Séance du 30 mars 2000







M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 34, M. Jolibois, au nom de la commission, propose :
I. - De supprimer le texte présenté par l'article 15 pour l'article 144-1-A du code de procédure pénale.
II. - En conséquence, de rédiger comme suit le premier alinéa de cet article :
« L'article 144 du même code est remplacé de deux articles 143-1 et 144 ainsi rédigés : ».
Par amendement n° 160, M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit le texte présenté par l'article 15 pour l'article 144-1 A du code de procédure pénale :
« Art. 144-1-A. - Sauf en matière criminelle, le juge d'instruction qui envisage de placer en détention la personne mise en examen doit tenir compte de la situation familiale et de l'état de santé de l'intéressé. Il peut, à cette fin, charger l'un des services ou l'une des personnes visés au septième alinéa de l'article 81 de rechercher ou de proposer les mesures socio-éducatives propres à se substituer à la détention de la personne mise en examen, à favoriser sa réinsertion sociale, à prévenir la récidive, à éviter la rupture des liens familiaux ou à aggraver son état de santé. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 34.
M. Charles Jolibois, rapporteur. L'Assemblée nationale a souhaité que les parents d'enfants de moins de dix ans ne puissent pas être placés en détention provisoire, sauf en matière criminelle, en cas d'infraction contre les enfants et en cas de non-respect des obligations du contrôle judiciaire.
La commission n'a pas manqué de trouver l'idée généreuse, puisqu'elle vise à éviter que des enfants ne soient les principales victimes d'une situation avec laquelle ils n'ont rien à voir.
Toutefois, le dispositif proposé paraît totalement inapplicable malgré la précaution consistant à permettre au juge des enfants de refuser l'application de cette mesure dans l'intérêt des enfants. L'interdiction du placement en détention provisoire des parents de jeunes enfants est contraire au principe d'égalité devant la justice.
Evidemment, le code de procédure pénale rénové va comporter beaucoup de nouvelles mesures et nous suggérons aux juges - mais nous sommes sûrs qu'ils le feront - d'examiner vraiment à fond les situations de famille. Le juge des libertés pourra par exemple prononcer un placement sous surveillance électronique.
M. le président. La parole est à M. Bret, pour défendre l'amendement n° 160.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, l'amendement que j'ai déposé avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen est une proposition d'amélioration des dispositions retenues par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, sur l'initiative de M. Tourret.
Nous avons été sensibles à la démarche humaniste de l'auteur de ce texte, qui s'est fondé sur l'exemple italien. Il s'agit en effet d'éviter que la mise en détention provisoire n'aboutisse à une rupture des liens familiaux, préjudiciable notamment pour les jeunes enfants.
Néanmoins, comme l'a souligné la commission des lois, ce texte paraît difficile à appliquer. Sa particulière complexité révèle d'ailleurs des difficultés ressenties dès sa rédaction.
Tel est le cas, par exemple, de l'intervention du juge des enfants, destinée à répondre notamment aux cas où la personne serait mise en examen pour mauvais traitement à enfant. Comme l'a noté la commission, on ne sait guère la portée que pourra avoir l'avis de ce juge. On ne sait pas non plus s'il aura accès au dossier d'instruction.
Les difficultés que la terminologie retenue pourrait engendrer ont également été soulignées. A cet égard, que recouvre la notion d'infraction « commise envers les enfants » ? L'autorité parentale est-elle l'autorité exclusive, comme la commission des lois de l'Assemblée nationale avait souhaité le préciser ?
Par ailleurs, il existe évidemment bien d'autres cas où la détention provisoire peut être dramatique pour la vie familiale. Je pense notamment aux enfants handicapés âgés de plus de dix ans ou à l'état de santé de la personne, par exemple.
En fin de compte, il se révèle que la démarche humanitaire s'accommode ici mal de la « règle des seuils », comme j'ai envie de l'appeler.
Plutôt que de supprimer purement et simplement l'article 144-1-A - comme le propose la commission des lois - nous avons souhaité inscrire explicitement dans le code de procédure pénale la nécessité pour le juge de prendre en compte la situation personnelle de l'intéressé lorsqu'il envisage de mettre une personne en détention provisoire.
La référence aux services d'insertion et de probation renforce cette exigence.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 160 ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. L'amendement n° 160 a pour objet d'obliger le juge d'instruction à tenir compte de la situation familiale avant un placement en détention provisoire.
Cet amendement nous paraît, bien sûr, meilleur que le texte adopté par l'Assemblée nationale qui interdit purement et simplement le placement en détention de parents d'enfants âgés de moins de dix ans. Il ne paraît cependant pas utile d'inscrire une telle disposition dans la loi, puisque le juge des libertés pourra toujours recourir au placement sous surveillance électronique.
En outre, il n'y a pas de mesures socio-éducatives qui puissent se substituer à une détention de la personne mise en examen, compte tenu des motifs qui, seuls, peuvent justifier une détention provisoire.
La commission préfère donc s'en tenir à la situation qui sera créée si l'amendement n° 34 est adopté. Toutefois, si tel n'était pas le cas, j'indique d'ores et déjà que l'amendement n° 160 nous paraît préférable au texte adopté par l'Assemblée nationale.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 34 et 160 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. S'agissant de la rédaction proposée par l'Assemblée nationale pour l'article 144-1-A du code de procédure pénale, je m'en étais remise à la sagesse des députés en raison des objectifs évidemment humanitaires, que vous avez d'ailleurs soulignés, de cette disposition qui interdit la détention provisoire pour certains parents de jeunes enfants.
J'avais également fait part des difficultés sérieuses que soulevait un tel texte, difficultés qui motivent la proposition de suppression de la commission. Je m'en remets donc également à la sagesse du Sénat sur cet amendement n° 34,... puis à la sagesse de la commission mixte paritaire.
Je suis en revanche très favorable à l'amendement n° 160, qui est fort intéressant, justement en raison de son caractère incitatif plutôt qu'obligatoire. Cet amendement prévoit un dispositif facultatif, et il insiste sur la nécessité de prendre particulièrement en compte ces situations familiales. Du fait de ce caractère facultatif laissé à l'appréciation du juge - auquel il est demandé une attention particulière - cet amendement ne me paraît pas présenter les inconvénients du texte adopté par l'Assemblée nationale.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Madame le garde des sceaux, si j'ai bien compris, vous renvoyez la décision sur ce point à la commission mixte paritaire. Vous vous en êtes d'abord remise à la sagesse de l'Assemblée nationale. Vous vous en remettez maintenant à la sagesse du Sénat. Puis-je vous demander quelle est, de ces deux sagesses, celle que vous préférez ? (Sourires.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Disons que je pourrais préférer la sagesse de l'amendement de M. Bret ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 34.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Je voudrais être éclairé sur la procédure : si nous adoptons l'amendement n° 34, qu'en sera-t-il de l'amendement n° 160 ?
M. le président. Il n'aura plus d'objet !
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je ne suis pas favorable - et je ne suis pas le seul au groupe socialiste - à l'article 144-1-A du code de procédure pénale adopté par l'Assemblée nationale.
Mon premier mouvement aurait été, naturellement, de soutenir l'amendement de suppression proposé par la commission des lois, c'est-à-dire l'amendement n° 34.
Seulement, je ne sais pas quel sera l'état d'esprit de la commission mixte paritaire sur ce sujet. L'Assemblée nationale tiendra-t-elle mordicus à l'article 114-1-A, que nous considérons à tous égards comme une mauvaise mesure, ou sera-t-elle prête à la conciliation ? Je lance un appel à nos collègues de la commission des lois : ne pourriez-vous pas faire un geste consistant à retirer l'amendement n° 34 et à vous rallier à l'amendement n° 160, qui prévoit une solution familiale beaucoup plus intéressante ? Vous verrez bien en CMP ce que cela donnera.
Si l'Assemblée nationale a la tentation de revenir à son texte initial, les représentants du Sénat feront alors ce qu'ils ont à faire. Si, en revanche, l'Assemblée nationale retrouvait dans l'amendement n° 160 les sentiments humanitaires et familiaux qu'elle a voulu exprimer dans l'article 144-1-A qu'elle a adopté, mais en le faisant sans doute d'une manière un peu maladroite et qui nous pose problème, je pense que nous n'aurions pas perdu notre temps.
Je souhaite donc que la commission examine la possibilité de retirer son amendement n° 34 pour éviter que l'amendement n° 160, qui est vraiment très intéressant et très bien rédigé, n'ait plus d'objet.
M. Alain Vasselle. Ce serait la sagesse, à mon avis !
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je vois très bien l'intérêt que l'on peut porter à l'amendement n° 160, mais je ferai quand même deux remarques.
Première remarque : il n'est pas normatif, il n'est qu'indicatif.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. C'est pour cela qu'il est intéressant !
M. Jacques Larché, président de la commission. Certes, mais nous n'aimons pas tellement faire figurer dans la loi des mesures incitatives ; nous préférons lui restituer, dans toute la mesure possible, son caractère normatif. Nous n'y parvenons pas toujours, je le reconnais ; mais nous essayons.
Seconde remarque : sous des apparences non normatives, l'amendement n° 160 a un contenu incitatif qui dépasse très largement les problèmes familiaux au sens strict, puisqu'il vise la réinsertion sociale, la prévention de la récidive et l'état de santé de celui qui serait, le cas échéant, placé en détention.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Les amendements n°s 160 et 34 sont inspirés, l'un et l'autre, par des préoccupations qui ont animé l'Assemblée nationale.
Le texte de l'Assemblée nationale, au demeurant généreux, me paraît inapplicable en raison des dispositions qu'il comporte, notamment celle qui concerne l'âge des enfants et qui permettrait en effet à certains professionnels de la délinquance - je pense aux receleurs ou aux trafiquants de tous ordres - d'éviter toute détention. Cet article nécessite par conséquent d'être reconsidéré.
La solution préconisée dans l'amendement n° 160 - permettez-moi de vous le faire remarquer, monsieur Bret - n'est pas satisfaisante.
D'abord, dans le nouveau système, ce n'est pas le juge d'instruction qui décide de placer en détention la personne mise en examen. Le juge d'instruction a tout pouvoir de demander à un autre juge - celui de la détention provisoire ou celui des libertés - d'ordonner le placement. A la limite, on pourrait donc s'interroger sur l'absence du juge des libertés ou du juge de la détention provisoire.
Indépendamment de cela, le juge d'instruction a déjà aujourd'hui toutes ces possibilités ; demain, ce sera le cas du juge de la détension provisoire. Tenir compte de la situation familiale et de l'état de santé de l'intéressé, c'est ce qu'il fait constamment.
Ensuite, les mots : « Il peut, à cette fin, charger l'un des services » - je suis la même ligne de pensée que le président de la commission des lois - contiennent une sorte de délégation de pouvoir du magistrat à des services socio-éducatifs dans un domaine, celui de la liberté, qui est, de par la Constitution, confié aux magistrats.
Par conséquent, si je rejoins tout à fait les préoccupations qui vous animent, je ne crois pas que l'amendement n° 160 soit satisfaisant.
Retenons plutôt l'amendement n° 34, et j'imagine que le débat se poursuivra, s'il y a lieu, en commission mixte paritaire. Nous nous rallierons donc à la position de la commission des lois.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 34, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, le texte proposé pour l'article 144-1-A du code de procédure pénale est supprimé et l'amendement n° 160 n'a plus d'objet.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de l'article 15, modifié.

(L'article 15 est adopté.)

Article 16