Séance du 9 mars 2000






MESURES FISCALES TENDANT
AU DÉVELOPPEMENT DU MARCHÉ DE L'ART

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 250, 1999-2000) de M. Yann Gaillard, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur :
- la proposition de loi (n° 468, 1998-1999) de MM. Yann Gaillard, Louis Althapé, Pierre André, Jean Bernard, Roger Besse, Jean Bizet, Mme Paulette Brisepierre, MM. Jacques Chaumont, Jean Chérioux, Charles
de Cuttoli, Xavier Darcos, Désiré Debavelaere, Luc Dejoie, Jacques Delong, Christian Demuynck, Charles Descours, Michel Doublet, Daniel Eckenspieller, Bernard Fournier, Alain Gérard, Francis Giraud, Daniel Goulet, Georges Gruillot, Jean-Paul Hugot, Roger Husson, André Jourdain, Lucien Lanier, Gérard Larcher, René-Georges Laurin, Jacques Legendre, Jean-François Le Grand, Philippe Marini, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Jacques Oudin, Victor Reux, Martial Taugourdeau et Jacques Valade tendant à aménager le régime fiscal des achats d'oeuvres d'art par les entreprises ;
- la proposition de loi (n° 469, 1998-1999) de MM. Yann Gaillard, Louis Althapé, Pierre André, Jean Bernard, Roger Besse, Jean Bizet, Mme Paulette Brisepierre, MM. Jacques Chaumont, Jean Chérioux, Charles de Cuttoli, Xavier Darcos, Désiré Debavelaere, Luc Dejoie, Jacques Delong, Christian Demuynck, Charles Descours, Michel Doublet, Daniel Eckenspieller, Bernard Fournier, Alain Gérard, Francis Giraud, Daniel Goulet, Georges Gruillot, Jean-Paul Hugot, Roger Husson, André Jourdain, Lucien Lanier, Gérard Larcher, René-Georges Laurin, Jacques Legendre, Jean-François Le Grand, Philippe Marini, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Jacques Oudin, Victor Reux, Martial Taugourdeau et Jacques Valade portant diverses mesures fiscales tendant au développement du marché de l'art et à la protection du patrimoine national.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Yann Gaillard, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'ordre du jour réservé du Sénat appelle en effet l'examen de deux propositions de loi tendant respectivement à aménager le régime fiscal des achats d'oeuvres d'art par les entreprises et à prévoir diverses mesures fiscales tendant au développement du marché de l'art et à la protection du patrimoine national.
Les mesures à caractère essentiellement fiscal contenues dans ces deux propositions de loi constituent l'aboutissement de l'étude que j'ai entreprise au nom de la commission des finances sur les aspects fiscaux et budgétaires d'une politique de relance du marché de l'art en France.
Je constate qu'il a été beaucoup question ces derniers mois - cela finit peut-être même par lasser l'assistance - du marché de l'art, qui s'est trouvé, une fois n'est pas coutume, au coeur de l'actualité législative.
Il y a d'abord eu le projet de loi portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, que le Sénat vient d'adopter en deuxième lecture et dont on espère qu'il sera voté définitivement - enfin ! - avant le terme de la présente session.
Il y a eu, ensuite, la proposition de loi de M. Serge Lagauche, que je salue, de Mme Dinah Derycke et des membres du groupe socialiste et apparentés relative à la protection des trésors nationaux.
Il y a eu, enfin, à l'occasion tant de la loi de finances pour 2000 que de la loi de finances rectificative pour 1999, une série de mesures adoptées ou proposées intéressant directement le marché de l'art et les agents économiques qui interviennent sur ce marché.
L'examen des deux propositions de loi est l'occasion pour le rapporteur désigné par la commission des finances, qui est aussi leur premier signataire, de faire la synthèse de ces initiatives, en les « remembrant » en un seul texte portant diverses mesures qui, pour la plupart, ont déjà été présentées au Sénat - et, pour la plupart également, ont été adoptées par lui - trois d'entre elles seulement lui étant présentées pour la première fois.
Lors de la loi de finances pour 2000, le Sénat a été amené à voter deux mesures : le relèvement du seuil de la taxe forfaitaire dont le projet de loi harmonisait le taux, comme cela était demandé dans la proposition de loi n° 469, ainsi que l'assouplissement des achats d'oeuvres d'art par les entreprises.
La proposition de loi de M. Lagauche et des membres du groupe socialiste relative à la protection des trésors nationaux, dont la commission s'était saisie pour avis, a donné lieu également à la discussion par le Sénat de suggestions contenues dans la proposition de loi n° 469, comme l'exonération de droits de mutation des objets mobiliers classés qui a été adoptée par le Sénat. Au cours du débat, votre rapporteur avait proposé, pour les retirer ensuite, deux mesures complémentaires articulant les procédures d'attribution de la qualité de trésor national, de classement et de dation en paiement.
Enfin, à l'occasion de l'examen en deuxième lecture sur les ventes publiques, votre rapporteur a défendu le principe de l'extension de l'exonération des catalogues, qu'il s'agisse de ceux des maisons de ventes ou des galeries. Compte tenu de l'importance de la mesure, il a paru utile d'insister à nouveau sur ce point bien que la disposition soit encore en navette.
L'intérêt d'une telle initiative est de nous permettre de débattre de ces mesures dans un cadre unique de nature à redonner sa cohérence à la politique que nous préconisons pour le marché de l'art et, surtout, de le faire avec Mme la ministre de la culture, qui est bien entendu notre interlocuteur privilégié.
A la base de toutes ces propositions, il y a - et ce n'est pas une évidence pour tous - l'idée que le marché de l'art est important pour la France entière et pas seulement pour une poignée de privilégiés.
D'abord, ce marché, qui ne se réduit pas aux seuls ventes aux enchères, car il faut tenir compte des marchands et des galeries, fait vivre un nombre important de professions connexes, dont certaines perpétuent des savoirs faisant incontestablement partie du patrimoine national, allant du grand expert jusqu'à l'ouvrier d'art ou au restaurateur de tableaux.
Ensuite, au-delà des 40 000 emplois directs qu'il représente, le marché de l'art est devenu, comme le montre l'actualité récente, un secteur stratégique, ou tout au moins symbolique, par ses liens avec les industries du luxe et ceux qui semblent s'établir avec ce qu'il est convenu d'appeler « la nouvelle économie ».
Je rappellerai en passant la prise de contrôle, en mai 1998, de Christie's, puis, aujourd'hui, de l'étude Piasa par M. François Pinault, tout comme l'acquisition par M. Bernard Arnault, en novembre 1999, de la firme anglaise Philips, troisième maison de ventes, et, tout récemment, de l'étude Tajan.
Ce n'est pas un hasard si les deux entreprises emblématiques, les deux animateurs économiques de plus en plus présents dans l'industrie du luxe s'emparent aussi du marché de l'art comme secteur iconique et stratégique de leurs ensembles respectifs : ces exemples montrent que le marché de l'art occupe une position clé par son caractère très médiatique dans le domaine des industries du luxe, qui constitue précisément un des points forts de notre pays dans la spécialisation internationale.
On pourrait même généraliser et soutenir que cette importance du marché de l'art, nouvelle du point de vue des entreprises, a été, en France, perçue par l'Etat depuis longtemps. Notre pays, prolongeant une tradition colbertiste d'encouragement aux arts, cultive volontiers « l'Etat culturel » : il a, beaucoup plus que d'autres, investi dans la sauvegarde et la mise en valeur de son patrimoine artistique comme en témoigne toute la politique de grands travaux menée notamment depuis le début des années quatre-vingt.
C'est dans ce contexte de libéralisation du marché que la commission des finances a voulu intervenir pour présenter une série de mesures de nature à accompagner les évolutions en cours et renforcer « l'attractivité » du marché de l'art français, tout en protégeant un patrimoine national à caractère mobilier, dont il serait hypocrite de ne pas reconnaître qu'il est menacé par le processus actuel de mondialisation du marché de l'art.
Depuis qu'a été mis en place le nouveau régime de contrôle à l'exportation des oeuvres d'art par la loi du 31 décembre 1992 - par un gouvernement que je soutenais donc, madame la ministre (Mme la ministre sourit) -, la France se vide de son patrimoine. Elle accuse un solde « positif », si on ose dire, dans le domaine des oeuvres d'art de 2 milliards de francs par an, qu'il faudait pour être juste corriger en tenant compte de l'exode invisible d'oeuvres achetées pour quelques milliers de francs ou quelques centaines de milliers de francs chez nous et vendues quelques centaines de milliers de dollars, voire quelques millions de dollars aux Etats-Unis - ce que j'appelle l'effet « vide-grenier ».
La conviction de votre rapporteur est que, faute de pouvoir dans le contexte budgétaire actuel - et en dépit de votre bonne volonté, madame la ministre - augmenter significativement les dotations budgétaires affectées à l'acquisition d'oeuvres d'art, il faut mettre en place des incitations fiscales de nature à fixer sur le territoire national les pièces les plus importantes du patrimoine de la France.
D'ailleurs, nous ne ferions ainsi que nous inspirer de l'exemple anglais, reconnu comme excellent par nos collèges Serge Lagauche et Dinah Derycke lors du débat sur la proposition de loi relative à la protection des trésors nationaux, dont ils étaient les signataires.
L'idée directrice qui sous-tend l'ensemble des mesures que je présente est donc simple : il faut cesser de faire reposer sur l'Etat, et, lui seul, la charge de la défense du patrimoine national.
Jusqu'à présent, cette défense est toujours passée par des achats publics, immédiatement coûteux pour l'Etat et bien souvent générateurs de coûts de fonctionnement accrus.
Des incitations fiscales adaptées sont de nature à faire participer particuliers et entreprises à cette politique d'intérêt général.
Tel est l'objet, à côté des mesures ayant pour but d'alléger les charges pesant sur le marché de l'art, de l'essentiel du dispositif.
Il est ainsi proposé, au-delà des mesures déjà présentées au Sénat et sur lesquelles je reviendrai lors de la discussion des articles, d'octroyer un crédit d'impôt aux personnes faisant don d'oeuvres d'art à l'Etat, comme le préconise le rapport Aicardi : l'acquéreur devrait bénéficier d'un crédit d'impôt renforçant ainsi l'efficacité de l'article 1131.
Il est ensuite proposé d'accorder, sur la lancée de la rationalisation par la dernière loi de finances de l'article 200 du code général des impôts, une possibilité de déduction du revenu imposable des dons d'oeuvres d'art agréés dans les limites et suivant le régime prévu pour les dons aux associations d'intérêt général.
Il est enfin prévu de mettre en place en matière de classement d'office un processus d'expertise codifié sur le modèle de celui qui a été mis en place aux termes de la proposition de loi relative aux trésors nationaux de façon à permettre à la décision de classement de n'intervenir qu'en toute connaissance de cause, après l'évaluation de l'indemnité que l'Etat peut avoir à payer. En effet, comme vous le savez, depuis la jurisprudence Walter, le classement n'est plus gratuit.
Votre rapporteur voudrait également saisir l'occasion de cette discussion pour demander au Gouvernement de faire le point du dossier des charges, qu'il s'agisse de la TVA à l'importation ou du droit de suite.
En ce qui concerne la TVA à l'importation, répétons, à l'instar de ceux qui connaissent le secteur, à commencer par M. Chandernagor, président de l'Observatoire du marché de l'art, qu'il faudrait, maintenant, que la Grande-Bretagne s'est enfin alignée sur le taux européen, défendre le marché de l'art européen contre les Américains et supprimer cette taxe, qui ne rapporte que 40 millions de francs à l'Etat. A quand l'entente cordiale, maintenant que nous avons fait la paix à l'intérieur des frontières de l'Europe avec les Anglais sur cette affaire fondamentale ?
Il conviendrait également que le Gouvernement nous dise, si possible, où en sont les négociations en cours à Bruxelles au sujet du droit de suite et quelle est sa position à l'égard du compromis qui, à la connaissance du rapporteur, serait en cours d'élaboration avec la Grande-Bretagne.
L'ensemble de ces mesures ne constitue en aucune façon des avantages cumulatifs mais représente une panoplie d'instruments permettant aux détenteurs d'oeuvres d'art et d'objet de collection de choisir celui qui est le mieux adapté à sa situation ou à ses intentions particulières.
En tout état de cause, le principe commun à tous ces textes consiste à essayer de combiner initiative privée et initiative publique pour faire jouer un effet de levier en faveur de la politique de l'Etat de préservation du patrimoine national.
Ils ont, certes, un coût, que votre rapporteur ne cherche pas à nier, mais qui lui paraît maîtrisable et gage de dépenses publiques moindres pour l'avenir.
Ils ont en outre le mérite - espérons-le - d'ouvrir le « débat sur la défiscalisation de l'achat d'oeuvres d'art par les Français », souhaité sur de nombreuses travées, et de permettre de prendre date pour des discussions ultérieures, que votre rapporteur espère proches, en proposant des mesures qui, pour la plupart, se trouvent dans les rapports d'experts qui ont déjà été remis au présent gouvernement ou à ceux qui l'ont précédé.
En tout état de cause, comme le rappelle le rapport de M. Maurice Aicardi, autorité intellectuelle incontestable en la matière : « C'est une évidence que de le dire, mais on peut le rappeler : toute grande oeuvre détenue par un résident français reste dans le patrimoine national et son maintien ne nécessite pas de la part de l'Etat une intervention toujours onéreuse pour les finances publiques. On peut ajouter que la détention privée d'une oeuvre plutôt que publique décharge l'Etat du soin d'assurer son entretien et sa surveillance et la transfère au propriétaire qui participe ainsi à la politique de maintien du patrimoine. »
Cela est vrai pour les oeuvres accessibles au public dans des lieux qui lui sont ouverts, oeuvres qui méritent une attention toute particulière de la part de l'Etat du fait de la contribution à la vie locale qu'apportent les monuments historiques.
Cependant, il faut affirmer, plus généralement, que, tôt ou tard, une bonne partie des oeuvres dont on favorise ainsi le maintien ou l'entrée dans le patrimoine des particuliers finiront, par le jeu normal des donations ou de la dation, dans les collections publiques.
On note que, sauf pour ce qui est de l'actualisation du seuil d'application de la taxe forfaitaire et de l'aménagement du régime fiscal des achats d'oeuvres d'art par les entreprises, il s'agit non pas de dépenses mécaniques ou « à guichet ouvert », mais d'avantages fiscaux contrôlés, parce qu'ils sont subordonnés à une décision administrative préalable, voire à un agrément fiscal exprès.
Tel est le cas, en particulier, de l'exonération des droits de mutation à titre gratuit conférée aux objets mobiliers classés. Dans le rapport établi au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale sur la proposition de loi relative à la protection des trésors nationaux, on trouve développée l'idée fausse que ce dispositif pourrait remettre en cause, par une sorte d'effet pervers, le mécanisme de dation en paiement. Il y est indiqué que « la dation en paiement est bien souvent pour les héritiers d'une collection le seul moyen de s'acquitter des droits de succession y afférents. Si la taxe à payer est réduite de moitié, le don d'une ou plusieurs oeuvres à l'Etat pourra, dans certains cas, ne plus être nécessaire pour se libérer de la dette fiscale. Les biens demeureront donc dans les collections privées et ne seront pas accessibles au public, alors que l'Etat aura néanmoins « perdu la moitié des droits de mutation correspondants. » Quelle attitude d'épicier et à courte vue !
L'attitude de votre rapporteur est tout autre et, jusqu'à présent, il a été suivi par le Sénat dans les différentes avancées qu'il a proposées : il n'est pas question d'obliger systématiquement les détenteurs d'oeuvres d'art à les vendre et l'Etat à les acheter. Ce qu'il faut, c'est inciter les collectionneurs à conserver les oeuvres qu'ils possèdent pour ne pas mettre les pouvoirs publics dans l'obligation d'avoir à choisir entre acquérir ces oeuvres ou les laisser sortir.
Bref, il faut laisser le temps faire son oeuvre pour l'enrichissement des collections publiques par le jeu naturel des donations et des dations.
Certes, me dira-t-on, comme nombre d'avantages fiscaux, ceux qui vous sont proposés ici ne sont susceptibles de concerner que des personnes relativement imposées, mais c'est sans doute le prix à payer pour la sauvegarde du patrimoine dans un monde ouvert où la défense de celui-ci, longtemps assurée par des méthodes régaliennes non dénuées d'arbitraire, doit aujourd'hui être payée à son juste prix, compte tenu de l'évolution de la jurisprudence.
Encore une fois, toutes ces propositions qui ne font, pour la plupart, que prolonger et concrétiser des réflexions antérieures sont avancées non sans prudence dans le cadre d'un exercice dont on connaît les limites, pour amorcer un processus de dialogue auquel pourraient participer des parlementaires de tous horizons eu égard à l'enjeu qui est bien la sauvegarde du patrimoine national. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Comme vous venez de le rappeler, monsieur le rapporteur, la présente session parlementaire a été l'occasion d'évoquer la situation du marché de l'art de notre pays et son évolution internationale.
Vous avez souligné les travaux engagés pour la réforme des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, avec la nécessité d'adapter la profession de commissaire-priseur à la réalité économique des acteurs européens du marché de l'art.
De même, votre assemblée, sur l'initiative de Mme Dinah Derycke et de M. Serge Lagauche, a déposé une proposition de loi tendant à améliorer le dispositif juridique lié à la circulation des objets d'art.
Le Gouvernement, tout comme le Parlement dans son ensemble, a la volonté de donner plus de liberté aux échanges commerciaux sans porter atteinte à la nécessaire préservation de notre patrimoine et au maintien sur le territoire national des chefs-d'oeuvre de notre culture.
Telle me paraît être la clef de voûte de notre approche commune du marché de l'art. Nous nous devons d'inscrire notre stratégie de développement économique dans cet objectif. Il s'agit non pas de construire un système de protection, autour d'un « Etat culturel » tout puissant, mais de nous donner les moyens de maîtriser les effets négatifs de la mondialisation.
Le débat que nous avons eu sur l'utilisation d'Internet pour les ventes publiques aux enchères illustre bien ce propos. Si ma collègue Elisabeth Guigou et moi-même avons accepté d'étendre l'application de la future loi relative aux ventes volontaires de meubles aux enchères publiques aux seuls sites Internet qui commercialisent des biens culturels, c'est afin de permettre aux acteurs économiques de notre pays de jouer pleinement leur rôle. Comme le rappelle M. le rapporteur, il était nécessaire de prendre en compte les synergies entre le monde de l'art et la nouvelle économie.
Les récentes fusions, absorptions et mises en réseau d'importantes études de commissaires-priseurs de notre pays montrent, à l'évidence, l'intérêt du marché international pour notre marché national. Cet intérêt marque une reconnaissance de la compétence et du savoir-faire des professionnels français, qui ont, par ailleurs, une connaissance approfondie du patrimoine de nos régions.
Comment mener de front cette expansion de nos échanges commerciaux dans le domaine de l'art et protéger notre patrimoine afin qu'il puisse être connu et reconnu par la majorité de nos concitoyens ?
Comment accroître les collections publiques des musées nationaux et des musées des collectivités territoriales ?
Comment faire en sorte que les trésors nationaux, en référence à la loi du 31 décembre 1992, puissent être maintenus sur notre territoire ?
Les questions sont à l'origine des propositions de M. le rapporteur. Ce sont aussi celles que se posent de nombreux élus de la représentation nationale.
Je crois utile de rappeler que l'Etat n'est pas démuni. La loi de 1992 a permis à trente chefs-d'oeuvre de rejoindre les collections publiques. Le fonds du patrimoine doté de 105 millions de francs, le fonds national d'art contemporain avec 21 millions de franc de crédits, le fonds d'acquisition du musée national d'art moderne et contemporain du centre Georges-Pompidou qui dispose de 25 millions de francs, auxquels s'ajoutent les crédits de la Réunion des musées nationaux, soit 50 millions de francs environ, de la Bibliothèque nationale de France, ainsi que ceux des fonds régionaux d'acquisition des musées et des fonds régionaux d'art contemporain permettent de mobiliser, chaque année, quelque 300 millions de francs pour les acquisitions.
Avec ma collègue Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, j'ai présenté hier le bilan des dernières dations de l'année 1999 avec, entre autres oeuvres d'art, deux oeuvres exceptionnelles : le Portrait de Berthe Morisot à l'éventail, par Edouard Manet, qui sera mis en dépôt au musée des Beaux-Arts de Lille, et celui de Julie Manet, l'enfant au chat, par Renoir, présenté au musée d'Orsay. Depuis la création du dispositif exceptionnel des dations, le montant total des oeuvres acceptées s'élève à 2,3 milliards de francs.
M. le rapporteur suggère bien sûr de maintenir cet effort mais de ne pas l'accentuer démesurément afin d'obtenir un partenariat des entreprises et des particuliers.
Puisque nous évoquons ici le rôle des partenaires privés, permettez-moi de rappeler l'action exemplaire menée par les collectionneurs de notre pays. Chacun d'entre nous, au cours de ses découvertes des musées de toute nature, mesure l'apport essentiel des mécènes et des collectionneurs. Ils accomplissent leur acte par passion pour l'art et par volonté de compléter les collections publiques. Leur générosité a été très forte dans les siècles passés, elle n'en demeure pas moins importante aujourd'hui.
Depuis longtemps, nous savons que la trilogie marchands, collectionneurs et musées est vitale pour notre patrimoine national. Plus de cent cinquante libéralités sont acceptées chaque année. Aucune grande acquisition, notamment de trésors nationaux, n'a lieu sans le soutien, souvent déterminant, de mécènes, qui agissent avec un désintéressement que je tiens à saluer ici.
Je n'oublierai pas d'associer les sociétés d'amis des grands musées comme celles d'établissements possédant des collections moins prestigieuses.
Ce rappel, mesdames, messieurs les sénateurs, est nécessaire car il permet de resituer le débat d'aujourd'hui.
Je maintiens l'idée que l'une des meilleurs chances du développement du marché de l'art repose sur l'harmonisation fiscale européenne. M. le rapporteur a insisté, dans l'analyse factuelle du marché de l'art, sur les conséquences néfastes de la dérogation dont a bénéficié le Royaume-Uni en matière de taxe sur la valeur ajoutée à l'importation jusqu'en juillet 1999.
L'application différée de la norme européenne a porté atteinte, en effet, aux intérêts des professionnels français. Cette distorsion de concurrence a aujourd'hui disparu grâce à l'action résolue de la Commission européenne et des Etats membres, en particulier de la France. De même, alors que d'aucuns pensaient impossible que l'Union européenne soit capable d'avancer sur le droit de suite, je me réjouis de constater que les récents travaux préparatoires ont permis de rapprocher les points de vue.
Ce travail a porté ses fruits et un nouveau compromis a été examiné hier au COREPER, le Comité des représentants permanents, par nos amis britanniques. Il permettra au Conseil « marché intérieur », qui se réunira le 16 mars prochain, d'adopter une position commune sur la proposition de directive. Les choses avancent donc et elles avancent bien.
Le texte proposé prévoit essentiellement, outre un délai de transposition de cinq années, une période de transition pour les Etats membres dans lesquels le droit de suite ne s'applique pas à l'heure actuelle. Pendant cette période, d'une durée de dix années, celui-ci ne s'appliquera, dans ces seuls pays, qu'aux auteurs vivants, l'applicabilité aux ayants droit des auteurs décédés n'intervenant qu'à l'expiration de cette période.
Nous avons consenti cette importante concession afin d'obtenir une directive d'harmonisation tout en facilitant une mise en oeuvre progressive du droit de suite pour les Etats qui ne connaissaient pas ce droit et qui, au départ, étaient sur une position négative. Ce compromis marque donc une avancée importante pour nos artistes compte tenu de l'importance du marché de l'art de certains de ces pays.
Il porte également sur le seuil de perception du droit de suite dans les différents Etats. Celui-ci ne pourra être supérieur à 4 000 euros, au lieu des 2 500 euros prévus précédemment. Enfin, il est prévu que le plafond de perception du droit de suite soit porté à 12 500 euros, au lieu des 10 000 euros envisagés dans le compromis précédent.
J'ajoute que les tranches et les taux de redevance prévus par le projet de directive ont été négociés afin de concilier l'objectif d'une rémunération satisfaisante pour les auteurs et celui de la nécessaire compétitivité des professionnels du marché. Nous avons par ailleurs obtenu une mesure spécifique pour les opérateurs qui soutiennent, par leurs acquisitions, la jeune création.
Je me félicite de ces dernières évolutions. A cet égard, je tiens à remercier votre assemblée, ainsi que l'Assemblée nationale, du soutien qu'elle a apporté au Gouvernement dans cette longue et difficile négociation, en exprimant sa préoccupation.
L'harmonisation des mesures fiscales du marché de l'art sur le plan européen est une première étape nécessaire et il est évident que la présidence française poursuivra le travail mené. Je suis par ailleurs consciente que nous devons aussi renforcer le dialogue avec d'autres pays disposant d'une forte capacité d'intervention économique sur le marché de l'art, comme les Etats-Unis.
Il s'agit là d'actions de longue durée, et c'est pourquoi nous devons parallèlement, dans le cadre de notre droit interne, envisager des modalités appropriées de soutien au marché de l'art.
Dès cette année, le Gouvernement, sur ma proposition, a décidé de réduire de 7 % à 4,5 % le taux de la taxe forfaitaire sur les ventes privées effectuées par les particuliers, en alignant celui-ci sur le taux appliqué pour les ventes publiques. Cette mesure, adoptée dans le cadre de la loi de finances pour 2000, permettra d'harmoniser les conditions d'activités des opérateurs nationaux sur le marché de l'art et de favoriser le développement des transactions.
Le toilettage des textes à modifier ou à compléter n'est pas achevé. Il conviendra de compléter le dispositif de protection des objets et ensembles mobiliers présentant un intérêt historique ou artistique, dont certains événements récents ont montré le caractère insuffisamment protecteur.
Je compte déposer, à cet effet, avant la fin du premier semestre, un projet de loi modifiant la loi du 31 décembre 1913.
Je ne détaillerai pas aujourd'hui les mesures de ce texte qui comportera des dispositions fiscales. J'aurai l'occasion de revenir sur ce sujet lors de l'examen de l'article 8.
Je comprends les raisons qui ont conduit M. Gaillard à déposer la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. Toutefois, il est manifeste que la plupart des dispositions qu'elle comporte dérogent aux principes généraux du droit fiscal français et peuvent heurter des préoccupations d'équité devant l'impôt.
Nous devons d'abord parfaire notre arsenal juridique de protection avant d'envisager des mesures fiscales pertinentes qui compensent le classement des oeuvres. Nous devons le faire dans la sérénité et la cohérence, afin d'apprécier l'effet exact de mesures à cibler et d'éviter le saupoudrage, mais aussi le risque de cumul d'avantages fiscaux.
Il me semble, à cet égard, essentiel et prioritaire de préserver les acquis actuels.
Je veux parler tout d'abord de la dation en paiement, qui est une procédure exceptionnelle permettant, sur agrément, à tout héritier, donataire ou légataire, d'acquitter les droits d'enregistrement dus à raison de la succession, de la donation ou du legs par la remise d'oeuvres d'art, de livres, d'objets de collection, de documents de haute valeur historique ou artistique.
Cette procédure permet ainsi d'enrichir les collections du patrimoine national. Elle fonctionne de manière satisfaisante - je l'ai rappelé à l'instant - et contribue grandement à l'enrichissement de nos collections publiques.
Par ailleurs, le développement du marché de l'art et la poursuite de l'enrichissement du patrimoine français dépendent fondamentalement du maintien de l'exonération des oeuvres d'art de l'impôt de solidarité sur la fortune.
Plutôt que de mettre en oeuvre des mesures ponctuelles qui pourraient susciter des critiques au regard du principe d'égalité devant l'impôt, la priorité me paraît être, à cet égard, de préserver cette exonération, alors que celle-ci est périodiquement menacée.
Voilà la ligne directrice de la position du Gouvernement que je développerai lors de l'examen des articles de la présente proposition de loi présentée par M. Gaillard.
M. le président. La parole est à M. Schosteck. M. Jean-Pierre Schosteck. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, notre ordre du jour réservé amène le Sénat à débattre de la relance et de la dynamisation de la politique du marché de l'art dans notre pays.
Le groupe du RPR tient, en premier lieu, à remercier et à féliciter notre collègue Yann Gaillard, qui est à l'origine de ce débat. Sa qualité de rapporteur spécial des crédits de la culture et le rapport d'information qu'il a présenté il y a un an témoignent, si besoin était, de sa maîtrise de ces sujets. Il était donc, nous semble-t-il, le mieux placé pour éclairer les travaux de la Haute assemblée.
Le marché de l'art est en pleine mutation et s'ouvre vers de nouveaux horizons. Chacun garde en mémoire les récentes acquisitions des plus grandes sociétés de ventes aux enchères par des entreprises du secteur du luxe et les rapprochements économiques et financiers avec des sociétés intervenant sur Internet, qui ont été fortement médiatisés. On assiste à l'évidence à une accélération de la libéralisation du marché de l'art. Le mérite des propositions de M. le rapporteur est, d'une part, qu'elles renforcent la position de notre marché national et, d'autre part, qu'elles tendent à protéger notre patrimoine.
Ce second point est particulièrement important. Nous souscrivons totalement à la nécessité de maintenir en France, par des incitations fiscales, notre patrimione artistique. L'Etat ne peut effectivement plus assumer seul cette mission de défense. Il convient donc de créer un environnement favorable à l'intervention des entreprises.
Il faut que soit pris en compte le fait qu'aujourd'hui l'avenir du marché de l'art français passe par un nécessaire allégement des contraintes économiques et financières pesant sur lui. Les dispositifs proposés par M. le rapporteur visant, notamment, à actualiser la taxe forfaitaire sur les oeuvres d'art et à exempter de droit de reproduction les catalogues de vente des expositions tendent à cette fin.
Nous joignons notre voix à celle de notre collègue Yann Gaillard pour interpeller le Gouvernement sur l'état des discussions qu'il a engagées avec nos partenaires européens tant sur la TVA à l'importation que sur le délicat dossier du droit de suite. Des propositions concrètes ont été faites, et le Parlement doit être informé de l'évolution prévisible de celles-ci. Vous venez de nous apporter des indications, madame la ministre, et je vous en remercie.
Face à l'insuffisance des crédits alloués au rachat d'oeuvres d'art par le budget de l'Etat, la commission nous propose d'utiliser le moyen des aménagements fiscaux.
Afin de développer la demande nationale d'oeuvres d'art, on retiendra le rôle moteur dévolu aux entreprises en tant que mécènes. Force est de constater que la rigueur des dispositifs existants, notamment pour ce qui est des possibilités d'achats et des exigences en matière d'exposition publique, constitue un frein aux investissements des entreprises.
Les propositions de M. le rapporteur visent à lever ces obstacles et à permettre aux entreprises de prendre toute la mesure du rôle qui est le leur dans la sauvegarde du patrimoine national et la revitalisation du marché de l'art. Le temps où l'intervention de l'Etat, le plus souvent très onéreuse pour les finances publiques, constituait la règle unique de la politique du maintien du patrimoine en France est révolu. Les entreprises doivent être appelées à prendre toute leur part dans la défense et la protection de notre patrimoine artistique.
Les collectionneurs privés, de leur côté, doivent être incités à conserver les oeuvres d'art dont ils sont propriétaires. L'alternative qui se présente alors à la puissance publique - acquérir le bien en cause ou le laisser franchir nos frontières - ne devrait plus exister.
Ces propositions de loi sont l'occasion d'un débat fructueux avec le ministre de la culture et de la communication sur un sujet où nous nous étions habitués à voir le Gouvernement représenté par le ministre de l'économie et des finances ou le ministre de l'intérieur, ce qui, avouons-le, n'était guère satisfaisant.
L'ensemble des propositions de M. le rapporteur doit être analysé comme une première étape. Il conviendra de poursuivre dans la voie tracée par le rapport d'information du rapporteur de la commission des finances sur le marché de l'art en France.
Le groupe du Rassemblement pour la République votera les conclusions de la commission des finances et remercie à nouveau M. le rapporteur pour la qualité de son rapport et de ses propositions.
M. le président. La parole est à M. Bordas.
M. James Bordas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'examen par le Sénat des conclusions de la commission des finances sur deux propositions de loi déposées par notre excellent collègue Yann Gaillard nous amène à nous interroger à nouveau sur les moyens fiscaux nécessaires pour assurer le dynamisme de notre marché de l'art mais aussi pour garantir la protection de notre patrimoine national, objectifs en réalité étroitement liés. Ces deux propositions de loi constituent l'aboutissement de l'étude que la commission des finances avait entreprise sur la situation du marché de l'art.
En effet, à la différence de ce qui vaut pour la plupart des autres secteurs économiques, une balance commerciale excédentaire constitue non pas, en matière de négoce des oeuvres d'art, une source d'enrichissement et un indice de performance, mais, à l'inverse, le signe évident et alarmant de l'appauvrissement du « gisement » d'oeuvres qui représente traditionnellement l'un des atouts les plus précieux du marché de l'art français.
Je rappellerai un chiffre : en 1998, la valeur des exportations d'oeuvres d'art atteignait près de trois fois celle des importations, alors que ce rapport était seulement de l'ordre du double au début des années quatre-vingt, pour des montants environ deux fois inférieurs. Ce chiffre ne peut nous laisser indifférents.
En effet, cette situation est à l'évidence préjudiciable au maintien sur le territoire national de notre patrimoine, et ce pour deux raisons essentielles : attirés par des opérateurs étrangers performants s'appuyant sur des réseaux commerciaux internationaux, les propriétaires français préfèrent vendre leurs oeuvres hors de la France, profitant ainsi, de plus, d'un différentiel fiscal significatif, du moins pour les oeuvres les plus prestigieuses. Cet exode n'est pas compensé par des flux inverses dans la mesure où les collectionneurs étrangers semblent réticents à s'établir en France, le régime fiscal y étant, si ce n'est moins favorable que dans la plupart des grands pays occidentaux, du moins plus incertain ; il suffira d'évoquer ici les débats devenus rituels sur la soumission des oeuvres d'art à l'impôt de solidarité sur la fortune.
La question se trouve donc posée de savoir comment retenir les oeuvres en France ou - objectif plus audacieux - comment les y attirer. Il est certainement plus difficile de répondre à cette question aujourd'hui qu'il y a une dizaine d'années, puisque, depuis l'entrée en vigueur de la loi de 1992, le marché de l'art français est un marché ouvert : désormais, lorsque l'Etat souhaite retenir une oeuvre sur le territoire national, il doit l'acheter.
L'arme du classement a été neutralisée par une décision de justice qui a de facto « abrogé » les dispositions de la loi de 1913 destinées à nous garantir contre l'exode de notre patrimoine mobilier, exode qui, je le rappelle, a en fait commencé dès les années vingt.
Faut-il considérer cette jurisprudence comme définitive et la hisser en quelque sorte au rang d'arrêt de règlement ? Peut-on susciter un revirement de jurisprudence qui ne semble pas a priori à exclure si l'on considère les conditions contestables dans lesquelles le préjudice a été évalué par les juges du fond ? Quoi qu'il en soit, à supposer même que la jurisprudence évolue, le classement demeurera aléatoire en raison du risque financier qu'il continuera à comporter, dans la mesure où la loi de 1913 prévoit, dans le cas du classement sans le consentement du propriétaire, une indemnisation. Faut-il pour autant faire son deuil de cet instrument de protection du patrimoine ?
L'un des mérites fort nombreux des conclusions de la commission des finances est de proposer une modification de la loi de 1913 destinée à réduire l'aléa que représente le classement.
S'inspirant de la procédure que prévoit pour l'acquisition des trésors nationaux la proposition de loi du Sénat en cours d'examen, la commission des finances suggère un dispositif permettant de fixer préalablement au classement l'indemnité due à ce titre par l'Etat au propriétaire. Il s'agit là d'une piste certes originale, mais qui serait de nature à susciter un dialogue entre l'Etat et les propriétaires privés, dialogue qui fait malheureusement encore défaut.
En dépit des améliorations apportées aux modalités d'acquisition par l'Etat des trésors nationaux que devrait permettre la proposition de loi du Sénat, force est de constater que les ressources budgétaires dont vous disposez, madame la ministre, ne peuvent permettre l'acquisition d'oeuvres exceptionnelles. Pour remédier à cette situation, a été évoquée à maintes reprise la possibilité de créer un fonds de concours alimenté par une dotation de La Française des jeux. Un amendement en ce sens a été examiné le 2 mars dernier par l'Assemblée nationale ; vous y avez été défavorable, sans pour autant nous éclairer sur l'appréciation que vous portez sur l'opportunité d'une telle disposition.
Faute de pouvoir anticiper un changement de l'ordre de grandeur des crédits budgétaires consacrés aux acquisitions, il nous reste donc à explorer la seconde branche de l'alternative, qui consiste à retenir les oeuvres en France par le biais de la fiscalité en permettant l'enrichissement des collections nationales par le jeu des dations et des donations ou en suscitant les vocations de collectionneurs, encore trop peu fréquentes en France.
Les résultats du mécanisme fiscal original que constitue la dation ont prouvé l'intérêt qu'est susceptible de représenter cette voie. Entre 1992 et 1997, la valeur des oeuvres remises à l'Etat dans ce cadre s'élevait à près de 800 millions de francs tandis que, durant la même période, les crédits dégagés par l'Etat pour l'acquisition de trésors nationaux ne représentaient que 105,65 millions de francs.
Ce chiffre ne peut que souligner la pertinence de la réflexion de la commission des finances sur les moyens d'améliorer encore ce dispositif.
Le mécanisme de la donation, qui connaît un succès moindre que la dation, pourrait être également rendu plus attractif s'il était assorti d'une incitation fiscale ; c'est ce que prévoient les articles 3 et 4 de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
S'agissant des moyens d'encourager la détention d'oeuvres en mains privées, qu'il s'agisse de particuliers ou d'entreprises par le biais du mécénat, les aménagements proposés par la commission des finances portent sur des dispositifs existants et ne constituent pas des bouleversements.
Sur l'ensemble de ces propositions, il est plus que temps, madame la ministre, de nous apporter une réponse claire.
Lors de l'examen de la proposition de loi sur les trésors nationaux, vous avez opposé aux propositions fiscales trois arguments.
Tout d'abord, des mesures fiscales en faveur des propriétaires privés contrediraient l'esprit de la proposition de loi puisqu'elles inciteraient les collectionneurs à conserver leurs oeuvres. C'est, je crois, mal interpréter l'intention du législateur : la proposition de loi avait pour objet non pas de contraindre les propriétaires à vendre, mais de rendre moins problématiques les cas trop rares où l'Etat veut et peut acheter. Il y a une différence de taille.
Par ailleurs, des incitations fondées sur une réduction des droits de mutation risqueraient de réduire l'offre potentielle de dations ; sur ce point, je ne peux pas vous suivre. Cette logique conduirait en effet à considérer qu'il faut inclure les oeuvres d'art dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune pour favoriser les dations ! Enfin, madame la ministre, vous avez estimé que de telles dispositions étaient dépourvues de liens avec la proposition de loi en discussion. Parfait ! Cependant, si l'on se fie à ce critère, certains amendements adoptés sur l'initiative du Gouvernement semblent ne pas témoigner de la même rigueur d'analyse.
Sur ces questions fiscales, la réflexion est depuis longtemps engagée ; il suffit de se référer aux rapports de MM. Aicardi et Chandernagor. Le Parlement a pour sa part, lui aussi, beaucoup travaillé. Les législations de nos partenaires européens souvent riches d'enseignement ont été analysées.
Je sais, madame la ministre, votre intérêt pour le marché de l'art et votre connaissance de ses enjeux. A cet égard, je ne pourrai que soutenir vos efforts pour faire avancer le dossier du droit de suite ; le projet de directive devrait être examiné en Conseil des ministres dans des délais assez brefs. Vous nous avez indiqué, voilà quelques instants, qu'un COREPER s'était réuni hier à ce sujet. La position française, tout en défendant la légitimité de ce droit reconnu aux créateurs, vise à réduire les conséquences les plus néfastes de la proposition de directive, notamment en accentuant la dégressivité des taux et en relevant les barèmes. Un compromis sur ces bases avec nos principaux partenaires constituerait une avancée incontestable.
Les évolutions que connaît aujourd'hui le marché de l'art ont souligné l'enjeu économique qu'il représente : les restructurations du secteur des ventes publiques et le développement de liens inédits entre le marché de l'art et les nouvelles technologies de communication exigent de considérer sous un angle nouveau la question du dynamisme du marché de l'art, qui ne constitue plus seulement une nécessité de politique culturelle mais également un impératif de politique économique.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui répond à cet objectif essentiel. A ce titre, elle appelle une réponse claire du Gouvernement.
Le groupe des Républicains et Indépendants, au nom duquel je m'adresse à vous, madame la ministre, votera les conclusions de la commission. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, inscrites dans le cadre d'une série de débats que nous avons eus ces dernières semaines sur les ventes aux enchères ou la protection des trésors nationaux et dans le droit-fil de nos débats budgétaires les plus récents, les deux propositions de loi de notre collègue Yann Gaillard, tendant, l'une, à aménager le régime fiscal des achats d'oeuvres d'art par les entreprises et, l'autre, au développement du marché de l'art et à la protection du patrimoine national, appellent, naturellement, un certain nombre d'observations.
Pour ce qui nous concerne, nous considérons que la politique de promotion de la création artistique, de connaissance de cette création par le public et de développement de notre patrimoine commun, nécessite une approche globale, dépassant la seule sollicitation de la dépense fiscale comme tendent à le faire ces deux propositions de loi, devenues une seule et unique proposition après les travaux de la commission des finances.
Si l'on en croit les attendus de l'exposé des motifs des deux textes initiaux, notre pays serait menacé de voir s'étioler son patrimoine artistique.
Deux raisons expliqueraient cette situation.
La première, partagée par le rapporteur et auteur des deux propositions, tiendrait aux limites de la politique de commandes publiques d'oeuvres d'art, limites issues de la régulation budgétaire.
En clair, l'Etat, selon notre rapporteur, n'aurait plus les moyens, à lui seul, d'assumer la préservation du patrimoine artistique et culturel et nous devrions d'autant plus accepter ce principe que notre rapporteur est l'un de ceux qui estiment nécessaire une réduction de la dépense publique pour retrouver la voie de l'équilibre budgétaire.
Il est vrai que, dans le passé - mais c'était aussi une autre époque -, l'Etat n'a pas toujours été à la hauteur des enjeux en matière de commandes publiques et que nous ne pouvons que regretter qu'aient ainsi été ignorés Van Gogh, Mondrian, ou que les oeuvres de Degas s'exposent bien plus dans les musées américains que dans ceux de notre pays.
La seconde raison tiendrait au caractère insuffisamment incitatif, pour ne pas dire plus, de la fiscalité entourant l'achat et la possession d'oeuvres d'art, qu'il s'agisse du mécénat, des droits de mutation ou de succession.
Le texte refondu des deux propositions de loi contient donc une série de propositions tendant à remplacer, en quelque sorte, la dépense publique par une forme de dépense fiscale accrue, concernant, soit dit en passant, un public relativement restreint de particuliers et d'entreprises.
Loin de nous l'idée de ne pas prendre en compte que le comportement éclairé de quelques collectionneurs privés ait pu permettre dans le passé - et permette encore, d'ailleurs - que se développe dans notre pays une pratique continue de création artistique.
On peut ainsi penser au rôle joué par Durand-Ruel dans le développement de la peinture impressionniste, à celui de la famille Masurel, dont la collection privée est devenue, comme me l'a précisé mon collègue Ivan Renar, l'essentiel du fonds du Musée d'art moderne de Villeneuve-d'Asq, à d'autres familles encore, dont les relations qu'elles avaient nouées avec certains artistes essentiels de notre temps ont permis à nos musées nationaux et à nombre de musées de province de posséder des collections particulièrement intéressantes.
Dans un autre domaine, on ne peut pas oublier que c'est la bonne volonté et l'amitié du comte de Noailles qui ont permis à un cinéaste comme Bun~uel de réaliser quelques-uns de ses premiers films.
Le problème est que cette histoire spécifique du développement artistique de notre pays est aujourd'hui assez directement menacée par la logique du marché, qui tend en particulier à procéder par la voie d'une surenchère permanente sur le prix des oeuvres, qu'elles soient anciennes ou contemporaines.
New York, Londres et Tokyo sont les sites essentiels de cette escalade permanente des prix qui, en fin de compte, confisque au regard du plus grand nombre la connaissance de la diversité des pratiques artistiques et en fait un simple objet de transaction commerciale.
Cette situation appelle un grand débat, mené au niveau national comme au niveau international, que les propositions de loi dont nous débattons aujourd'hui ne font qu'entrouvrir.
Le défaut de ces deux propositions de loi est en effet de n'envisager la question que sous l'angle unique de la dépense fiscale et de l'évasion qui en découle.
Pour une part, les propositions qui nous sont soumises ont un air de « déjà vu » !
Qu'il s'agisse, en effet, de la question des droits de mutation ou du développement du mécénat par la voie de la défiscalisation, cela nous ramène à des propositions antérieures et à des débats déjà anciens, dans un cas pour nous dire que ces droits de mutation sont trop importants, dans l'autre pour nous inviter, parmi tout un attirail déjà pourtant largement fourni, à permettre aux entreprises de bénéficier d'une nouvelle source de réduction de leur contribution aux dépenses publiques.
Observons, d'ailleurs, que l'une des particularités de ces propositions est de créer, pour les contribuables concernés, un minimum d'obligations.
Les contreparties qui sont associées à la mise en place des dispositions prévues par le texte de la proposition de loi sont bien limitées, notamment pour ce qui concerne l'obligation d'exposition au public.
Dans un autre ordre d'idées, on a un peu l'impression que la création du crédit d'impôt pour les particuliers est, plus qu'une mesure destinée à favoriser le maintien de notre patrimoine artistique et esthétique sur le territoire national, une mesure dont la nature est de permettre à quelques contribuables de l'impôt sur la fortune de se dégager à bon compte de leurs obligations devant la collectivité.
Par un étonnant renversement, les objets d'art qui, dans leur ensemble, sont exonérés du paiement de l'impôt concerné seraient appelés à devenir des instruments de paiement du même impôt. (M. le rapporteur proteste.)
On est, en cette matière, assez loin des préoccupations affichées de défense et d'illustration du patrimoine et beaucoup plus proche d'obscures mesures d'optimisation fiscale.
Décidément, la présente proposition de loi n'a pas grand-chose à voir avec une démarche raisonnée et mesurée de protection et de développement du patrimoine. Elle est enfermée dans le carcan d'un « libéralisme bien-pensant » que la politique publique, notamment au travers de la dépense fiscale, ne ferait qu'accompagner et même, dans une certaine mesure, favoriser.
M. Jean-Pierre Schosteck. Ben voyons !
Mme Odette Terrade. De manière incontestable, le débat sur le patrimoine artistique comme, d'ailleurs, sur l'exercice des professions artistiques, sur la connaissance qui en est donnée au plus grand nombre, appelle une réflexion plus complète.
Au demeurant, je m'étonne du fait qu'aucune mesure ne soit envisagée, dans cette proposition de loi, pour les créateurs eux-mêmes, mais que nous ne nous préoccupions que des acheteurs et des intermédiaires.
De la même manière, vous me permettrez, mes chers collègues, de souligner qu'aucune des dispositions préconisées ne porte sur le rôle particulier que les collectivités locales peuvent jouer - et qu'elles jouent déjà, d'ailleurs - dans la préservation et le développement de notre patrimoine artistique.
Enfin, c'est sans surprise que nous constatons que la proposition de loi ne prévoit aucune disposition tendant réellement à dissuader la spéculation qui fait vivre les intermédiaires mais, en général, pas suffisamment les artistes...
Nous ne souhaitons pas que les questions essentielles posées par la connaissance, la défense et le développement de notre patrimoine artistique soient ainsi enfermées dans une simple logique marchande, animée par les modes et appuyée sur la mobilisation de sommes toujours plus importantes, confisquant au regard du public des pans entiers de la création.
Le groupe communiste républicain et citoyen ne votera donc pas les conclusions de la commission des finances.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Chapitre Ier

Dispositions relatives à certaines charges
pesant sur le marché de l'art

Article 1er