SEANCE DU 18 OCTOBRE 2000


M. le président. « Art. 20 quater A. - Les architectes des Bâtiments de France ne peuvent, sauf circonstances exceptionnelles définies par décret, exercer de mission de conception ou de maîtrise d'oeuvre pour le compte de collectivités publiques autres que celles qui les emploient ou au profit de personnes privées dans l'aire géographique de leur compétence administrative. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 77, M. Althapé, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet article :
« Les architectes des Bâtiments de France ne peuvent exercer de mission de conception ou de maîtrise d'oeuvre pour le compte de collectivités publiques autres que celles qui les emploient ou au profit de personnes privées dans l'aire géographique de leur compétence administrative. »
Par amendement n° 246, MM. Bellanger, Pastor, Plancade, Vézinhet et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit ce même article :
« Les architectes des Bâtiments de France ne peuvent pas exercer de mission de conception ou de maîtrise d'oeuvre pour le compte de collectivités publiques autres que celles qui les emploient ou au profit de personnes privées dans l'aire géographique de leur compétence administrative.
« Il peut être dérogé aux dispositions prévues à l'alinéa précédent dans des circonstances exceptionnelles définies par décret. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n°77.
M. Louis Althapé, rapporteur. En première lecture, le Sénat a adopté cet article, qui interdit aux architectes des Bâtiments de France d'exercer des missions de conception ou de maîtrise d'oeuvre pour le compte de collectivités publiques autres que celles qui les emploient ou au profit de personnes privées dans l'aire géographique de leur compétence administrative.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a, contre l'avis de son rapporteur et après un intense débat, limité la portée de l'incompatibilité votée au Sénat en prévoyant que les architectes des Bâtiments de France pourraient cumuler leurs fonctions administratives et leur activité libérale dans des « circonstances exceptionnelles définies par décret ».
La commission des affaires économiques estime que ce libellé est imprécis - il semble impossible de définir par décret des circonstances « exceptionnelles » - et qu'il menace de laisser perdurer nombre de situations de conflit de compétences parfaitement inacceptables.
Aussi, vous demande-t-elle, mes chers collègues, de rétablir le texte adopté par la Haute Assemblée en première lecture.
M. le président. La parole est à M. Bellanger, pour présenter l'amendement n° 246.
M. Jacques Bellanger. Nous avions voté le texte présenté par la commission en première lecture. L'Assemblée nationale ne l'a pas retenu et en a présenté un autre. La commission propose de rétablir le sien mais, vraisemblablement, l'Assemblée nationale reviendra à sa propre rédaction, ce qui ne nous satisferait que moyennement.
C'est pourquoi nous proposons une rédaction plus claire en scindant en deux paragraphes l'article 20 quater A. Le décret ne vise ainsi que le second alinéa de l'article.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 246 ?
M. Louis Althapé, rapporteur. L'amendement défendu par notre collègue M. Bellanger ne me semble pas répondre à l'objectif que nous poursuivons.
Certes, comme le dit notre collègue, le décret ne vise que le second alinéa du texte. Cependant, je considère, d'une part, qu'il n'est pas possible de définir a priori des circonstances exceptionnelles, comme je l'ai dit il y a un instant, et, d'autre part, qu'il ne serait pas convenable de renvoyer à un décret au motif que l'on espère que celui-ci ne sera pas pris.
J'ajoute que le texte adopté par l'Assemblée nationale aboutit à ne rien changer au texte en vigueur, qui prévoit d'ores et déjà que l'exercice d'une activité privée est interdit aux architectes des Bâtiments de France, mais qui, comme chacun le sait, n'est pas appliqué.
J'ai entre les mains un excellent rapport couleur brique...
M. Jean-Pierre Plancade. Pour un architecte c'est normal ! (Sourires.)
M. Louis Althapé, rapporteur. ... qui vient du ministère de la culture, service de l'inspection générale.
Je vous donne lecture d'un extrait de ce rapport : « Le décret, dans son article 4, dispose très clairement que les architectes en question ne peuvent - et c'est souligné - exercer une mission de conception, de maîtrise d'oeuvre pour le compte de collectivités publiques autres que celle qui les emploie ou au profit de personnes privées, si cette mission concerne l'aire géographique où ils ont compétence en qualité de fonctionnaires ou d'agents publics. »
C'est pour cela, mon cher collègue, que l'avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les deux amendements ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement a bien saisi que le Parlement voulait faire de cette question un débat fort : il s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée quant aux conclusions à tirer sur ces deux amendements.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 77.
M. Patrick Lassourd. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd. Sur ces deux amendements n°s 77 et 246 qui sont en discussion commune, il faut cesser de tourner autour du pot. On sait bien qu'effectivement, en droit, les architectes des Bâtiments de France n'ont pas le droit d'exercer à titre libéral une maîtrise d'oeuvre dans leur circonscription, mais on sait bien aussi qu'ils le font.
Dans ces conditions, il importe d'envoyer un signal très fort pour que ces pratiques cessent, d'autant plus qu'on connaît fort bien également la façon dont ils procèdent lorsqu'ils s'autodésignent dans une petite commune pour être le maître d'oeuvre de la rénovation d'une église, par exemple. En général, ils sont munis d'une liste des entreprises qu'ils recommandent de contacter parce qu'elles seraient, à certains égards, paraît-il, plus compétentes que les autres pour effectuer les travaux dans les normes.
Il faut mettre un terme à ces pratiques. Les architectes des Bâtiments de France sont des fonctionnaires et nous les apprécions parce qu'ils nous aident à préserver un patrimoine. Il ne peut pas y avoir d'amalgame.
C'est pourquoi je ne suis pas favorable à l'amendement n° 246 de notre collègue M. Bellanger, qui laisse la porte ouverte à des abus - et l'on connaît très bien le lobby des architectes des Bâtiments de France, qui est extrêmement puissant. Je crois qu'il faut en rester à une lecture rigide.
M. Ladislas Poniatowski. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Je me prononcerai, bien sûr, en faveur de l'amendement de la commission et, comme il va vraisemblablement être adopté, celui de notre collègue Bellanger tombera.
Mais à l'excellent argument de mon collègue Patrick Lassourd je voudrais en ajouter un autre en disant que le texte présenté par M. Bellanger est très vicieux : il aboutit tout simplement à proposer de maintenir la situation actuelle.
Que se passe-t-il aujourd'hui ? Par dérogation, un architecte des Bâtiments de France peut effectivement exercer partout, y compris d'une manière un peu anormale, situation à laquelle nous voulons remédier.
Or tous les architectes demandent cette dérogation et tous l'obtiennent. Autrement dit, tous les architectes des Bâtiments de France peuvent être partie prenante dans une décision et ensuite la réaliser eux-mêmes, ce qui est particulièrement scandaleux. Cela va même plus loin aujourd'hui : certains se permettent de le faire sans même demander l'autorisation. Par cette petite phrase, M. Bellanger propose tout simplement d'en revenir à la situation actuelle.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous en être remis à la sagesse de la Haute Assemblée. De même, à l'Assemblée nationale, vous aviez fait appel à celle des députés, alors que la commission avait émis un avis favorable. J'espère que cette sagesse que vous souhaitez aujourd'hui se vérifiera, ici comme au Palais-Bourbon, et que nous serons nombreux à voter l'amendement de notre rapporteur M. Louis Althapé.
M. Jacques Bellanger. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger. Visiblement, nous ne nous sommes pas compris, mais, après tout, nous n'allons pas tenter l'impossible. Nous étions d'accord sur le fond. On nous dit que nous allons aboutir au résultat inverse de celui que nous recherchons. Libre à chacun de le penser, mais nous, nous considérons qu'il est parfois plus utile de faire les choses que de dire qu'on va faire les choses en les rendant impossibles. Visiblement, c'est votre choix monsieur le rapporteur. Assumez-le ! Nous retirons notre amendement, nous allons voter le vôtre, et nous verrons le résultat.
M. le président. L'amendement n° 246 est retiré.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 77, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 6:

Nombre de votants 312
Nombre de suffrages exprimés 312
Majorité absolue des suffrages 157
Pour l'adoption
312(Applaudissements.)

En conséquence, l'article 20 quater A est ainsi rédigé.

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