Séance du 28 mars 2000







M. le président. « Art. 1er ter. - L'Etat dresse et met périodiquement à jour, avec le concours des établissements publics et des organismes de recherche ayant des activités de recherche archéologique et avec le concours des collectivités territoriales, une carte archéologique nationale. »
« Les autorités compétentes pour délivrer les autorisations de travaux ont communication d'extraits de ce document dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 5, M. Legendre, au nom de la commission, propose de rédiger ainsi cet article :
« Avec le concours des établissements publics ayant des activités de recherche archéologique et des collectivités territoriales, l'Etat dresse la carte archéologique nationale. Elle contient pour l'ensemble du territoire national les données archéologiques disponibles.
« Les mesures prises par l'Etat en application de l'article 1er bis s'appuient notamment sur les informations qu'elle contient.
« Sous réserve des exigences liées à la préservation du patrimoine archéologique, elle est communiquée à toute personne qui en fait la demande dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. »
Cet amendement est affecté de deux sous-amendements.
Le sous-amendement n° 41 est présenté par le Gouvernement et tend, dans la première phrase du premier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 5 pour l'article 1er ter , après les mots : « l'Etat dresse », à insérer les mots : « et met à jour ».
Le sous-amendement n° 23 est déposé par MM. Renar et Ralite, Mme Luc et les membres du groupe communiste républicain et citoyen et vise à supprimer le deuxième alinéa du texte présenté par l'amendement n° 5 pour l'article 1er ter .
Par amendement n° 33, M. Joly propose de compléter le premier alinéa de l'article 1er ter par une phrase ainsi rédigée : « La carte archéologique nationale est une carte géoarchéologique scientifique qui répertorie les vestiges et les anciens paysages et décrit leur évolution, ainsi que leurs conditions d'enfouissement ou d'érosion. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 5.
M. Jacques Legendre, rapporteur. Par cet amendement, nous proposons une nouvelle rédaction d'un article relatif à la carte archéologique nationale, à laquelle nous attachons beaucoup d'importance.
Il m'a semblé utile de réaffirmer que cette carte avait vocation à devenir un document d'urbanisme opposable aux tiers, sur lequel pourront se fonder les prescriptions archéologiques de l'Etat.
En outre, j'ai souhaité garantir la diffusion la plus large possible de la carte. Il est essentiel que les données archéologiques soient facilement accessibles, afin de limiter autant que possible les atteintes au patrimoine.
La rédaction que je soumets au Sénat précise également que la carte devra couvrir l'ensemble du territoire, ce qui dépend, je le souligne, des moyens qui seront consacrés par le ministère de la culture à son élaboration, notamment en termes d'effectifs affectés à cette tâche dans les services régionaux d'archéologie, qui pâtissent depuis trop longtemps déjà, monsieur le secrétaire d'Etat, de la faiblesse de leurs moyens de fonctionnement.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat, pour présenter le sous-amendement n° 41.
M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat. Dans la rédaction proposée par la commission des affaires culturelles du Sénat pour l'article 1er ter , la mise à jour de la carte archéologique nationale n'est plus mentionnée. Cette absence pourrait laisser croire que cet outil scientifique et patrimonial n'est pas évolutif. Or ce serait méconnaître la nature de ce document, qui traduit l'état des connaissances à un moment donné sans préjuger de leur développement futur, lié à la programmation de la recherche, elle-même évolutive par nature.
Il convient de rappeler que la carte archéologique de la France, qui recense aujourd'hui plus de 300 000 sites, s'enrichit chaque année, en moyenne, d'une vingtaine de milliers de sites ou indices de site. Ce chiffre annuel ne prend pas en compte les ajouts qualitatifs permettant, au fil des recherches entreprises, des découvertes effectuées et des études menées, une meilleure caractérisation des sites. Près de 30 000 mises à jour sont effectuées chaque années.
Monsieur le rapporteur, le Gouvernement sait l'importance que vous attachez à cette carte. C'est pourquoi nous souhaitons très vivement que ce sous-amendement soit retenu.
M. le président. La parole est à M. Renar, pour défendre le sous-amendement n° 23.
M. Ivan Renar. La carte archéologique nationale est par essence un document de recherche dont l'élaboration durera de longues années encore et qui gagnera en précision au fur et à mesure des avancées scientifiques dans le domaine des sciences humaines, dont l'archéologie fait partie.
Dès lors, prévoir que les mesures prises par l'Etat en application de l'article 1er bis s'appuieront sur les informations que contient la carte archéologique nationale ne peut relever que d'une déclaration d'intention, que l'on pourra peut-être dire « pieuse », à condition toutefois que l'absence de carte archéologique nationale ne serve pas de prétexte, dans certains secteurs, pour invalider les missions de l'Etat.
Il convient de se garder de toute tentation de faire de la carte archéologique un document opposable aux tiers pour justifier l'exécution d'aménagements sans investigation préalable ou, a contrario, pour empêcher la réalisation d'aménagements.
Cette démarche me semble aller à l'encontre de la philosophie du projet de loi, et l'adopter ne permettrait pas à l'Etat de répondre aux impératifs de la sauvegarde du patrimoine.
C'est pourquoi nous proposons de supprimer, au deuxième alinéa de l'amendement n° 5 de la commission, la référence à la carte archéologique.
M. le président. La parole est à M. Joly, pour présenter l'amendement n° 33.
M. Bernard Joly. La rédaction actuelle de l'article 1er ter décrit une carte archéologique conçue davantage comme un outil administratif que comme une carte scientifique.
Les rédacteurs semblent avoir hésité entre visée scientifique et désir de disposer d'un outil presque administratif, sans cependant aller jusqu'à définir un véritable outil administratif qui serait opposable aux tiers. Il faut, à mon avis, affirmer le fait que la carte archéologique, comme toute opération de recherche, ne sera jamais achevée.
De plus, il apparaît nécessaire de rappeler que la carte archéologique nationale repose sur une carte scientifique de nature géo-archéologique.
Enfin, la carte archéologique doit être non plus un inventaire écrit, mais une carte géo-archéologique dynamique.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les sous-amendements n°s 41 et 23, ainsi que sur l'amendement n° 33 ?
M. Jacques Legendre, rapporteur. Je dois dire que la mise à jour de la carte archéologique, qui fait l'objet du sous-amendement n° 41 présenté par le Gouvernement, nous semblait aller de soi. En effet, on n'imagine pas, quand on dresse une carte, que celle-ci puisse un jour être figée pour l'éternité.
Cela dit, aucun différend de fond ne nous oppose au Gouvernement sur ce point, et la commission a donc émis un avis favorable au sous-amendement n° 41.
S'agissant du sous-amendement n° 23, déposé par M. Renar, je ferai remarquer que la loi dispose pour le présent et pour l'avenir. Bien sûr, la carte archéologique n'est pas achevée, mais elle recense déjà plus de 280 000 sites. Là où elle est exhaustive - et nous espérons bien qu'il en sera ainsi pour l'ensemble du territoire dans un avenir proche - elle permettra notamment de faciliter la définition des mesures de sauvegarde qu'il se révélerait nécessaire de prendre.
Notre amendement a donc simplement pour objet de l'inscrire dans la loi et d'insister indirectement sur l'intérêt pratique que revêt l'élaboration de ce document très important, à savoir l'amélioration de la prévisibilité du « risque archéologique ». La commission ne peut donc qu'être défavorable au sous-amendement n° 23.
En ce qui concerne l'amendement n° 33, je précise que la carte archéologique doit être un document d'information, recensant certes des données scientifiques, mais dont la vocation est d'être aussi exhaustive que possible afin de permettre aux aménageurs de connaître les zones sensibles et aux services de l'Etat de fonder leurs prescriptions.
Cette carte doit indiquer si, pour un site déterminé, il y a ou non risque d'atteinte au patrimoine archéologique, le mot « risque » étant ici à prendre au sens fort du terme. Il s'agit surtout, en somme, de réduire l'aléa archéologique.
Dans cette perspective, il me semble tout de même assez difficile de vouloir inscrire sur cette carte toutes les données sur l'histoire de nos paysages. Voilà pourquoi je suis au regret de ne pas pouvoir donner un avis favorable à l'amendement n° 33.
M. Ivan Renar. Quel censeur impitoyable ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 5, le sous-amendement n° 23 et l'amendement n° 33 ?
M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 5 de la commission. M. le rapporteur a estimé que la précision apportée par le sous-amendement n° 41 allait de soi, mais nous avons tout de même pensé qu'il était important de l'inscrire dans la loi.
Quant à l'argumentation développée par M. Renar à propos du sous-amendement n° 23, elle nous a semblé tout à fait judicieuse. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat sur ce point.
Pour ce qui concerne l'amendement n° 33, la carte archéologique est un document ou, plus exactement, une base de données évolutive dont l'intérêt est à la fois patrimonial et scientifique. Cet inventaire ne se limite évidemment pas à un simple recensement des découvertes de vestiges archéologiques, et son élaboration fait, depuis plus de vingt ans, l'objet d'une intense discussion méthodologique, non seulement à l'échelon national, mais également parmi les chercheurs et gestionnaires de la discipline de la plupart des pays européens.
Son efficacité sur le plan patrimonial, c'est-à-dire dans la seule optique de prévoir le risque archéologique susceptible d'être rencontré lors de la réalisation d'un aménagement donné, ne peut être assurée que par la qualité de la recherche qui la sous-tend.
C'est donc sur une recherche globale qu'elle s'appuie, une recherche qui intègre certes la géologie et l'étude des paysages et de leur évolution, là où cela est possible, mais également l'histoire des peuplements, l'histoire politique, économique et religieuse, ainsi que la géologie et bien d'autres domaines évoqués lors de la discussion de l'amendement n° 32.
Réduire dans la loi cette vaste somme des connaissances acquises sur l'histoire physique de notre territoire à son seul aspect « géoarchéologique », notion qui, en outre, ne fait pas encore l'objet d'un large consensus au sein de la communauté scientifique, reviendrait à occulter de nombreuses autres sources de données. Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement n° 33.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 41, accepté par la commission.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 23, repoussé par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5.
M. Ivan Renar. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. C'est comme dans le sport : l'important n'est pas de gagner, il s'agit d'entreprendre !
En l'occurrence, malgré le sort réservé à mon sous-amendement, mais dans le souci de ne pas apparaître contre la carte archéologique, je voterai cet amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, l'amendement n° 5, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 1er ter est ainsi rédigé et...
M. Bernard Joly. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Devant la coalition de la commission et du Gouvernement contre mon amendement, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 33 est retiré... avant qu'il ne tombe !

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