Séance du 28 mars 2000







M. le président. La parole est à M. Renar, auteur de la question n° 741, adressée à Mme le ministre de la culture et de la communication.
M. Ivan Renar. Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite que vous transmettiez à votre ancienne collègue Mme Catherine Trautmann notre cordial salut au moment où elle quitte ses fonctions à la suite du remaniement ministériel qui vient d'intervenir. Je la remercie en particulier - et je pense être le porte-parole de tous mes collègues - de la capacité d'écoute dont elle a toujours fait preuve envers les élus.
J'en viens à ma question.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, le CSA, a décidé d'autoriser, pour une durée expérimentale de dix-huit mois, la publicité télévisée pour les sites Internet de la grande distribution, du cinéma, de la presse écrite et de l'édition, autant de secteurs jusqu'à présent interdits d'antenne publicitaire télévisée par un décret de 1992.
Celui-ci a pour objectif de préserver non seulement des secteurs fragiles faisant l'objet d'une concurrence disproportionnée, mais aussi les ressources publicitaires de la presse écrite et de la radio face à la télévision.
Imaginez un peu les conséquences d'une telle décision, qui, dans les faits, fragilise un édifice déjà précaire et risque, à terme, d'entraîner une dérégulation des marchés publicitaires, dont je ne citerai que quelques aspects.
D'abord les nouveaux déséquilibres que cela risque d'entraîner entre les titres de presse - ceux qui peuvent se payer le coût d'une campagne publicitaire télévisée et les autres - m'inquiètent. Ne risque-t-on pas de renforcer la loi du plus fort ?
Ensuite, accorder le droit de publicité télévisée pour la grande distribution, c'est prendre le risque de voir la presse écrite, en particulier la presse quotidienne régionale, être privée d'une partie très importante de ses recettes publicitaires, les grands groupes préférant l'investissement télévisuel.
La publicité de la grande distribution représente 35 % des recettes publicitaires globales de la presse quotidienne régionale. Quand on connaît le mauvais état de santé de la presse écrite, on mesure aussitôt les risques à venir.
Enfin, quelles chances reste-t-il pour le cinéma et pour l'édition française face aux mastodontes internationaux, dont les moyens publicitaires, donc financiers, sont démesurés ? Il en va, là aussi, de l'avenir de nos propres productions et créations.
Il ne s'agit pas pour moi de contester au CSA son droit d'imaginer, de proposer, de solliciter, surtout sur un sujet comme Internet, nouveau secteur économique qui bouleverse le paysage de communication actuel. Mais la décision est contestable à deux titres.
D'abord, le CSA s'arroge en la matière des pouvoirs qu'il ne possède pas et qui dépendent du législateur. Le sujet abordé est trop grave, trop vaste, pour faire l'objet d'une décision unilatérale sans que le Parlement en ait discuté et l'ait décidé ! Or je rappelle que figurent à l'ordre du jour, le projet de loi sur la liberté de communication et, à venir, un texte sur la société de l'information.
Ensuite, le CSA décide de procéder à la concertation après avoir décidé. Je ne me plaindrai pas qu'une concertation soit engagée, mais elle doit être préalable à toute décision. Je le répète, trop d'enjeux sont couverts par la réglementation actuelle.
Plus généralement, il faut constater que la décision du CSA participe d'une dérive, celle d'une mainmise des affaires, du commerce, de l'argent sur Internet : la danger est grave.
Les nouveaux modes de communication, Internet, le numérique, sont au coeur d'énormes enjeux financiers, où se jouent des parties de Monopoly à l'échelle internationale. C'est dans ce secteur que sont intervenues les plus grosses fusions économiques. Ce qui est en jeu, c'est l'appât du gain - pas seulement le commerce - la mainmise sur le savoir, l'accès au savoir.
Nouveau commerce, « i-bizness », nouvelle économie, les mots fleurissent, comme les cours en bourse, détournant peu à peu Internet de son sens premier : la communication sans limite et sans intermédiaire entre les hommes, l'échange, l'accès à la culture, aux informations à la source, aux connaissances.
Dans un rapport adressé au président de la République, l'Académie des sciences s'est inquiétée du potentiel d'inégalité que peut constituer un Internet uniquement marchand, alors que les nouvelles technologies portent potentiellement l'espoir d'une réduction des inégalités. Egalité d'accès, apprentissage d'utilisation, libre mise à disposition des informations, des savoirs, des découvertes, en sont des clefs essentielles, peu compatibles, on le voit, avec l'intérêt financier et l'appât du gain qui tendent à dominer les évolutions technologiques actuelles.
La décision du CSA n'est pas anodine et révèle de trop gros enjeux pour pouvoir être acceptée en l'état. Au contraire, tout doit inciter à la mise en oeuvre d'un véritable débat, pluraliste, sur toutes les conséquences de l'essor des nouvelles technologies de l'information et des communications.
Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous fassiez part très clairement des intentions du Gouvernement dans ce domaine.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants. Monsieur le sénateur, je vous remercie des propos que vous avez tenus à l'endroit de Mme Catherine Trautmann et que je ne manquerai pas de lui transmettre.
Vous avez attiré son attention sur la position adoptée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel dans son communiqué du 22 février dernier prévoyant que les restrictions d'accès à la publicité télévisée prévues par l'article 8 du décret du 27 mars 1992 pour les secteurs de la presse, la distribution, le cinéma et l'édition ne devaient pas être appliquées à la publicité en faveur des sites Internet édités par des entreprises de ces mêmes secteurs.
Catherine Trautmann a tenu à faire part au président de cette instance de sa surprise sur la rapidité avec laquelle cette orientation avait été adoptée, sur les réserves que cette interprétation du texte réglementaire suscitait au sein de la plupart des milieux professionnels concernés et sur la nécessité d'engager en tout état de cause une concertation approfondie avec eux.
En effet, loin de partager l'analyse du Conseil, nombre de représentants des médias ou secteurs concernés craignent qu'une telle ouverture n'aboutisse de fait à favoriser, pour des montants pouvant être importants et en rapide croissance, une publicité télévisée indirecte pour les activités aujourd'hui soumises à la prohibition de l'article 8 du décret du 27 mars 1992. Si cette crainte se vérifiait, l'interprétation que le Conseil a cru pouvoir donner conduirait à des effets en réalité contraires aux dispositions explicites du texte réglementaire en question.
Dans la même hypothèse, des déséquilibres économiques que le Conseil ne semble pas avoir vraiment anticipés seraient susceptibles de se manifester entre médias comme au sein de certains des secteurs d'activité concernés. Un risque aggravé serait que l'ampleur de ces effets les rendent irréversibles avant le terme de la « période expérimentale » de dix-huit mois ouverte par le Conseil.
Vous avez eu raison, monsieur le sénateur, d'interroger le Gouvernement sur ces questions préoccupantes.
A la suite de ces observations, le CSA a précisé dans un communiqué du 29 février 2000 qu'il souhaitait procéder à une large concertation sur les conditions d'accès des sites Internet à la publicité télévisée « aptes à éviter toute vente directe de produits et de services ainsi que toute publicité indirecte ou déguisée pour les secteurs qui demeurent interdits d'accès à la publicité télévisée ».
Consciente du fait que les règles adoptées voilà quelques années méritent sans nul doute d'être réévaluées au vu des développements récents de la communication et du commerce en ligne, Catherine Trautmann était décidée à faire en sorte que toutes les concertations utiles s'engagent avec le sérieux et la sérénité qui, seuls, permettront d'aboutir - on peut penser que Catherine Tasca aura la même préoccupation, puisqu'il s'agit d'une question centrale dans nos sociétés d'aujourd'hui. L'essentiel, dans l'immédiat, semble cependant être que le Conseil supérieur de l'audiovisuel puisse déterminer par lui-même les suites à donner à sa récente initiative et aux diverses réactions que cette dernière a suscitées.
Monsieur le sénateur, vous avez raison d'évoquer l'importance des nouvelles technologies d'information et de communication, qui sont au coeur d'une nouvelle société, voire d'une nouvelle civilisation. Nous devons tous veiller, le Gouvernement comme les parlementaires, à ce que ces nouvelles technologies soient, dans leur diversité, non seulement au service des individus, de la promotion des cultures, du développement économique, mais aussi respectueuses des valeurs démocratiques, d'où l'importance, effectivement, des débats que le Parlement aura à conduire sur ces questions, à côté du Gouvernement.
M. Ivan Renar. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de vos propos, qui répondent pour l'essentiel à mes préoccupations.
Naturellement, je prends acte de la concertation engagée et de l'esprit dans lequel elle débute.
Je voudrais quand même rappeler avec force que les nouvelles technologies de l'information et de la communication vont bouleverser les habitudes publicitaires, qui seront plus nombreuses et orientées sur ces nouveaux supports permettant, en particulier, un meilleur ciblage des consommateurs. Cela mérite une réflexion globale, car les conséquences seront lourdes à tout point de vue. La décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel était parcellaire et ne prenait pas en compte tous les paramètres
Je serai amené à intervenir le moment venu, mais, alors que se poursuit la discussion du projet de loi relatif à la communication et que se prépare le débat sur la société de l'information, il convient, en raison de l'évolution des choses, de s'interroger un peu plus non seulement sur les missions du CSA, mais aussi sur la définition d'une véritable instance de régulation et de contrôle, ses missions et sa composition.

AVENIR DE LA CLINIQUE DE PRADES