Séance du 30 mars 2000







M. le président. Par amendement n° 130, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt, Badinter et les membres du groupe socialiste et apparenté proposent d'insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après le premier alinéa de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, il est inséré un nouvel alinéa ainsi rédigé :
« Les maires ou les élus municipaux le suppléant bénéficient de la même protection lorsqu'ils agissent en qualité d'agent de l'Etat. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Nous avions voté cet amendement en première lecture avec l'accord du Gouvernement, comme M. Haenel l'a rappelé tout à l'heure dans son intervention.
Il s'agit au fond de réparer une injustice, qui fait que, parmi les agents de l'Etat, les seuls à ne pas être protégés par l'Etat dans les instances judiciaires sont les maires et les adjoints.
Mais l'Assemblée nationale a supprimé cette disposition. Quand nous avons demandé à ceux qui avaient pris l'initiative de cette suppression ce qui la justifiait, alors que tout le monde semblait d'accord et que cette mesure paraissait aller de soi, ils nous ont répondu : « Ah ! mais c'est qu'elle est mal placée dans ce texte ! » Et la commission des lois ne nous dit pas autre chose aujourd'hui.
Or il nous était pratiquement interdit d'amender la proposition de loi de notre collègue M. Fauchon et d'y faire figurer autre chose que ce qu'elle contenait ! Nous nous sommes, par conséquent, efforcés, les uns et les autres, à l'époque, de nous en tenir strictement au texte de M. Fauchon, auquel on n'a fait qu'ajouter un article relatif aux marchés passés en urgence à la suite des tempêtes ; c'était le seul amendement du groupe socialiste, et il a été voté.
Et on nous dit maintenant : « Ce n'est pas dans le bon texte, c'est dans l'autre ! » A force de nous « balader » d'un texte à l'autre, nous allons finalement nous trouver dans une situation où les maires n'auront pas obtenu le minimum de protection qui est accordé à n'importe quel fonctionnaire de l'Etat ou fonctionnaire territorial ou agent de la fonction publique hospitalière.
J'ai bien lu les commentaires de la commission des lois, mais je souhaite que le Sénat manifeste clairement son intention de maintenir cette disposition en votant l'amendement n° 130. Si jamais le texte de la proposition de loi de M. Fauchon, quand elle reviendra de l'Assemblée nationale, comporte une disposition analogue, il sera toujours temps de la supprimer dans ce texte-ci en commission mixte paritaire.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Cet amendement met en évidence une difficulté, que la commission des lois a rencontrée à plusieurs reprises, en ce qui concerne la responsabilité des élus.
Le texte « apaisant » que nous devons à l'initiative de notre collègue M. Fauchon est encore en discussion. Bien sûr, nous aimerions pouvoir considérer que les solutions qu'il a préconisées sont acquises, mais tel n'est pas encore le cas.
Il reste que la proposition de M. Fauchon va plus loin que celle de M. Charasse puisqu'elle prévoit la protection des maires, des présidents de conseil général et des présidents de conseil régional pour l'ensemble de leurs actes. Dès lors, si la proposition de loi de M. Fauchon était votée, l'amendement de M. Charasse perdrait son intérêt. D'autant, mon cher collègue, qu'une jurisprudence est intervenue qui, même si elle n'est pas encore définitive, vous donne (M. Charasse fait une moue dubitative) déjà satifaction.
Que vous préfériez la loi à la jurisprudence, je le comprends. Evidemment il faudrait pouvoir faire un troc. Mais, dans un troc, on échange des choses au même moment : chaque partie est ainsi sûre qu'elle reçoit son dû. Malheureusement, dans le cadre d'un débat parlementaire, ce n'est pas possible.
Cela dit, je suis confiant, car la commission des lois de l'Assemblée nationale est allée encore au-delà de ce que demandait le Sénat, en considérant qu'il convenait de transformer en obligation la faculté, pour la commune, d'accorder sa protection au maire. Or j'ai des raisons de penser que ce texte pourrait être voté par l'Assemblée nationale avant que ne se réunisse une commission mixte paritaire sur le projet de loi actuellement en discussion.
Par conséquent, la commission maintient sa position. Puisque nous avons, avec la proposition de loi de M. Fauchon, bâti un ensemble cohérent concernant la protection des élus et que nous avons des raisons d'espérer qu'il connaîtra une bonne fortune à l'Assemblée nationale, faisons confiance au débat. C'est pourquoi l'amendement de M. Charasse ne nous paraît pas, en la circonstance, devoir être retenu.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je voudrais tout d'abord indiquer que je partage les préoccupations de M. Charasse.
Cependant, j'attire son attention sur le fait que cette question relève, à mon sens, non du présent texte, mais de la proposition de loi de M. Fauchon, qui traite des délits non intentionnels et, même si son titre ne l'indique pas, de la responsabilité pénale des décideurs publics. La proposition de loi de M. Fauchon n'était pas encore rédigée lorsque cet amendement a été voté en première lecture. Cela étant, encore une fois, le Gouvernement ne revient pas sur son accord de principe.
Par ailleurs, je souligne que cet amendement est déjà satisfait par plusieurs articles de la proposition de loi déposée par M. Fauchon, qui accordent en effet une protection générale aux élus territoriaux, que ceux-ci agissent au nom de la collectivité qu'ils représentent ou au nom de l'Etat. Il n'y a à cet égard pas de raison d'établir une distinction, qui risquerait d'ailleurs de se retourner contre l'élu si l'Etat et la collectivité se renvoyaient la responsabilité d'accorder ladite protection dans des affaires où l'on peut se demander en quelle qualité l'élu a agi.
Cette protection a d'ailleurs été élargie, comme vient de l'indiquer M. le rapporteur, par la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui a examiné la proposition de loi de M. Fauchon la semaine dernière et qui a précisé que la protection de l'élu par la collectivité était obligatoire et non facultative.
Je précise également que le texte de la proposition de loi de M. Fauchon sera discuté à partir de mercredi prochain par l'Assemblée nationale. Il n'y a donc aucune incertitude, ni sur le fond ni sur le calendrier.
Dans ces conditions, je m'en remets à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 130.
M. Hubert Haenel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit lors de la discussion générale, mais je crois que le Sénat doit adopter cet amendement à titre conservatoire. (M. Gournac approuve.)
M. Michel Charasse. Oui !
M. Hubert Haenel. « Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras », et il importe d'éviter toute confusion : il existe deux protections, la première étant celle que confère l'Etat lorsque le maire agit en tant qu'agent de l'Etat, par exemple lorsqu'il exerce les fonctions d'officier d'état civil, la seconde étant celle de la commune pour les actes accomplis par le maire au nom de celle-ci.
Si le texte de notre collègue Pierre Fauchon est amendé et adopté - et il devrait l'être, je pense, avant qu'intervienne l'adoption définitive de ce projet de loi - on pourra alors en tirer les conséquences lors de la réunion de la commission mixte paritaire. Mais, pour l'heure, il me paraît préférable de souligner combien nous tenons à ce que cette protection soit inscrite dans la loi, dans ce texte ou dans un autre.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Puisque j'ai été cité à plusieurs reprises,...
M. Michel Charasse. Flatteusement ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon. ... je ne peux pas ne pas mettre mon « grain de sel » dans ce débat !
Je voudrais confirmer ce qu'a dit M. Jolibois : cela a peut-être échappé à M. Charasse, mais nous avons bien voté non seulement la disposition qu'il souhaitait à propos des marchés publics, mais aussi celle qui nous est maintenant proposée par le biais de cet amendement. Il s'agissait alors d'une faculté ouverte aux communes, mais la commission des lois de l'Assemblée nationale, dont je suis naturellement de près les travaux, a repris et renforcé le dispositif, puisqu'elle l'a rendu obligatoire.
Nous aurons donc un texte qui, en principe, sera encore plus complet, et qui, après avoir été voté par l'Assemblée nationale le 5 avril, devrait être examiné par le Sénat à la fin du mois de mai. Il serait donc à mon sens préférable que M. Charasse dépose alors les amendements qu'il jugera opportuns, si le texte ne le satisfait pas. J'indique d'ores et déjà que je les trouverai bienvenus.
Dans cet esprit, si M. Charasse le veut bien, prenons rendez-vous pour le mois de mai et, d'ici là, mettons ce débat en stand by , si j'ose dire.
M. Robert Badinter. Très bien !
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Si j'ai bien compris, on ouvre, dans cette séance, du côté, tant du Gouvernement que de M. Fauchon, le droit d'amendement sur la proposition de loi de ce dernier, qui était totalement « verrouillée » en première lecture. Dont acte ! On ne peut pas en effet à la fois nous demander de ne pas amender, de présenter le moins d'amendements possible, de ne pas déséquilibrer le texte, etc., et renvoyer le débat à l'examen de cette proposition de loi.
Je prends donc note du fait que nous nous retrouverons s'il y a lieu, c'est-à-dire dans l'hypothèse où l'Assemblée nationale aurait fait un travail non satisfaisant, en deuxième lecture, sur la proposition de loi que je vous prie de m'excuser d'appeler « Fauchon ».
M. Pierre Fauchon. Qui est tout à fait amendable ! (Sourires.)
M. Michel Charasse. Mais il subsiste tout de même un problème que je suis obligé de soulever, malgré ce qu'a dit le garde des sceaux : la proposition de loi qui est dans la « tuyauterie » parlementaire établit le même régime de prise en charge ou de défense des agents exécutifs des collectivités locales pour les maires et leurs adjoints, les présidents et vice-présidents des conseils généraux, des conseils régionaux et, vraisemblablement, des conseils de groupement de collectivités.
Seulement, dans cet ensemble, seuls le maire et les adjoints agissent au nom de l'Etat. Or, je ne vois pas comment on peut imposer à la commune de payer à la place de l'Etat. Lorsque le maire agit en exerçant ses pouvoirs de police, de police sanitaire ou de rétablissement de l'ordre public, s'il commet un acte susceptible d'entraîner sa mise en cause, je ne vois pas comment la commune, surtout si elle compte 150 ou 200 habitants, pourra faire l'avance de frais énormes de procédure dans un domaine qui relève de l'Etat.
Je veux bien que l'on renvoie ce débat à la deuxième lecture de la proposition de loi « Fauchon »,...
M. Pierre Fauchon. Ce sera mieux !
M. Michel Charasse. ... mais je demande au garde des sceaux d'y réfléchir d'ici là. Si l'on pouvait régler le problème à l'Assemblée nationale, cela nous ferait gagner du temps. Il n'est pas ici question de vanité d'auteur ; ce qu'il faut, c'est que le problème soit résolu.
Pour ma part, je me refuse absolument à obliger une toute petite commune à avancer des millions de centimes pour une procédure mettant en cause son maire ayant agi comme agent de l'Etat. (M. Haenel approuve.)
Par conséquent, il faut que la proposition de loi « Fauchon » fasse la distinction : quand le maire a agi comme agent de l'Etat, c'est l'Etat qui assume les conséquences, quand il a agi comme agent de la commune, c'est la commune.
M. Hubert Haenel. Absolument !
M. Michel Charasse. J'ajoute, madame la garde des sceaux, que, contrairement à ce que je vous ai entendu dire tout à l'heure - ce n'est pas là une volonté de vous « chicaner » systématiquement ! - il est assez facile de faire la distinction entre les actes qui relèvent de l'agent de l'Etat et ceux qui relèvent de l'agent de la commune. En effet, les attributions du maire comme agent de l'Etat sont au fond assez réduites : il est officier d'état civil, il est officier de police judiciaire et il est chargé de l'application des lois et règlements sur le territoire de sa commune, comme l'est le préfet pour le département.
De cette dernière attribution découlent un certain nombre d'obligations qui sont des obligations d'Etat. Je crois que l'on fait très rapidement - en tout cas, nous les élus la faisons très vite - la distinction entre ce qui relève de l'Etat et ce qui relève de la commune, étant entendu, je le répète, que mon raisonnement n'est valable que pour le maire et les adjoints, puisque les autres catégories d'élus locaux ne sont pas du tout dans la même situation, sauf, peut-être, certains présidents de groupement, lorsque celui-ci a reçu attributions en matière de voirie, car il peut y avoir des règles de voirie que le maire applique au nom de l'Etat. Mais je mets ce point en filigrane.
Cela étant, je ne prolongerai pas de la même façon la discussion sur tous les amendements. Celui qui nous occupe ici traite d'une question importante. J'accepte, en accord avec mes amis, de le retirer, mais nous nous retrouverons lors de la deuxième lecture de la proposition de loi de M. Fauchon, sauf si l'Assemblée nationale nous fait un clin d'oeil sympathique et règle l'affaire avant nous !
M. le président. L'amendement n° 130 est retiré.
M. Hubert Haenel. Il n' y pas eu d'engagement de la part du Gouvernement !
M. Michel Charasse. J'ai demandé qu'on réfléchisse à cette question !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je voudrais en cet instant remercier M. Charasse pour une double raison : d'une part, pour avoir déposé son amendement et, d'autre part, pour l'avoir ensuite retiré. (Sourires.)
En le déposant, il a appelé notre attention sur un point important. De ce fait, lorsque nous examinerons de nouveau l'excellente proposition de loi de notre ami Pierre Fauchon, la commission des lois, je puis vous l'assurer, s'efforcera - et elle y parviendra sans doute - d'en tenir le plus grand compte.
Mais je remercie également M. Charasse d'avoir retiré son amendement, car il faut malgré tout assurer une certaine cohérence à nos travaux législatifs, et il l'a parfaitement compris. Une proposition de loi très intéressante est en cours d'examen. Elle aboutira à des résultats d'autant plus positifs que notre attention aura été attirée sur un certain nombre de points qui, sinon, auraient peut-être été insuffisamment traités.
M. Michel Charasse. Si je l'avais maintenu, l'amendement aurait été adopté !
M. Hubert Hamel. Oui, et par tout le monde !

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