Séance du 16 mars 2000







M. le président. Je suis saisi par M. Girod, au nom de la commission, d'une motion n° 1 tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat,
« Considérant que le projet de loi organique tend à créer 20 sièges supplémentaires de sénateurs, portant à 341 le nombre de ces derniers ;
« Considérant que la qualité du travail et l'autorité d'une assemblée ne se mesurent pas au nombre de ses membres ;
« Considérant que la création de sièges supplémentaires est une solution de facilité inutile ;
« Considérant en conséquence qu'il ne convient pas d'augmenter le nombre des sénateurs ;
« Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi organique modifiant le nombre de sénateurs (n° 235 rect., 1999-2000).
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur, auteur de la motion.
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur le président, cette motion est assez simple.
Le projet de loi organique tendant à créer vingt sièges supplémentaires n'induit pas, a priori, une qualité supérieure de travail, non plus qu'une autorité supérieure pour l'assemblée parlementaire, celle-ci se mesurant non pas au nombre de ses membres, mais à la profondeur de ses réflexions. Nous considérons, par conséquent, que, la création de sièges supplémentaires étant une solution de facilité inutile, il ne convient pas d'augmenter le nombre de sénateurs. Il n'y a donc pas lieu de délibérer de la loi organique. Voilà pour la motion dans sa sécheresse.
Nous venons d'avoir une discussion générale commune de deux projets de loi, ce qui est toujours une épreuve difficile, surtout quand l'un des projets de loi est une conséquence de l'autre. Cela conduit bien souvent les orateurs - MM. Michel Duffour et Guy Allouche voudront bien m'excuser de le dire - à mélanger allègrement les arguments, défendant l'un pour attaquer l'autre, et inversement.
M. Guy Allouche. Ils sont liés !
M. Paul Girod, rapporteur. Ce qui est en jeu dans la loi organique, c'est exclusivement le nombre total de sièges de sénateurs, mais en aucune manière la répartition par département !
Tout à l'heure, M. Allouche nous a fait une démonstration brillante, selon laquelle il faut que le Conseil constitutionnel prescrive des révisions périodiques à chaque recensement.
Je n'aurai pas la cruauté de vous demander, mon cher collègue, si vous avez l'intention de provoquer a posteriori un procès en sorcellerie, pour ne pas dire en forfaiture, contre les gouvernements qui, en 1982 et en 1989, n'ont pas procédé au dépôt d'un projet de loi organique visant le Sénat et l'Assemblée nationale. Des recensements ont en effet été effectués à ces dates. Et, d'un seul coup, on se réveille en 2000 !
M. Guy Allouche. Monsieur le rapporteur, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Paul Girod, rapporteur. Je vous en prie, mon cher collègue.
M. le président. La parole est à M. Allouche, avec la permission de M. le rapporteur.
M. Guy Allouche. Monsieur le rapporteur, la décision du juge constitutionnel date de 1986. En 1989, il n'y a pas eu de recensement !
M. Paul Girod, rapporteur. Il y en a eu un en 1990.
M. Guy Allouche. Soit, mais, cette fois-ci, le Gouvernement a annoncé ici depuis plus d'un an qu'il tiendrait compte du recensement de 1999.
M. Jean Chérioux. Pourquoi pas avant ?
M. Guy Allouche. Il n'y a donc pas de procès en forfaiture à lui intenter. Le juge constitutionnel recommande de tenir compte des évolutions démographiques, mais il ne l'impose pas. Cette révision n'a pas eu lieu en 1992, mais c'est le cas aujourd'hui et le Gouvernement tient donc compte de ce qu'a dit le juge constitutionnel.
M. Jean Chérioux. Non, parce que c'était avant !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Je ne reproche pas à ce gouvernement de faire une proposition, mais j'estime que vous devriez, a posteriori, faire un procès aux précédents gouvernements, quand vos amis étaient déjà au pouvoir.
M. Claude Estier. Il est vrai que nous avons souvent été au pouvoir !
M. Paul Girod, rapporteur. De notre refus du projet de loi organique, vous concluez abusivement que nous ne voudrions pas tenir compte des évolutions démographiques. Mais cela n'a aucun rapport, aucun !
La seule question qui est posée pour l'instant est la suivante : doit-on augmenter le nombre des sénateurs ? Sous-entendu, la qualité et l'autorité de cette maison, augmenteront-elles avec le nombre de ses membres ? Entre nous soit dit, monsieur Allouche, je n'en suis pas certain.
M. Jean Chérioux. Sûrement pas !
M. Alain Gournac. Certainement pas !
M. Paul Girod, rapporteur. Je ne suis pas certain que l'on ait augmenté la qualité des travaux ou la réputation de l'Assemblée nationale quand, pour des raisons que vous connaissez et que le président de la commission des lois a rappelées hier - c'était la tentative de faire entrer un parti extrémiste à l'Assemblée nationale - on a augmenté de 70 le nombre des députés. Je suis même persuadé du contraire.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Paul Girod, rapporteur. C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il n'est pas du tout utile d'aggraver le poids sur les finances publiques et la difficulté des discussions internes par l'augmentation du nombre des sénateurs. Nous proposons donc de maintenir ce nombre.
J'ajoute, monsieur le ministre - je l'ai dit tout à l'heure, mais je veux le redire maintenant - que, dans la période transitoire que nous vivons en ce qui concerne le statut de la Polynésie française, en particulier, mieux vaudra peut-être, à un peu moins d'un an des élections en Nouvelle-Calédonie, attendre le moment où tout sera stabilisé pour qu'un projet de loi organique règle cette fois le statut des sénateurs et de Polynésie française et de Nouvelle Calédonie dans le cadre de cette nouvelle catégorie d'appartenance à la République française. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Allouche, contre la motion.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après le débat de fond que nous venons d'avoir, la majorité sénatoriale estime qu'il n'y a plus lieu de poursuivre l'examen de ce projet de loi organique. Elle ne s'oppose pas à la réforme proposée par un projet de loi alternatif, elle refuse purement et simplement d'en examiner les dispositions. En sport, cela s'appelle déclarer forfait.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Ou bien gagner par KO ! (Sourires.)
M. Guy Allouche. Pour le KO, attendez, le match n'est pas terminé !
« La qualité du travail et l'autorité d'une assemblée parlementaire ne se mesurent pas au nombre de ses membres », écrivez-vous, monsieur le rapporteur, dans la motion tendant à opposer la question préalable.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Vous le savez bien !
M. Guy Allouche. Après tout, pourquoi pas !
M. Paul Girod, rapporteur. Ah !
M. Guy Allouche. Mais, dans ce cas, soyez cohérent, allez jusqu'au bout de votre logique, si tant est que vous en ayez une ! Pourquoi ne pas proposer de réduire de moitié l'effectif du Sénat ou, à tout le moins, pourquoi ne pas avoir voté ou repris l'amendement que notre collègue M. Vecten a déposé voilà quelques jours sur le projet de loi relatif à la limitation du cumul des mandats, amendement visant à réduire de 84 le nombre des sièges à l'Assemblée nationale et de 50 le nombre des sièges au Sénat ? Notre travail n'en serait que meilleur ! Le vote de la loi ordinaire sur la limitation du cumul des mandats, en présence de douze sénateurs seulement, a prouvé qu'on pouvait être, à douze, d'une redoutable efficacité ! Cet argument, qui sera officialisé par notre débat d'aujourd'hui, est un encouragement, une justification de l'absentéisme parlementaire,...
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Oh !
M. Guy Allouche. ... puisque vous signifiez à nos collègues qu'il vaut mieux être absent, que leur présence physique et leur participation au débat parlementaire en nombre important seraient un handicap.
M. Patrice Gélard. Mais non !
M. Jean Chérioux. C'est un tissu de sophismes !
M. Guy Allouche. L'autorité d'une assemblée parlementaire ne se mesure pas au nombre de ses membres, dites-vous - surtout s'ils sont nombreux à être absents ! Les Français seront heureux d'apprendre qu'une poignée de sénateurs suffisent pour édicter la loi républicaine.
Bref, vous voulez appliquer la logique économique libérale au Parlement. Dans les entreprises, les bénéfices s'accroissent avec les licenciements. Au Parlement, moins nous serons nombreux, plus la rentabilité politique sera grande ! (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Jean-Chérioux. C'est grotesque !
M. Alain Gournac. Cela donne mal à la tête !
M. Paul Girod, rapporteur. C'est un peu consternant !
M. Guy Allouche. De surcroît, pour les ardents défenseurs de la réduction des dépenses publiques que vous êtes, la diminution du nombre de sénateurs allégerait le budget de l'Etat.
Mes chers collègues - et je trouve cela choquant, - que des collègues régulièrement indemnisés ne viennent jamais ou presque au Sénat ne semble pas vous déranger,...
M. Alain Gournac. Oh !
M. Guy Allouche. ... mieux, cela semblerait vous arranger au regard du travail législatif !
M. Alain Gournac. Pourquoi ne dites-vous pas cela aux membres de votre groupe ?
M. Patrick Lassourd. Regardez vos travées !
M. Jean Chérioux. Vous êtes combien, ce matin ?
M. Bernard Murat. Ils sont trois !
M. Guy Allouche. Comme deuxième considérant, vous affirmez que « la création de sièges supplémentaires est une solution de facilité inutile ». Ce n'est pas ce que j'ai entendu dire ici ou là dans cette enceinte, mais votre vérité d'évidence d'hier devient subitement une vérité toute relative aujourd'hui !
Ainsi que je le disais précédemment, le rapport de la commission des lois, que d'aucuns pourraient qualifier de caricatural tant il n'arrive pas à dissimuler votre embarras et vos divergences profondes, reflète une préoccupation et une seule : comment dire « non » à toutes les réformes des institutions qui vous sont proposées ?
M. Patrick Lassourd. Parce qu'elles sont perverses !
M. Guy Allouche. Vous êtes profondément divisés. Les intérêts discordants, aggravés par des rivalités de personnes, lesquelles s'ajoutent désormais aux divergences de programmes - qui ne sont pas minces - vous obligent à trouver un habillage, un masque, qui donnerait « l'apparence d'une union de façade ». Pour ce faire, vous dites « non » à ce qui vous est proposé. C'est la fuite en avant ! Votre refus systématique constitue le ciment de votre pseudo-monolithisme. Le Sénat est devenu le « M. Niet » de la classe politique française. L'histoire nous a appris où mène ce comportement stérile ! (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Patrick Lassourd. Quelle caricature ?
M. Guy Allouche. A travers votre prise de position et cette question préalable, mes chers collègues, je dois vous dire que vous affirmez une fois encore votre refus de tout changement !
M. Alain Gournac. Merci, monsieur le professeur !
M. Guy Allouche. Je l'ai effectivement été.
Un proverbe marin dit : « Il n'y a pas de bon vent pour qui ne sait où aller. » Il s'applique parfaitement à la droite sénatoriale.
M. Bernard Murat. C'est de Sénèque.
M. Guy Allouche. En effet, où se situe votre réflexion d'ensemble ? Sur quoi porte-t-elle ? Où est votre projet alternatif ? Quand sortirez-vous de votre immobilisme quasi endémique ?
M. Patrick Lassourd. Il est machiavélique !
M. Guy Allouche. Etes-vous conscients que c'est vous qui portez, en réalité, les atteintes les plus graves à l'institution sénatoriale ? (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac. Non ! C'est faux !
M. Guy Allouche. Ne croyez-vous pas que le temps est venu, pour le Sénat, de faire ce que j'appellerai une piqûre de rappel de légitimité et de représentativité ?
A court d'arguments solides et plausibles, vous en appelez à l'opinion publique. Elle n'apprécierait pas, dites-vous, cette augmentation qui porterait gravement atteinte à l'image du Sénat !
Je ne résiste pas au plaisir de saluer cette référence à l'opinion publique. Je constate que vous tenez compte de cette dernière quand cela vous arrange.
Lorsque, sur les projets de réformes de société ou de réformes institutionnelles, comme la limitation du cumul des mandats, nous mettions en avant les enquêtes d'opinion et les attentes des citoyens, vous vous contentiez de balayer d'un revers de main nos propos, certains allant même jusqu'à dire que nous, au Sénat, nous représentons les collectivités territoriales et que ce que pensent les citoyens, c'est l'affaire de l'Assemblée nationale !
Quant à l'image du Sénat, il faut bien le reconnaître, elle est fortement écornée.
M. Alain Gournac. Après votre intervention sur LCI !
M. Guy Allouche. Qui ne s'est encore aperçu que nous n'intéressons plus les médias, dans leur ensemble ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Ah ?
M. Guy Allouche. Et quand ils daignent relater ce qui se passe ici, c'est toujours en négatif.
MM. Alain Gournac et Bernard Murat. La faute à qui ?
M. Guy Allouche. En la circonstance, le projet de loi organique étant un texte d'origine gouvernementale, c'est le Gouvernement qui devrait répondre, le cas échéant, à la désapprobation des citoyens. Monsieur le président de la commission, vous ne nous ferez pas accroire que vous tenez à protéger, à mettre à l'abri l'exécutif face aux critiques de l'opinion et des médias qui se déchaîneraient !
En fait, depuis trop longtemps, la majorité sénatoriale est sur la défensive, telle une citadelle qui se croit assiégée ! Vous restez figés sur la conception d'un Sénat d'il y a trente ou quarante ans ; vous en donnez encore la preuve aujourd'hui. Ce faisant, vous fourbissez les armes de ceux qui trouvent que le Sénat est on ne peut plus conservateur et de plus en plus ringard.
Depuis les années soixante-dix, la France a vu sa population croître de près de 7 millions d'habitants. Mais il ne vous semble pas nécessaire de conforter, de relégitimer la composition de la Haute Assemblée. Il vous importe peu que le Sénat de l'an 2000 ne soit plus en phase avec la société contemporaine. Nous vivrions ainsi hors du temps ! Serait-ce là le plus bel appel que nous lancerions à la jeunesse ?
Le projet de loi organique nous offrait l'occasion d'abaisser l'âge d'éligibilité au Sénat ? Eh bien non, la droite sénatoriale a voté, voilà quelques jours, l'abaissement de l'âge d'éligibilité à vingt-trois ans pour toutes les élections, sauf pour l'élection sénatoriale.
S'agissant du Sénat, la droite sénatoriale dit « non » à tout. Elle ne propose même pas de nouvelle répartition, même pas de redéploiement à effectifs constants. Au-delà de la satisfaction momentanée que vous semblez en éprouver, mes chers collègues, je crains que vous ne vous aperceviez assez vite des conséquences gravissimes de votre attitude. Si j'en crois une déclaration du président Arthuis, il semblerait d'ailleurs qu'au sein de la majorité sénatoriale un accord puisse être trouvé sur une nouvelle répartition. Nous verrons ce qu'il en sera dans les semaines qui viennent.
Selon toute vraisemblance, la question préalable sera adoptée. La discussion s'arrêtera et la loi organique ne verra pas le jour.
Faudra-t-il passer sous silence les conséquences de l'évolution démographique sur la répartition du nombre des sénateurs dans les départements ? Je ne le pense pas. Il nous faudra peut-être attendre le débat à l'Assemblée nationale pour connaître les dispositions de la loi relative à la composition du Sénat.
Dans ces conditions, vous comprendrez, mes chers collègues, que le groupe socialiste s'oppose farouchement à l'adoption de cette question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen).
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 1.
M. Bernard Murat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat. Avant de commencer mon explication de vote proprement dite, je voudrais faire part de mon extrême surprise quant au rappel au devoir de mémoire de notre collègue M. Michel Duffour et à l'intervention de Mme Luc.
Je suis né après la Libération. Toute ma jeunesse, mon adolescence et le début de ma vie d'homme ont été bercés par les dérives de leurs amis des partis communistes du monde entier. Aussi, lorsque Mme Luc parle de modernité et de modernisme, je dis : non, pas vous !
J'ajouterai, à l'intention de mon ami Guy Allouche, que, si les médias parlent négativement du Sénat, c'est parce qu'il est des sénateurs qui font en sorte de renforcer cette idée négative qui s'exprime parfois dans l'opinion, au lieu de défendre notre Haute Assemblée et l'excellent travail que, tous ensemble, nous faisons pour les collectivités locales et pour tous les Français. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi organique vise à augmenter le nombre de sénateurs afin que notre Haute Assemblée comporte 341 membres.
En vertu de l'article 24 de la Constitution de 1958, le Sénat représente les collectivités territoriales. Il a pour mission d'être le premier rempart de l'ensemble des régions, des départements et des communes, et cela quelle que soit l'importance de leur population. Aussi, rien n'implique une stricte proportionnalité entre la population française et le nombre de sénateurs.
Ensuite, comme le rappelle M. le rapporteur, « la qualité du travail et l'autorité d'une assemblée parlementaire ne se mesurent pas à l'aune du nombre de ses membres. ».
Depuis sa création, le Sénat est gage d'équilibre et de stabilité de la démocratie et il ne doit exister qu'une poignée de députés réfractaires au bicaméralisme pour douter de l'autorité du Sénat, assemblée de vigilance qui a su développer ses fonctions de proposition, de dialogue et de réflexion.
Dans un autre ordre d'idées, je rappellerai, monsieur le ministre, que l'exemple du Sénat américain, composé de cent membres pour une population de 250 millions d'habitants, est parfaitement valable dans ce débat. L'Alaska et la Californie sont représentés chacun par deux sénateurs, alors que leur population n'est pas comparable.
Ainsi, rien ne justifie pleinement la modification que vous nous proposez, monsieur le ministre, à moins que - mais je ne veux le croire, connaissant votre esprit républicain - son but avoué ne soit purement politicien.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Bernard Murat. Nous savons tous que la motivation sous-jacente à une loi électorale est rarement innocente. Dans cette augmentation du nombre de sénateurs sous couvert de justifications démographiques, les membres de mon groupe pressentent une démarche politicienne du Gouvernement. Ils doutent que votre projet de loi vise effectivement à renforcer équitablement les départements sous-représentés.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe du RPR voteront la motion tendant à opposer la question préalable sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Mme Hélène Luc. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Mon ami Michel Duffour ayant parfaitement exprimé ce que le groupe communiste républicain et citoyen pense du conservatisme de la majorité sénatoriale, je n'ajouterai que quelques mots.
Vous avez eu recours, mesdames, messieurs de la majorité, et tout spécialement vous, monsieur le président de la commission des lois, et vous, monsieur le rapporteur, à des arguties juridiques pour essayer d'habiller votre refus de tout changement, aussi modeste soit-il, tendant à rendre le Sénat plus représentatif de la population des collectivités locales, dont vous n'avez pas le monopole. Vous voulez tout simplement maintenir le statu quo.
Je regrette, je le dis solennellement, que les changements intervenus dans le pays n'aient en rien entamé votre volonté de vous accrocher à votre conception conservatrice du Sénat.
Vous refusez d'adapter le nombre de sénateurs à la réalité démographique, en objectant simplement que nous sommes déjà assez nombreux. Comme si c'était en ces termes que la question se pose !
Nous voulons, nous, que tous les départements soient équitablement représentés. Vous, en fait, vous avez peur de la démocratie. Vous avez peur que les femmes n'entrent en grand nombre au Sénat. Vous avez peur qu'elles ne fassent entrer dans cet hémicycle une autre manière de faire de la politique. C'est si vrai qu'il a fallu que des femmes manifestent devant le Sénat après l'examen du texte par l'Assemblée nationale pour que vous acceptiez le principe de la parité. Et encore avez-vous sensiblement atténué la portée de la réforme que le Gouvernement et l'Assemblée nationale proposaient.
M. Patrick Lassourd. Merci pour la leçon de démocratie !
M. Alain Gournac. La démocratie communiste !
Mme Hélène Luc. En réalité, vous êtes très gênés vis-à-vis de l'opinion publique. (Protestations sur les travées du RPR.) Si vous refusez de mener à son terme la discussion de ce projet de loi organique, c'est parce que vous êtes en difficulté. Et ce n'est pas le Forum des Sénats du Monde qui peut masquer votre immobilisme !
Mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, vous ne faites vraiment rien pour moderniser l'image du Sénat ! En empêchant tout changement, vous ne rendez pas service à cette assemblée que, pour ma part, je suis fière de faire régulièrement découvrir aux élèves de nos écoles.
Comment voulez-vous que les jeunes se reconnaissent dans notre institution quand vous refusez d'abaisser l'âge d'éligibilité des sénateurs de trente-cinq ans à vingt-trois ans, alors que c'est le Sénat lui-même dans son ensemble qui devrait le proposer ?
M. Alain Gournac. Et pourquoi pas dix-huit ans ?
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, à quoi bon organiser un « Sénat junior » si l'on refuse d'abaisser l'âge d'éligibilité des sénateurs ?
Cet immobilisme, cette résistance au changement sont d'autant plus affligeants qu'aujourd'hui les citoyens, notamment les jeunes, ont besoin de participer davantage à ce qui se passe dans les assemblées parlementaires.
En ce qui le concerne, le groupe communiste républicain et citoyen continuera à tout faire pour que cette assemblée joue pleinement son rôle. Je me bats personnellement pour que des projets de loi soient examinés d'abord au Sénat, parce que je suis consciente de l'importance de notre assemblée. Ainsi, j'avais demandé à Mme Buffet de faire en sorte que le Sénat soit, le premier, saisi du projet de loi sur le dopage. Elle a bien voulu, avec le Gouvernement, l'accepter, et nous avons ainsi pu montrer le grand rôle que le Sénat avait à jouer dans l'évolution de notre législation.
Vous dites, monsieur le président de la commission, que l'on parle beaucoup du Sénat, et c'est vrai. Mais, vous le savez bien, on n'en parle pas toujours en termes très flatteurs ! On le présente surtout comme une assemblée qui s'oppose à tout ce qui peut améliorer la vie des gens ! Et pour cause : vous refusez que ceux qui veulent changer quelque chose soient représentés dans notre assemblée puisque, aujourd'hui, vous bloquez purement et simplement la discussion. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. la parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Tout à l'heure, M. Allouche a cru pouvoir s'appuyer sur le fait que j'étais président du groupe d'amitié France - Etats-Unis pour considérer que je cherchais à faire évoluer le Sénat français dans un sens qui le rapprocherait du Sénat américain. Il a fait ainsi un amalgame qui n'avait aucune raison d'être. Il a d'ailleurs fait d'autres amalgames qui m'ont paru franchement mal-venus !
Car, monsieur Allouche, vous nous avez accusés de tout !
M. Alain Gournac. De tout ! La totale !
M. Paul Girod, rapporteur. Vous nous avez expliqué que, dans les médias, nous n'étions pas bien vus. « Oh ! pourvu que je sois dans les petits papiers du Mercure françois ! », disait un homme libre pour stigmatiser l'attitude de ceux qui ne songent qu'à offrir la meilleure image d'eux-mêmes.
En quoi, mes chers collègues, le fait d'être dix-huit de plus apporterait-il une quelconque réponse à l'ensemble des maux effroyables que l'on vient de décrire ?
M. Alain Gournac. C'était grotesque !
M. Paul Girod. rapporteur. J'ai dit en commission des lois qu'il fallait, selon moi, écarter le projet de loi organique, qui ne porte que sur le nombre, et pas du tout sur l'âge d'éligibilité, mais que, si nous était présenté un projet de loi organique - ou un amendement - portant sur l'âge, nous y serions probablement favorables. Mais, en l'occurrence, la question ne se pose pas.
D'ailleurs, je suis moi-même cosignataire d'une proposition tendant à porter l'âge d'éligibilité à vingt-trois ans.
M. Guy Allouche. Les jeunes apprécieront !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, repoussée par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public est de droit.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 41:

Nombre de votants 316
Nombre de suffrages exprimés 315
Majorité absolue des suffrages 158
Pour l'adoption 215
Contre
100

En conséquence, le projet de loi organique est rejeté.

RETRAIT DE L'ORDRE DU JOUR
DU PROJET DE LOI