a, elle, été classée en zone sinistrée, et que cela change tout, notamment quant à l'écoute des compagnies d'assurance et à la diligence avec laquelle le dossier sera traité par l'administration ?
Dans certaines communes de mon canton, le patrimoine forestier a été anéanti à hauteur de 80 %. Je prendrai le seul exemple de Rozier-Côtes-d'Aurec, où 600 hectares de bois répartis en 2 500 parcelles concernant quelque 500 propriétaires ont été littéralement ravagés, soit 40 000 mètres cubes de bois d'une valeur de 10 millions de francs sur lesquels une moins-value de l'ordre de 50 % à 100 % va être enregistrée.
Il y a donc urgence pour le Gouvernement à mettre en place le véritable plan pluriannuel de reconstitution de la forêt qu'il a annoncé et que demandent les maires. Il doit en délimiter les orientations. C'est le but même de notre discussion. N'oublions pas que la forêt qui a été ravagée est le leg de deux, trois, voire quatre générations, et qu'il a fallu attendre la fin du xixe siècle pour que la France se bâtisse un vrai patrimoine forestier.
Nous ne devons pas oublier non plus que le temps du droit n'est pas le temps de la forêt. Il faut anticiper. Ce plan d'envergure est une urgence absolue. Il doit être mis en place en direction des communes, bien sûr, mais pas uniquement ; il doit aussi viser les propriétaires privés, le plus souvent non assurés, qui ont vu anéanties des années d'effort, qui ont vu détruit ce qu'ils avaient reçu de leur famille.
La proposition de loi organique dont nous discutons aujourd'hui me semble être un excellent point de départ pour le plan que je réclame au Gouvernement. Mais elle ne peut à elle seule suffire à répondre à tous les besoins qui s'expriment dans le domaine forestier. Elle y répondra simplement en ce qui concerne le volet domanial des collectivités locales.
Je déplore le flou qui entoure les positions gouvernementales : c'est le moment, pour le Gouvernement, de nous prouver non plus sa capacité à réagir, mais sa capacité à anticiper !
Certes, la situation est exceptionnelle, nous l'avons dit, mais ce caractère ne doit pas pour autant dispenser l'Etat de l'obligation qui lui incombe de remplir l'intégralité de ses responsabilités.
En votant les conclusions que lui soumet la commission, le Sénat adresse un message fort en direction des communes les plus touchées par la tempête ; il donne aussi un signal au Gouvernement. Je forme le voeu que la proposition de loi organique, dont l'initiative revient aux membres de la majorité sénatoriale, soit largement adoptée et qu'elle reçoive, en dehors des clivages traditionnels, l'accueil favorable et consensuel qu'elle mérite devant l'Assemblée nationale.
Mes chers collègues, vous le voyez, les questions restent nombreuses, et, au-delà du dispositif que nous allons adopter - dispositif largement inspiré par la nécessité de bonne administration des fonds publics - c'est un ensemble de réponses que nous attendons du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. En vous saluant respectueusement, je vous donne la parole, madame le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez, à travers cette proposition de loi, soulevé un véritable problème, qui touche l'ensemble de nos communes forestières dévastées par les tempêtes de la fin de l'année 1999.
Ce sont environ 115 millions de mètres cubes de bois, correspondant à 110 millions d'arbres, 27 millions de mètres cubes de chablis, représentant plusieurs années d'exploitation de la forêt française, qui ont ainsi disparu.
Face à cette situation, le Gouvernement a immédiatement réagi et a apporté des réponses aux situations très difficiles qu'elle a créées.
La forêt, mesdames, messieurs les sénateurs, est un facteur d'équilibre de la planète, comme l'a fort bien rappelé Mme Beaudeau. C'est aussi un facteur d'équilibre pour notre pays, qui a une grande tradition forestière.
Toutefois, le texte que le Sénat s'apprête à adopter ne me paraît pas adapté, et cela pour au moins deux raisons principales.
D'abord, il traite de questions auxquelles le Gouvernement a déjà apporté, ou est en train d'apporter des réponses. Il fait en effet de l'aide aux communes forestières une de ses priorités essentielles ; or, comme vous le savez, un plan national d'action en faveur de la forêt française a été adopté.
Ce programme spécifique comporte trois axes majeurs : tout d'abord, assurer la mobilisation des bois ; ensuite, permettre le stockage et favoriser la valorisation des bois ; enfin, organiser la reconstitution des écosystèmes forestiers. Les communes forestières sont éligibles à l'essentiel des mesures prises dans ce cadre.
Nous avons mis en oeuvre une aide à la réouverture des routes et pistes forestières.
Nous avons mis en place des subventions pour la création d'aires de stockage humide des bois.
Nous avons également prévu des prêts bonifiés à 1,5 % pour préfinancer l'abattage et la sortie des bois, pour une enveloppe totale de 8 milliards de francs.
Nous avons mobilisé des subventions pour la reconstitution des forêts sinistrées, ainsi qu'une aide au transport des bois abattus.
Certes, s'agissant des aires de stockage des bois, question évoquée par M. Jourdain, nous ne pouvons que regretter que le taux de la TVA n'ait pu être réduit à 5,5 %. La Commission de Bruxelles ne nous a en effet autorisés à le faire que pour les travaux forestiers à proprement parler. Sont ainsi exclus les travaux concernant les aires de stockage.
Nous ne pouvons que le regretter, je le répète, mais c'est aussi pour cette raison que le Gouvernement a décidé d'accorder une enveloppe de 4 milliards de francs de prêts bonifiés pour l'aide au stockage, prêts qu'il a voulu aussi ouverts que possible.
Les communes forestières bénéficient également, indirectement, des dispositions mises en oeuvre dans un cadre collectif, telles que les mesures phytosanitaires, qui représentent 100 millions de francs, l'accompagnement technique et organisationnel - mobilisation d'ingénieurs et de techniciens -, l'attribution de bourses de travaux forestiers ou les aides au transport de bois, qui représentent un volume global de subvention de 700 millions de francs.
Les communes forestières peuvent enfin, dans certains cas, avoir accès à d'autres types d'aides prévues pour les entreprises du secteur forestier : aide à l'acquisition de matériel d'exploitation forestière - 50 millions de francs - ou mesures en faveur de l'emploi et de la formation.
M. Fournier s'est interrogé quant à lui sur le volet fiscal des mesures arrêtées par le Gouvernement. Parmi ces nombreuses mesures, il en est une très importante que vous avez tous remarquée : le passage du taux de la TVA de 20,6 % à 5,5 % pour tous les travaux d'exploitation forestière effectués au profit d'exploitants agricoles, tels que la plantation, le débardage et l'élagage. Ce taux s'applique également à l'abattage et au tronçonnage des arbres.
A cette mesure s'en ajoutent deux autres : d'une part, le dégrèvement exceptionnel de taxe foncière pour les propriétaires forestiers et, d'autre part, des déductions de charges exceptionnelles des revenus tirés de l'exploitation forestière.
Dans son ensemble, le plan pour la forêt mobilisera plus de 2 milliards de francs au cours de l'année 2000. A plus long terme, c'est toute la forêt française qu'il faudra reconstituer. A cet effet, le Gouvernement a prévu un effort considérable pour le reboisement : 6 milliards de francs de subventions y seront consacrés sur les dix prochaines années.
Ces mesures seront aussi complétées dans les jours à venir, par voie de circulaire, par de nouvelles dispositions qui concerneront spécifiquement les communes forestières.
Permettez-moi d'en énoncer les grands axes.
Le premier concerne un dispositif d'aide aux communes forestières sinistrées, dont l'objectif est d'éviter que des communes et des établissements publics de coopération intercommunale, confrontés à la disparition de recettes d'exploitation du fait des destructions occasionnées à leur patrimoine forestier, soient, pendant plusieurs années, dans l'incapacité de voter leur budget en équilibre, ce qui risquerait d'entraîner une saisine de la chambre régionale des comptes, comme l'a justement souligné M. Nachbar.
Afin d'y parvenir, il sera donc procédé à une évaluation précise de la situation financière des communes confrontées à la disparition de recettes d'exploitation du fait des destructions occasionnées à leur patrimoine forestier.
Pour ce faire, des commissions départementales présidées par le préfet et associant les élus locaux seront chargées de cette évaluation, conformément à la demande de M. le rapporteur.
Cette évaluation servira de base à la mise en oeuvre d'un dispositif d'aide budgétaire aux communes forestières sinistrées.
Le deuxième axe vise à élargir les possibilités de placement budgétaires pour les communes forestières.
Compte tenu du caractère très exceptionnel, par leur ampleur, des ventes de chablis, les recettes tirées de ces ventes peuvent être assimilées à une aliénation forcée du patrimoine communal. Il est donc possible de placer le produit de ces ventes en placement budgétaire par dérogation à la règle du dépôt des fonds libres au Trésor.
Les communes forestières sont donc autorisées à souscrire auprès du réseau des comptables du Trésor des bons à taux fixe émis par le Trésor, à partir d'un seuil qui a été considérablement abaissé - 1 000 euros - qui viendront s'ajouter aux placements en bons du Trésor à taux annuel normalisé ou en obligations assimilables du Trésor. Cela garantit aux communes des placements sûrs, non spéculatifs, conformément aux principes républicains justement défendus par Mme Beaudeau.
Le troisième axe concerne les communes forestières non sinistrées, pour lesquelles ont été prévus des prêts bonifiés.
Pour assurer une meilleure régulation des cours du bois, les communes forestières non sinistrées ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale sont encouragés à reporter la réalisation des coupes de bois déjà vendues en 1999 et à reporter les coupes prévues en 2000 ou 2001, notamment par leur document d'aménagement.
Ces communes bénéficieront de prêts bonifiés à 1,5 % décidés par le Gouvernement dans le cadre du plan national en faveur de la forêt pour prendre en compte le manque à gagner occasionné par ces reports de coupes ou de ventes.
Une commission départementale ad hoc sera créée pour instruire les demandes des communes, attester de la réalité du report des coupes de bois et fixer le montant maximum des prêts bonifiés par l'Etat auquel peut prétendre chaque collectivité.
J'ai dit tout à l'heure que cette proposition de loi me paraissait devoir être retirée pour au moins deux raisons.
La première tient au fait que, pour l'essentiel des problèmes soulevés, le Gouvernement a déjà apporté un certain nombre de réponses ou est en train de le faire.
La seconde raison, c'est que cette proposition de loi contient des dispositions qui sont, en fin de compte, beaucoup moins favorables pour les collectivités locales que les mesures que le Gouvernement a prévues ou met déjà en oeuvre.
En l'occurrence, ce dont les collectivités locales ont le plus besoin, c'est de rapidité et de souplesse.
Tout d'abord, ainsi que cela a été très justement souligné par M. Jourdain, face aux difficultés consécutives aux tempêtes de décembre, les collectivités locales, notamment les communes forestières, ont besoin d'une action rapide. Or, sans sous-estimer le moins du monde la volonté du Sénat de venir en aide à ces collectivités - une volonté que, encore une fois, je comprends et partage - il m'apparaît qu'une proposition de loi organique n'est pas forcément le vecteur optimal pour atteindre l'objectif visé, ce que, m'a-t-il semblé, monsieur le rapporteur, vous avez vous-même bien voulu reconnaître.
En effet, les délais inhérents à l'adoption d'un tel texte, compte tenu notamment de la nécessité pour les deux assemblées de trouver un accord, ne doivent pas être négligés. Cela donne à penser que les mesures préconisées, compte tenu du calendrier législatif, ne pourraient entrer en vigueur, si elles étaient adoptées, avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
Or les communes forestières, je le répète, ont besoin d'obtenir rapidement des réponses à leurs problèmes. C'est pourquoi le Gouvernement a pris l'engagement - et, bien entendu, il le respectera - d'inscrire dans le collectif budgétaire de printemps l'ensemble des mesures financières d'urgence consécutives aux intempéries.
L'inscription de ces mesures en collectif permettra d'apporter une prompte réponse aux besoins des collectivités locales et d'éviter les incertitudes liées au cheminement législatif d'une proposition de loi organique.
Mais les communes forestières ont également besoin d'un régime juridique exceptionnel caractérisé par la souplesse.
C'est encore un objectif qui ne me paraît pas susceptible d'être atteint aisément par la voie que vous avez retenue, mesdames, messieurs les sénateurs.
En effet, en voulant en même temps ouvrir un débat sur la modification de l'ordonnance organique de 1959 - ce « pilier » encore intact des finances publiques - adapter le code général des impôts dans un domaine qui fait d'ailleurs l'objet d'un examen attentif de la part des autorités communautaires - et nous avons vu que nous nous heurtions à leur volonté, s'agissant de la baisse de la TVA sur les travaux relatifs aux aires de stockage - et enfin modifier le code général des collectivités territoriales, on ne peut fournir une réponse suffisamment souple et adaptée aux besoins des communes forestières.
Ces communes ont besoin moins d'un débat législatif que de réponses concrètes, de facilités immédiates dans leur gestion financière et comptable, d'une souplesse accrue de fonctionnement. Ces facilités, cette souplesse accrue, le Gouvernement est précisément en train de les leur apporter sans attendre.
Au total, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi, si elle est inspirée par des considérations que je comprends parfaitement, ne me paraît offrir ni sur le plan de la méthode ni sur le fond les réponses adaptées aux difficultés que rencontrent les communes particulièrement touchées par les intempéries.
Elle est, en outre, susceptible d'ouvrir un débat plus général sur l'équilibre des relations financières entre l'Etat et les collectivités locales, débat que nous ne saurions épuiser à cette seule occasion.
Voilà pourquoi je souhaite le retrait de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

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