SEANCE DU 17 OCTOBRE 2000


M. le président. Je suis saisi de six amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 143, M. Hérisson, au nom de la commission des affaires économiques, propose d'insérer, après l'article 28 ter, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les sommes dues en exécution d'un marché public sont payées dans un délai maximal fixé par décret en Conseil d'Etat à compter de la date à laquelle sont remplies les conditions administratives ou techniques déterminées par le marché auxquelles sont subordonnés les mandatements et le paiement.
« Le défaut de paiement dans le délai prévu au 1er alinéa fait courir de plein droit et sans autre formalité, au bénéfice du titulaire ou du sous-traitant, des intérêts moratoires à compter du jour suivant l'expiration dudit délai.
« Les intérêts moratoires dus au titre des marchés des collectivités territoriales sont à la charge de l'Etat, lorsque le retard est imputable au comptable public.
Les cinq amendements suivants sont présentés par MM. Cornu, Courtois, Cazalet, Darcos, F. Giraud, Goulet, Lassourd, Le Grand, Murat, Besse et Bizet.
L'amendement n° 396 vise à insérer, après l'article 54 ter , une division additionnelle ainsi rédigée :

L'amendement n° 397 tend à insérer, après l'article 54 ter, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 178 du code des marchés publics est ainsi modifié :
« I. - Les paragraphes I et II sont remplacés par un paragraphe I, ainsi rédigé :

« I. - L'administration contractante est tenue de procéder au paiement des acomptes et du solde par virement dans un délai qui ne peut dépasser 45 jours ; toutefois pour le solde de certaines catégories de marchés, un délai plus long peut être fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie. Ce délai ne peut être supérieur à trois mois.
« Le délai de paiement est précisé dans le marché.
« Le défaut de paiement dans le délai prévu ci-dessus entraîne l'application d'une pénalité d'un pourcentage assis sur les sommes dont le paiement a été différé et fait courir de plein droit et sans autre formalité des intérêts moratoires au bénéfice du titulaire ou du sous-traitant.
« Le taux de la pénalité est fixé par décret en Conseil d'Etat. Elle sera appliquée dès le premier jour suivant l'expiration du délai de paiement. Les intérêts moratoires sont dus à partir du jour suivant l'expiration dudit délai de paiement et jusqu'au jour où les fonds sont mis à la disposition du titulaire.
« Le défaut de paiement de tout ou partie des intérêts moratoires lors du paiement du principal entraîne une majoration de 2 % du montant de ces intérêts par mois de retard. Le retard auquel s'applique le pourcentage est calculé par mois entiers décomptés de quantième à quantième. Toute période inférieure à un mois entier est comptée pour un mois entier. »
« II. - Le second alinéa du III est supprimé.
« III. - Dans les III, IV et V le mot : "mandatement" est remplacé par le mot : "paiement".
« IV. - En conséquence, les références "III", "IV" et "V" sont remplacées par les références "II", "III" et "IV" ».
L'amendement n° 398 a pour objet d'insérer, après l'article 54 ter, un article additionnel ainsi rédigé :
« La deuxième phrase de l'article 180 du code des marchés publics est complétée par les mots : ", à défaut, la date prise en considération sera celle de la facture augmentée de deux jours." » L'amendement n° 399 tend à insérer, après l'article 54 ter, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 186 ter du code des marchés publics est ainsi modifié ;
« I. - Les deux premiers alinéas sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« Au vu des pièces justificatives fournies par le sous-traitant et revêtues de l'acceptation du titulaire du marché, et dès réception de ces pièces, l'administration avise le sous-traitant de la date de réception de la demande de paiement envoyée par le titulaire et lui indique les sommes dont le paiement à son profit a été accepté par ce dernier. Ces sommes sont versées au sous-traitant dans le délai fixé au I de l'article 178.
« II. - Le dernier alinéa est ainsi rédigé :
« A l'expiration de ce délai, au cas où le titulaire ne serait pas en mesure d'apporter cette preuve, l'administration contractante dispose du délai prévu au I de l'article 178 pour payer les sommes dues aux sous-traitants à due concurrence des sommes restant dues au titulaire. »
L'amendement n° 400 vise à insérer, après l'article 54 ter, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Les articles 178 bis , 179, 179 bis et 353, la référence à l'article 178 bis dans les articles 180, 182, 186 et 352, et les trois premiers alinéas de l'article 352 bis du code des marchés publics sont supprimés.
« II. - A l'avant-dernier alinéa de l'article 186 bis , les mots : "au V de l'article 178 et au VII de l'article 178 bis ", sont remplacés par les mots : "au IV de l'article 178". »
La parole est à M. Hérisson, rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° 143. M. Pierre Hérisson, rapporteur pour avis. Actuellement, dans le domaine des marchés publics, l'administration ou la collectivité contractante ne fournit aux entreprises aucune date certaine de paiement. Seul le délai de mandatement est réglementé et sanctionné alors qu'il est interne à l'administration.
L'Etat se doit d'avoir envers ses fournisseurs la même rigueur que celle qu'il impose à ses contribuables notamment par les dispositions du code général des impôts.
Or, à ce jour, seul le délai de mandatement a été réduit de 45 jours à 35 jours maximum pour les marchés de l'Etat. Il est resté à 45 jours maximum pour les marchés des collectivités locales.
Depuis 1991, près de 250 conventions de paiement à 30 jours ont été signées, au niveau départemental, avec des maîtres d'ouvrage publics de tous types : la preuve est ainsi faite qu'il est possible, dans les marchés publics, de payer en 30 jours.
Par ailleurs, le Gouvernement, dans son document d'orientation pour la réforme du code des marchés publics, affirme que « des efforts importants ont été menés ces dernières années pour réduire les délais de paiement publics et que des progrès significatifs ont été enregistrés. Les délais de paiement publics soutiennent désormais la comparaison avec ceux qui sont pratiqués entre entreprises ; les délais de paiement de l'Etat, des collectivités locales et des établissements publics locaux sont en moyenne inférieurs à 40 jours ».
Il est donc parfaitement possible de fixer un délai maximal de paiement à 40 jours.
La partie du code des marchés publics concernant les délais de paiement est de nature réglementaire.
Toutefois, afin d'ouvrir le débat, il vous est proposé d'adopter un texte qui reprend une partie de l'article 16 de la proposition de loi adoptée par le Sénat le 10 février 2000 tendant à favoriser la création et le développement des entreprises sur les territoires.
Tel est l'objet de cet amendement, qui devrait instaurer, vous l'avez dit tout à l'heure vous-même, madame le secrétaire d'Etat, une réduction du délai de paiement, domaine où la France est considérée comme étant à la traîne par rapport aux autres pays de l'Union européenne.
M. le président. La parole est à M. Cornu, pour défendre les amendements n°s 396, 397, 398, 399 et 400.
M. Gérard Cornu. Ces amendements sont voisins de l'amendement n° 143.
Le problème réside effectivement dans la distinction entre ce qui est d'ordre réglementaire et ce qui doit figurer dans la loi. Pour ma part, je tenais surtout à alerter le Sénat sur le problème des délais de paiement, tout comme l'a fait M. Hérisson.
L'amendement n° 397 tend à permettre aux entreprises, aux fins de faciliter la gestion de leur trésorerie, d'être au moins payées à 45 jours par l'administration contractante. L'expérience a prouvé que de tels délais peuvent être respectés.
Les amendements n°s 398, 399 et 400 sont des amendements de conséquence.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. La commission des finances est très favorable à l'amendement n° 143 de la commission des affaires économiques. Cette initiative est tout à fait opportune et nécessaire dans la mesure où il ne paraît pas possible de transposer dans l'immédiat la directive européenne au sujet des paiements publics - c'est ce qui a été dit tout à l'heure lorsque nous avons transposé la directive européenne dans le texte du Gouvernement s'agissant des paiements privés - et que l'on ne peut pas se contenter d'un tel constat.
Il faut aller au devant des intérêts légitimes des entreprises dont les trésoreries peuvent parfois souffrir du fait de pratiques quelque peu dilatoires de certains donneurs d'ordre ou maîtres d'ouvrage publics, et les solutions de notre collègue Pierre Hérisson permettent de satisfaire les préoccupations ainsi exprimées.
Le texte dont il s'agit est, de notre point de vue, bien articulé, notamment en ce sens qu'il renvoie au décret pour la détermination du délai maximal et qu'il traite du cas où un retard de règlement d'une collectivité serait imputable au comptable public.
C'est un point de responsabilité délicat, effectivement, qu'évoquait M. Laurent Fabius au début de la discussion de la loi, et qu'évoquait, par ailleurs, M. Michel Charasse en commission l'autre jour. Le dispositif de l'amendement de M. Hérisson y apporte une réponse : lorsque c'est le comptable public qui est responsable, il appartient naturellement à l'Etat de compenser le préjudice subi par la trésorerie de l'entreprise à laquelle une commande a été faite.
Les amendements de M. Cornu, qui visent à atteindre exactement les mêmes objectifs et reposent sur la même logique, seront satisfaits par l'amendement n° 143. Leur auteur sera donc, je l'espère, lui-même satisfait que la direction qu'il nous montre ait été suivie par la commission des affaires économiques, grâce à un dispositif qui nous semble parfaitement acceptable.
M. le président. Monsieur Cornu, vos amendements sont-ils maintenus ?
M. Gérard Cornu. Je partage le point de vue de M. le rapporteur, mais l'amendement n° 143, s'il précise le délai maximal fixé par décret, ne nous donne malheureusement pas de certitude sur le temps et le délai accordés. Aussi souhaiterais-je connaître l'avis du Gouvernement compte tenu des explications de M. Hérisson. En effet, la commission des affaires économiques et moi-même demandons la réduction du délai.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'ensemble de ces amendements ?
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement aussi pense qu'il faut conclure le plus rapidement possible ce débat. M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie s'est engagé à proposer une réécriture du code des marchés publics. Nous souhaitons au moins que toutes les dispositions réglementaires fassent l'objet d'une concertation très prochainement et soient adoptées d'ici à la fin de cette année.
Il s'est engagé à mener une réelle concertation, y compris sur les délais de paiement entre les ordonnateurs et les comptables. La situation doit être en effet clarifiée.
J'ai bien écouté vos arguments sur la responsabilité des uns et des autres, y compris sur les procédures. Il faut être clair en la matière, savoir qui est responsable et de quoi. Une concertation doit être menée parallèlement à la simplification du code des marchés publics et nous nous sommes engagés à le faire avec le comité des finances locales, ce qui paraît indispensable.
De plus, comme je le rappelais tout à l'heure, nous engagerons une consultation formelle, même si nous savons que, d'ores et déjà, l'Association des maires de France, l'Assemblée des départements de France et l'Assemblée des régions de France estiment que les retards sont essentiellement dus aux comptables.
Des procédures doivent être revues pour les ordonnateurs, qui sont aussi inquiets en l'absence d'une répartition claire de la responsabilité des uns et des autres.
Nous avons là un véritable sujet sur lequel une concertation rapide doit être engagée. Je pense qu'en une ou deux séances, à partir du moment où sont présentées des propositions en matière de procédure et de responsabilité - car en face de la procédure, il faut un responsable -, il est possible d'aboutir à un délai de paiement raisonnable et qui tienne compte de l'ensemble des difficultés des autres procédures.
Prenons l'exemple d'un marché public dans le secteur du bâtiment, pour ne citer que le plus simple, pour lequel 90 % des frais sont acquittés, mais 10 % sont liés à une procédure de conformité. Or il faut obtenir les certificats de conformité avant de pouvoir solder définitivement le marché. Peut-être conviendra-t-il de préciser que les procédures de conformité visent une enveloppe et non la totalité ? Voilà le genre de points sur lesquels la négociation devra être aussi claire que possible.
Je suis d'autant plus sensible à ce sujet que les entreprises qui ont les plus grandes difficultés de trésorerie sont très souvent les cotraitants et les sous-traitants de leurs donneurs d'ordres qui s'abritent derrière les délais de paiement pour ne pas payer les marchés échelonnés. C'est pourquoi, en parallèle au délai de paiement, nous voulons clarifier à nouveau non seulement l'attribution par lots des marchés, ce qui est déjà possible pour les collectivités territoriales, mais aussi le paiement par lots avec des délais de paiement pour ce dernier cas. Cela soulève un problème qui n'est pas réglé à ce jour - autrement nous aurions accepté tous les amendements -, celui de savoir, une fois x lots payés, sans réserve, qui est responsable d'un éventuel désordre dans le marché tel qu'il résultera, par exemple, d'une construction ?
Bref, il reste quelques points difficiles à négocier et ne pas mener à bien la concertation conduirait à un texte « mal taillé », si vous me permettez cette expression, qui engendrerait d'autres difficultés tant pour les entreprises que pour les collectivités territoriales en particulier. Je souhaite donc que vous preniez en compte cette considération et que vous retiriez ces amendements. Ils ont le mérite d'avoir ouvert un débat nécessaire - la preuve en est que quelques points restent à éclaircir en droit et au fond -, même s'ils ne sont pas acceptables en l'état. Pour ma part, je m'engage, derrière Laurent Fabius, à ce que la procédure aille très vite.
M. Pierre Hérisson, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Pierre Hérisson, rapporteur pour avis. Madame le secrétaire d'Etat, je comprends très bien les arguments que vous avez développés ; la fixation du délai de paiement est du domaine réglementaire et il ne s'agit pas, pour nous, de nous substituer au pouvoir réglementaire. Toutefois, il appartient au législateur de dire à qui il s'applique ; nous sommes donc tout à fait dans notre rôle.
Par ailleurs, vous exposez le problème qui se pose entre les titulaires des marchés et les sous-traitants. Je rappelle qu'il est de l'initiative du sous-traitant de demander le paiement direct sans avoir besoin d'obtenir l'accord de l'entrepreneur principal. Il y a là une pratique qui peut être généralisée et qui protège le sous-traitant dans la mesure où il en demande l'application.
Toutefois, le problème que vous soulevez met en évidence l'un des motifs principaux du retard de paiement imputable au comptable public. En effet, en cas de demande de paiement direct, s'il n'est pas nécessaire d'obtenir l'accord de l'entrepreneur titulaire du marché, en revanche, il est nécessaire d'obtenir un certain nombre de pièces. Si celles-ci ne sont pas fournies dans les délais, le comptable public ne peut pas payer le sous-traitant. Il y a donc un certain nombre de mécanismes qui posent problème aujourd'hui.
En conséquence, je demande au Sénat d'adopter l'amendement n° 142 - on en connaît bien sûr le sort final - de façon à faire avancer les choses.
Enfin, madame la secrétaire d'Etat, si dans le cadre des consultations concernant la réforme du code des marchés publics, le Sénat pouvait être consulté également, comme le comité des finances locales et l'association des maires de France, ce ne serait peut-être pas si mal !
MM. Philippe Marini, rapporteur, et Gérard Cornu. Très bien !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 143.
M. Bernard Dussaut. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dussaut.
M. Bernard Dussaut. Notre groupe votera contre cet amendement n° 143. Si nous ne sommes pas fondamentalement contre le fond, je crois que cet amendement n'a pas lieu d'être dans ce texte qui traite exclusivement de contrats privés. Ce délicat problème de retards de paiement dans les marchés publics devrait être abordé dans un futur texte, comme le rappelait Mme le secrétaire d'Etat. Par conséquent, monsieur le rapporteur pour avis, nous ne pouvons vous suivre sur ce plan.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 143, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 28 ter, et les amendements n°s 396, 397, 398, 399 et 400 n'ont plus d'objet.
2Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq.)