Séance du 30 mars 2000







M. le président. « Art. 2 DA. - Après le troisième alinéa de l'article 63 du code de procédure pénale, il est inséré deux alinéas ainsi rédigés :
« Les personnes gardées à vue doivent être retenues dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine auquel chacun a droit.
« Il ne pourra être procédé à des fouilles portant atteinte à leur intégrité physique. Les personnes gardées à vue bénéficieront d'un temps de repos raisonnable et devront être alimentées de manière à conserver toutes leurs capacités physiques et mentales. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 2, M. Jolibois, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
Par amendement n° 156, M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
I. - De compléter l'article 2 DA par un alinéa ainsi rédigé :
« Les charges incombant à l'Etat en application de ce principe sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
II. - En conséquence, dans le premier alinéa de l'article 2 DA, de remplacer le chiffre : « deux » par le chiffre : « trois ».
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 2.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Même si nous approuvons bien entendu tous le contenu de l'article 2 DA, qui a été ajouté par l'Assemblée nationale, nous sommes conscients du fait que nous devons être des législateurs et que les termes de ce texte sont trop vagues pour avoir une portée normative. En outre, ils figurent déjà dans nos diverses déclarations des droits de l'homme.
En conséquence, cet article ne pouvant faire l'objet d'aucun contrôle, je pense qu'il n'a pas de caractère suffisamment concret et précis pour trouver sa place dans un texte de loi ordinaire. Les plus critiques pourront même soutenir qu'il s'agit ici de pur affichage ; d'autres, plus indulgents, comme c'est, je le crois, le cas de chacun d'entre nous, pourront estimer que ce texte reprend des notions qui sont déjà inscrites dans nos principes généraux. C'est la raison pour laquelle la commission propose au Sénat de supprimer l'article 2 DA.
M. le président. La parole est à M. Bret, pour défendre l'amendement n° 156.
M. Robert Bret. L'article 2 DA, introduit en deuxième lecture par l'Assemblée nationale unanime, vise à garantir aux personnes intéressées que, pendant toute la durée de la garde à vue, elles seront retenues dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, auquel chacun a droit.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne peuvent qu'être favorables à cet article, qui va plus loin que la simple pétition de principe, puisque sont directement visés les fouilles, les temps de repos et les possibilités de se nourrir. Il est regrettable, de ce point de vue, que la commission des lois nous propose de le supprimer.
M. le rapporteur a parlé voilà un instant de « termes trop vagues pour avoir une portée normative ». Pourtant, lorsque l'on connaît la réalité de l'état des locaux de garde à vue, on mesure l'intérêt dudit article : un magistrat n'a pas hésité à parler récemment de « l'indignité de la garde à vue », dont les conditions sont bien éloignées des exigences posées par la Convention européenne sur les traitements inhumains et dégradants.
Les conditions matérielles de la garde à vue sont lamentables dans la plupart de nos commissariats, comme nous le disent également les officiers de police judiciaire. L'état des locaux est tel que les conditions d'hygiène et de salubrité laissent souvent plus qu'à désirer. Cet article obligera peut-être à procéder à une mise en conformité, sans cesse repoussée jusqu'à présent.
Par ailleurs, il est indispensable que les personnes retenues puissent bénéficier de temps de repos et s'alimenter normalement. Les cellules de garde à vue ne disposent en effet pas toujours de matelas ni de couvertures, et il n'est pas exceptionnel que la personne retenue reste douze, quinze, voire vingt heures sans pouvoir se nourrir. C'est plus précisément ce point que vise l'amendement que nous proposons au Sénat d'adopter.
Pour ce qui concerne la faculté laissée à la personne de s'alimenter de façon à maintenir ses capacités physiques et mentales, les organisations syndicales nous ont rapporté que deux cas se présentent dans la pratique : soit la personne gardée à vue est solvable, auquel cas elle paie elle-même sa nourriture ; soit elle n'est pas solvable, et il revient alors aux commissariats d'assurer sa subsistance sur leurs deniers.
Cela n'est pas en soi choquant, sinon qu'aucune ligne budgétaire n'est prévue à cet effet ! Aussi, les officiers de police judiciaire sont amenés à ponctionner les cagnottes constituées par les taxes des arrestations en état d'ivresse pour financer les repas des personnes gardées à vue.
Ce système D ne peut perdurer. Il nous revient de veiller à ce qu'un budget spécifique soit alloué pour financer l'hébergement des personnes gardées à vue.
Tel est l'objet de notre amendement qui, en prévoyant une compensation de charge par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts, permettra de faire vivre les principes affirmés à l'article 2 DA.
Nous espérons que vous soutiendrez cette démarche. Si cet amendement est adopté, il ne subsistera plus aucune raison valable au défaut d'alimentation et de repos de la personne gardée à vue.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 156 ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. La commission ayant proposé la suppression de l'article, elle émet, en conséquence, un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 2 et 156 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En ce qui concerne l'amendement n° 2, je crois, comme la commission, que l'on peut s'interroger sur l'intérêt de cette disposition, car le principe du respect de la dignité de la personne est déjà affirmé dans l'article préliminaire du projet de loi et l'exigence de donner une alimentation suffisante aux personnes gardées à vue résulte par ailleurs de l'obligation, désormais prévue par une autre disposition du projet de loi, d'indiquer les heures auxquelles ces personnes ont pu s'alimenter.
L'article 2 DA traite toutefois également de la question des fouilles corporelles. Je voudrais rappeler à ce propos que, bien évidemment, les services de police ou de gendarmerie ne procèdent à aucune fouille portant atteinte à l'intégrité physique des personnes gardées à vue. Il peut arriver, en revanche, qu'ils soient conduits à requérir un médecin pour procéder à des investigations sur une personne soupçonnée d'avoir dissimulé un objet dans son corps ; c'est le cas notamment en matière de trafic de drogue. Ce type d'investigation, toujours pratiquée par un médecin, restera évidemment possible.
Voilà pourquoi je m'en remets à la sagesse du Sénat.
Par conséquent, je ne crois pas que l'amendement présenté par M. Bret soit nécessaire. A l'évidence, indépendamment du maintien ou non de l'article 2 DA, le principe selon lequel un suspect doit être gardé à vue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité de la personne demeure absolument et l'Etat doit continuer les efforts entrepris pour améliorer les locaux de police et de gendarmerie, aussi bien d'ailleurs pour les enquêteurs qui y travaillent que pour les victimes qui y sont reçues et, évidemment, pour les personnes qui y sont retenues. Mais je ne pense pas que cet effort doit être financé par une taxation additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Michel Charasse. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je m'exprimerai contre les deux amendements, cela ira plus vite, monsieur le président.
Tout à l'heure, à l'article 1er, j'ai fait observer au Sénat qu'il s'agissait d'affirmations de principes qui n'ont aucun caractère normatif. La commission a dit : oui, mais nous tenons tout de même à avoir un chapeau général, même s'il se borne à rappeler - d'ailleurs de manière moins brillante que la Déclaration de 1789, par exemple - un certain nombre de principes constitutionnels auxquels nous sommes attachés. Puis vient l'article 2 DA, et M. Jolibois nous dit qu'il s'agit d'affirmations de principes qui figurent dans nombre d'autres textes et propose donc de les supprimer. A l'article 1er, les affirmations de principes sont bonnes ; à l'article 2 DA, elles ne le sont pas !
Quant à l'amendement n° 156 présenté par M. Bret, dont je comprends bien la démarche, c'est la première fois, je crois, qu'un parlementaire propose de créer une recette pour financer une dépense de l'Etat alors que l'on n'est pas dans le cadre de l'article 40. D'ailleurs, le serait-on que l'article 40 serait applicable si c'était une dépense, puisqu'il ne peut y avoir de dépense proposée par les parlementaires.
En outre, mon cher ami, l'amendement serait à la limite intéressant s'il y avait une affectation de recette. Mais vous proposez de créer une recette qui ne peut pas être affectée à l'intérieur du budget général. J'ajoute - je parle sous le contrôle de M. Haenel - que, si recette spécifique il devait y avoir, il faudrait qu'elle alimente au moins trois chapitres budgétaires : le premier au budget de la justice, lorsque les opérations de garde à vue sont déclenchées à la demande du procureur de la République ; le deuxième au budget de l'intérieur, lorsqu'il s'agit d'une enquête préliminaire sur l'initiative de la police ; le troisième, pour la gendarmerie, lorsqu'il s'agit d'opérations de police judiciaire qui sont conduites par la gendarmerie.
M. Hubert Haenel. Oui !
M. Michel Charasse. Par conséquent, pour ces raisons qui sont très diverses et qui n'entachent en rien la sympathie que je peux porter aux auteurs de l'un et de l'autre, je suis contre ces deux amendements.
M. Jean Arthuis. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Mon groupe soutiendra l'amendement de suppression présenté par M. Jolibois, au nom de la commission.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 2 DA est supprimé et l'amendement n° 156 n'a plus d'objet.
M. Jean Arthuis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, je souhaiterais réunir mon groupe. Nous en sommes aux conditions de la garde à vue et un sous-amendement a été déposé dont le contenu justifie une réflexion de fond. Aussi, je demande une suspension de séance d'un quart d'heure.
M. le président. Le Sénat va bien sûr accéder à cette demande.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures trente-cinq, est reprise à douze heures quinze.)