Séance du 28 mars 2000






ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 239, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'archéologie préventive [rapport n° 276 (1999-2000)].
Madame le ministre, il me revient l'agréable charge de saluer votre première venue au Sénat dans vos nouvelles fonctions de ministre de la culture et de la communication.
Je forme le voeu, avec tous mes collègues, que nous travaillions ensemble dans le meilleur esprit de compréhension, qui est la marque de la Haute Assemblée, et dans la recherche constante du dialogue républicain avec le Gouvernement.
Madame le ministre, vous me permettrez, au nom du Sénat, de féliciter notre excellent collègue M. Michel Duffour pour sa nomination aux fonctions de secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle.
Nous sommes particulièrement heureux de le retrouver au Sénat sur un autre banc, celui du Gouvernement, d'où, j'en suis sûr, il saura manifester une grande capacité d'écoute des préoccupations qui sont les nôtres. (Applaudissements.)
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous dire combien je suis heureuse que la première journée d'exercice de mes nouvelles fonctions gouvernementales me donne l'occasion de venir au Sénat.
Cela me rappelle des souvenirs déjà lointains, et je reconnais sur ces travées des membres de la Haute Assemblée avec lesquels j'avais eu, en tant que membre d'un précédent gouvernement, à travailler à propos de la communication.
J'ai aussi un très grand plaisir d'être aujourd'hui à ce banc à côté de Michel Duffour, qui, bien que nommé au Gouvernement, se sent encore pour un temps votre collègue.
Dans ma présence cet après-midi au Palais du Luxembourg, je vous demande de voir non seulement ma joie de retrouver l'atmosphère qui règne à la Haute Assemblée, mais encore le signe de l'étroite communauté de pensée qui m'unit à Michel Duffour et qui guidera nos travaux communs au Gouvernement, même si c'est à lui qu'il revient de soutenir aujourd'hui le texte inscrit à votre ordre du jour. (Applaudissements.)
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle. Monsieur le président, avant d'aborder mon exposé sur le texte soumis aujourd'hui au Sénat, je voudrais vous faire part, ainsi qu'à tous les membres de cette assemblée où je siégeais encore il y a quelques jours, de ma satisfaction de me trouver à cette tribune et, en même temps, de mon émotion.
Je reviens de l'Assemblée nationale où se déroulait la séance, assez bruyante, des questions d'actualité. Ce n'est pas parce que je retrouve ici le calme de notre Haute Assemblée que je suis rasséréné : c'est parce que je vous retrouve vous, les uns et les autres. Je sais à quel point le travail qui s'accomplit ici est sérieux et marqué par une tolérance réciproque.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui un projet de loi sur l'archéologie préventive. C'est un temps fort de l'action de tous les acteurs publics qui oeuvrent en faveur du respect du patrimoine, de sa connaissance et de sa transmission aux générations futures.
La protection des monuments historiques a bénéficié de l'édifice législatif que constitue la loi de 1913 et celle des sites, de la loi de 1930, lois qui ont pu sans difficulté accueillir les évolutions de doctrine ou de sensibilité.
Il n'en va pas de même de l'archéologie, discipline aux évolutions contemporaines de laquelle la loi validée de 1941, dite « loi Carcopino », n'a offert qu'un cadre imparfait.
L'archéologie préventive est, en effet, née du développement des grands chantiers d'aménagement et des rénovations qui remodèlent depuis les années soixante, sur des échelles jusqu'alors inconnues, les centres et les périphéries des villes. Elle s'est développée en dehors d'un cadre légal adapté puisque son essor est postérieur à la loi de 1941, qui ne pouvait anticiper un cadre pertinent pour l'exercice de cette activité scientifique, soumise aux rythmes et aux calendriers de réalisation des opérations d'aménagement et de construction.
Parallèlement, on a assisté à l'extension du champ chronologique de l'archéologie, longtemps limitée à la préhistoire et aux civilisations antiques, puis étendue aux époques médiévales et modernes, allant jusqu'à des incursions dans le passé récent, comme en témoignent les fouilles de la sépulture d'Alain-Fournier ou la curiosité qui se fait jour s'agissant des traces et des vestiges de la Deuxième Guerre mondiale. Ce renouvellement des approches a de facto étendu le champ d'investigation de l'archéologie préventive.
Au travers de l'archéologie préventive, l'Etat assure la préservation du patrimoine ou, à défaut, la transmission à la collectivité, sous forme d'archives, des connaissances contenues dans le sol, quand des éléments du patrimoine archéologique sont affectés ou sont susceptibles de l'être par des travaux publics ou privés d'aménagement.
Située au croisement de logiques patrimoniales et scientifiques et de logiques de développement économique et social, cette archéologie préventive vous est bien connue : les élus sont régulièrement confrontés à la contradiction entre l'accomplissement du devoir de mémoire et les impératifs d'aménagement du territoire et des villes.
La carence juridique en matière d'archéologie préventive a malheureusement pesé sur l'archéologie en général et sur ses différents acteurs, qu'ils soient institutionnels ou bénévoles, alors même que cette branche de l'archéologie, qui fournit 80 % des données scientifiques, est un outil majeur d'exploration des traces de notre passé et de restitution de l'histoire du cadre de vie.
On a pu constater, ne serait-ce qu'au travers de la qualité des débats à l'Assemblée nationale et des échanges de haut niveau qui ont eu lieu avec votre rapporteur, mais aussi par le biais des contacts quotidiens du ministère de la culture et de la communication avec les élus et les services archéologiques des collectivités territoriales, qu'une place grandissante est désormais assignée aux repères patrimoniaux au regard des identités territoriales en cours de recomposition dans l'espace national et dans l'espace européen. On sait maintenant que la connaissance de l'occupation humaine, dans toute sa profondeur temporelle, nous éclaire chaque jour davantage sur notre histoire et sur nos interactions avec l'environnement. Là où il a longtemps été perçu comme un handicap, le patrimoine est, d'une manière croissante, compris et envisagé par les collectivités territoriales comme un facteur de développement et de recomposition sociale.
Dans ce climat général, le Gouvernement a voulu rompre enfin avec l'instabilité et les malentendus créés par l'absence de cadre légal de l'archéologie préventive, qui portait en germe un risque de blocage complet, avec les conséquences patrimoniales et surtout économiques que l'on imagine.
Ce constat de la nécessité d'une réforme, les précédents gouvernements l'avaient fait successivement, ce qui avait conduit à la publication de treize rapports portant sur l'archéologie en général et sur l'archéologie préventive en particulier, sans qu'aucune solution pleinement satisfaisante se dégage et puisse être mise en oeuvre devant l'ampleur de la tâche.
La ministre de la culture et de la communication a donc décidé de proposer une réforme législative intéressant la seule archéologie préventive, qui conduit à simplifier le positionnement et le travail de tous les archéologues et à clarifier l'ensemble du champ d'exercice de l'archéologie. D'ores et déjà, le fructueux travail mené en commun depuis un an par le ministère de la culture, responsable de la protection du patrimoine archéologique, et par le ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie en vue de l'élaboration du projet de loi qui est soumis aujourd'hui au Sénat augure d'un nouveau contexte institutionnel favorable au plein exercice de cette discipline.
Il n'a pas paru nécessaire de modifier la loi de 1941. Elle est certes inadaptée aux bouleversements du sous-sol engendrés par l'aménagement du territoire et par le remodelage des villes, mais elle énonce des principes qui demeurent d'actualité pour l'organisation et le contrôle de la recherche. Le premier projet concernant l'archéologie date de 1838, et il avait donc fallu un siècle pour qu'un texte puisse être adopté, devant les multiples oppositions et débats qu'un projet d'organisation avait suscités de la part des sociétés savantes de l'époque. Cette lenteur, ces débats et ces résistances ne sont pas étrangers au fait que les archives du sol ont été longtemps considérées comme une contrainte plutôt que comme une chance. Contrairement aux archives « papier », aux archives sonores et aux témoins monumentaux, l'archéologie n'a pas été perçue, en France, comme un facteur de construction de l'identité nationale.
Limiter l'objet du projet de loi à l'archéologie préventive ne revient pas, bien au contraire, à mettre hors jeu le reste du champ de l'archéologie. L'archéologie programmée, souvent conduite par des équipes de chercheurs venus d'horizons divers, notamment par des bénévoles qui animent le réseau des sociétés savantes, fournit aux scientifiques un espace nécessaire de travail et d'avancées conceptuelles. En convoquant des savoirs de plus en plus complexes, au croisement de l'anthropologie et des sciences naturelles, à l'articulation des sciences humaines et des sciences exactes, en bénéficiant du recul et de la durée nécessaires, l'archéologie programmée éclaire en retour les méthodes et les données fournies par l'archéologie préventive.
C'est pourquoi le Gouvernement proposera, par ailleurs, de redonner à l'archéologie programmée des moyens budgétaires qui se sont érodés au fil du temps, afin que l'archéologie préventive, toujours soumise à l'urgence et à la contrainte légitime de calendriers extérieurs à la seule logique scientifique, ne sature pas la totalité du champ de cette discipline.
Le nouveau dispositif encadrant l'exercice de l'archéologie préventive, en dépassionnant les débats dont cette discipline fait l'objet, permettra à tous ses acteurs de bénéficier d'un climat de travail plus serein et plus approprié.
La création de ce cadre légal d'intervention de l'archéologie préventive a, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, soulevé bien des débats. L'objectif est que, désormais, les opérations d'archéologie préventive soient mises en oeuvre sans délai, sur l'ensemble du territoire, avec des coûts transparents, une préoccupation constante d'équité à l'égard des aménageurs et des exigences scientifiques de haut niveau.
Pour atteindre ces objectifs, Bernard Poignant, maire de Quimper, Bernard Pêcheur, conseiller d'Etat, et Jean-Paul Demoule, archéologue et universitaire, ont préconisé, dans le rapport qu'ils ont remis en décembre 1998 à la demande de Catherine Trautmann, une réforme affirmant le caractère scientifique et de service public de l'archéologie préventive.
La ministre de la culture et de la communication a proposé au Gouvernement de retenir ces orientations. Ce projet de loi vous est soumis après une première lecture à l'Assemblée nationale, qui a permis de l'affiner et de l'enrichir ; il affirme d'abord le rôle de prescription, de contrôle et d'évaluation scientifique de l'Etat.
Il faut mesurer la difficulté, depuis des décennies, de la tâche des conservateurs régionaux de l'archéologie, qui, au sein des services déconcentrés du ministère de la culture et de la communication, ont beaucoup contribué à la qualité de l'archéologie préventive française, dans un contexte difficile soumis à fortes mutations, et les remercier de leur action dévouée et patiente.
Il faut aujourd'hui leur donner les moyens d'assumer pleinement le rôle qui leur incombe. Outre une meilleure gestion des carrières et la mise en place de passerelles d'échange avec l'université, les laboratoires de recherche, les collectivités territoriales et le futur établissement public, il convient de leur donner les moyens de mener à bien la réalisation de la carte archéologique, qui est une priorité essentielle.
Cette carte, dont ont besoin les services dans leur activité quotidienne, sera, aux termes de la loi, dressée par l'Etat. A l'instar de l'Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France, elle constituera l'inventaire national des sites archéologiques, c'est-à-dire des lieux ayant connu une occupation ou une activité humaine. Elle résultera d'un travail scientifique, documentaire et de terrain, souvent issu des opérations d'archéologie préventive, qui alimente un recueil de données dont les modalités d'enregistrement connaissent une mutation rapide grâce à l'utilisation de systèmes d'information géographique de plus en plus performants. Les collectivités territoriales, le réseau associatif et tous les membres de la communauté scientifique ont vocation à davantage concourir à sa réalisation : la connaissance fine des territoires est un enjeu commun qui doit mobiliser la compétence de tous et qui concerne tant les scientifiques, pour l'avancée des connaissances, que les aménageurs, qui y gagnent en capacité d'anticipation du risque archéologique, et que tous les citoyens, qui sont de plus en plus sensibles aux repères que leur fournit la connaissance, dans l'espace et dans le temps, de leurs territoires familiers.
Le projet de loi qui vous est soumis vise également à créer un établissement public à caractère administratif, placé sous la double tutelle du ministère de la culture et de la communication et du ministère chargé de la recherche. Cet établissement aura pour mission d'effectuer, pour le compte de l'Etat, les opérations de diagnostic et de fouilles rendues nécessaires par les risques de destruction de vestiges archéologiques à l'occasion de travaux et, dans cette optique, d'assurer des missions de recherche, de publication, de diffusion, d'animation et de formation.
L'Etat a la responsabilité d'assurer, en tout temps et en tout lieu du territoire, l'égalité de prestations, de coûts et de délais dans le domaine du traitement du patrimoine archéologique. Il a besoin d'un établissement public dont les capacités et le format soient suffisants pour lui permettre d'intervenir dans les limites de ces contraintes et qui assume la responsabilité de la phase post-fouilles, afin que les opérations d'archéologie préventive participent pleinement aux avancées de la connaissance.
La commission des affaires culturelles de votre assemblée a adopté un certain nombre d'amendements visant à assimiler cet établissement à un opérateur de fouilles. En réalité, la chaîne archéologique, insécable, ne peut contribuer au progrès des connaissances que si les aspects méthodologiques et les publications sont des actes scientifiques envisagés dans une même logique que la prescription et que la fouille, avec lesquelles ils forment un tout indissociable. L'établissement est un outil de mutualisation et de valorisation de l'acte de fouille, dont les avancées doivent bénéficier, en retour, à la collectivité.
A cet égard, un effort doit aussi être accompli en matière de publications, pour que ces dernières rendent compte, dans des délais raisonnables, d'une manière aussi complète que possible et pour tous les publics, des résultats des recherches. Ce sera une priorité du futur établissement, qui s'appuiera sur les possibilités offertes par les nouvelles technologies de l'information pour la diffusion scientifique.
L'amendement de la commission des affaires culturelles visant à créer un établissement public à caractère industriel et commercial méconnaît à mon avis le fait que l'établissement public créé ne saurait répondre aux trois critères cumulatifs - objet, origine des ressources et modalités de fonctionnement proches de celles d'une entreprise privée - qui permettent de caractériser un EPIC.
Les fouilles archéologiques doivent en effet être menées sous le contrôle scientifique d'un directeur de fouilles nommé par l'Etat sur proposition de l'établissement public, et l'exploitation des résultats ne pourra relever que des unités mixtes de recherche associant les archéologues de l'établissement public d'archéologie préventive, l'EPAP, et des organismes de recherche, sociétés savantes incluses. Cette exploitation, qui n'est pas dissociable des opérations de sondage et de fouilles, est destinée non pas à la commercialisation, mais à la diffusion auprès du public, et interdit toute assimilation du futur établissement à une entreprise privée.
S'agissant des ressources, une jurisprudence constante du Conseil d'Etat établit que le financement par redevances à caractère fiscal confère à l'établissement un caractère administratif.
Enfin, l'établissement, appelé à intervenir sur la base des prescriptions de l'Etat, ne maîtrise pas les paramètres de la redevance qu'il perçoit, tout en ayant l'obligation d'intervenir sur des opérations non assujetties à redevances, dans des délais encadrés. On est loin des conditions de fonctionnement d'une entreprise privée, laquelle détermine librement son volume d'activité, ses prix et ses délais d'intervention. C'est pourquoi le Gouvernement souhaite maintenir la création d'un établissement public administratif.
Mais l'archéologie préventive, j'y insiste, n'est pas seulement l'affaire de l'Etat et du futur établissement public.
Devant la représentation nationale, le Gouvernement veut redire avec solennité tout son attachement à ce que l'établissement dont il propose la création prenne appui sur l'ensemble des réseaux de compétences structurées : services archéologiques des collectivités territoriales, Centre national de la recherche scientifique, universités, associations qualifiées, etc. Ainsi, les collectivités territoriales dotées de services archéologiques pourront être amenées à prendre en charge une fouille et, dans ce cas, être partiellement ou totalement exonérées de la redevance. Ce sera à l'établissement - lequel ne saurait être assimilé à l'Association pour les fouilles archéologiques nationales, l'AFAN, reconduite sous une autre forme - qu'il reviendra de mettre en place le dispositif le plus adapté, en termes de qualité scientifique et d'efficacité au regard des coûts et des délais, pour chaque opération de diagnostic et de fouilles. Son action s'effectuera bien évidemment en liaison avec les services de l'Etat, qui prescrivent a priori et évaluent a posteriori en prenant appui sur les conseils interrégionaux de la recherche archéologique et sur le Conseil national de la recherche archéologique, créés par décret en 1994 et dont les compétences consultatives ne se limitent pas à la seule archéologie préventive, loin de là.
Cette ouverture se traduira dans les dispositions qui vont régler l'organisation et le fonctionnement des instances du nouvel établissement, dans lesquelles les élus et les aménageurs seront représentés, et par les conventions qu'il devra conclure avec les organismes compétents.
Par ailleurs, il est souhaitable que cette réforme s'accompagne d'un partenariat croissant entre les services déconcentrés de l'Etat et les collectivités territoriales.
J'en viens au financement de l'archéologie préventive.
Les prescriptions des services de l'Etat ont pour corollaire le versement par les aménageurs de redevances ayant le caractère d'impositions de toute nature. Le principe de ce dispositif de financement n'a pas soulevé de réserves de la part de votre rapporteur.
Il est vrai que les voies d'un dispositif plus simple et plus transparent, plus équitable pour les aménageurs ont été recherchées et que le ministère de la culture et de la communication a été attentif aux préoccupations légitimes de ceux-ci de voir encadrée la part d'aléas inhérente au risque archéologique et de voir assurée une meilleure prévisibilité des coûts.
Par souci de simplicité, un taux unique s'appliquera pour les sondages et diagnostics. La charge supportée par les aménageurs sera uniquement fonction de l'emprise au sol des travaux et aménagements projetés. La redevance sera donc intégralement mutualisée entre les aménageurs, qui seront en mesure, dès le stade de la prescription par l'Etat, d'anticiper le coût des sondages et diagnostics.
Lorsque les services de l'Etat prescriront, à l'issue des diagnostics, une fouille archéologique, celle-ci donnera lieu au paiement d'une redevance également calculée de façon simple et transparente. Son montant variera en fonction de la nature des sites archéologiques, stratifiés ou non stratifiés, en prenant respectivement en compte la hauteur moyenne de la couche archéologique et le nombre de structures archéologiques tels qu'ils résultent des sondages et diagnostics.
La redevance pour fouilles sera donc, elle aussi, calculée sur des bases objectives. Son montant sera connu des aménageurs à l'issue des diagnostics. Il ne pourra augmenter au cours de la réalisation des fouilles, en fonction par exemple de la découverte inattendue de vestiges ou de difficultés imprévues.
Ainsi, l'établissement public ne pourra reporter sur les aménageurs les coûts supplémentaires qu'entraînerait un allongement éventuel des délais de réalisation des diagnostics et fouilles.
Il est également prévu la possibilité, pour l'aménageur, de continuer à fournir des prestations de terrassement et d'installation de chantier en marge du chantier de fouilles, venant en déduction de la redevance due à hauteur maximale de 50 %.
Les redevances seront établies par l'établissement public sur un plan matériel, mais ce sont les services de l'Etat qui fixeront, sans aucune exception, l'ensemble de leurs paramètres de calcul. L'établissement public ne disposera donc d'aucune compétence discrétionnaire à cet égard. La création d'une instance de médiation entre les aménageurs, l'établissement public et l'Etat, devant laquelle les aménageurs pourront contester les modalités de calcul de la redevance, participe de la volonté de transparence et d'équité.
Garanties d'objectivité et de transparence dans la détermination du montant des redevances, maîtrise des délais de réalisation des sondages, diagnostics et fouilles, prise en compte de l'intervention des services d'archéologie des collectivités territoriales et des moyens matériels mis à disposition par les aménageurs qui viendront en réduction des redevances à leur charge, le dispositif retenu assure, me semble-t-il, une plus grande égalité de traitement entre aménageurs devant les charges publiques et concilie les impératifs du développement économique et social et de restitution de la part enfouie de notre passé collectif.
En dépit d'une nécessité manifeste, la création d'un service public de l'archéologie préventive n'avait pas été engagée.
Cette réforme, ardemment souhaitée depuis vingt ans, jamais mise en oeuvre, est essentielle au regard de l'apport irremplaçable de l'archéologie préventive dans la découverte de la mémoire du sol. Elle met notre législation en conformité avec les objectifs politiques auxquels la France a adhéré à travers la convention de Malte du 16 janvier 1992.
Il faut aussi persévérer et sans nul doute innover pour maintenir et développer l'attachement et la curiosité d'un large public à l'égard de son patrimoine archéologique.
La nécessaire professionnalisation de l'activité archéologique ne doit pas annihiler la dimension d'activité citoyenne qu'elle revêt pour nombre d'habitants.
Au moment même où je vous parle, le palais de Chaillot accueille la deuxième session des rencontres organisées par les ministères de la culture de la Grèce, de la France et de l'Italie avec des chefs de projets urbains, dont la première session s'était tenue à Athènes en juin 1999, et qui témoigne des enjeux contemporains de la recherche archéologique. Inscrite dans le cadre du programme « Projet urbain-projet citoyen » organisé par l'Institut français d'architecture et la mission de préfiguration de la Cité de l'architecture et du patrimoine, ces rencontres ont pour objet de favoriser une approche interdisciplinaire du projet urbain et de mettre en place les stratégies de projets urbains appropriées dans les sites archéologiques.
Nombre de nos villes d'Europe sont nourries et travaillées par ces confrontations entre une mémoire du sol porteuse de la richesse et de la profondeur de leurs cultures et la vitalité urbaine contemporaine. En construisant pour le xxie siècle un cadre légal pour l'exploration et la préservation de cette mémoire, qui nous permette en même temps de ne pas renoncer à l'apport de notre temps à cet établissement humain continu qu'est la ville, nous aurons, tous ensemble, fait oeuvre utile. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Legendre, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui est un texte important, non seulement pour les archéologues mais également pour tous ceux qui assurent le développement de notre pays, en particulier pour les collectivités territoriales à qui, au plus près du territoire, incombe bien souvent la charge de concilier les impératifs de la protection du patrimoine archéologique et les exigences de l'économie.
Pour cette raison, je regrette, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, les délais très courts que le Gouvernement nous impose. Il eût été plus simple pour vous tout d'abord et aussi pour notre assemblée de disposer d'un peu plus de temps afin de pouvoir procéder à l'ensemble des consultations qu'un sujet aussi important nécessite. J'avoue ne pas comprendre une telle impatience, alors que le projet de loi a été déposé le 5 mai 1999 à l'Assemblée nationale. Sur un tel sujet, il aurait été utile de laisser un peu plus de temps à la concertation. Le texte est perfectible, le Gouvernement en est d'ailleurs conscient puisque, lors des débats à l'Assemblée nationale, votre prédécesseur, madame la ministre, avait souhaité en modifier le volet financier par voie d'amendement. Cette précipitation est incontestablement de mauvais aloi s'agissant d'un texte qui est loin de faire l'unanimité.
Le projet de loi répond, certes, aux critiques exprimées par les archéologues, à travers le mouvement de grève du printemps 1998, contre le système de financement de l'archéologie préventive, critiques aggravées par l'émotion suscitée par un avis du Conseil de la concurrence qui avait assimilé l'exécution des fouilles préventives à une activité économique qui devait donc, à ce titre, être soumise aux règles de la concurrence.
Si le projet de loi permet assurément d'apaiser ces critiques, il n'accorde pas pour autant une réponse appropriée et définitive aux difficultés de l'archéologie préventive. En effet, il traduit une vision un peu réductrice de cette discipline, attribuant un rôle subalterne aux services archéologiques des collectivités territoriales comme aux associations de bénévoles, et ne prend en compte que de façon insuffisante les exigences du développement économique.
Je ne contesterai pas la nécessité de réformer le cadre juridique des fouilles préventives, contesté au demeurant tant par les archéologues que par les aménageurs.
La multiplication, depuis le milieu des années soixante-dix, des travaux urbanistiques et d'infrastructure, conjuguée à la faiblesse des moyens budgétaires consacrés à l'archéologie, a conduit à mettre en place une fiction juridique : si l'Etat prescrit des fouilles, comme l'y autorise la loi de 1941, il ne les réalise pas plus qu'il ne les finance. C'est en effet aux aménageurs qu'il revient de supporter le coût des fouilles, qui sont en général exécutées par une association créée à cet effet par le ministère de la culture en 1973, l'AFAN, l'Association pour les fouilles archéologiques nationales.
Ce système que l'on pourrait appeler « casseur-payeur », qu'aucun texte ne prévoit, avait jusqu'à présent finalement plutôt bien fonctionné, mais il atteint aujourd'hui ses limites. Outre la fragilité de ses fondements juridiques, il souffre notamment de l'absence de séparation claire entre les responsabilités des services du ministère de la culture et celles de l'AFAN, exemple parfait de « démembrement de l'administration », confusion qui favorise une consanguinité source d'ambiguïté, alors que l'on observe une tendance croissante de l'Etat à se décharger de ses propres missions au profit de l'association. Faute d'une réelle concurrence, l'AFAN s'est vu reconnaître un monopole de fait, qui nourrit les critiques relatives à l'opacité des coûts des opérations archéologiques et écarte des chantiers de fouilles des opérateurs qui, par leur connaissance du territoire, pourraient assurer une meilleure exploitation des découvertes. Enfin, les collaborations avec les organismes publics de recherche sont encore insuffisantes au regard de l'intérêt historique et scientifique que représentent les fouilles préventives.
A cette situation, dont je ne nie pas les inconvénients, le Gouvernement répond par une solution qui, si elle présente l'avantage de la simplicité, ne semble adaptée ni à l'évolution actuelle de la recherche scientifique ni à celle de nos structures administratives. Un de ses inconvénients principaux est sans aucun doute son caractère anachronique.
Reprenant les conclusions remises, en novembre 1998, par MM. Demoule, Pêcheur et Poignant à Mme Catherine Trautmann, le projet de loi consacre l'existence d'un service public de l'archéologie préventive. Ce service public recouvre non seulement les missions régaliennes que confiait à l'Etat la loi dite Carcopino, mais également l'exécution des opérations de terrain. Il s'agit là d'éviter de soumettre les fouilles préventives à la concurrence, risque qui était en réalité très minime compte tenu du rôle et des dimensions de l'AFAN.
Ce choix se traduit par la création d'un établissement public doté de droits exclusifs pour la réalisation des fouilles préventives, qui résulte en quelque sorte de la « nationalisation » de l'AFAN, que l'on transforme ainsi en organisme de recherche.
Bien qu'il ne modifie pas explicitement la loi de 1941, le projet de loi attribue à l'établissement public compétence pour désigner les responsables de fouilles, l'Etat se contentant d'approuver. Même si l'article 2 prévoit, en des termes au demeurant flous, que, pour l'exécution de sa mission, l'établissement fait appel à d'autres « personnes morales dotées de services archéologiques », rien ne garantit que des responsables de fouilles puissent être choisis en dehors des personnels de l'établissement. Le monopole est donc clairement affirmé.
Les fouilles seront désormais exécutées par cet établissement, qui sera financé par le produit des redevances d'archéologie préventive prévues par l'article 4. Le projet de loi met donc fin aux mécanismes contractuels qui prévalaient jusqu'ici. Au-delà des critiques qu'a pu susciter cet aspect du texte, force est de constater que ce mode de financement ne fait que consacrer la pratique résultant du système actuel : le coût de l'archéologie préventive incombe aux aménageurs.
Ce dispositif, dont l'accent très centralisateur n'a échappé à personne, suscite, je crois, autant d'inquiétudes qu'il ne résout de difficultés. Les inquiétudes portent tant sur l'opportunité de mettre en place ce qui apparaît comme une « étatisation » de la recherche archéologique que sur sa compatibilité avec les règles européennes de la concurrence.
Trois motifs justifiaient la création d'un monopole : d'une part, assurer en tout temps et en tout lieu les fouilles ; d'autre part, permettre une mutualisation des coûts de l'archéologie ; enfin, garantir la qualité scientifique des opérations de terrain.
Or, la pertinence du dispositif proposé au regard de ces trois critères apparaît pour le moins contestable.
S'agissant tout d'abord du critère de l'efficacité, l'établissement public sera-t-il capable de faire face au caractère par définition aléatoire de l'activité qui lui est confiée ? Comment pourra-t-on éviter des phénomènes de files d'attente en période de forte activité ? N'y a-t-il pas, à craindre, dans ce cas, que les aménageurs, pour éviter des délais trop longs, ne doivent payer pour lever la « servitude archéologique » ? On en reviendrait alors au système actuel. A l'inverse, comment l'établissement pourra-t-il couvrir ses coûts fixes dans les périodes de ralentissement de l'activité ? Ne faut-il pas craindre que, dans ce cas, ne se fasse jour une tentation de renforcer les exigences des prescriptions archéologiques afin d'équilibrer son budget ? L'absence de séparation claire entre l'Etat et l'établissement n'offre sur ce point aucune garantie. Enfin, le statut d'établissement public à caractère administratif permettra-t-il à ce nouvel organisme de disposer de la souplesse de gestion nécessaire à l'accomplissement de ses missions, qui consistent essentiellement en des opérations de terrain ? Rien n'est moins certain.
A l'évidence, cet établissement devrait être doté d'un fonds de roulement lui permettant de faire face aux décalages de trésorerie : c'est une nécessité. Mais quel sera son montant ? C'est là une question capitale.
Par ailleurs, la possibilité de faire appel à d'autres organismes de recherche voire à d'éventuels sous-traitants est présentée comme un élément de souplesse. Cependant, l'établissement est libre de recourir à cette possibilité. Ce n'est au demeurant que la conséquence de l'autonomie que lui confère son statut. Or, n'y a-t-il pas un risque que l'établissement ne soit « jaloux » de ces droits exclusifs, qui consistuent la clé de l'équilibre financier que l'on exige de lui ?
Le souci d'opérer une mutualisation du coût des fouilles, qui me semble légitime, aurait dû se traduire logiquement par un prélèvement de faible montant assis sur l'ensemble des opérations affectant le sous-sol. Or, la redevance prévue par le projet de loi vise exclusivement les travaux ayant nécessité la réalisation de fouilles et, de plus, son montant dépend étroitement du coût réel de celles-ci. Dans ce système, la mutualisation ne joue qu'à la marge, pour compenser le coût des exonérations en faveur du logement social et de l'habitat individuel. Là encore, nous sommes finalement assez loin des objectifs annoncés.
Enfin, comment l'établissement pourra-t-il assumer sa vocation scientifique ? Le produit de la redevance est calqué sur le coût actuel de l'archéologie préventive, et l'on sait les résultats insuffisants du système actuel en ce qui concerne l'exploitation des résultats des opérations de terrain et leur valorisation culturelle. A l'évidence, l'établissement devra bénéficier de subventions inscrites au budget de votre ministère. Faute de moyens, nous en resterons à la situation actuelle avec, en plus, les rigidités résultant du monopole.
Par ailleurs, ne faut-il pas craindre que l'instauration d'un monopole n'aboutisse, de manière paradoxale, à une ouverture de l'archéologie préventive à la concurrence qui serait imposée par les autorités communautaires ? En effet, si la loi peut soustraire l'archéologie préventive aux règles nationales de la concurrence, elle ne peut avoir pour effet d'écarter l'application des dispositions du traité de Rome.
En dépit de l'analyse rassurante formulée par les auteurs du rapport sur lequel s'appuie le projet de loi, faut-il exclure que l'objet de l'établissement puisse être assimilé à une activité économique ? Vous considérez que les opérations de fouilles sont indissociables des démarches intellectuelles qui les fondent. Compte tenu de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, la question est plutôt de savoir si elles sont dissociables des prérogatives de puissance publique reconnues à l'Etat. Sur ce point, je ne peux qu'observer que le projet de loi ne revient pas sur la loi de 1941 et que, au contraire, il en renforce la logique en précisant que l'établissement public exécutera les fouilles « conformément aux prescriptions de l'Etat ». Il y a donc volonté d'établir une distinction entre les prescriptions et leur exécution. Si l'on assimile la mission de l'établissement à une activité économique, peut-on alors considérer que l'attribution de droits exclusifs soit une condition nécesaire à l'accomplissement de sa mission aux termes de l'article 90 du traité de Rome ? Les assouplissements apportés par l'Assemblée nationale, qui étaient sans doute nécessaires, ne peuvent que nous en faire douter.
En effet, l'Assemblée nationale a ouvert deux brèches dans les droits exclusifs de l'établissement.
Elle a prévu, d'une part, que seraient exonérés de la redevance les travaux effectués par les collectivités territoriales dotées de services archéologiques « agréés ». Si cette précision n'est guère satisfaisante au regard de l'intérêt que de tels services sont susceptibles de représenter, elle affaiblit à l'évidence la légitimité du monopole.
D'autre part, l'Assemblée nationale a reconnu de fait qu'une partie des opérations liées à l'accomplissement de fouilles préventives était détachable de leur objet scientifique. Elle a en effet prévu que certains travaux concourant à l'exécution des opérations de fouilles effectuées par l'établissement public pouvaient être exécutés par l'aménageur lui-même et, à ce titre, faire l'objet d'une réduction du montant de la redevance.
Au-delà de ces assouplissements, l'Assemblée nationale a profondément modifié les modalités de calcul de la redevance. La nouvelle définition de l'assiette permet d'assurer un meilleur rendement de ce nouvel impôt, laissant espérer que l'établissement puisse disposer de recettes suffisantes pour équilibrer ses coûts fixes. La nouvelle rédaction de l'article 4 présente également l'avantage de permettre une plus grande transparence des modalités d'établissement des redevances et ne laisse à l'établissement qu'une faible marge de manoeuvre pour fixer leur montant, qui dépendra des prescriptions des services régionaux de l'archéologie.
Cependant, le texte qui nous est soumis présente encore de nombreux points faibles.
Pour autant, fallait-il remettre en cause le projet de loi dans son ensemble ? Je ne le crois pas, et ce pour deux raisons.
En premier lieu, le statut associatif n'est plus adapté à l'ampleur des sommes consacrées au financement de l'archéologie préventive. Une « privatisation » de l'archéologie, qui s'accompagnerait d'une dissolution de l'AFAN, semble exclue et, au demeurant, peu souhaitable, compte tenu du poids que représente aujourd'hui cette association et des services qu'elle offre aux aménageurs. La solution de l'établissement public semble donc s'imposer.
En second lieu, le projet de loi, en optant pour le financement par l'impôt, répond aux attentes des aménageurs et des archéologues en établissant, en quelque sorte, un « barème national » des opérations archéologiques. C'est du moins ce que je retire des auditions, trop peu nombreuses, auxquelles il m'a été laissé le temps de procéder.
Cependant, le dispositif est perfectible.
Les améliorations que je vous proposerai d'apporter visent d'abord à préciser les conditions dans lesquelles l'Etat prescrit les fouilles archéologiques, et notamment à distinguer plus clairement que ne le fait le projet de loi entre ce qui relève des compétences de l'Etat et ce qui relève de celles de l'établissement public. En effet, alors qu'une des raisons avancées par le Gouvernement pour justifier la réforme de l'archéologie est l'inadaptation du cadre législatif, le projet de loi ne modifie ni n'abroge la loi de 1941, dont l'articulation avec les dispositions du texte peut, d'ailleurs, prêter à confusion.
C'est, à notre sens, à l'autorité administrative et à elle seule qu'il appartient de désigner le responsable de fouilles : celui-ci pourra être choisi parmi les personnels de l'établissement mais également au sein des services archéologiques des collectivités territoriales ou d'autres structures privées ou publiques.
En effet, le monopole proposé par le projet de loi ne se justifie pas plus sur le plan de l'efficacité que sur celui de la nécessité d'assurer la qualité scientifique des fouilles. Par ailleurs, les doutes soulevés sur la question de sa conformité aux règles européennes de la concurrence laissent craindre une remise en cause rapide de ce mécanisme, ce qui se traduirait par une ouverture de l'archéologie à la concurrence, situation que le projet de loi tente, à juste titre, de prévenir.
Afin de renforcer les capacités d'expertise de l'Etat et de contrebalancer le poids que sera amené à prendre, dans la pratique, l'établissement, je vous proposerai de conférer une existence législative au Conseil national de la recherche archéologique et aux commissions interrégionales de la recherche archéologique, les CIRA. Il ne s'agit pas là de verser dans une quelconque « comitologie » : ces organismes jouent déjà un rôle essentiel dans l'établissement des prescriptions archéologiques et dans le contrôle des opérations de terrain. Par leur composition que je vous proposerai d'élargir aux représentants des collectivités territoriales, ces instances, en particulier les CIRA, ont vocation à constituer un instrument capital dans la définition de la politique de protection du patrimoine archéologique.
Pour prendre en compte les exigences du développement économique lors de l'établissement des prescriptions archéologiques et faire en sorte que le risque archéologique puisse être mieux anticipé par les aménageurs, j'estime également souhaitable de prévoir dans la loi des délais maxima pour la durée des fouilles. Les aménageurs doivent savoir autant que possible ce qui les attend.
Supprimer le monopole ne signifie pas pour autant qu'il soit nécessaire de revenir sur le principe de la création d'un établissement public. Cependant, afin de lui accorder la souplesse de gestion indispensable, il m'apparaît nécessaire de lui conférer un statut d'établissement public à caractère industriel et commercial, statut qui n'est absolument pas incompatible avec une mission de recherche.
Le refus du monopole apparaît comme une condition nécessaire pour permettre le développement des services archéologiques des collectivités territoriales. Sur ce point, le projet de loi suscite encore bien des interrogations en dépit des précisions apportées par l'Assemblée nationale. Le développement de ces services présente des avantages incontestables dans la perspective de la création d'un établissement public national dont les équipes seront par définition appelées à se déplacer d'un lieu à un autre. Le projet de loi méconnaît cette réalité en conférant à ces services un rôle subsidiaire.
Le dispositif que je vous proposerai, mes chers collègues, inscrit les services archéologiques des collectivités territoriales dans le cadre prévu par les lois de décentralisation pour les compétences facultatives des collectivités locales en matière culturelle : celles-ci sont libres de déterminer l'organisation et le fonctionnement de ces services, sous réserve du contrôle technique de l'Etat.
Ces services auront vocation, dès lors qu'ils existent et que la collectivité en fait la demande, à participer de plein droit aux opérations de fouilles qui se déroulent sur le territoire de la collectivité, sous réserve de la compétence reconnue à l'Etat de désigner le responsable de fouilles. Le développement de ces services archéologiques territoriaux sera encouragé par le mécanisme d'exonération introduit par l'Assemblée nationale.
La suppression du principe du monopole exige un aménagement du principe de financement par l'impôt des fouilles préventives.
Je vous proposerai donc, mes chers collègues, de prévoir un système de réduction de redevance plus large que celui qui a été adopté par l'Assemblée nationale. Les sommes que les aménageurs auront engagées pour l'exécution des travaux de fouilles prescrits par l'Etat et non exécutés par l'établissement viendront en réduction du montant de la redevance.
Ce système, qui a été retenu à l'Assemblée nationale pour les collectivités territoriales, doit être étendu à l'ensemble des aménageurs : soit ces derniers recourent à l'établissement et ils acquittent la redevance, soit l'Etat désigne un responsable de fouilles qui n'appartient pas à l'établissement public, et ils bénéficient du régime de réduction.
Enfin, il me semble opportun, dans un souci de préservation du patrimoine archéologique, de conserver à l'imposition un effet dissuasif afin d'éviter que des sites archéologiques ne soient inutilement détruits. En effet, dans la mesure où le montant de la redevance a été arrêté par rapport à des valeurs moyennes, il est à craindre que, pour des sites extrêmement complexes qui exigeront des fouilles coûteuses, le mode de calcul retenu n'aboutisse à fixer des taux acceptables pour un aménageur doté de fortes capacités contributives ou qui espère du terrain une forte plus-value commerciale. Je vous présenterai donc un amendement en ce sens à l'article 4.
Le projet de loi qui nous est soumis comporte d'incontestables inconvénients et ne règle qu'une partie des difficultés actuelles de l'archéologie. Les amendements que je vous propose ont pour seule ambition de permettre le fonctionnement efficace d'un dispositif qui risquait, en l'état, d'aboutir à des blocages peu compatibles avec les exigences du développement économique et de remettre en cause la diversité des acteurs de l'archéologie. Le système actuel, s'il était loin d'être parfait, présentait au moins le mérite de fonctionner et de garantir une approche pluridisciplinaire des fouilles. La réforme des structures administratives de l'archéologie ne doit se faire au détriment ni de l'efficacité économique ni des intérêts de la recherche scientifique.
Ainsi, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, pensons-nous contribuer à doter la France d'un système de fouilles d'archéologie préventive efficace et adapté aux exigences du xxie siècle. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Lepeltier.
M. Serge Lepeltier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après une élaboration pour le moins difficile, la réforme de l'archéologie préventive est aujourd'hui soumise à notre examen.
D'emblée, je voudrais exprimer un regret : alors que ce projet de loi concerne pourtant très directement les collectivités territoriales, il a été déposé d'abord sur le bureau de l'Assemblée nationale.
Il me semble, en revanche, évident que le Gouvernement a raison de présenter un texte sur l'archéologie préventive.
Compte tenu de la mutation de ce secteur au cours des dernières décennies sous l'effet de la multiplication des opérations d'urbanisme et des grands chantiers d'infrastructures, et dans la mesure où le texte législatif de référence date de 1941, il est clair qu'un tel projet de loi était attendu et qu'une évolution était indispensable.
Pour autant, le contenu de la réforme qui nous est proposé, largement de circonstance, réducteur et centralisateur, ne saurait être, en sa rédaction actuelle, satisfaisant.
C'est pourquoi je me félicite des améliorations significatives proposées par le rapporteur de la commission des affaires culturelles, notre collègue Jacques Legendre, que je tiens personnellement à remercier de la qualité du travail accompli.
La question, il est vrai, est d'importance.
L'archéologie préventive, on le sait, touche aux tréfonds de la société et à un domaine extrêmement sensible, dont les implications vont bien au-delà de considérations purement financières même si ces dernières sont naturellement tout à fait déterminantes. En effet, notre histoire et nos origines sont concernées.
Les élus locaux, les maires en particulier, mesurent pleinement l'ampleur de l'enjeu, car ils savent combien il est important de faire évoluer les villes en matière d'urbanisme, d'y promouvoir un développement économique et social conciliable avec les exigences de la recherche scientifique et de la conservation du patrimoine, à laquelle nous sommes tous profondément attachés.
Il leur faut d'ailleurs souvent surmonter de réelles difficultés dans l'exercice de leurs fonctions. Ainsi, ils constatent parfois que les aménageurs sont obligés de renoncer à des projets pourtant favorables à l'amélioration de la qualité de vie des populations, non parce que ces projets remettraient en cause le patrimoine, mais en raison des contraintes auxquelles ils doivent faire face.
Aujourd'hui, à plus de 90 %, la recherche archéologique française est alimentée par des fouilles décidées en urgence, alors même qu'aucun cadre juridique spécifique ne réglemente l'archéologie préventive.
Au vu du texte actuel, les élus locaux sont pourtant très inquiets, monsieur le secrétaire d'Etat : force est de constater que le projet de loi manque d'ambition et de souffle ; il n'opère qu'une réforme partielle, avec pour finalité essentielle le règlement du problème du statut de l'Association pour les fouilles archéologiques nationales, l'AFAN.
Très clairement, le dispositif prévu aboutit à accorder, au travers d'un établissement public administratif doté de droits exclusifs, un monopole d'exécution des fouilles et procède d'une logique centralisatrice peu compatible avec l'évolution de la recherche scientifique et des structures administratives de ces dernières décennies.
Lors d'un colloque sur « l'archéologie territoriale, la culture et l'aménagement du territoire » qu'il m'avait été donné de parrainer au Sénat, en juin 1999, un fort consensus s'était d'ailleurs dégagé pour dénoncer un tel risque de monopole.
Je sais bien, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous vous inscrivez en faux contre ce reproche, que des assouplissements ont été apportés par l'Assemblée nationale, prévoyant, notamment, que, pour l'exécution de sa mission, l'établissement public « associe les services de recherche archéologique des collectivités territoriales et des autres personnes morales de droit public ». Voilà de louables intentions, mais qui me laissent toutefois dubitatif...
La décision est prise d'associer à la réalisation des opérations archéologiques d'autres intervenants, mais le choix de ces derniers reste à la discrétion de l'établissement. Dans ces conditions, quelles garanties pouvons-nous avoir de l'émergence de telles collaborations ?
C'est pourquoi j'adhère pleinement à l'initiative de la commission de consacrer le rôle des services archéologiques des collectivités territoriales, de reconnaître à ces dernières la possibilité de se doter de tels services, ayant, qui plus est, vocation à participer de plein droit aux opérations de fouilles qui se déroulent sur le territoire de ces mêmes collectivités.
En tant que maire de Bourges et chargé de l'un des secteurs sauvegardés les plus étendus de France - on y trouve d'ailleurs des monuments majeurs - j'observe dans ma ville la place éminente qui est celle de l'archéologie décentralisée, c'est-à-dire celle qui relève des services du département ou de la commune. Particulièrement adaptée à une exploitation scientifique et culturelle des découvertes archéologiques au plus près du territoire, elle permet de se placer dans une perspective environnementale et historique plus complète.
L'archéologie territoriale apparaît, en outre, comme un vecteur privilégié d'expression des identités régionales, auxquelles nos compatriotes sont de plus en plus attachés parallèlement à la construction européenne.
Elle a vocation à participer pleinement à la recheche scientifique qui, à l'évidence, pour être riche, doit être multiple, pluraliste, et faire appel à tous les organismes et niveaux de décision qui peuvent exister en ce domaine.
A l'avenir, on devrait notamment pouvoir solliciter des organismes distincts du futur établissement public, non seulement pour des fouilles de faible ampleur, comme on pourrait l'imaginer, mais également pour des opérations importantes qui rendent souvent nécessaire l'intervention d'équipes aux compétences scientifiques très spécialisées.
C'est tout le contraire d'une concentration, qui serait un appauvrissement et un affaiblissement.
Le futur établissement public ne pourra assumer pleinement sa vocation scientifique qu'à deux conditions : d'une part, si l'Etat lui en donne les moyens et, d'autre part, si la définition même de cette mission de recherche est suffisamment clarifiée.
Clarification des prérogatives de l'Etat, de l'établissement public, des collaborations scientifiques éventuelles, bref, il faut une véritable ambition scientifique pour l'archéologie préventive. Les missions des uns et des autres, en l'occurrence des différentes institutions, doivent être clairement identifiées, sans confusion.
Le statut associatif actuel de l'AFAN n'est bien sûr plus adapté. La création d'un établissement public industriel et commercial auquel on ne reconnaîtrait plus de droits exclusifs, comme nous le propose M. le rapporteur, m'apparaît être une réponse d'abord réaliste, en ce sens qu'elle part des réalités d'aujourd'hui, et ensuite de nature à favoriser une plus grande souplesse qu'un établissement public administratif, tout en conférant au futur organisme la dimension nécessaire. Je l'approuve donc.
La question du financement soulève, quant à elle, bien des difficultés et de multiples incertitudes. Nous aurons l'occasion d'y revenir plus longuement lors de l'examen des articles.
Je formulerai simplement trois remarques.
Tout d'abord, la version originale du projet de loi, qui prévoyait d'exonérer du paiement de la redevance toutes les constructions d'une surface hors d'oeuvre nette inférieure à 5 000 mètres carrés, était si contestable que le Gouvernement a lui-même corrigé sa copie.
Ensuite, je me félicite de l'exonération, proposée par M. le rapporteur, du paiement de la redevance des travaux réalisés par une collectivité territoriale pour elle-même lorsque celle-ci dispose d'un service archéologique.
Enfin, permettez-moi d'exprimer une inquiétude sur les coûts réels qui découleront de la redevance : selon certaines estimations, les sondages et diagnostics comme les fouilles pourraient varier très sensiblement par rapport à la situation actuelle, soit à la baisse, ce dont nous nous réjouirions, mais aussi à la hausse, et ce parfois de manière très forte.
Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous rassurer sur ce point, notamment à la lumière des projections qui ont été réalisées ?
Enfin, si l'établissement connaît des difficultés budgétaires, quelle garantie avons-nous qu'il ne viendra pas réclamer des financements aux maîtres d'ouvrage, quelquefois dans la plus complète illégalité, comme cela a pu être le cas jusqu'à aujourd'hui ?
J'en termine par un aspect tout à fait essentiel à mes yeux, celui de la conservation des richesses archéologiques. Le développement, ces dernières décennies, de l'archéologie préventive a produit, en effet, une masse documentaire impressionnante.
Les objets représentent incontestablement une information historique exceptionnelle. Leur conservation est l'enjeu de la transmissibilité du patrimoine archéologique, avec ce que cela suppose d'organisation de lieux de dépôt, d'études et de mise à disposition. Or, en tant qu'élus locaux, nous savons quelquefois dans quelle situation se trouvent ces objets : nous avons même parfois des difficultés à les retrouver ! A quand donc, madame la ministre, un statut de l'objet ?
J'aurais aimé qu'à l'occasion d'un véritable débat sur l'archéologie de telles questions puissent être abordées, qu'une réflexion globale puisse s'engager sur la conservation, la valorisation des archives du sol, sur la politique qu'un pays comme le nôtre souhaite mettre en oeuvre en matière de connaissance de sa mémoire et de sa restitution au plus grand nombre de nos compatriotes.
Tel n'est pas le cas aujourd'hui, et je le regrette sincèrement : le présent projet de loi ne se penche pas vraiment sur la discipline archéologique ; beaucoup trop réducteur, il ne nous renseigne guère sur la conception de l'archéologie qui pourrait être celle de la France à l'aube de ce nouveau siècle. N'est-ce pas, essentiellement, une occasion manquée ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à travers les millénaires, l'homme a laissé, partout où il a vécu, la trace de son existence, de son savoir-faire, de son mode d'organisation, de ses croyances, de ses émotions artistiques et des événements qui ont jalonné son histoire.
D'innombrables vestiges, souvent admirables ou étonnants, en restent les témoins émouvants, même si le temps, les guerres, le fanatisme religieux ou politique, la cupidité, l'urbanisation tentaculaire ou, tout simplement, l'indifférence, ont anéanti de très nombreux trésors.
Restaient les vestiges déjà enfouis, dont les plus remarquables ont, certes, été sauvegardés et mis en valeur, mais dont le nombre, la diversité, la dispersion et l'intérêt ont été longtemps ignorés hors le cercle très restreint des spécialistes.
Aussi est-ce essentiellement à leur initiative et à leur pugnacité que l'on doit la prise en compte systématique et l'exploitation des vestiges archéologiques, même diffus, et ce autant pour leur intérêt scientifique que pour leur valeur patrimoniale.
Une réglementation très sévère les protège et, compte tenu du nombre très important de sites concernés, le domaine de la recherche archéologique s'est considérablement développé ces dernières décennies, dans des conditions insuffisamment définies et dans un contexte trop souvent conflictuel.
Aussi le projet de la loi dont nous avons à débattre aujourd'hui répond-il à une véritable nécessité. Encore convient-il d'apprécier la pertinence des réponses apportées aux problèmes qui sont posés.
Paradoxalement, on a trop souvent le sentiment que ce texte, tel qu'il est soumis à notre examen, suscite plus d'interrogations nouvelles qu'il ne lève d'ambiguïtés, l'excellent rapport de notre éminent collègue Jacques Legendre le souligne d'ailleurs avec beaucoup de pertinence et de force.
Je voudrais, d'abord, évoquer la création de l'établissement public appelé à se substituer à l'AFAN, et qui est installé dans une situation de monopole absolu.
On ne peut s'empêcher, d'ailleurs, de penser que le projet de loi a pour objectif essentiel de légaliser un dispositif qui contrevient, en fait, au code des marchés publics et à certaines dispositions communautaires. En effet, dès lors qu'un barème est fixé par la loi, la concurrence n'a plus de raison d'être.
Mais le dispositif proposé est porteur, me semble-t-il, d'importants inconvénients.
Si le principe de la mutualisation des coûts peut paraître séduisant à première vue, il dissocie, en fait, le prix de la prestation elle-même. Or comment expliquer à une collectivité rurale ou à un aménageur qu'il a payé plus cher que le prix de la tâche effectuée du seul fait qu'à Paris, à Marseille ou à Strasbourg, les difficultés techniques rencontrées sur le terrain engendrent des surcoûts importants qu'il convient de couvrir ? En somme, on aurait pu tout aussi bien instituer un impôt nouveau - un de plus ! - destiné à financer les fouilles archéologiques sur l'ensemble du territoire. La logique de la mutualisation eût alors été poussée à son terme.
Un autre inconvénient de la rémunération forfaitaire résulte de la nécessité dans laquelle se trouvera l'établissement public d'équilibrer ses comptes. Ne travaillant plus sur devis, le bilan de ses opérations globalisées fera inévitablement apparaître un solde, soit positif, soit négatif. Comment, dès lors, telle entreprise de 1 200 salariés ne serait-elle pas tentée d'adapter sa stratégie d'intervention au nécessaire ajustement de ses comptes, les préoccupations de gestion - préoccupations légitimes en soi - l'emportant sur celles des porteurs de projet qui ont à payer les travaux ?
Le dispositif proposé me paraît également extrêmement dangereux pour les sous-traitants potentiels que sont les associations d'archéologues, les services archéologiques des collectivités territoriales et les entreprises agréées de droit privé.
Ces sous-traitants sont placés dans une dépendance totale par rapport à l'établissement public, aussi bien pour ce qui est de leur carnet de commandes que pour la nature des chantiers qui leur sont confiés et la rémunération de leur compétence et de leur travail.
Compte tenu des contraintes de gestion qui s'imposeront à l'établissement public, les sous-traitants serviront, en fait, à celui-ci de variable d'ajustement, ce qui ne semble guère acceptable.
Et l'on pourrait évoquer également les porteurs de projet, appelés à financer intégralement l'opération et qui ne se trouvent associés à aucune décision concernant le déroulement de l'opération et la fixation de son coût !
En fait, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, la décentralisation est progressivement mise à mal à travers une volonté délibérée de reprise en main de tous les leviers par le pouvoir central. On laisse la responsabilité, on laisse la charge financière, mais on restreint le pouvoir d'appréciation et de décision.
J'évoquerai à présent, à partir d'un exemple vécu, un aspect du problème qui ne peut pas ne pas susciter notre réflexion dans ce débat.
Dans la ville dont je suis le maire, nous avions déposé, voilà trois ans, une demande de permis de construire pour un bâtiment public de 50 mètres sur 20 mètres.
Nous possédons, certes, dans le secteur concerné, des vestiges archéologiques relativement importants, mais pas une pierre, pas un mur, pas un monument n'est classé, et on chercherait en vain la ville d'Illzach parmi les sites historiques remarquables.
L'AFAN a établi un devis s'élevant à 3 709 000 francs.
A cette dépense, s'ajoutaient des prestations en nature considérables, que vous voudrez bien m'excuser d'énumérer ici, tant cet inventaire à la Prévert est significatif : une pelle hydraulique de 150 chevaux avec chauffeur pendant cinq jours, une mini-pelle avec chauffeur pendant soixante jours, deux camions pendant cinq jours, un camion pendant soixante jours, une benne de chantier vidangée régulièrement pendant cent vingt jours, un bungalow vestiaire-réfectoire pour quinze personnes, deux blocs sanitaires, toutes les dispositions assurant la sécurité générale du chantier pendant cent vingt jours.
C'était donc environ un million de francs supplémentaire qui venait s'ajouter aux 3,7 millions cités précédemment.
Nous avons, à grand regret, renoncé à réaliser ces fouilles et avons aménagé un parking de surface en lieu et place du bâtiment initialement projeté.
Ce qui me paraît le plus préoccupant, dans cette affaire, c'est qu'un espace analogue a été fouillé à proximité immédiate, voilà une vingtaine d'années, par une association d'archéologie, sous le contrôle rigoureux des services de l'Etat. Aucun vestige bâti n'a mérité d'être conservé. Quelques objets sont allés rejoindre les collections du musée historique de Mulhouse. Des photographies, des croquis, des relevés, des notations ont été réunis dans une publication déposée aux archives départementales, où elles ne suscitent pas, d'évidence, un intérêt excessif.
Comment, dès lors, ne pas s'interroger sur le rapport qualité-prix de certaines opérations ?
J'ai déposé un amendement qui vise à ce que chaque opération fasse l'objet d'un rapport de synthèse final, détaillant la formation de son coût et évaluant son intérêt scientifique ou patrimonial. Le recoupement des conclusions de tels rapports devrait permettre, peu à peu, d'orienter la stratégie de ceux et de celles sur qui repose la responsabilité des décisions à prendre.
Mais on est, s'agissant de l'archéologie, dans un domaine où l'on dépasse parfois les limites du strictement rationnel, parce qu'on attache, inconsciemment, une part de sacré à ce qui resurgit du passé, parce qu'une civilisation ne peut pas ne pas vouloir pousser jusqu'à ses limites son questionnement sur ses origines, mais aussi, et surtout, à cause du caractère irréversible de toute destruction d'un témoignage du passé. Une plante ou une espèce animale prend une valeur toute singulière, dès lors qu'elle est menacée de disparition.
Il ne s'agit pas - je pense qu'on l'a compris - de mettre en cause l'intérêt que présentent la recherche archéologique et la nécessité de la réglementer et de l'organiser avec rigueur.
Mais en toutes choses il faut raison garder. Et là comme ailleurs, il convient de ne pas tomber dans un fondamentalisme qui ferait une fin en soi d'une science indispensable à la connaissance historique et à la sauvegarde de notre patrimoine.
Le projet de loi qui nous est soumis apporte des clarifications qui étaient indispensables, sans pour autant régler tous les problèmes en suspens. Les amendements proposés par la commission des affaires culturellees en gomment un certain nombre d'imperfections.
Je voterai donc le texte amendé, avec mes collègues du groupe du Rassemblement pour la République, convaincu, cependant, que, d'ici peu d'années, l'ouvrage sera à remettre sur le métier, à la lumière de l'expérience acquise à travers la mise en oeuvre des dispositions dont nous débattons aujourd'hui. ( Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centristes, ainsi que sur certaines travées du RDSE. )
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi, dans cet hémicycle que vous connaissez bien, de vous adresser ainsi qu'à Mme Catherine Tasca - je ne doute pas que vous lui transmettrez ce message - un cordial salut de bienvenue - de bon retour devrais-je dire, la concernant - en vous souhaitant un plein succès dans le traitement des dossiers complexes de la culture et de la communication.
Dans le monde où nous vivons - il ne va pas bien, mais il n'y en a pas d'autre, et c'est le nôtre, disait Jean-Paul Sartre - comment ne pas voir que les oeuvres des artistes, des créateurs, qu'ils soient poètes, chanteurs, acteurs, peintres, musiciens, portent toute la palpitation du monde, d'un monde difficile où, heureusement, il y a toujours, quelque part, quelqu'un qui chante dans la nuit ?
Ne voulant pas insulter le passé, je n'oublie pas tous ceux qui se préoccupent du patrimoine, celui d'hier et celui de demain - savoir se souvenir de l'avenir, disait le poète. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, ainsi que Mme Tasca, de les accompagner dans ce qui est plus que jamais une oeuvre de civilisation.
Le projet de loi que nous discutons aujourd'hui, on l'attendait depuis de très nombreuses années pour donner à l'archéologie, et plus spécialement à l'archéologie préventive, une source légale qui, il faut le reconnaître, lui faisait défaut jusque-là.
Le cadre - je n'oserai pas dire « légistatif » - de 1941 n'est plus adapté aujourd'hui. C'était une époque d'un caractère pour le moins particulier, et je me dois de rappeler, sans vouloir être grinçant, que les chantiers étaient alors ceux du mur de l'Atlantique. Il était tout de même temps de faire autre chose !
Face à l'inquiétude de toute une profession, qui, en 1998, craignait de voir l'archéologie soumise aux lois du marché, le ministre s'est attaché à élaborer le texte qui nous est présenté aujourd'hui.
J'avais moi-même, avec le groupe communiste républicain et citoyen, proposé un texte sur l'archéologie, dont le but était de donner une juste place à l'archéologie territoriale.
En effet, nous pensions - et nous pensons encore aujourd'hui - qu'à côté de l'archéologie nationale les collectivités territoriales ont dû, souvent par défaut de l'Etat, instruire elles-mêmes la protection de leur patrimoine. Depuis la fin des années soixante-dix, un certain nombre de départements, de villes, notamment des villes d'art et d'histoire, ont accompli un travail reconnu dans la connaissance et la gestion de leur histoire à travers la mise en place de services archéologiques.
La proximité des laboratoires territoriaux d'archéologie est, en outre, un facteur important en ce qu'il permet une meilleure corrélation entre patrimoine, histoire et territoire.
Ainsi, dans l'ensemble des collectivités dotées de services d'archéologie, les fouilles archéologiques, les publications et les expositions se sont multipliées. De multiples collaborations ont vu le jour, associant l'éducation, l'économique, le social et le culturel.
Déposant cette proposition de loi, nous souhaitions, néanmoins, conserver une indispensable hauteur de vue et donner à l'archéologie une place de choix dans les responsabilités de l'Etat. Aussi posions-nous comme un préalable l'inscription de l'archéologie dans les missions du service public.
Nous vous savons gré, monsieur le secrétaire d'Etat, de nous avoir entendus et d'avoir su écouter l'ensemble des acteurs de l'archéologie, pour donner à chacun une place particulière, tout en réaffirmant avec conviction les missions publiques de l'Etat en matière archéologique.
Le projet que nous examinons, tel qu'il résulte des travaux de l'Assemblée nationale, pose un cadre que nous pensons adapté au développement de l'archéologie.
L'archéologie, après bien des années, se trouve placée au rang des missions du service public.
A l'AFAN devrait succéder un établissement public administratif. Ce nouvel organisme devrait accomplir ses missions avec le concours « d'autres personnes morales », pour reprendre les termes mêmes de la loi.
Enfin, et cette disposition était attendue, l'article 4 du projet de loi crée une redevance archéologique de nature à assurer le financement de l'archéologie dans notre pays.
Certes, en l'état, le texte, et c'est là tout l'intérêt d'une lecture plurielle, reste à parfaire, même si nous devrons, dans quelques années, faire le point de l'application de ce texte et peut-être adapter le dispositif.
Ainsi, en l'état actuel du texte, l'assiette de la redevance devrait être, selon nous, élargie.
De la même manière, les opérations de diagnostic archéologique ne sont engagées qu'à partir du moment où les pétitionnaires engagent les procédures d'utilisation du sol. L'aménageur ne peut alors disposer des informations relatives à une éventuelle contrainte archéologique. Or, la prise en compte très en amont des travaux et des contraintes archéologiques permettrait une plus grande efficacité des travaux de diagnostic.
Enfin, le dispositif de la redevance, pour la partie qui relève des redevances pour fouilles, devrait être amélioré et introduire des taux différenciés selon les types de vestiges.
Je tenais, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à vous faire part de ces observations avant même l'examen du texte, car - doit-on le déplorer ? - le texte sur lequel nous serons amenés à nous prononcer n'aura plus qu'un lointain rapport avec le projet de loi modifié par l'Assemblée nationale, comme en témoignent les amendements de notre commission.
En effet, notre commission des affaires culturelles modifie substantiellement le dispositif originel du texte.
Ainsi, le monopole dont pouvait bénéficier le nouvel établissement concernant les opérations de diagnostic et de fouilles n'est pas maintenu. Peut-être est-il imprudent de parler, en l'espèce, d'ouverture du champ archéologique à la concurrence. Notre rapporteur ne l'a pas fait, et je lui en donne acte.
Pour autant, la rédaction même du dispositif qui nous est proposé, et qui prévoit que le représentant de l'Etat en région désigne le responsable des opérations archéologiques, pourrait condamner toute velléité de notre pays à se doter d'un instrument public d'investigation archéologique.
En effet, nous pensons qu'en matière d'archéologie il convient de concilier les intérêts locaux et les intérêts nationaux.
Dans ce cadre, la posture nationale pour désigner les opérateurs nous paraît être une garantie de sauvegarde des intérêts de l'archéologie et de notre patrimoine.
L'amendement proposé par notre commission et qui concerne les délais de réalisation des opérations archéologiques nous préoccupe également. Le fait de réduire à un mois les opérations de diagnostic - je préfère désigner ces dernières par le mot d'évaluation, mais j'y reviendrai - et à six mois les opérations de fouilles ne nous paraît pas de nature à assurer la meilleure sauvegarde de notre patrimoine.
Nous avons également le souci de permettre un aménagement de notre territoire ; pour autant nous ne pensons pas que cet aménagement pourrait souffrir à cause de la sauvegarde de notre patrimoine, alors que l'inverse semble plus vraisemblable.
Si nous ne sommes pas frileux quant à la question du statut des établissements publics culturels, le caractère administratif de l'établissement permettait à l'Etat de consacrer l'archéologie préventive au rang de ses missions régaliennes ; la transformation de cet établissement en établissement public industriel et commercial n'aurait pas la même portée normative.
Sur ces questions, et pour les aspects du texte amendé par la majorité sénatoriale qui posent réellement problème, nous avons souhaité introduire une série d'amendements et de sous-amendements afin de revenir à une version du texte plus soucieuse, me semble-t-il, des intérêts de notre patrimoine.
Comme je le soulignais au début de cette intervention, notre pays est relativement en retard dans l'exploration de son patrimoine archéologique.
Aux côtés du nouvel établissement public, qui aura en charge l'essentiel des missions de l'archéologie, il conviendra de veiller à doter les structures décentralisées du ministère de la culture des moyens qui, ici ou là, font encore défaut, notamment en personnel.
Les régions ne bénéficient pas d'un égal traitement. A partir de là, l'élaboration de la carte archéologique prend du retard, même si l'on sait que, par définition, il ne pourra jamais s'agir d'un document achevé.
De la même manière, il nous faut regretter le peu de cas que l'on fait aujourd'hui des recherches en sciences humaines. Les crédits de recherche pour la culture ne permettent pas à la recherche publique d'avancer à un rythme satisfaisant dans le champ des disciplines archéologiques.
Le mot « archéologie » est apparu au xvie siècle, à un moment où le savoir et l'humanisme triomphaient des quelques siècles obscurs qui avaient précédé. Il n'est pas inintéressant de noter qu'aujourd'hui certaines formes de libéralisme, au présent encore trop vivace, viennent freiner, comme le religieux en d'autres périodes, le champ de la connaissance. Car la loi du marché, vous le savez, est sans conscience ni miséricorde...
Ainsi avions-nous un texte, concernant l'archéologie préventive, qui, pour peu qu'on l'améliore encore, constituait un préalable intéressant. Je me risque à espérer que la commission, soucieuse à l'ordinaire de l'intérêt général, reviendra sur certaines de ses propositions d'amendement, dans l'intérêt de la recherche archéologique mais aussi parce que nos contemporains sont soucieux de la protection de leur patrimoine, dans l'intérêt de l'aménagement de notre territoire. C'est dans cet espoir donc que je fonde l'issue positive de notre vote sur le projet de loi qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, une fois encore, nous examinons un projet de loi qui mécontente les principaux intéressés.
Tout d'abord, il n'y a pas eu de concertation préalable suffisante entre le ministère et la communauté scientifique. Ensuite, le projet de loi tourne le dos à toute idée décentralisatrice. En remplaçant l'Association pour les fouilles archéologiques nationales par un établissement public, il renforce un monopole au détriment de plusieurs centaines d'archéologues salariés de l'université, du CNRS, des grands établissements ou des collectivités territoriales. Pourtant, ces derniers sont impliqués depuis toujours dans des opérations d'archéologie, de sauvetage et ont acquis une connaissance historique du terrain.
Au système ancien - c'est-à-dire actuel - on reproche le manque de transparence, un monopole de fait, des lourdeurs, une efficacité douteuse, le mélange des genres ou la gestion de fait, ou encore un financement peu clair.
Le présent projet de loi apporte-t-il les réponses attendues ? Pour moi, il conduit à renforcer les critiques et ignore la réalité de l'archéologie dans notre pays. Critique d'un monopole de fait ? Qu'à cela ne tienne, on institue un monopole officiel ! Avis du Conseil de la concurrence et des prix, qui estime que l'archéologie préventive doit être soumise à la concurrence ? On invente un dispositif pour y échapper !
Définie à l'article 6 de la convention de Malte, signée en janvier 1992 par les pays membres du Conseil de l'Europe, comme recouvrant « toute opération archéologique nécessaire liée aux travaux d'aménagement publics et privés », l'archéologie préventive assure une fonction économique spécifique, Elle est un préalable nécessaire au déroulement des travaux d'aménagement du territoire, dont elle allonge la durée et alourdit les coûts. Ainsi, elle est susceptible d'entrer à tout moment en conflit avec les objectifs du développement économique et du développement tout court.
Le cadre législatif apparaît aujourd'hui largement inapproprié et, à ce titre, il est bon que nous ayons à examiner un projet de loi qui puisse mettre à jour les dispositifs anciens. En effet, la loi de 1941, dite « loi Carcopino », n'offre plus une réponse satisfaisante aux exigences particulières de l'archéologie préventive.
L'Etat assume depuis longtemps, à l'égard des fouilles archéologiques, une mission de surveillance et de police. Par ailleurs, la loi ouvre la possibilité à l'Etat d'intervenir directement avec les moyens du service public pour mener à bien des travaux de fouille, en cas de découvertes fortuites ou dans le cadre de la procédure d'exécution d'office.
Face à la nécessité de répondre à la fois aux souhaits des aménageurs, qui, très légitimement, demandent que leur terrain soit libéré le plus rapidement possible de la contrainte archéologique, et aux impératifs publics, qui exigent que soit assurée dans de bonnes conditions l'étude de traces du passé vouées à la disparition, l'Etat se doit d'intervenir pour protéger le patrimoine archéologique en tant que source de la mémoire collective européenne et comme instrument d'étude historique et scientifique.
L'archéologie préventive a fait l'objet, depuis le milieu des années soixante-dix, de plusieurs rapports successifs, dont les diagnostics se recoupent largement.
Après avoir accusé un retard certain par rapport aux autres pays européens, l'archéologie préventive a connu un développement important ces dernières années. Les services de l'Etat, arguant des menaces que les travaux d'aménagement faisaient peser sur le patrimoine national, sont peu à peu parvenus à faire participer les aménageurs au financement de l'archéologie préventive à hauteur de 300 à 400 millions de francs par an. Ces financements ont été collectés avec l'aval du ministère des finances par le biais de l'Association pour les fouilles archéologiques nationales.
De nombreuses fouilles ont pu être réalisées, au point que l'on estime que 90 % des données scientifiques proviennent désormais de l'archéologie préventive. Cependant, ce système, faute d'avoir été « repensé » en temps utile, fait apparaître de grandes faiblesses.
La croissance progressive des coûts a conduit les partenaires économiques à s'interroger sur la légitimité de l'archéologie préventive et sur la validité de ses fondements juridiques. On a d'ailleurs pu soupçonner que le niveau des coûts pouvait être lié à la solvabilité de l'aménageur. Ces coûts étaient également soumis à d'importantes inégalités régionales que nous avons tous pu observer.
Ainsi, l'absence d'un cadre juridique clair place les services régionaux de l'archéologie dans une situation de tension permanente extrêmement dommageable.
L'AFAN, créée par l'Etat comme un démembrement destiné à lui offrir plus de souplesse comptable, s'est heurtée aux remarques de la Cour des comptes, qui y a décelé tous les signes d'une gestion de fait.
Le conseil de la concurrence et des prix déclarait que l'archéologie préventive est une activité économique et qu'elle doit, comme telle, être soumise aux règles de la concurrence. C'est pourquoi il est apparu indispensable de renforcer l'autonomie administrative de l'AFAN, sans pour autant lui reconnaître une autonomie intellectuelle et scientifique.
Les contributions des aménageurs ne concernaient que la réalisation de la fouille et la rédaction d'un rapport préliminaire, à l'exclusion de véritables études scientifiques devant conduire à des publications et à toutes autres formes de diffusion. L'absence de prise en charge de cette dernière partie a entraîné un très faible rendu tant auprès du public qu'auprès de la communauté scientifique.
C'est la raison pour laquelle une modification de la législation est justifiée. La loi doit dorénavant concilier - je dis bien « concilier » - la sauvegarde de notre patrimoine national et la poursuite de la réalisation de projets destinés à dynamiser nos villes et nos territoires.
Cependant, j'estime que les dispositions du texte qui nous est soumis sont inacceptables en l'état, notamment en ce qui concerne son financement.
Pour obtenir les autorisations de construire ou d'aménager sur un terrain susceptible de receler des vestiges archéologiques, les maîtres d'ouvrage et aménageurs financent aujourd'hui, à part entière, les sondages. Votre texte, monsieur le secrétaire d'Etat, instaure une redevance archéologique préventive, c'est-à-dire une taxe nouvelle, assise sur les opérations de sondage et de diagnostic et sur les opérations de fouille archéologique. Cette redevance est uniquement à la charge des maîtres d'ouvrage et des aménageurs, au prorata des surfaces concernées. Dès lors, il n'est pas étonnant qu'elle suscite de leur part les plus vives critiques. Ils font à juste titre valoir l'injustice de ce mode de financement alors même que les opérations présentent un intérêt général pour la collectivité.
Par ailleurs, les délais d'intervention du personnel chargé des sondages et des fouilles ne sont pas planifiés et ne prennent pas en compte les aléas dans la conduite des travaux.
Il est un autre point parfaitement inacceptable. Le projet crée un établissement public disposant de fait d'un monopole sur les opérations de sondage et de fouille. Cette situation de monopole avait déjà été dénoncée par la Cour des comptes à propos de l'AFAN. En confortant les droits exclusifs de l'établissement public, votre projet de loi ne mettra pas fin à ces critiques, pas plus qu'il ne mettra un terme aux autres dérives dont l'AFAN s'est rendue coupable, notamment l'augmentation des coûts, ou la longueur des procédures.
Les associations d'archéologues s'inquiètent que cet établissement public disposera de droits exclusifs sur les sondages, diagnostics et opérations d'archéologie préventive. De nombreux universitaires et agents des collectivités territoriales se verront exclus.
Par ailleurs, cette loi risque de retarder le débat qui permettrait d'armer juridiquement et économiquement les archéologues français.
La commission des affaires culturelles a proposé de remédier aux difficultés posées par le texte. A cet égard, j'approuve totalement la position de notre rapporteur qu'il faut féliciter pour l'importance du travail qu'il a accompli. J'estime en effet qu'il est indispensable de préciser le cadre dans lequel s'exercent les compétences de l'Etat en matière de fouilles préventives. Il est également nécessaire de refuser le principe du monopole, afin notamment de permettre aux collectivités territoriales de se doter de services archéologiques ou de faire intervenir des universitaires. Enfin, il me semble primordial d'aménager le mode de financement de l'archéologie préventive, afin notamment d'en supprimer les effets pervers que j'ai rappelés.
Avant de conclure mon propos, je tiens à rappeler quelques éléments fondamentaux.
L'archéologie est une discipline dont l'ancrage territorial est très fort, que ce soit en termes de pratique scientifique, sociale ou culturelle. C'est pourquoi une réforme pertinente et durable de l'archéologie française devrait mieux tenir compte de la pratique administrative commune, telle que régie par les lois de décentralisation.
Depuis la fin des années soixante-dix, un certain nombre de villes et de départements ont souhaité s'impliquer plus directement dans la connaissance et la gestion de leur passé, en créant notamment quelques services archéologiques. Les lois de décentralisation ont tenu partiellement compte de cette tendance en transférant certaines compétences, par exemple en matière d'archives, mais non en matière d'archéologie.
Toutefois, certaines collectivités ont continué à se doter de services archéologiques. Ils comptent actuellement environ 290 agents, tous métiers confondus, à situer en parallèle des 358 agents des services régionaux de l'archéologie du ministère de la culture. Ils bénéficient, en outre depuis 1991, par la création de la filière culturelle, d'un statut qui en fait des agents publics à part entière.
L'archéologie est d'intérêt général car elle révèle la mémoire collective, perçue à travers ses témoins matériels ; à ce titre, elle doit être organisée par le service public. Elle consiste en une chaîne opératoire qui inclut l'inventaire archéologique, les opérations de terrain, y compris la fouille de sauvetage, les études, la publication, la conservation des données, des objets et des sites et leurs mises en valeur.
Suivant les mêmes cheminements méthodologiques que la recherche historique en général, l'archéologie est une discipline qui s'attache à l'étude des sociétés humaines et de leurs territoires. Ce faisant, elle nécessite un travail de proximité propice à la connaissance intime du patrimoine. Il est donc capital de réaliser concrètement un maillage territorial à la mesure de ces ambitions. Cela implique de la part du Gouvernement comme des élus locaux la volonté politique de mettre en oeuvre les moyens qui permettent le rapprochement actif entre les populations et leur patrimoine, c'est-à-dire l'insertion de chacun dans le temps et l'espace, condition d'une prise de conscience citoyenne individuelle et collective.
Partout où les collectivités ont donné à des services archéologiques les moyens de fonctionner, les résultats sont probants : fouilles archéologiques, publications et expositions se sont développées. La permanence et la proximité des services archéologiques ont permis leur implication dans de nombreux domaines en multipliant les partenariats scientifiques et institutionnels.
Une réforme cohérente de l'archéologie ne peut donc se placer que dans la perspective d'une décentralisation plus aboutie. Les collectivités territoriales, responsables de leur propre développement, doivent pouvoir assumer leur passé et leur patrimoine historique.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui semble ignorer cette dimension. Au contraire, tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, vous disiez que, pour conduire les chantiers, il fallait des directeurs nommés par l'Etat.
Je ne vous surprendrai donc pas, monsieur le secrétaire d'Etat, en vous disant qu'il m'est impossible de voter le texte en l'état. En revanche, je serais heureux de vous voir accepter les amendements du Sénat qui, je crois, réconcilient l'archéologie et l'économie, respectent notre histoire et engagent notre avenir. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis est issu d'un contexte de crise suscité par un certain nombre d'affaires où des préoccupations purement économiques avaient conduit à la destruction de vestiges archéologiques. Ainsi, deux logiques semblaient s'affronter : d'une part, celle des aménageurs, soumis à une contribution financière en raison des dommages qu'ils peuvent infliger au patrimoine, et, d'autre part, celle des archéologues, qui considèrent que le cadre législatif actuel n'est plus adapté.
Le projet de loi s'articule autour de deux innovations : la création d'un monopole d'exécution des fouilles et l'apparition d'un nouveau système de financement des travaux archéologiques.
La première tend à soustraire l'archéologie préventive à la concurrence par la création d'un établissement public administratif doté de droits exclusifs en matière de recherches. Ce monopole pourrait, à terme, poser le problème de sa conformité aux normes européennes de la concurrence si l'on admet que l'activité d'opérateur de fouilles peut être considérée comme une activité économique.
La seconde consiste en la création d'une redevance au profit de ce même établissement public. La formule retenue par l'Assemblée nationale, lorsqu'elle s'applique à des surfaces importantes, pourrait aboutir à des montants non seulement de nature à rendre les exploitations ou les projets difficilement viables, mais également inversement proportionnels à la qualité des structures archéologiques repérées lors de la phase de diagnostic.
Faut-il rappeler que le Parlement doit répondre à une double exigence : assurer la préservation du patrimoine enfoui, véritable potentiel de connaissances, et, lorsque ce patrimoine ne peut être conservé, développer une recherche de qualité ? Or, ces dernières années, nous avons souvent privilégié la conservation des vestiges et non la réalisation des fouilles exhaustives, longues, coûteuses et nécessitant des compétences scientifiques pointues.
En outre, pour répondre à une meilleure gestion du patrimoine enfoui, j'aurais souhaité la généralisation des diagnostics. Au même titre que les sondages géologiques ou géométriques imposés aux constructeurs, les diagnostics archéologiques nous renseignent sur le potentiel archéologique et les possibilités de découvertes importantes. Seuls les diagnostics peuvent nous éclairer sur les bonnes décisions à prendre en matière d'aménagement des terrains concernés.
C'est pourquoi il me semble important, monsieur le secrétaire d'Etat, d'insister sur la présence de critères scientifiques motivant la prescription des opérations de sondages et de fouilles, ainsi que celle de garanties quant aux délais d'exécution des travaux archéologiques.
L'archéologie préventive participe, de par sa nature de plus en plus scientifique, à la réalisation d'études sur les paysages, les milieux et leur évolution. La redevance que les aménageurs sont tenus d'acquitter doit être valorisée par une meilleure qualité de la prescription en matière d'étude d'impact.
Cette question des délais ne peut être limitée au seul examen de la durée des opérations archéologiques proprement dites ; elle doit être analysée au travers des différentes procédures et étapes de la chaîne opératoire de l'archéologie préventive, chacune d'elles induisant des délais propres et souvent variables, suivant la catégorie de l'aménagement concerné et suivant qu'il s'agit d'un diagnostic ou d'une fouille.
L'archéologie préventive est également une activité de recherche qui a pour objet l'étude scientifique des vestiges. Cette activité, jamais achevée, nécessite donc le soutien d'une carte géo-archéologique scientifique fondée sur la connaissance : celle des gisements et des paysages anciens, c'est-à-dire de leur condition d'évolution, de leur impact sur les paysages actuels et de leur durabilité.
Certaines inquiétudes se manifestent néanmoins sur le concept qui est actuellement développé par l'administration centrale, à savoir que cette carte archéologique ne devienne, à plus ou moins brève échéance, un document opposable aux tiers. Avant de se lancer dans cette entreprise, il m'apparaît important d'en mesurer les conséquences.
En effet, il existe souvent très peu de corrélation entre les informations contenues dans cette carte et celles qui sont fournies après les interventions pratiquées sur le terrain au moment des diagnostics. La carte archéologique est un outil de gestion et de connaissance, elle est nécessaire mais non suffisante. Elle doit être un document d'alerte révisable à tout moment et elle doit être considérée comme une carte de répartition.
Enfin, j'aborderai le problème de la dévolution du mobilier archéologique issu des opérations d'archéologie préventive.
Je reste pleinement convaincu que seul l'Etat est en mesure de gérer le patrimoine archéologique et de lui conférer un caractère inaliénable. En déterminant ce patrimoine comme patrimoine naturel, il s'agirait en fait d'appliquer le droit commun de l'environnement, qui donne à l'Etat un rôle de propriétaire responsable de la compensation des dommages causés à ce patrimoine.
En conséquence, monsieur le secrétaire d'Etat, je proposerai l'adoption d'un certain nombre d'amendements lors de l'examen des articles du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui est un texte très attendu : les acteurs de l'archéologie préventive plaident, depuis de nombreuses années, pour une réforme et il est tout à l'honneur de votre ministère et de l'Assemblée nationale de lui donner enfin corps.
En effet, la législation relative à l'archéologie date de 1941 et n'est plus adaptée à la pratique actuelle de l'archéologie préventive. Longtemps en retrait par rapport à d'autres pays européens, comme l'Allemagne ou l'Italie, l'archéologie de sauvetage, dans notre pays, a connu un fort développement depuis les années soixante-dix, au point de couvrir, actuellement, la quasi-totalité des fouilles effectuées.
Elle le doit notamment aux grands chantiers d'aménagement. A cet égard, nous nous souvenons tous de l'ampleur des fouilles préalables à la construction de la pyramide du Louvre réalisées à partir de 1983, pour une somme avoisinant les cent millions de francs.
Aujourd'hui, l'objectif est bien de concilier travaux publics et préservation du patrimoine. C'est le devoir de l'Etat d'assurer la préservation et la pérennité de notre patrimoine archéologique : il s'agit de notre histoire et de notre mémoire collective, donc d'une mission d'intérêt général. A ce titre, il est important de conserver, à l'article 1er, la notion de « missions de service public », comme l'a prévu l'Assemblée nationale.
Cette mission de service public donne toute justification à la création d'un établissement public, le statut de l'AFAN ayant montré toutes ses limites. Sur ce point, le consensus est acquis, ce qui, assurément, n'est pas le cas du statut de cet établissement public. Pourquoi avoir fait le choix d'un établissement public national à caractère administratif plutôt que d'un établissement public national à caractère industriel et commercial, comme le propose la majorité sénatoriale ?
La première raison tient au fait que les activités dévolues à l'établissement public ne peuvent être qualifiées d'industrielles ou de commerciales. Ces activités relèvent en effet de la recherche et elles n'ont aucun but lucratif. Leur objet est, d'une part, la préservation de notre patrimoine national, qui est liée à la mission de police de la puissance publique, et, d'autre part, le développement des connaissances scientifiques.
Ensuite, même si l'établissement est appelé à recevoir une contribution de la part des aménageurs, celle-ci ne s'apparente en aucune manière au paiement d'un service ou d'un produit ; il s'agit en fait d'une taxe obligatoire au profit de l'intérêt général et de la recherche.
Enfin, transformer l'AFAN en établissement public industriel et commercial conduirait à instaurer un faux système de concurrence. Appliquer la procédure des appels d'offres à l'archéologie ne manquerait pas d'aboutir à des dérives, comme le choix systématique du moins disant et donc du « moins trouveur ». Or, une fouille ne peut s'effectuer deux fois : une fouille mal menée n'est pas rattrapable. C'est pour toutes ces raisons qu'un établissement public administratif s'impose.
Mais, si cet établissement public administratif permet à l'Etat de consolider son rôle de gestion, il doit également assurer une participation active de tous les acteurs de l'archéologie à ses missions, qu'il s'agisse des services archéologiques, des collectivités territoriales, du CNRS, des universités, des associations, des bénévoles, ...
Ce point est essentiel car, sans la diversité des acteurs, il ne peut y avoir de dynamique scientifique. Or, si l'AFAN a péché par manque de transparence financière, elle a aussi péché par manque de transparence scientifique et par manque d'ouverture aux autres intervenants. Il faut noter que, sur ces deux derniers points, le texte adopté à l'Assemblée nationale a permis de nettes avancées.
Par ailleurs, l'accent doit être mis sur la conservation, la diffusion et la valorisation des fouilles. Ainsi, la rédaction du troisième alinéa de l'article 2 a donné plus de consistance à ces activités, qui sont l'aboutissement même de toute recherche archéologique. Il semble cependant laisser peu de place aux services des collectivités locales. Pourtant, par leur présence continue sur le terrain et leur excellente maîtrise de l'environnement local, les collectivités territoriales sont parfaitement à même de participer pleinement aux activités post-fouilles.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous préciser comment les services des collectivités locales seront associés aux missions de conservation, de diffusion et de valorisation des fouilles ?
Il ne faut pas oublier que, bien souvent, les collectivités territoriales jouent le rôle de l'acteur économique en tant qu'aménageur. Et, comme les aménageurs privés, elles voient les travaux qu'elles ont engagés retardés, sans même être informées des résultats des fouilles.
Ne pas aviser les aménageurs des résultats des opérations de fouilles interdit non seulement une meilleure compréhension entre aménageurs et archéologues, mais aussi une meilleure prise de conscience de l'intérêt de l'archéologie préventive. Là encore, le dialogue et la coopération entre les différents acteurs doivent s'intensifier.
A cet égard, il faut réaffirmer l'importance du respect des engagements des archéologues vis-à-vis des aménageurs. Je sais bien que la définition préalable des délais pour les opérations archéologiques est une question ardue. Mais il est important, comme le propose la commission des affaires culturelles, d'encadrer le délai d'exécution des fouilles afin de bloquer le moins longtemps possible les travaux d'aménagement et de limiter les interruptions de chantier, qui sont coûteuses.
Le texte doit rendre les dispositifs plus lisibles pour tous les acteurs, y compris pour les aménageurs, pour lesquels il est souvent difficile de boucler des opérations d'urbanisme en zone urbaine, tout particulièrement dans le secteur du logement social.
Pour ce qui est du financement de l'archéologie préventive, nombre de propositions ont été faites. Je ne doute pas que, sur ce point, la navette permettra au Gouvernement d'affiner ses propositions et de trouver une solution satisfaisant toutes les parties.
En tout état de cause, le groupe socialiste, qui est favorable au texte issu de l'Assemblée nationale, ne peut cautionner la démarche de la majorité sénatoriale, qui vise à réécrire le texte dans une logique libérale et bien peu protectrice de la mission de service public que constitue l'archéologie préventive. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, ma réponse à vos interventions sera brève. Je crois que l'exposé très précis que je vous ai fait au début de la discussion a permis, par anticipation, de répondre à certains des problèmes évoqués.
J'ai noté la tonalité constructive et la qualité de l'exposé de M. le rapporteur et de la majorité d'entre vous. Mais j'ai entendu aussi vos réserves, vos critiques, dont je prends note pour l'avenir.
Avons-nous cédé à la précipitation en présentant le texte dès aujourd'hui devant le Sénat ? Si l'exercice n'était certes pas facile pour celui qui est en charge de ce dossier depuis vingt-quatre heures (Sourires.), il ne faut pas pour autant y voir un signe de la part du Gouvernement. C'est l'objectif de constituer l'établissement public au 1er janvier 2001 qui nous pousse à aller très vite.
Je n'ai évidemment pas eu le loisir, en vingt-quatre heures d'approfondir ce dossier. Il n'en demeure pas moins que je suis très attaché à cette question, en tant qu'élu des Hauts-de-Seine, je me suis en effet beaucoup intéressé aux fouilles à proximité de l'A 86, à Rueil-Malmaison, aux abords de la petite Malmaison, et à l'opération dans le centre-ville de Vanves, où il s'agit de thermes gallo-romains de grande importance.
Si je n'ai évidemment pas eu le temps de consulter longuement les élus, je tiens à souligner qu'un important travail avait été fait au préalable.
M. Richert a porté une appréciation un peu sévère, selon moi, sur ce qui s'est passé au cours de la dernière période. Mon prédécesseur, Mme Catherine Trautmann - à qui je tiens à rendre hommage pour s'être courageusement attaquée à ce problème - a procédé à de nombreuses consultations. Celles-ci ont progressivement enrichi, et récemment encore, le dispositif qui vous est soumis. Il a été tenu le plus grand compte des positions de tous : collectivités et leurs services archéologiques, universitaires, archéologues et, bien sûr, aménageurs de toutes disciplines.
Mme Catherine Trautmann a notamment présenté le projet de loi devant le conseil des collectivités territoriales pour la culture, où sont présentes toutes les associations d'élus. Ces dernières ont proposé des modifications dictées par leur expérience du terrain. Pour sa part, le ministère a également organisé, ces derniers mois, des tables rondes et des séminaires.
Ce projet de loi est-il trop étroit, trop réducteur ? C'est, je crois, M. Lepeltier qui a employé l'expression.
Ce n'est pas, comme on l'a dit aussi, une occasion manquée. Nous avons une démarche réaliste permettant d'avancer d'un grand pas sur ce sujet complexe, qui n'avait pas été traité au cours des dernières décennies.
Parmi les nombreuses réserves qui ont été émises, j'ai relevé la crainte que ce projet de loi ne soit trop étatiste, et même qu'il ne tourne le dos à toute initiative décentralisatrice. Je tiens à vous assurer que telle n'est pas la philosophie du texte. M. Lagauche l'a dit, et il s'est félicité que l'Assemblée nationale ait renforcé cet aspect.
J'aurai évidemment à coeur que les collectivités territoriales soient très entendues dans la prochaine période.
Je remercie M. Renar de son intervention. Il s'est montré attaché à une mission de service public et de cohésion nationale. Le texte répond pour une grande part, je crois, à ce souci.
Je tiens à le rassurer sur la volonté que le Gouvernement, particulièrement le ministère de la culture et de la communication et le ministère de la recherche, continuera à manifester en faveur de l'avancement de la carte archéologique, qu'il a évoquée, et notamment pour la création des emplois correspondants. Il s'agit d'un instrument scientifique essentiel dont notre pays doit être doté progressivement. Tous les efforts seront faits en ce sens.
J'en viens à deux questions qui me tiennent à coeur et auxquelles je répondrai brièvement.
La première concerne la place des archéologues des collectivités territoriales dans le nouveau dispositif.
S'agissant des collectivités territoriales dotées d'un service archéologique, il importe que celles qui le souhaitent puissent participer dans de meilleures conditions qu'aujourd'hui au fonctionnement du service public. Selon des modalités qui restent à définir, mais dont le principe, j'y insiste, est d'ores et déjà prévu par le projet de loi, une contractualisation des rapports entre l'Etat, les collectivités et le nouvel établissement devra être rendue possible.
Cette collaboration pourra concerner soit l'ensemble de l'équipe à qui pourrait être confiée l'opération de diagnostic ou de fouille, soit l'un de ses membres.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a prévu une réduction de la redevance à hauteur des prestations fournies par les archéologues des collectivités territoriales.
Cela me paraît être un signe très fort adressé aux collectivités territoriales, qui seront ainsi incitées à créer ces services archéologiques qui, pour l'instant, c'est un fait, sont répartis de façon extrêmement inégale sur le territoire. On compte en effet 350 archéologues territoriaux dans les collectivités territoriales. Je serai attentif, pour ce qui me concerne, à toute forme incitative d'association de ces archéologues dont la connaissance très proche et fine du terrain me paraît extrêmement positive.
La seconde question concerne le devenir, après la création de l'établissement public, des archéologues bénévoles. Ils méritent d'être soutenus. Leur rôle a été essentiel par le passé et nous devons d'autant plus veiller à ce qu'il ne s'estompe pas au cours de la prochaine période que la professionnalisation progressive de la discipline tend, depuis quelques années, à une réduction de son pouvoir relatif. En effet, les impératifs en termes de délais, de périodes d'intervention et de localisation exigent le recours à des archéologues à plein temps.
Le projet de loi sur l'archéologie préventive n'aura pas d'incidence particulière sur les activités des associations d'archéologues agissant principalement dans le domaine de l'archéologie programmée.
Par ailleurs, le nouvel établissement aura vocation à faire appel, en tant que de besoin, à des personnes morales, publiques ou privées, par voie de convention ; l'insertion de bénévoles intéressés sera donc possible pour des opérations dont la localisation, l'importance et le rythme permettraient le recours au tissu associatif.
Vous avez évoqué les questions de financement.
Je connais les difficultés que M. Lepeltier a rencontrées à Bourges lors du projet du parking de la place Cujas. Vous ne les connaîtriez plus à l'avenir dans la mesure où la redevance aurait été préalablement déterminée.
Je suis prêt, évidemment, à vous rassurer sur les modalités de financement qui conduiront à un système équilibré. Bien entendu, l'aménagement du territoire peut connaître un jour un ralentissement. Comme M. le rapporteur l'a dit, un fonds de roulement doit permettre le fonctionnement continu de l'établissement.
A M. Eckenspieller, je peux confirmer que l'activité de l'établissement dépendra de prescriptions non pas de l'établissement public, mais strictement de l'Etat. Je peux également, pour le cas d'espèce qu'il a cité, lui indiquer que, comme à Bourges, le nouveau dispositif lui permettra, préalablement à toute opération, de connaître la redevance due, qui sera appliquée également sur tout le territoire national ; le Gouvernement acceptera un amendement allant dans ce sens.
Les autres points évoqués par M. le rapporteur, notamment la nature de l'établissement public et la compatibilité du système proposé avec le droit communautaire, seront traités de façon précise à l'occasion de l'examen de chacun des amendements de la commission.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments que je voulais vous apporter en réponse à vos interventions, dont je vous remercie.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, la commission m'a fait savoir qu'elle avait besoin de se réunir pour examiner les amendements qui ont été déposés sur ce texte par d'autres que par elle-même. Nous allons donc interrompre nos travaux jusqu'à dix-neuf heures.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-neuf heures.)