SEANCE DU 22 NOVEMBRE 2000


M. le président. Je suis maintenant saisi de deux amendements qui peuvent faite l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 2 rectifié, MM. Collin, Baylet, André Boyer et Delfau proposent d'insérer, après l'article 2, un article additionnnel ainsi rédigé :
« Par dérogation aux dispositions de l'article L. 227 du code électoral, le mandat des conseillers municipaux élus en Polynésie française sera soumis à renouvellement les 13 et 20 mai 2001. »
Par amendement n° 4, M. Allouche et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Par dérogation aux dispositions de l'article L. 227 du code électoral, le prochain renouvellement des conseillers municipaux de Polynésie française aura lieu en même temps que le renouvellement des membres de l'assemblée de la Polynésie française, en mai 2001.
« Le mandat des conseillers municipaux de la Polynésie française sera soumis à renouvellement en mars 2007. »
La parole est à M. Collin, pour défendre l'amendement n° 2 rectifié.
M. Yvon Collin. Cet amendement vise à modifier la date des élections municipales.
En effet, le renouvellement des conseillers membres de l'assemblée de Polynésie française est normalement prévu le 13 mai 2001. Un décret du ministre de l'intérieur a fixé le renouvellement des conseils municipaux les 11 et 18 mars 2001.
Or, la superficie de la Polynésie, la complexité des liaisons inter-îles rendent difficile et surtout coûteuse pour les partis politiques locaux l'organisation de deux campagnes électorales en un si court laps de temps.
Aussi, nous proposons de ne pas dissocier les élections municipales et territoriales en Polynésie française. Le premier tour des municipales serait donc repoussé au 13 mai, en simultanéité avec les élections territoriales. Le deuxième tour des municipales interviendrait, quant à lui, le 20 mai 2001.
M. le président. La parole est à M. Allouche, pour défendre l'amendement n° 4.
M. Guy Allouche. Cet amendement va dans le même sens que celui que vient de présenter à l'instant mon collègue et ami Yvon Collin.
Dans son propos liminaire, M. le secrétaire d'Etat a fait état des raisons qui inciteraient à cette concomitance d'élections. Je voudrais rappeler pour ma part que, lorsque notre ancien collègue M. Pierre Mazeaud avait proposé de décaler dans le temps, pour des raisons d'ailleurs justifiées, l'élection de la nouvelle assemblée pour qu'elle ait lieu simultanément à la mise en place du statut, nous avions cru comprendre à l'époque que c'était une mesure dérogatoire et qu'on en reviendrait ensuite au cycle normal.
Aujourd'hui, je pense que, pour des raisons de bon sens et pour éviter un grand nombre de désagréments à nos compatriotes polynésiens, qui se verraient obligés de se déplacer plusieurs fois - nous nous plaignons tous du taux important d'abstentions qui règne dans toute la République française - il serait opportun de repousser les élections municipales.
Nous avons déjà eu l'occasion au cours de ces dernières années de changer la date d'élection. Je rappelle qu'en 1995 les élections municipales ont été déplacées à cause d'un autre scrutin national, tout aussi important, voire plus important puisqu'il s'agissait du premier d'entre les scrutins. Il est donc devenu relativement fréquent que le Parlement tienne compte de circonstances exceptionnelles pour déplacer telle ou telle élection.
J'ajoute qu'en mars 2001, en métropole, nous allons voter et pour des municipales et pour des cantonales. La concomitance n'est donc pas un fait exceptionnel. Comme la jurisprudence du Conseil constitutionnel nous enseigne qu'il est préférable d'allonger un mandat que de le raccourcir, j'ai pensé qu'il était judicieux de repousser de quelques semaines le scrutin municipal.
Enfin, je reprendrai un argument qu'a invoqué M. le secrétaire d'Etat : il n'y a pas de démocratie sans moyens.
Si la démocratie n'a pas de prix, elle a un coût et, pour qu'elle soit respectée, il faut tenir compte de la spécificité polynésienne, des conditions d'éloignement et permettre à toutes les formations politiques d'accéder, autant que faire se peut, à une égalité, non seulement de traitement, mais également de moyens.
Or nous savons que les moyens des différentes formations politiques polynésiennes sont très disparates. Ce serait, me semble-t-il, une manifestation de démocratie vivante que de donner aux petits partis l'occasion de participer aux deux scrutins.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n° 2 rectifié et 4 ?
M. Lucien Lanier, rapporteur. L'article 227 du code électoral dispose en substance, que les conseillers municipaux sont renouvelés intégralement au mois de mars, à une date fixée au moins trois mois auparavant.
Comme pour l'ensemble des communes françaises, les élections municipales en Polynésie française sont donc fixées au mois de mars prochain.
L'amendement n° 2 rectifié tend à déroger à cette règle en proposant de différer la date des élections municipales en Polynésie française en la reportant du mois de mars au mois de mai, afin que ces élections aient lieu au même moment que les élections territoriales visant au renouvellement de l'assemblée de la Polynésie française.
La seule raison invoquée est une raison d'économie de déplacement. Soudainement se trouve posé ce problème, que je considère tout de même beaucoup moins important que la sanction que pourrait prendre le Conseil constitutionnel !
En effet, s'il admet la possibilité de différer la date d'élections, il l'a assortie d'une série de conditions : l'existence d'une justification d'intérêt général ; le caractère limité dans le temps de l'allongement des mandats en cours et le caractère exceptionnel et transitoire de la prorogation des mandats ; enfin, l'exigence que la différence introduite dans la durée des mandats pour un même type d'élection reste provisoire, de même que la différence de traitement quant à la périodicité suivant laquelle les électeurs exerceront leur droit de vote.
Le dispositif proposé par M. Collin paraît en contradiction avec cette jurisprudence du Conseil constitutionnel sur au moins deux points : le décalage du mois de mars au mois de mai pour le déroulement des élections municipales et la différence de traitement quant à la périodicité suivant laquelle les électeurs exerceront leur droit de vote.
En outre, bien que le Conseil constitutionnel ne semble pas avoir eu à se prononcer sur une situation similaire jusqu'à présent, il ne paraît pas possible qu'une élection, certes locales, mais organisée au niveau national, puisse de dérouler à des dates différentes dans une collectivité particulière et sur le reste du territoire. Je ne veux pas employer de grands mots, mais je pense que cela porterait atteinte au principe constitutionnel d'indivisibilité de la République.
M. Allouche, conscient des difficultés que je viens d'exposer, a déposé un autre amendement. Il a précisé que c'était uniquement pour les prochaines élections municipales qu'il proposait de différer la date et que ce report ne se reproduirait pas par la suite.
En tout cas, pour ma part, je ne vois vraiment pas l'absolue nécessité d'un tel report. S'il est dicté par de simples raisons d'économie, c'est vraiment transgresser une règle générale applicable à l'ensemble de la République pour un motif véniel !
L'amendement de M. Allouche tend donc à satisfaire le critère du caractère exceptionnel du report de la date de l'élection, mais demeure le grief essentiel : il paraît difficilement admissible de réserver un sort particulier à une collectivité pour une élection organisée au niveau national, ce qui porte atteinte, qu'on le veuille ou non, au principe d'indivisibilité de la République. Cela pourrait, à mon avis, servir de prétexte à d'autres ouvertures plus dangereuses que celle qui est proposée aujourd'hui.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des lois émet un avis défavorable sur les deux amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. M. le rapporteur - je ne crois pas que tel était le sens de sa démonstration ! - m'a totalement rassuré quant à la position que pourrait prendre le Conseil constitutionnel sur ces deux amendements.
Si le Parlement adoptait cette disposition, il s'agirait bien d'un cas exceptionnel et provisoire puisque, la durée des mandats étant différente, la même situation ne se reproduit que tous les trente ans.
Par ailleurs, sur le fond, ces amendements soulèvent une question d'intérêt général. J'ai beaucoup entendu parler, lors de mon déplacement en Polynésie, de cette concomitance des scrutins, Aussi, ces amendements me semblent très opportuns.
Tout à l'heure, M. Flosse nous a donné une leçon de géographie. Tous ceux qui ne connaissent pas bien la Polynésie l'ont appréciée. Il faut savoir en effet que, si on la plaque sur la carte de l'Europe, la Polynésie s'étend de l'Italie à la Norvège et de l'Irlande à l'Ukraine. La conduite d'une campagne électorale exige donc un investissement considérable à titre personnel et en termes de moyens. Deux campagnes successives, à quelques semaines d'intervalle, ne feraient qu'accroître cette lourde charge.
Le principal objectif de ces amendements est donc de réduire le coût de ces consultations pour l'ensemble des acteurs de la démocratie en Polynésie. Il y a donc un objectif d'économie, mais aussi un objectif citoyen, celui d'accroître la participation aux scrutins.
Le dispositif proposé vise donc à reporter la date des élections municipales à celles des élections territoriales. D'autres solutions auraient pu être retenues, comme le rapprochement des deux dates mais elles auraient peut-être posé d'autres problèmes juridiques.
Je pense que les deux assemblées devraient trouver sur ce point un accord, pour le respect de l'égalité entre les candidats et la participation du plus grand nombre possible de citoyens polynésiens à ces deux scrutins qui les concernent tout particulièrement.
C'est pourquoi, sur ces deux amendements, je m'en remettrai à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2 rectifié.
M. Gaston Flosse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Flosse.
M. Gaston Flosse. Nous sommes opposés aux amendements n°s 2 rectifié et 4 pour des raisons de fond, et les arguments avancés par nos collègues MM. Allouche et Collin ne nous ont pas du tout convaincus.
M. Allouche soutient que, si les deux scrutins ont lieu le même jour, le taux de participation sera peut-être plus important. C'est absolument faux ! En Polynésie française, le taux de participation est toujours élevé. Ainsi, lors de la dernière élection présidentielle, c'est en Polynésie française qu'on a enregistré le plus fort taux de participation de toute la République.
M. Josselin de Rohan. C'est là que M. Chirac a obtenu le plus de voix !
M. Gaston Flosse. Aux dernières élections européennes - et Dieu sait si l'Europe est loin de nous ! - le taux de participation de la Polynésie française a été l'un des plus élevés, atteignant même 70 % des inscrits dans certaines communes.
En effet, les Polynésiens pensent profondément que voter est un devoir, et ils vont voter. Ce n'est donc pas parce que les scrutins seront séparés qu'ils n'iront pas voter : ils iront voter !
D'ailleurs, aux élections municipales ou à l'élection de l'assemblée de la Polynésie française, le taux de participation avoisine souvent les 80 %.
M. Allouche a également invoqué l'argument des moyens, et il a été rejoint par M. le secrétaire d'Etat. Nouvelle erreur !
En fait, de ce point de vue, selon qu'il s'agit de l'une ou l'autre élection, la situation est tout à fait différente, monsieur le secrétaire d'Etat. Vous avez tendance à trop écouter M. Vernaudon et vous ne nous écoutez pas suffisamment ! (Sourires.) Les élections municipales ne sont pas des élections politiques. Les partis politiques ne s'y impliquent pas. Dans les quarante-huit communes, monsieur le secrétaire d'Etat, aucun conseil ne porte l'étiquette de notre parti politique, le Tahoerra Huiraatira. Dans ma propre commune de Pirae, ma liste est toujours une liste d'union et d'action communale. Les partis politiques ne mènent donc pas de campagne pour les élections municipales. Cela signifie que nous n'avons pas à nous déplacer.
Il est si vrai que les élections municipales sont des élections purement locales qu'elles donnent souvent lieu à la constitution de listes où l'on retrouve pratiquement tous les partis. Nous voyons même parfois, à notre étonnement, certains de nos partisans s'allier avec des partisans de l'indépendance ! Ils sont simplement prêts à travailler ensemble pour le bien de leur commune.
Quoi qu'il en soit, pour les élections municipales, la question des moyens ne se pose donc pas.
Il n'en va pas de même, c'est vrai, pour les élections à l'assemblée : là, il faut se déplacer pour mener campagne. Mais ce n'est vrai que pour ces élections-là.
Pourquoi, en Polynésie, les citoyens n'éliraient-ils pas leurs conseillers municipaux en même temps que les autres citoyens de la République ? Sommes-nous donc des citoyens de seconde zone ?
Plusieurs sénateurs du RPR. Pas du tout !
M. Gaston Flosse. Bien sûr, en 1995, les élections avaient été différées, mais c'était uniquement parce que l'on attendait le vote de la loi statutaire : c'était tout à fait logique. Mais, aujourd'hui, quel est le motif exceptionnel qui justifierait le recul de la date ?
En fait, vous le savez bien, monsieur le secrétaire d'Etat, et mon collègue Guy Allouche le sait également, le motif est purement politique. Lorsque vous dites, monsieur le secrétaire d'Etat : « On m'a beaucoup parlé », ce sont les hommes de l'opposition qui vous ont parlé : M. Vernaudon, M. Oscar Temaru. Un point, c'est tout ! Les autres, la grande majorité des élus, n'ont pas demandé que les deux scrutins aient lieu simultanément.
Je demande donc à mes collègues de rejeter ces deux amendements.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat. Monsieur Flosse, vous combattez cette disposition avec beaucoup de passion, mais ce n'est pas ce qui me la rend sympathique.
Je me permets d'appeler votre attention sur le fait que, en métropole, il y aura concomitance des scrutins municipaux et cantonaux en 2001 : personne n'y voit une insulte à la démocratie.
Je vous rappelle en outre, après Guy Allouche, qu'à l'origine la simultanéité des scrutins était prévue pour 2001 et que c'est le vote d'un amendement de M. Pierre Mazeaud qui a conduit, pour des motifs tout à fait acceptables à l'époque mais qui n'ont plus lieu d'être aujourd'hui, à leur déconnexion.
Convenez avec moi que tout cela peut être abordé sans passion et que cette disposition n'est sans doute pas exempte de vertus !
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Pour répondre à M. le rapporteur ainsi qu'à Gaston Flosse, je vais reprendre ce que vient de dire M. le secrétaire d'Etat.
Cher Gaston Flosse, s'il n'y avait pas eu l'amendement Mazeaud ou si celui-ci avait bien précisé : « à titre exceptionnel pour 1995 », aujourd'hui, en Polynésie, les deux scrutins seraient concomitants. Qu'auriez-vous dit alors ? Que c'est politicien, que c'est une manoeuvre du Gouvernement et de Guy Allouche, qui sont à l'écoute constante d'Oscar Temaru, à ses ordres ?
Nous avons tous accepté le principe de l'amendement Mazeaud parce qu'il était évident qu'il fallait une coïncidence entre le nouveau statut et l'élection de la nouvelle assemblée. Mais je vous renvoie aux débats de 1995 : il expliquait lui-même que c'était à titre exceptionnel.
M. Gaston Flosse. Exceptionnel !
M. Guy Allouche. Aujourd'hui, il s'agit donc simplement de revenir au calendrier normal !
Si vous ne voulez pas que les élections municipales aient lieu en mai, je peux rectifier mon amendement pour que les élections à l'assemblée territoriale aient lieu en mars ! Cela étant, moi, je préfère qu'on allonge la durée du mandat des conseillers municipaux afin de ne pas nous attirer les foudres du Conseil constitutionnel. Toutefois, si vous tenez à ce que les élections municipales se déroulent en Polynésie en même temps qu'en métropole, je suis prêt à rectifier mon amendement.
Cher Gaston Flosse, je ne sais pas exactement ce qu'il en est en Polynésie mais, en métropole, quand j'entends un maire me dire qu'il est apolitique, je sais bien où il se place en fait sur l'échiquier politique... Je veux bien croire que certains maires ne soient pas partisans mais, en règle générale, quand on se dit « apolitique », c'est manifestement qu'on n'est pas de gauche ! (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan. Et c'est pour cela qu'il faut changer la date du scrutin !
M. Guy Allouche. Pour ce qui est du Conseil constitutionnel, moi, j'ai tendance à faire confiance à l'intelligence des hommes et des femmes qui le composent : je pense qu'ils sont à même de considérer qu'il y a des circonstances exceptionnelles. Quand ils prennent une décision en fonction d'une situation donnée, ils ne ferment pas toutes les portes ! La jurisprudence, par essence, est évolutive parce qu'elle peut tenir compte, aussi, des circonstances.
J'ai pris soin, dans l'objet de mon amendement, de préciser que le report resterait exceptionnel dans la mesure où, du fait de la durée des mandats, cette concomitance ne se reproduira pas.
Quant au civisme des Polynésiens, je ne peux que le saluer et m'en réjouir. Je voudrais bien que les métropolitains prennent exemple sur eux ! Raison de plus pour faire en sorte qu'ils soient encore plus exemplaires.
Encore une fois, monsieur Flosse, si vous souhaitez que les deux scrutins aient lieu en mars, sous-amendez mon amendement ou demandez-moi de le rectifier.
M. Gaston Flosse. Nous souhaitons respecter la loi, et la loi prévoit le mois de mars pour le scrutin municipal !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié, repoussé par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4, repoussé par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement n'est pas adopté.)

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