Séance du 13 juin 2000







M. le président. La parole est à M. Muzeau, auteur de la question n° 830, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Roland Muzeau. Madame la secrétaire d'Etat, ma question porte sur la responsabilité des entreprises du bâtiment en matière d'inflation des prix constatée, laquelle obère l'effort d'aménagement des collectivités locales.
Si tout le monde se félicite, à juste titre, de la relance de l'économie, en particulier de celle du bâtiment, personne ne peut admettre qu'elle s'accompagne d'une défection importante dans les réponses des grandes entreprises aux appels d'offres des collectivités locales et à une dérive des prix.
Dans ma ville, Gennevilliers, j'ai pu constater, dans le cadre d'appels d'offres portant notamment sur la construction d'un gymnase et sur la réhabilitation de locaux pour l'accueil d'une structure de santé, des dépassements de prix de l'ordre de 20 %. Pour un groupe scolaire maternel, l'augmentation est de 16 %. Toutes les communes et collectivités territoriales sont confrontées à une telle situation.
D'ailleurs, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la Seine-Saint-Denis a remis, voilà déjà quelques mois, un rapport faisant état d'une augmentation de 10 % à 15 % des prix pratiqués dans le bâtiment.
Sur une période récente, les fabricants ont aussi décidé de très fortes augmentations : le rond à béton, le cuivre ont ainsi augmenté de 20 % à 25 % ; le PVC a subi une hausse de 37 %.
Il est vrai que, pendant toute une période, le secteur du bâtiment a subi une grave crise et connu des prix anormalement bas. Mais il faut se souvenir que les collectivités locales ont à ce moment proposé des marchés importants qui ont permis aux entreprises de poursuivre leurs activités.
Ce à quoi nous assistons ne constitue nullement un ajustement des prix, que nous comprendrions. Il s'agit d'une véritable explosion, qu'il convient, madame la secrétaire d'Etat, de juguler. Comment laisser ces acteurs économiques se comporter comme s'ils devaient exploiter vite et fort le filon de la reprise ?
Le président de la Fédération française du bâtiment, dans le dernier numéro de la publication mensuelle éditée par cet organisme, ne reconnaît-il pas que ses entreprises adhérentes « profitent » de la reprise de l'activité pour augmenter leurs prix ?
Il justifie cette pratique par la hausse des prix des produits et des matériaux, mais aussi par le passage aux 35 heures et, surtout, par le besoin de reconstituer des marges. Il met en garde - je le cite - « ceux qui contesteraient un ajustement des prix », car, dit-il, ils « risquent de le regretter amèrement ».
Ce que je regrette vraiment, madame la secrétaire d'Etat, c'est que ce souci obsessionnel de la rentabilité pénalise les efforts des collectivités locales et des organismes d'HLM et, par conséquent, les populations.
Ce que nous ne pouvons accepter, c'est que les choix modernes du gouvernement de la gauche plurielle, comme les 35 heures et l'abaissement de la TVA à 5,5 %, soient ainsi déviés de leurs objectifs.
Aussi je vous demande, madame la secrétaire d'Etat, quelles initiatives votre ministère peut prendre pour remédier aux dérives inflationnistes dans ce secteur, à l'image de ce qui est tenté en direction des grandes compagnies pétrolières, afin de dépasser la contradiction entre la volonté publique nationale et le souci particulier de la rentabilité financière, contradiction que nous dénonçons, bien évidemment !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le sénateur, le secteur du bâtiment et des travaux publics connaît, depuis plusieurs mois, un regain d'activité dû au effets conjugués de la reprise du marché de l'immobilier neuf, résultat de la croissance, et des interventions nécessaires à la réparation des dégâts causés par la tempête de la fin de l'année 1999.
Les prévisions faites par les professionnels prévoient une croissance du secteur de l'ordre de 4,5 % pour l'année en cours et la création de 20 000 emplois.
Les pouvoirs publics ont déjà favorisé cette reprise d'activité par un allégement des charges salariales, puisque la loi de finances pour 1999 a mis en oeuvre la réforme de la taxe professionnelle qui supprime sur cinq ans la part salariale de l'assiette de la taxe. Par ailleurs, la baisse importante de la TVA sur certains travaux de bâtiment a produit d'ores et déjà des effets très sensibles. Il convient donc effectivement de se féliciter, particulièrement en termes d'emploi, de cette reprise et de l'état florissant de ce secteur économique très important.
Les conséquences de cette reprise n'ont cependant pas échappé aux pouvoirs publics, mais il convient de mesurer à leur juste valeur les risques d'inflation éventuelle qui peuvent être dus à la tentation d'une majoration des prix de base après une période de dépression, vous les avez signalés, et les risques d'une sélection préférentielle des chantiers à réaliser pour le compte du secteur privé au détriment, éventuellement, des marchés publics, particulièrement ceux des collectivités locales que vous avez évoqués.
Il doit être également tenu compte de la répercussion du prix de l'énergie dans les coûts de production. Le Gouvernement s'emploie avec fermeté à ce que ce coût soit ajusté correctement en fonction des cours internationaux des matières énergétiques. M. Laurent Fabius a pris à cet égard des mesures importantes à la fin de la semaine dernière.
Il convient, au vu des prévisions faites par les professionnels eux-mêmes, de considérer que la période actuelle est une période de transition et qu'à court terme la montée en puissance des créations d'emplois rétablira un plus juste équilibre entre le secteur privé et le secteur public. Cette analyse ne dispense pas d'un suivi attentif des marchés publics et de la collecte d'informations précises sur l'évolution des prix.
S'agissant des marchés publics, il est conseillé aux maîtres d'ouvrage d'allotir au maximum leurs marchés et d'autoriser le recours aux variantes afin d'améliorer l'état de la concurrence et de permettre aux PME et aux artisans d'accéder à la commande publique.
Par ailleurs, la réforme en cours des marchés publics, dont l'objet principal est la simplification, devrait également faciliter l'accès des entreprises à la commande publique et contribuer, par ce biais, à rétablir l'équilibre entre secteur public et secteur privé.
S'agissant des prix, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a effectué, dans la première quinzaine de février, une enquête qui a montré, par rapport au début de l'année, une augmentation de 1,6 % des prix de certains matériaux de base au stade de la distribution et une progression de 1,4 % du prix des travaux.
Si ces observations n'indiquent pas de dérapages généralisés, il n'est pas exclu que, ponctuellement, des hausses de prix très sensibles soient constatées, telles que celles que vous avez évoquées. C'est pourquoi des consignes très strictes ont été données en matière de contrôles, notamment dans les marchés publics, afin de détecter toute pratique anticoncurrentielle qui révélerait des hausses artificielles préjudiciables aux donneurs d'ordres quels qu'ils soient. Cette orientation des contrôles n'est pas temporaire ; elle se poursuivra tout au long de l'année 2000.
M. Roland Muzeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau. Madame la secrétaire d'Etat, vous confirmez dans votre propos les inquiétudes qui sont les nôtres sur la dérive des prix. Mais vous indiquiez par ailleurs que les informations qui sont en votre possession font état, pour le mois de février dernier, d'une dérive des prix qui oscillerait entre 1,4 % et 1,6 %. Bien évidemment, vous avez perçu que ces informations ne correspondaient pas à celles que je vous ai données ici même et qui sont corroborées par plusieurs maîtres d'ouvrage de la région parisienne, de mon département, les Hauts-de-Seine, en particulier.
L'Ile-de-France est particulièrement concernée par ces phénomènes, et cette dérive des prix, que je dénonce et surtout que je déplore, est supérieure à celle qui apparaît à travers les chiffres qui sont donnés par vos services.
Nous savons tous que, dans un département comme les Hauts-de-Seine, qui est un département à forte attractivité pour les bureaux et pour l'accession à la propriété haut de gamme, les réponses qui sont faites par les entreprises sont extrêmement variables selon que les appels d'offres portent sur la construction de logements d'HLM ou bien sur 50 000 mètres carrés de bureaux ; chacun mesurera que la différence est notable.
Bien entendu, je prends en compte l'assurance que vous nous donnez d'un suivi attentif de vos services sur cette question très importante. Malgré tout, je ne suis pas pour autant rassuré face à la réalité, qui va incontestablement dans un sens opposé à la relance.

APPLICATION DE LA TVA