SEANCE DU 22 NOVEMBRE 2000


RÉSORPTION DE L'EMPLOI PRÉCAIRE
DANS LA FONCTION PUBLIQUE

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 20, 2000-2001) relatif à la résorption de l'emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu'au temps de travail dans la fonction publique territoriale. [Rapport n° 80 (2000-2001)].
Mes chers collègues, je vous rappelle que la conférence des présidents, en accord avec M. le ministre des relations avec le Parlement, a fixé le début de notre discussion budgétaire à demain matin à onze heures, à quinze heures et, éventuellement, le soir, dans le souci, notamment, de faire tenir la discussion générale dans une seule journée.
Le respect de cet ordre du jour suppose que nous terminions nos travaux au plus tard à deux heures.
Or je vous rappelle que, sur le projet de loi relatif à l'emploi précaire dans la fonction publique, neuf orateurs, outre le ministre et le rapporteur, interviendront dans la discussion générale et que nous aurons à examiner près d'une centaine d'amendements.
Le rappel de toutes ces données me conduit à appeler chacun d'entre vous - également vous-même, monsieur le ministre - à la plus grande concision, de telle manière que nous soyons en mesure de respecter notre ordre du jour de demain et, notamment, de commencer la discussion du budget à onze heures, dans le respect des décisions prises.
Je n'insiste pas davantage, chacun ayant compris ce qu'il y avait lieu de faire.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais m'efforcer de vous présenter ce texte, que je crois important, de la manière la plus complète et la plus rapide possible, en renvoyant à la discussion des articles mes arguments relatifs aux amendements qui ont été déposés.
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter ce soir n'est certes pas le premier du genre, nombre d'entre nous le savent. Depuis une cinquantaine d'années, l'Etat a été conduit sous des formes diverses à mettre en oeuvre une quinzaine de plans de titularisation, selon des modalités diverses et sur des champs plus ou moins larges. Le dernier en date, celui de la loi du 16 décembre 1996, mettait en place pour une durée de quatre ans des concours réservés pour l'essentiel aux agents non titulaires, maîtres auxiliaires ou relevant du premier corps de la catégorie C, pouvant justifier de leur présence au 14 mai 1996 et d'une ancienneté de quatre ans dans les huit années précédant cette date.
Nous arrivons à la fin de ce dernier plan, et deux constats s'imposent.
Ce plan s'est traduit par des résultats substantiels en termes de titularisation, puisque, au total, plus de 50 000 agents ont été reçus aux concours et titularisés, ce qui représente la moitié des effectifs recensés en début de plan. J'observe cependant que ces résultats sont inégaux selon que l'on regarde la fonction publique de l'Etat ou la fonction publique territoriale : pour l'Etat, nous devrions avoir titularisé sur les quatre ans 37 300 agents sur les 44 000 recensés en début de plan, soit 85 % des agents concernés, alors que, pour la fonction publique territoriale, moins de 10 000 agents seront titularisés sur les 50 000 recensés, soit moins de 20 %. Pour la fonction publique hospitalière, environ deux tiers des 5 600 agents recensés auront été titularisés. Il y a donc bien une réalité spécifique à la fonction publique territoriale, tant sur le plan de l'ampleur de l'emploi précaire que sur les difficultés à le résorber, qui doit nous faire réfléchir.
J'observe également que, pour ce qui est de la fonction publique de l'Etat, d'une part, le taux de titularisation est un peu supérieur pour les enseignants à ce qu'il est pour les non-enseignants et, d'autre part, environ 57 % de ces agents ont été titularisés par la voie de concours réservés prévus par la loi du 16 décembre 1996, et 43 % par la voie de concours ordinaires.
Mais ce bilan, positif en termes de titularisation, est négatif en termes de résorption de la précarité, puisque les indications que j'ai, comme vous, à ma disposition, montrent qu'il y a au moins autant de précarité aujourd'hui que voilà quatre ans.
Ce constat me conduit, avant que nous entrions dans la coeur du projet de loi, à faire deux remarques qui me paraissent importantes, et même essentielles.
Si l'on regarde les effectifs des ministères civils depuis vingt ans, et que l'on compare les évolutions des effectifs budgétaires et des effectifs réels, on voit que les effectifs réels évoluent d'une manière relativement indépendante des décisions budgétaires, et même dans les périodes où les décisions budgétaires ont été les plus restrictives les progressions en effectifs réels ont été très fortes : ainsi en 1993 et 1994 la loi de finances ne prévoyait-elle que 1 045 et 2 475 créations nettes d'emplois alors qu'en réalité les effectifs réels ont progressé en équivalents temps plein de 4 337 et 10 459.
Cela confirme et renforce la détermination du Gouvernement dans le choix politique qui consiste à privilégier la transparence, la modernisation et la gestion prévisionnelle, donc le renforcement de la démocratie par une information plus complète du Parlement et par la mise à sa disposition d'outils de décisions plus efficaces.
L'Observatoire de l'emploi public, créé par le décret du 13 juillet 2000, installé le 18 septembre dernier et auquel participent deux parlementaires dont, bien entendu, un sénateur, est l'un des outils de cette modernisation et de cette gestion prévisionnelle à laquelle je suis, pour ma part, tout particulièrement attaché. Cet observatoire est en train de préparer son programme de travail, avec, en priorité, l'anticipation du bouleversement démographique que va connaître la fonction publique dans les dix à quinze prochaines années, mais également, à très court terme, l'analyse du recensement exhaustif et précis des agents non titulaires actuellement conduit par les services de l'Etat.
M. Jacques Mahéas. Très bien !
M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. La seconde remarque est tout aussi importante : nous ne devons plus mettre en place de dispositif exceptionnel de titularisation des agents en situation de précarité sans prévoir dans le même temps des réformes qui empêchent la reconstitution de la précarité, c'est-à-dire le recrutement de nouveaux contractuels au lieu et place de ceux que nous titularisons. Mon souhait est d'en finir avec le tonneau des Danaïdes de la précarité. Je crois que ce projet de loi le permet.
Ce texte comporte, vous le savez, trois volets. Le premier porte sur la résorption. Le deuxième, qui est en cohérence avec les choix du Gouvernement en matière de gestion prévisionnelle, prévoit des dispositions propres à limiter la précarité pour l'avenir. Enfin, le troisième concerne le temps de travail dans la fonction publique territoriale, et je le commenterai de manière séparée.
Le 10 juillet dernier, le Gouvernement a conclu un protocole d'accord avec six des sept organisations syndicales représentatives des fonctionnaires. C'est ce protocole d'accord que, très fidèlement, j'ai cherché à traduire dans le présent projet de loi.
S'agissant du titre Ier sur la résorption de l'emploi précaire, de manière plus large que le dispositif précédent, le Gouvernement propose d'organiser, selon des modalités adaptées, des concours réservés, des examens professionnels ou des titularisations sur titres au profit des agents recrutés à titre temporaire par l'administration pour assurer des fonctions qui sont normalement dévolues à des agents titulaires.
Il s'agit bien de résorber la précarité, c'est-à-dire des situations d'emploi dont la continuité n'est pas assurée aux agents concernés. C'est pourquoi le plan, qui est un plan sur cinq ans, ne concerne pas les agents recrutés en contrat à durée indéterminée, dont la situation ne relève pas, à l'évidence, d'une problématique de précarité.
Le Gouvernement a souhaité assouplir les conditions à remplir par les agents, compte tenu des limites, voire parfois des difficultés rencontrées dans l'application du dispositif précédent.
Sur la base d'un socle commun, le projet de loi contient des dispositions spécifiques à chacune des trois fonctions publiques. Je vous renvoie à la fois au texte du projet de loi et à l'excellent rapport de M. Hoeffel pour en analyser les éléments les plus détaillés.
Les dispositions relatives à la modernisation du recrutement, qui font l'objet du titre II, relèvent de trois approches convergentes vers le même objectif de réduction de la précarité : compte tenu des considérations actuelles d'emploi des titulaires, n'utiliser le recrutement de contractuels que lorsque l'emploi de titulaires s'avère impossible ou inadapté, adapter les concours de manière à en faciliter l'accès aux agents non titulaires et améliorer les processus d'organisation des concours et de gestion prévisionnelle des effectifs.
Monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais immédiatement évoquer la disposition de l'article 13 du projet de loi relative aux emplois à temps non complet des communes de moins de 2 000 habitants, que la commission des lois du Sénat propose de supprimer.
Maires pour beaucoup d'entre nous, nous savons tous ce dont il s'agit : depuis la loi du 13 juillet 1987, les communes de moins de 2 000 habitants peuvent conclure des contrats à durée déterminée pour pourvoir des emplois permanents à temps non complet de quotité inférieure au seuil de la CNRACL, la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. Cette disposition a constitué une souplesse de gestion utile dans la mesure où, à l'époque, les modes de recrutement et les conditions d'emploi des titulaires de la fonction publique territoriale n'étaient pas encore totalement stabilisés.
Depuis cette loi, plusieurs lois ou règlements sont venus modifier cette situation : il en est ainsi de dispositions de 1991 et de la loi du 27 décembre 1994, qui a autorisé le recrutement sans concours à l'échelle 2. Par ailleurs, des dispositions, dont l'usage s'étend progressivement, favorisent la mise à disposition en temps partagé d'agents titulaires recrutés par les centres de gestion.
Il apparaît donc aujourd'hui au Gouvernement que les conditions de recrutement et d'emploi des titulaires à temps non complet se sont considérablement assouplies. Elles nous permettent ainsi de traiter de manière plus déterminée la précarité à ce niveau.
J'ajoute - et en cela je confirme ce que j'avais déjà suggéré auprès de la commission des lois - que, si des dispositions conduisant à assouplir les règles de cumul sont présentées et peuvent rassurer totalement la représentation nationale sur ce point, le Gouvernement est prêt à entrer dans cette voie, étant entendu que de telles dispositions devraient, pour être juridiquement incontestables, concerner l'ensemble des trois fonctions publiques.
Je voudrais également insister sur les dispositions des articles 10, 13-IV et 14, qui sont largement communs aux trois fonctions publiques et qui concernent la modernisation des concours.
L'administration doit s'adapter dans les dix prochaines années non seulement parfois à de nouvelles missions, mais surtout, dans l'ensemble de ses compétences, à une nouvelle approche de l'exercice de ses missions, plus proche de l'usager et prenant en compte le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Les modes de vie évoluent, les carrières sont de moins en moins linéaires, les jeunes ont totalement assimilé la mobilité comme une composante de leur évolution de carrière. Dans le même temps, vous le savez, 40 % à 50 % des fonctionnaires, selon les secteurs, vont partir en retraite et vont devoir être remplacés.
Il nous faut donc revoir profondément les modes de recrutement et de gestion des carrières des agents des administrations publiques. Les dispositions du présent projet de loi constituent une première étape dans ce sens.
Le texte que je vous propose contient en effet l'extension des « troisièmes concours » à l'ensemble des corps pour lesquels un tel mode de recrutement s'avérerait pertinent. Cette voie, déjà mise en oeuvre dans les écoles d'administration générale - l'Ecole nationale d'administration et les instituts régionaux d'administration -, permettra le recrutement de personnes ayant de fortes compétences de terrain, ce qui complétera heureusement les compétences des lauréats des concours plus traditionnels.
Il s'agit également d'élargir la possibilité d'ouvrir des concours sur titres et d'instaurer - cela répondra pleinement, je crois, à certaines des préoccupations du Sénat - un principe de validation de l'expérience et des acquis professionnels pour l'accès aux concours. Sur ce dernier aspect, monsieur le rapporteur, je reprendrai volontiers l'un des amendements de la commission des lois visant à étendre ce principe aux collectivités territoriales.
Ces dispositions, complétées par une simplification des procédures et, pour la fonction publique de l'Etat, par une nouvelle étape dans la déconcentration de l'organisation des concours, permettront de rendre plus accessibles aux contractuels que l'administration est, en tout état de cause, amenée à recruter ponctuellement les voies ordinaires de recrutement et de titularisation, et devraient donc, pour l'avenir, limiter le renouvellement de situations de précarité.
Le projet de loi prévoit enfin, pour la fonction publique territoriale, quelques dispositions pratiques permettant de progresser dans la gestion prévisionnelle des effectifs, qui relève soit des centres de gestion pour les collectivités qui y sont affiliées, soit des collectivités elles-mêmes.
Enfin, le Gouvernement entend mettre en oeuvre un autre moyen d'éviter la reconstitution de la précarité, et il a commencé à le faire dans le cadre du projet de loi de finances pour 2001 : il s'agit de transformer des crédits de rémunération de contractuels en emplois budgétaires,...
M. Jacques Mahéas. Très bien !
M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. ... de sorte que les administrations n'aient pas la tentation de remplacer un contractuel titularisé par un nouveau contractuel. Le projet de loi de finances pour 2001 prévoit environ 5 000 créations d'emploi répondant à cette seule logique, et le programme pluriannuel pour l'éducation nationale prolonge sur trois ans cette politique. Enfin, le titre III relatif aux dispositions du temps de travail me paraît être un élément important du texte qui vous est soumis.
Aucun texte, ni législatif ni a fortiori réglementaire, n'établit jusqu'ici de règles en matière de temps de travail dans la fonction publique territoriale : c'est sur la jurisprudence que se fondent les normes en la matière.
La réforme de l'aménagement et de la réduction du temps de travail, organisée dans le cadre de la loi du 19 janvier 2000 pour les entreprises et dans le cadre du décret du 25 août 2000 pour la fonction publique de l'Etat, est l'occasion d'établir un cadre de principe homogène pour l'ensemble des salariés, et plus particulièrement pour les agents de la fonction publique. C'est l'esprit de l'article 15 proposé dans ce projet de loi, qui permet la mise en cohérence de la fonction publique de l'Etat et de la fonction publique territoriale. Cela signifie évidemment que ces évolutions réglementaires sont étudiées, discutées et décidées selon des processus parallèles dans les deux fonctions publiques : c'est ainsi que les dispositions que vous connaissez déjà pour l'Etat ont, en réalité, été préparées simultanément pour l'ensemble de la fonction publique. Les conseils supérieurs ont, par exemple, été réunis durant la même période, et, si le décret intéressant la fonction publique de l'Etat est déjà publié, ce n'est pas qu'il a été préparé avant, c'est simplement qu'il ne s'appuie pas sur une disposition législative préalable.
Les dispositions qui seront ainsi reprises dans le décret d'application de la présente loi sont donc la référence à l'horaire hebdomadaire de 35 heures sur la base d'un total annuel de 1 600 heures, les limites quotidiennes et hebdomadaires de l'amplitude horaire et les minima en matière de temps de repos, dispositions quasiment identiques à celles qui ont été prévues par la loi du 19 janvier 2000.
L'article de loi qui vous est soumis ainsi que le projet de décret prévu pour son application respectent ainsi scrupuleusement le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, en ce qu'il leur confie le soin de fixer toutes dérogations ou adaptations nécessaires.
J'ajoute que ce texte intéressant dans une large partie les collectivités locales, il m'a semblé utile de le présenter en premier lieu devant le Sénat, dont je connais l'attachement à tout ce qui les concerne.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Enfin, s'agissant de la fonction publique hospitalière, une disposition semblable sera également présentée au vote du Parlement. Les établissements publics de santé et les établissements sociaux et médico-sociaux sont régis en la matière par l'ordonnance du 26 mars 1982, qu'il conviendra donc d'abroger sur ce point. La ministre de l'emploi et de la solidarité n'a pu réunir pour l'instant les organisations syndicales représentatives sur ce sujet avant ce débat. Plutôt donc que de précipiter l'introduction de dispositions en cours de procédure parlementaire, le Gouvernement préfère introduire les dispositions relatives au temps de travail dans la fonction publique hospitalière dans le projet de loi sur la modernisation sociale qui vous sera présenté au début de l'année 2001.
S'agissant de la déclaration d'urgence, mesdames, messieurs les sénateurs, dont je sais qu'elle peut apparaître comme une brusquerie, quand bien même le texte est présenté en première lecture devant la Haute Assemblée, elle était malheureusement nécessaire pour assurer la continuité entre la précédente loi et le nouveau dispositif : toute solution de continuité risquait de faire de 2001 une année blanche pour la résorption de la précarité, et donc de léser les agents concernés.
Je tiens enfin à saluer l'excellent travail du rapporteur de la commission des lois, M. Hoeffel, qui, dans son rapport, a parfaitement su éclairer la Haute Assemblée sur les différents enjeux du texte que j'ai l'honneur, après que vous en aurez débattu, de vous demander d'adopter. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen).
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, répondant à votre appel, je m'en tiendrai, dans ce rapport oral, à l'essentiel, et je vous renvoie donc, mes chers collègues, à mon rapport écrit, qui est en distribution depuis quelques jours.
Vous avez choisi, monsieur le ministre, de déposer ce texte en premier lieu sur le bureau du Sénat, initiative que nous apprécions ; vous avez recours à la procédure de la déclaration d'urgence, ce que nous regrettons...
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ah ça, oui !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. ... d'autant plus qu'il s'agit d'un texte important concernant les trois fonctions publiques - la fonction publique d'Etat, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière - et visant un triple objectif : résorber l'emploi précaire, moderniser les procédures de recrutement et encadrer la réduction et l'aménagement du temps de travail dans la fonction publique territoriale.
Je ferai rapidement l'état de la situation au moment où ce texte vient en discussion en rappelant que, s'agissant de la résorption de l'emploi précaire, tous les contractuels ne se trouvent pas dans une situation précaire et qu'il ne s'agit pas de condamner en soi le recours aux agents contractuels.
La loi du 16 décembre 1996, dite « loi Perben », a entrepris un effort en direction de la résorption de l'emploi précaire ; mais force est de reconnaître que, malgré la titularisation de 55 000 agents, le nombre d'agents non titulaires de la fonction publique se maintient, d'où l'utilité de ce texte sur la résorption de l'emploi précaire.
Nous devons aussi regretter l'absence de gestion prévisionnelle des emplois publics, absence qui sera encore aggravée par la perspective des départs en retraite dans la décennie à venir et par le problème lourd de l'intégration de certains emplois-jeunes qui est devant nous. Il suffit de rappeler que partiront à la retraite d'ici à 2020 les trois quarts des agents en poste aujourd'hui dans la fonction publique d'Etat et les deux tiers des fonctionnaires territoriaux.
En ce qui concerne le troisième volet, celui du temps de travail dans la fonction publique territoriale, aucun texte législatif ou réglementaire n'établit actuellement la durée hebdomadaire du travail, et la jurisprudence administrative affirme qu'il appartient à l'autorité municipale de la fixer.
Monsieur le ministre, vous nous avez présenté de manière très complète ce projet de loi, et je n'ai rien à ajouter à cet égard. J'en viens donc à la position adoptée par la commission des lois sur ce texte. Je l'exposerai sous le triple volet de la précarité, du recrutement et de la réduction de la durée du travail.
La commission vous propose d'adopter le dispositif de résorption de l'emploi précaire, mes chers collègues. Elle estime toutefois que la méconnaissance par l'Etat employeur des effectifs concernés doit être dénoncée. Le problème - je le reconnais, monsieur le ministre - ne date pas d'aujourd'hui. De même, l'incidence financière du plan de résorption de l'emploi précaire mérite d'être précisée.
J'ajouterai un certain nombre d'observations.
La première concerne la surrémunération des fonctionnaires dans les départements d'outre-mer. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous en dire un peu plus sur ce sujet, dont je reconnais la complexité matérielle, certes, mais aussi psychologique ?
Deuxième observation : la condition de présence de deux mois sur une période de référence d'une année nous paraît insuffisante pour qualifier le lien existant entre l'agent concerné et la collectivité. La commission des lois proposera donc de porter la durée de cette présence de deux à quatre mois.
Enfin, dernière observation sur ce volet de la précarité, nous souhaitons interroger le Gouvernement sur les aménagements prévus pour les administrations parisiennes. Il convient de souligner, à ce propos, que le renvoi au pouvoir réglementaire ne constitue pas un blanc-seing accordé au Gouvernement, qu'il doit s'exercer sous le contrôle du législateur.
J'en viens au deuxième volet, la modernisation du recrutement. Il s'agit de favoriser la souplesse de gestion. Cela nous paraît fondamental, en particulier en ce qui concerne la fonction publique territoriale.
Il faut rappeler que le recrutement contractuel à temps non complet sur des emplois permanents dans les petites communes et leurs groupements correspond à un besoin réel.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Nous le vivons quotidiennement dans l'exercice de notre métier de maire.
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Sa suppression priverait les petites communes, 32 000 communes de France sur 36 000 ont moins de 2 000 habitants ! - d'une souplesse de gestion dont, aujourd'hui, elles peuvent faire usage.
Le quart des agents non titulaires occupant un emploi permanent sont des agents contractuels recrutés pour un service inférieur à trente et une heures trente par semaine.
S'agissant du cumul d'activités, nous souhaitons interroger le Gouvernement, notamment, sur l'interdiction, pour les agents, de travailler pour le compte de plusieurs employeurs publics ou privés alors qu'ils exercent, à temps parfois très partiel, des fonctions d'exécution.
M. Alain Vasselle. Eh oui !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Quelle suite envisage-t-il, par ailleurs, de donner aux propositions législatives et réglementaires formulées à ce propos par le Conseil d'Etat en 1999 ?
En tout état de cause et afin d'amorcer une réponse législative, la commission des lois proposera que l'on permette aux agents qui occupent un emploi à temps non complet dans les communes de moins de 2 000 habitants et dans leurs groupements, pour une durée inférieure à la moitié d'un temps plein, d'exercer une activité privée lucrative à titre professionnel dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.
Nous souhaitons également interroger le Gouvernement sur les conditions de rémunération des agents concernés.
Le problème se pose également de la prise en compte ou non de l'expérience professionnelle pour l'admission à concourir en externe dans la fonction publique territoriale. Cette expérience professionnelle est prise en compte dans le projet pour la fonction publique d'Etat et la fonction publique hospitalière, mais non pour la fonction publique territoriale.
M. Alain Vasselle. C'est scandaleux !
M. Jacques Mahéas. On va rectifier cela !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Or, actuellement - on peut, je crois, l'affirmer - une telle injection de sang nouveau, une telle ouverture sur l'extérieur, apparaissent utiles à la fonction publique territoriale.
J'en arrive au dernier volet, à savoir l'aménagement et la réduction du temps de travail.
Nous souhaitons que cette réforme s'exerce dans le respect de la libre administration des collectivités territoriales. Le passage aux 35 heures dans le secteur privé a montré l'importance d'un débat national à ce sujet. Est-il réaliste d'assimiler, à propos de l'aménagement et de la réduction du temps de travail, l'Etat, employeur unique, aux 60 000 employeurs locaux, en ne tenant pas compte de la très grande diversité de ces employeurs collectivités territoriales et de la souplesse de gestion qui doit leur être reconnue ?
Le principe de la parité et celui de l'unité de la fonction publique ne doivent pas conduire à méconnaître les spécificités de la fonction publique territoriale.
M. Jean-Pierre Schosteck. Très bien !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Et puis, la commission des lois tient à réaffirmer clairement la compétence de l'assemblée délibérante de la collectivité dans la détermination du temps de travail de ses agents.
Afin d'affirmer son attachement à l'objectif de l'aménagement du temps de travail - nous respectons le principe du 1er janvier 2002 - la commission des lois proposera que les collectivités territoriales se déterminent par référence aux conditions applicables aux agents de l'Etat, tout en tenant compte de la spécificité de leurs missions. Car ce sont les collectivités territoriales qui sont en mesure d'apprécier le coût financier du passage aux 35 heures, un passage qui doit être proportionné à leurs ressources et à leurs besoins en termes de services publics.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Très juste !
M. Paul Girod. S'il n'y avait que les coûts financiers !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les orientations de la commission des lois sur un texte dont elle approuve, sur l'essentiel, les principes, tout en affirmant la spécificité des collectivités. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes.
Mes chers collègues, je vous invite, une fois encore, à faire preuve de concision.
M. Alain Vasselle. On n'examine pas un texte de cette importance en séance de nuit la veille de la discussion du projet de loi de finances ! Ce sera du travail bâclé !
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, les rapports de l'Etat avec ses fonctionnaires sont vraiment d'actualité, avec les négociations salariales engagées il y a deux jours !
Vous avez vous-même, il y a quelques mois, dans la presse, donné votre point de vue sur un Etat plus transparent et plus efficace. J'en citerai deux courts extraits.
D'abord : « Nous avons de nombreux atouts pour réussir : une administration plus proche des citoyens, plus mobile, plus réactive ; nos fonctionnaires sont profondément attachés au service public, bien formés et inventifs lorsqu'on leur en donne la possibilité... »
Puis : « Le dialogue social ne saurait donc être une vaine incantation ; il est la condition de la réussite des réformes... ».
Aussi, monsieur le ministre, l'Etat doit donner l'exemple et montrer clairement que les salariés, en particulier les plus modestes d'entre eux, doivent avoir leur part de la croissance revenue.
Nous formons donc le voeu ici que les négociations salariales débouchent positivement et donnent confiance aux agents de la fonction publique. Car, bien évidemment, la remise en chantier, au travers du projet de loi que nous examinons, de la résorption de la précarité dans la fonction publique doit aussi contribuer à donner confiance.
La précarité gangrène la fonction publique.
On connaît les chiffres : 13 % de personnels précaires dans la fonction publique d'Etat ; 34 % dans la fonction publique territoriale ; 5 % dans la fonction publique hospitalière selon l'INSEE, mais davantage selon les organisations syndicales.
Tout le monde le sait, ces chiffres sont à manipuler avec prudence et, de ce point de vue, la création d'un observatoire de l'emploi public, tel qu'il résulte de l'accord signé le 10 juillet 2000, est évidemment très positif.
Il va sans dire que, dans ce contexte, le projet de loi que nous examinons est attendu par un grand nombre de ceux qui ont fait le choix du service public et qui attendent de celui-ci une légitime reconnaissance.
La multiplication des emplois précaires dans la fonction publique a deux raisons principales.
La première, c'est le gel de l'emploi public érigé en dogme pendant des années, au moment même où l'Etat et les collectivités territoriales devaient faire face à une demande pressante de la part de nos concitoyens.
La seconde, c'est le retard pris depuis des années dans la modernisation des emplois, notamment dans la fonction publique territoriale.
Aussi serons-nous très attentifs à l'évolution des missions des groupes de travail mis en place par l'accord du 10 juillet dernier.
Dans la fonction publique territoriale, par exemple - mais ce n'est pas la seule - des missions exercées par nombre d'agents ne trouvent pas de cadre d'emploi statutaire. Ce phénomène est connu ; les informaticiens, les responsables de la communication, les musiciens, pour les villes dotés d'orchestre - les exemples sont, hélas ! très nombreux - ne peuvent et ne pourront être titularisés du fait même de l'inexistence des filières dans lesquelles ils exercent.
Le service public, pour se moderniser, doit intégrer de nouveaux métiers, de nouvelles compétences, et être capable en permanence de créer les corps nécessaires au plein accomplissement des missions d'un service public rénové. Est-ce justice que des milliers de personnes soient privées de cadre d'emploi du fait même de la lenteur de l'Etat et de ses administrations à se moderniser ?
Quant au gel de l'emploi public, il est battu en brèche - trop lentement, à mon goût, mais tout de même ! - par la vie elle-même. Aujourd'hui, la croissance que connaît notre pays, une redéfinition des missions des services publics, mais aussi les attentes diverses de nos concitoyens en matière de services publics rendent nécessaire le recrutement dans l'ensemble des trois fonctions publiques d'agents de l'Etat.
A la seule appréciation des investissements réalisés aujourd'hui par l'Etat ou les collectivités territoriales, investissements qui participent eux-mêmes à la croissance et à l'emploi, le gel de l'emploi public est un non-sens.
En outre, quels que soient les secteurs observés, on assistera dans les toutes prochaines années à de très nombreux départs à la retraite des agents en poste. Les chiffres sont absolument phénoménaux : 50 %, voire 60 % pour la fonction publique territoriale. Dans les secteurs de la santé, de la recherche, de l'éducation et, de manière plus générale, dans l'ensemble des secteurs faisant appel à du personnel d'encadrement, c'est par centaines de milliers que l'Etat devra oeuvrer aux remplacements des départs en retraite. Dès lors, sauf à éradiquer la notion même de service public, le gel de l'emploi public ne peut perdurer. Ainsi, le texte qui nous est soumis constitue un premier pas intéressant pour résorber l'emploi public, mais un premier pas seulement. Nous sommes convaincus qu'il conviendra d'aller bien plus loin encore, conformément à l'esprit qui animait l'ensemble des signataires de la déclaration du dernier sommet de la majorité plurielle, le 7 novembre dernier.
Alors que cette déclaration prévoit de pénaliser par des mesures financières le recours à l'emploi précaire, l'Etat et les collectivités territoriales, mais également l'ensemble des établissements publics ou para-publics, se doivent, à mon sens, de montrer l'exemple.
Cela m'amène à évoquer la situation de La Poste. Aujourd'hui, La Poste fait appel à près de 80 000 contractuels, exclus du dispositif qui nous est proposé, sur un total de plus de 300 000 agents. Pour autant, la loi du 2 juillet 1990 prévoyait des conditions restrictives au recrutement d'agents contractuels puisqu'il était question « d'exigences particulières de l'organisation de certains services ou de la spécificité de certaines fonctions... ». Dans les faits, une très grande majorité de contractuels exercent les mêmes fonctions et ont les mêmes obligations que les fonctionnaires avec les mêmes horaires. Dès lors, et ce sera le sens de l'un des amendements que nous vous proposerons, rien ne justifie l'exclusion de La Poste et de nombre d'établissements publics du dispositif que nous examinons.
J'en viens à présent aux emplois-jeunes. Ce dispositif que nous avons soutenu, mis en place pour répondre aux attentes de très nombreux jeunes exclus de l'emploi, arrive bientôt à son terme. Conformément à la volonté, là aussi, de l'ensemble des membres de la majorité plurielle, telle qu'elle s'exprime lors de la déclaration commune du 7 novembre dernier, l'objectif est de parvenir à garantir un débouché professionnel à chacun des jeunes inscrits recrutés selon ces modalités. A cette fin, notre groupe présentera un certain nombre d'amendements pour permettre aux titulaires d'emplois-jeunes, mais également à l'ensemble des personnes recrutées dans le cadre de contrats dits aidés, d'intégrer chaque fois que cela est possible et selon leur voeu les fonctions publiques.
Certes, s'il ne s'agit pas d'offrir à chacun des jeunes un poste de titulaire de la fonction publique, au moins s'agit-il de permettre à chacun de bénéficier d'une égalité de traitement dans l'accès aux carrières de la fonction publique.
Ainsi nous inscrivons-nous pleinement dans le dispositif proposé aujourd'hui par le Gouvernement pour résorber l'emploi précaire. Il nous importe cependant d'en indiquer les faiblesses, voire les limites, dans le but que ce plan parvienne à une réelle résorption de la précarité dans l'emploi public, comme vous l'avez vous-même proposé, monsieur le ministre.
On le sait, le dernier dispositif en date mis en oeuvre dans le cadre de la loi Perben devrait à ce titre nous éclairer. Ainsi, dans la fonction publique territoriale, comme cela a été rappelé par M. le rapporteur, sur les 50 000 agents recensés en début d'application de la loi Perben, seuls 8 522 ont pu être titularisés. Dans la fonction publique d'Etat, sur près de 50 000 candidats potentiels, seuls 30 000 ont été intégrés.
Le dispositif qui nous est proposé aujourd'hui est certes plus ambitieux, mais mérite à mon sens d'être renforcé. Les organisations des personnels sont porteuses d'un certain nombre de propositions qu'il nous faut entendre et que, par manque de temps, je ne peux citer dans leur ensemble, mais la mutualisation des moyens, la mise en place de brigades de renforts, l'instauration de formes adaptées d'organisation du travail sont pour nous des pistes à exploiter, la validation des acquis professionnels inscrite dans le texte étant à ce titre une avancée, qui pourrait être poussée plus loin.
Nous attendons également beaucoup de la réduction du temps de travail dans la fonction publique, et peut-être pourrez-vous, monsieur le ministre, nous informer de l'état des négociations sur cette question.
Nous nous étonnons de l'absence de mesures financières adaptées aux visées de ce projet de loi.
Bien souvent, en effet, la précarité dans la fonction publique territoriale trouve son origine dans la faiblesse des crédits budgétaires. Une hausse importante de la DGF permettrait de résorber bien des emplois précaires. Je crois que l'on ne peut pas s'engager à résorber l'emploi précaire sans prendre en considération la faiblesse des ressources des collectivités territoriales.
En effet, combien de titulaires de contrat emploi-solidarité ou de contrat emploi consolidé remplissent, du fait de la modestie des moyens financiers des collectivités, des missions dévolues ordinairement à des fonctionnaires et devraient être titularisés ?
En outre, la résorption de l'emploi précaire dans la fonction publique ne doit pas se faire au détriment des procédures de promotion des agents titulaires, en l'absence de moyens financiers adaptés et d'un dispositif « hors contingent ». Ce risque est réel.
Bien des questions pourraient encore être évoquées mais mon temps de parole est compté.
Pour nous, la question de l'emploi public n'est pas un dogme mais s'inscrit pleinement dans le cadre d'une réforme de l'Etat au service du progrès et de la justice. De la nation à l'Europe, un modèle de développement et de progrès original peut voir le jour. Les services publics, nationaux - mais pourquoi pas également européens ? - pourraient constituer dans ce cadre un laboratoire original où prévalent d'autres choix que la concurrence économique, et ce pour le bien de tous.
Les amendements que nous apporterons à ce texte participent de cette logique et nous souhaitons vivement que certains fassent l'objet d'une attention particulière du Gouvernement et des membres de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous réunit aujourd'hui affiche une ambition légitime : donner la priorité à une meilleure gestion des ressources humaines dans la fonction publique.
Cette ambition - condition inséparable d'une meilleure gestion publique - a déjà présidé à la création de l'Observatoire de la fonction publique par décret du 13 juillet 2000.
Dans un souci de transparence, cet organisme a pour mission de collecter, d'exploiter et de diffuser l'information sur l'emploi dans les trois fonctions publiques - ce qui fera de lui un interlocuteur privilégié pour le Parlement - et de doter l'administration d'outils fiables et opérationnels de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences.
Le présent projet de loi s'appuie sur la détermination du Gouvernement à lutter contre la précarité de l'emploi, tout en oeuvrant à la nécessaire modernisation de l'Etat.
Dans cette logique, le 10 juillet dernier, le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat a signé un accord avec six des sept fédérations de fonctionnaires. Etape importante dans la poursuite d'un dialogue social de qualité, cet accord prévoit un plan de résorption de l'emploi précaire dans les trois fonctions publiques ; il est complété par un important volet visant à une meilleure gestion de l'emploi public.
Le Gouvernement, qui s'était engagé auprès des syndicats signataires à prendre les mesures législatives nécessaires à l'application de l'accord dès 2001, a donc déclaré l'urgence sur ce texte, afin de relayer le dernier plan de résorption en cours, dit plan Perben, qui arrive à échéance avec le siècle. Urgence également, et surtout, parce que la lutte contre toute forme de précarité constitue une priorité nationale. Urgence encore, parce que le départ en retraite annoncé d'un grand nombre d'agents dans les dix années à venir offre à la fonction publique l'occasion unique de reconsidérer ses moyens de recrutement pour les rendre plus modernes, plus réactifs et, par conséquent, plus efficaces. Urgence enfin, parce que l'application prochaine de l'aménagement et de la réduction du temps de travail à la fonction publique entraîne une réflexion sur l'organisation du travail qui fera bénéficier les fonctionnaires d'une véritable « avancée sociale », tout en permettant d'améliorer le service rendu au public. L'urgence est donc justifiée.
Le projet de loi se décline selon trois volets : résorption de l'emploi précaire, modernisation du recrutement, aménagement et réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale.
La fonction publique ne saurait tolérer un système de recrutement qui repose en partie sur l'emploi précaire. Ce constat partagé a déjà donné lieu à des mesures législatives, qui n'ont pas eu suffisamment les effets escomptés.
Le dispositif Perben du 16 décembre 1996 a abouti à la titularisation de près de 55 000 agents. Bien que les derniers concours réservés ne soient pas encore clos, le bilan semble malheureusement d'ores et déjà insuffisant, voire décevant. Tous les agents en situation précaire n'ont pu être titularisés et la précarité, loin de disparaître et même de diminuer, s'est reconstituée.
Pour la seule fonction publique territoriale, le bilan de la loi Perben a montré les limites et l'insuffisance des concours réservés. En près de quatre ans, moins de 10 000 agents - sur les 50 000 à 70 000 visés - auront pu bénéficier de l'accès à ces concours, tandis qu'un nombre très important de contractuels, dont l'ancienneté est supérieure à cinq ans, voire à dix ans, demeure en fonction dans des conditions très incertaines. Ces chiffres disent assez combien des mesures efficaces sont attendues pour réguler le recours au travail précaire. A cette fin, le protocole du 10 juillet envisage un dispositif à la fois plus ambitieux et plus généreux que le plan précédent.
Eliminons toutefois d'emblée un élément de confusion. Certains se demanderont sans doute pourquoi les bénéficiaires d'un contrat emploi-solidarité, d'un contrat emploi consolidé ou d'un emploi-jeune sont exclus du dispositif. Il faudra alors leur rappeler que nous examinons ici la situation de contractuels de droit public, alors que la plupart des emplois que je viens d'évoquer relèvent du droit privé et que l'avenir professionnel de ces personnes n'est pas nécessairement lié à l'administration. Cela ne signifie pas pour autant que le Gouvernement néglige leur sort, qui sera, au contraire, discuté dans un cadre plus large.
J'en viens à présent au plan de résorption qui s'étalera sur cinq ans. Il concerne les agents en contrat à durée déterminée de droit public exerçant des fonctions normalement dévolues à des fonctionnaires, qu'ils soient contractuels, vacataires, temporaires ou auxiliaires. Son champ d'application est élargi aux trois catégories, alors que les catégories A ou B étaient écartées du précédent accord. Les conditions d'ancienneté sont également grandement assouplies.
Je m'attacherai à mettre l'accent sur les « nouveautés » du texte qui nous est proposé aujourd'hui.
Au-delà des concours réservés, certains non-titulaires pourront bénéficier d'examens professionnels, notamment les maîtres auxiliaires, et même, dans la fonction publique territoriale, d'une intégration directe sans changement d'affectation, car la pratique exige de prendre en compte avec souplesse la situation d'agents contractuels dont l'emploi s'est, de fait, pérennisé. Les délais importants d'organisation des concours empêchent de combler rapidement les vacances dans des emplois pourtant nécessaires au bon fonctionnement des services, et il a trop souvent semblé plus facile de conserver des agents connus et formés à l'emploi plutôt que de recruter des candidats issus des concours.
Attention, toutefois ! Le concours, même spécifique, demeure la règle : il est seul garant du principe constitutionnel d'égal accès aux emplois publics. Si les personnels contractuels méritent une reconnaissance légitime, il faut néanmoins mesurer les risques de dérive statutaire. Le projet de loi va permettre l'intégration d'agents non titulaires qui ne subiront pas l'épreuve d'un concours. Pourtant, des concours ordinaires ont été organisés, des lauréats à des concours demeurent sur liste d'aptitude - les fameux « reçus-collés » de la fonction publique territoriale - et des fonctionnaires pris en charge, titulaires de leur grade, restent sans emploi.
L'objet essentiel de ce projet de loi est bien d'esquiver les écueils précédemment mis à jour, et répondre à l'urgence n'exempte pas de créer des dispositions pérennes pour éviter la reconstitution de l'emploi précaire, à commencer, je vous en félicite, monsieur le ministre, par la transformation de crédits de rémunération de contractuels ou de vacataires en emplois budgétaires.
Il s'agit également de moderniser les procédures de concours et de mieux encadrer l'emploi contractuel.
Une politique volontariste de diversification des modes d'accès à la fonction publique conduit à reconnaître la validation de l'expérience professionnelle et l'action des bénévoles pour présenter sa candidature à un concours ordinaire, possibilité qu'il semblerait logique d'étendre à la fonction publique territoriale, je pense que sur ce point nous sommes tous d'accord, puisqu'elle est la seule à en être exclue ; c'est d'ailleurs ce que nous proposerons.
Dans certaines conditions, on permettra l'organisation de recrutements de type troisième concours, autant de mesures qui s'inscrivent dans une perspective d'ouverture de la fonction publique et de valorisation des compétences acquises au cours d'un parcours professionnel varié au service ou à l'extérieur de l'administration.
Quant à la pratique du concours sur titres ou sur « titres et travaux », sa consécration législative permettra un recrutement rapide et adapté, notamment pour les emplois à caractère technique ou scientifique, tout en contribuant à la réduction d'emplois de non-titulaires.
La simplification de l'organisation des concours passe, pour la fonction publique d'Etat, par une déconcentration : les ministres pourront accorder une délégation de compétences aux préfets. De surcroît, pendant une durée de cinq ans, le recrutement au premier niveau de la grille de la fonction publique de l'Etat s'effectuera sans concours, comme c'est déjà le cas dans les fonctions publiques territoriales et hospitalières.
En ce qui concerne la fonction publique territoriale, conformément au protocole signé le 10 juillet 2000, les centres de gestion auront à jouer un rôle accru quant à la gestion prévisionnelle des emplois.
Enfin, des mesures ont pour vocation d'encadrer le recours légal à l'emploi précaire. Ainsi les conditions de recrutement des agents contractuels sur des emplois à temps incomplet sont limitées à 70 % d'un temps complet dans la fonction publique de l'Etat.
De même, le recours à des contractuels sur des emplois à temps incomplet dans les collectivités de moins de 2 000 habitants est supprimé. Le Gouvernement estime que, depuis l'introduction de ce recours en 1987, bien des rigidités ont disparu et qu'il serait regrettable de maintenir la précarité là où la souplesse existe. Nous en débattrons à l'appel de l'article 13 et de l'article additionnel proposé par notre commission des lois qui, lui, conjugue la question du cumul d'activités publiques et privées, question qui mérite un ample débat. Dernier axe du projet de loi : son titre III transpose à la fonction publique territoriale, à compter du 1er janvier 2002, le cadre établi par le décret du 25 août 2000 pour la fonction publique de l'Etat en matière d'aménagement et de réduction du temps de travail.
Comme l'avait établi clairement le rapport Roché, les pratiques sont très diverses. Selon la direction générale des collectivités locales, environ 500 000 agents - soit près de 40 % - bénéficieraient d'ores et déjà de réductions de temps de travail librement décidées par les collectivités territoriales, qui, n'ayons pas peur de le dire, se montrent plutôt exemplaires dans ce domaine.
Bien évidemment, la rédaction proposée veille légitimement à concilier le principe de libre administration des collectivités territoriales et l'unité de la fonction publique, donc le principe de parité dans les situations de travail des agents.
Il importait qu'un cadre national strict permette un traitement égal de tous les fonctionnaires.
En l'occurrence, il s'agit de définir les règles et garanties essentielles, dans des termes semblables à ceux qui sont retenus pour les fonctionnaires d'Etat par le décret du 25 août 2000.
Premier employeur de la nation, l'Etat se devait d'adopter des mesures volontaristes pour protéger ses salariés contre la précarité, en réduisant enfin de manière efficace le nombre d'employés hors statut dans les administrations et les hôpitaux.
Nous devons donc nous réjouir que le Sénat ait la primeur d'un texte qui permettra de sortir certains agents d'une situation préoccupante, de combattre des habitudes préjudiciables de gestion des personnels, tout en améliorant non seulement les conditions de travail des agents, mais également la qualité et l'efficacité des services rendus par l'administration aux citoyens. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous sommes saisis comporte trois volets, dont le troisième, celui qui est relatif à la durée et à l'aménagement du temps de travail, précise seulement que le droit commun s'applique à la fonction publique territoriale dans les mêmes conditions qu'à la fonction publique d'Etat, selon des modalités déterminées par un décret en Conseil d'état.
Cette formulation lapidaire ne prête donc guère à débat, hormis par son imprécision même et par le fait qu'elle ne fait pas mention de la fonction publique hospitalière, au sein de laquelle la réduction du temps de travail n'ira pas sans poser d'énormes problèmes de financement, d'organisation, de charge de travail pour les personnels et ne sera pas - il faut le craindre - sans conséquence sur l'attention portée aux patients hospitalisés.
Je m'attarderai donc davantage sur le problème de la résorption de l'emploi précaire dans la fonction publique territoriale, ainsi que sur les dispositions envisagées en termes d'assouplissement des recrutements.
Les mesures envisagées étaient nécessaires. Seront-elles suffisantes ? Les mêmes causes ne finiront-elles pas par produire les mêmes effets ? On peut le craindre car, pour l'essentiel, les rigidités et les manques de réactivité du dispositif demeurent. J'y reviendrai dans un instant.
Mais je voudrais, d'abord, m'élever contre le ton souvent excessivement accusateur qu'emploient les services préfectoraux à l'égard des responsables des collectivités territoriales, s'agissant des salariés contractuels.
L'Etat est-il tellement plus vertueux dans ce domaine ? Employeur unique, puisant dans un vivier unique, il devrait pourtant lui être plus facile de répondre, dans le respect de la réglementation, à ses besoins en fonctionnaires. On ne peut que s'inquiéter des intentions manifestées par certains de porter devant la juridiction pénale des affaires de recrutement sur le fondement de l'article L. 321 du code pénal.
Ce climat ne semble pas le meilleur pour tenter de régler dans la sérénité un problème réel, conséquence de difficultés réelles pour lesquelles les réponses appropriées n'ont pas été apportées à ce jour ou n'ont pas été mises en oeuvre d'une manière suffisamment efficace.
Il convient de souligner également, me semble-t-il, que la précarité est, en la circonstance, une notion très relative du point de vue des personnes concernées.
Aucun maire n'engage de contractuel pour contrevenir à la loi. Aucun maire n'engage de contractuel pour pénaliser l'intéressé. S'il le fait, c'est pour répondre à un besoin qu'il n'est pas arrivé à satisfaire par ailleurs. Et il assume le risque que représente le coût considérable des indemnités de chômage à payer par la collectivité au terme du contrat ou à la suite d'un licenciement, pour quelque cause que ce soit.
Il s'agit donc moins de protéger des salariés, en vérité fort peu menacés et, le plus souvent, satisfaits de leur situation, que de se conformer à des dispositions légales et réglementaires, ambition à laquelle on ne peut, sur le plan des principes, qu'adhérer pleinement.
Or, il faut bien le reconnaître, les dispositions mises en oeuvre jusque-là ne permettaient pas d'assumer dans les formes et dans les délais requis cette ambition, leur efficacité concrète était trop souvent fort contestable et, en tout état de cause, elle ne permettait pas de tendre vers l'excellence.
Comment, d'ailleurs, pourrait-il en être autrement alors que 50 000 employeurs potentiels environ sont appelés à choisir dans un vivier unique le collaborateur ou la collaboratrice qui correspond très exactement à leur besoin du moment, ce vivier unique représentant de surcroît une part infime de la population active du pays ? C'est donc, sans doute, plus d'une révolution dont nous aurions besoin dans ce domaine que de modestes mesures d'assouplissement.
Certains emplois très spécifiques doivent être obligatoirement occupés par des personnels ayant suivi une formation de fonctionnaires. Ce sont ceux, surtout, de la filière administrative.
En revanche, un ingénieur, un technicien, un dessinateur, un moniteur sportif, un électricien, un conducteur d'énergie n'ont à avoir, dans une collectivité territoriale, ni une autre formation ni une autre compétence que celle qui leur serait demandée dans une entreprise de droit privé.
Le bon sens voudrait qu'à compétence professionnelle attestée les collectivités territoriales puissent, dans cette situation-là, assurer elles-mêmes un recrutement ouvert. Toutes les règles du management commanderaient qu'il en soit ainsi.
Dans la pratique, c'est souvent vers des solutions alternatives, mais insatisfaisantes, que l'on finit par s'orienter, et cela par défaut, alors même que ces solutions peuvent pénaliser lourdement les agents concernés.
J'illustrerai mon propos par deux exemples très concrets que je connais bien pour les avoir vécus ces deux derniers mois dans ma commune, mais qui pourraient être multipliés à l'infini.
A la suite du départ inopiné de deux techniciens territoriaux - les départs ne sont pas tous programmés, notamment en cette période de reprise économique, et plus encore au voisinage immédiat de pays proches demandeurs de main-d'oeuvre - j'ai été dans l'obligation de les remplacer rapidement, l'un pour la gestion du patrimoine immobilier de la ville, l'autre pour la gestion de la voirie communale.
Malgré des publications répétées, malgré les demandes formulées auprès des différents centres de gestion, aucun candidat stagiaire ou titulaire ne s'est manifesté. En revanche, une trentaine de postulants, titulaires pour le moins d'un BTS, ont été recensés.
Nous en avons retenu deux. Pour ne pas encourir les foudres du contrôle de légalité, nous les avons engagés dans les règles, avec le titre et la rémunération d'agents d'entretien, soit 6 093 francs net par mois, en espérant qu'ils réussiront, à la prochaine session, leur concours de techniciens territoriaux.
Celui des deux qui est âgé de trente ans, qui a acquis dans des entreprises de travaux publics une véritable expérience de terrain, débutera comme stagiaire, puis atteindra le premier échelon de son grade..., après qu'il aura accompli son année de formation initiale sur laquelle il y aurait également bien des choses à dire.
De la même manière, il nous est arrivé tout récemment de devoir remplacer, à la suite d'un décès, un électricien appelé à travailler d'une manière autonome et à exercer des responsabilités importantes. Aucun candidat ne s'est présenté dans le cadre réglementaire. En revanche se sont présentés d'assez nombreux candidats externes, dont certains à la recherche d'un emploi à la suite de la défaillance de leur entreprise.
Au grade d'agent d'entretien stagiaire, nous avons engagé un homme de trente-cinq ans, titulaire d'un BTS et riche d'une longue expérience professionnelle acquise dans les mines de potasse, qui ont avancé inopinément la date de cessation de leur activité.
De telles situations ne sont pas compatibles avec la dignité à laquelle peut prétendre un salarié.
Ce n'est pas de la sorte que l'on donnera à nos collectivités territoriales, pour les décennies à venir, les moyens humains qui leur seront nécessaires pour assurer, au service du public, les missions de plus en plus complexes qui sont les leurs.
Il ne paraît pas normal que, dans une économie en pleine mutation comme l'est la nôtre, rien ne soit prévu, notamment pour que la fonction publique participe à la mobilité des compétences et accueille en son sein des hommes et des femmes qui y trouveraient le prolongement de leur carrière antérieure, sans en perdre le bénéfice, et qui enrichiraient la collectivité de leur savoir-faire et de leur expérience.
On ne peut, bien entendu, qu'adhérer à chaque petit pas fait dans le sens d'un assouplissement de règles qui apparaissent archaïques à bien des égards.
Mais, au point où nous en sommes, il est probable que, d'ici peu d'années, le problème se reposera dans les mêmes termes, puisque subsisteront pour l'essentiel la rareté des candidats dans certaines filières, la complexité et la durée de mise en oeuvre des concours, la fréquente inadaptation des épreuves, la modestie des traitements de début de carrière, l'impossibilité de prendre en compte l'ancienneté de service hors fonction publique, la difficulté de gestion des listes d'aptitude.
Il convient, me semble-t-il, de souligner ici le mérite des centres de gestion qui, dans ce maquis d'une extraordinaire complexité, s'efforcent de mettre leur compétence au service des collectivités et des agents territoriaux.
Echelons de proximité à la dimension irremplaçable du département, animés au quotidien par des élus locaux, lieux de rencontre à travers les commissions paritaires, ils ont toujours su s'adapter, au gré de l'évolution de la réglementation, pour répondre à l'attente des collectivités dans les domaines les plus divers concernant la gestion de leur personnel.
Ils savent également, pour l'organisation de certains concours, pour la gestion prévisionnelle de l'emploi, pour la mise en oeuvre d'outils techniques, s'organiser en réseaux de géométrie variable et mettre ainsi en synergie leurs potentialités.
Leur fonctionnement constitue l'exemple même d'une décentralisation à laquelle nous sommes fondamentalement attachés, chaque fois qu'elle permet de conjuguer proximité et efficacité.
Aussi pensons-nous devoir mettre en garde contre toutes les tentations et toutes les tentatives de centralisation qui ne pourraient conduire qu'à l'extraordinaire alourdissement d'un fonctionnement déjà bien complexe, nous l'avons vu, ainsi qu'au renforcement du pouvoir administratif au détriment de celui des élus, qui tirent leur légitimité du suffrage de leurs concitoyens d'abord, de leurs pairs ensuite.
La commission des lois, à travers son rapporteur, notre collègue Daniel Hoeffel, orfèvre en la matière, nous propose, moyennant la prise en compte d'un certain nombre d'amendements, d'adopter le projet de loi qui est soumis à notre appréciation.
Je me rallierai, avec mes collègues du groupe du Rassemblement pour la République, à cette position, tout en étant conscient que d'autres pas significatifs resteront à faire. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées de RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Garrec.
M. René Garrec. Monsieur le ministre, je ne vais pas vous expliquer ce projet de loi, vous le connaissez mieux que moi ! (Sourires.) Je me contenterai de quelques remarques générales, M. le président nous ayant demandé d'être brefs.
Depuis cinquante ans, l'Etat s'efforce périodiquement de mettre fin aux recrutements d'agents non titulaires dans la fonction publique.
Le statut général des fonctionnaires dispose que : « les emplois permanents de l'Etat, des départements, des communes et de leurs établissements publics à caractère administratif sont occupés par des fonctionnaires ».
Mais il précise aussi que, par « des dérogations prévues par une disposition législative », des non-titulaires peuvent être embauchés. Dans certains cas, pour les assistantes maternelles par exemple, c'est même une obligation.
Ce dispositif permet donc une certaine souplesse dans la gestion du personnel.
Je ne reviens pas, malgré la tentation, sur le nombre d'agents non titulaires exerçant dans la fonction publique de l'Etat et dans la fonction publique territoriale. Malgré les plans de résorption successifs, le nombre de non-titulaires reste à peu près constant.
Il faut donc reconnaître que les plans précédents n'ont pas pu résoudre le problème. Pourquoi ? Il y a une explication simple : trop timides, peut-être, les plans ne concernaient que les catégories d'agents les moins élevés dans la hiérarchie, les agents de catégorie C. Peut-être aurait-il fallu aller plus loin, ce que vous faites aujourd'hui avec ce projet de loi, monsieur le ministre.
Par ailleurs, on constate depuis quelque temps, une certaine désaffection pour l'administration, en particulier pour la haute fonction publique. Ainsi, le nombre de candidats à l'ENA a décru d'environ 30 %. Dans le même temps, le phénomène du « pantouflage », pour reprendre le terme consacré, a pris de l'ampleur, et l'on assiste à une fuite des cerveaux, qui s'explique sans doute par la croissance et par les meilleures rémunérations offertes dans le secteur privé, ainsi peut-être que par le fait que le secteur public apparaît moins attractif qu'auparavant.
Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une perte sèche pour l'administration, qui a formé ces fonctionnaires, et le Sénat, qui en est bien conscient, a demandé la mise en place d'une mission d'information sur ce sujet.
Enfin, je m'intéresserai davantage aux collectivités locales, en particulier aux régions, que je connais mieux.
On rencontre souvent des difficultés pour créer un emploi qui n'entre pas dans une catégorie connue. On ne sait pas comment le pourvoir, alors on engage un contractuel et l'on attend l'autorisation du préfet. Ensuite, cette situation perdure.
Je suis président de ma région depuis 1986 - ce qui est beaucoup trop, penserez-vous peut-être, monsieur le ministre, vous qui l'avez été moins longtemps - et je connais des contractuels qui sont employés depuis plus de dix ans, qui ont les diplômes et les compétences nécessaires. Je trouve un peu immoral et inique que l'on ne puisse pas les titulariser sur titres ou à la suite d'un entretien avec un jury d'examen. Ils mériteraient cette titularisation ; les maintenir dans un statut précaire, c'est leur dénier toute considération.
Il s'agit bien de précarité, car rien ne dit que j'occuperai encore pendant vingt ou trente ans la présidence de ma région - ce serait beaucoup ! - et rien ne prouve non plus que mon successeur, qui ne sera peut-être pas de la même tendance politique, n'estimera pas que ces personnes sont trop âgées, en tout cas bonnes à mettre à la retraite, à déplacer ou à oublier dans un placard.
Il faut donc faire quelque chose pour ces fonctionnaires contractuels, dont la précarité présente peut-être un caractère politique et que l'on devrait pouvoir traiter de façon normale, comme doit l'être tout fonctionnaire, tout individu qui a travaillé pour sa collectivité.
J'ai déposé un certain nombre d'amendements, avec un succès très mitigé en commission, succès mitigé qui s'explique sans doute par la qualité exceptionnelle du rapport de M. Hoeffel ou par la médiocrité de mes propositions. En tout cas, il en est un parmi eux que je m'efforcerai de défendre.
J'avais préparé quelques réflexions malicieuses sur la corrélation qu'il est possible d'établir entre tous les textes qui paraissent actuellement sur la fonction publique et les élections, mais le moment me paraît mal venu et, vous connaissant, la critique mal adressée. Ce serait apparenter votre réflexion politique à la conjonction des planètes, phénomène rare, ce qui prouve votre bonne foi.
M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Cela dépend de quelles planètes ! (Sourires.)
M. René Garrec. La conjonction des planètes est toujours extrêmement rare.
Je ne retiendrai de ce projet de loi que son ambition, qui me paraît intéressante. Mais, après le rapport excellent de notre rapporteur, M. Daniel Hoeffel, rapport tout à fait remarquable, auquel mon groupe accorde toute la considération qui lui est due, pour ma part, je regrette de ne pas avoir pris le sujet plus en aval, ce que je ferai la prochaine fois. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui comporte deux volets, consacrés l'un à la résorption de l'emploi précaire et l'autre à l'application des 35 heures dans la fonction publique territoriale.
La loi sur les 35 heures a été votée mais je veux réaffirmer que cette loi imposée est contraire à la volonté de nombreux salariés du secteur privé qui veulent améliorer leur situation et celle de leur famille par leur travail. Elle est antisociale, car elle condamne ceux dont le salaire de base est modeste à ne pas pouvoir faire progresser leur revenus. Cela étant dit, des lors qu'elle a été votée, il est normal qu'elle s'applique au secteur public comme au secteur privé et, bien sûr, dans les trois fonctions publiques.
Je m'attacherai donc, au nom du groupe du Rassemblement démocratique social européen, à analyser le volet « emploi précaire » de ce projet de loi, avant de proposer que cette mesure soit l'occasion de mettre en place une meilleure répartition territoriale des agents de la fonction publique d'Etat.
Nul ne peut être défavorable à la résorption de l'emploi précaire et à la volonté de moderniser le recrutement dans la fonction publique. Le bon sens, comme la volonté de justice nous conduisent à soutenir ces mesures.
D'une part, le bon sens nous pousse à conduire cette réforme puisque, comme toute démocratie moderne, la France a besoin de se doter d'une fonction publique performante au moment où toute une génération va devoir être remplacée.
D'autre part, l'aspect humain et social est primordial. A l'heure où la société tente de développer des garde-fous contre l'exclusion et la précarité, certains agents de la fonction publique vivent dans une incertitude intolérable. Je recevais récemment à ma permanence une jeune femme recrutée comme contractuelle voilà sept ans et dont les contrats à durée déterminée étaient renouvelés tous les six mois ! Dans ces conditions, aucun projet personnel ne lui était possible.
Je crains que cet exemple ne soit pas unique. L'Etat employeur devient exploiteur, se trouve dans la complète illégalité et impose à son personnel ce qu'il interdit aux employeurs du secteur privé.
Je me réjouis que l'intégration des contractuels soit favorisée. Leur valeur ajoutée est forte : ils sont généralement bien formés, spécialisés et ont accumulé des expériences professionnelles ainsi que des méthode du travail dont la fonction publique bénéficiera.
Aussi, je comprends mal que certains agents non titulaires de catégorie A, recrutés en raison de l'absence de lauréats aux concours organisés et capables d'assumer des fonctions spécifiques ne puissent bénéficier d'une intégration. Avec mes collègues Fernand Demilly et Bernard Joly, nous avons déposé un amendement pour que ces contractuels, s'il le souhaitent, puissent bénéficier d'un CDI.
Cependant, cette intégration ne signifie pas rigidité. Si la possibilité d'intégration dans la fonction publique territoriale doit être ouverte aux agents non titulaires, la possibilité de recourir à des contractuels doit être maintenue pour le recrutement des personnels à temps non complet dans les petites communes de moins de 2 000 habitants. Monsieur le ministre, la majorité des 32 000 maires de ces petites communes vous le confirmeraient.
A l'occasion de l'examen de ce texte, je souhaite également vous interroger sur le devenir des emplois-jeunes. Ils ne sont, bien sûr, pas concernés par le protocole d'accord du 10 juillet 2000, puisque leurs contrats sont des contrats de droit privé. Toutefois, comme ils sont financés à 80 % par l'Etat, les 276 000 jeunes recrutés au 1er septembre 2000 ont lieu de s'interroger. Les jeunes adjoints de sécurité seront vraisemblablement intégrés par un concours particulier, mais je pense notamment aux 22 % qui sont employés dans les collectivités locales. Qu'est-il prévu à leur sortie du système ? Le Gouvernement a raté sans doute l'occasion de conduire une réflexion sur des jeunes qui, demain, pourraient être en situation de précarité d'emploi.
Je voudrais insister sur le régime exceptionnel et dérogatoire des mesures que vous envisagez. Le concours doit rester le mode de recrutement par excellence pour accéder à la fonction publique.
M. Claude Domeizel. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. C'est sur cette base qu'a pu se constituer une fonction publique de qualité fondée sur la méritocratie. L'ascenseur social fonctionne efficacement dans le secteur public.
Enfin, je formulerai un espoir : que cette réforme permette une plus grande déconcentration des ministères. Face à l'engorgement parisien et au besoin de proximité des citoyens, vous avez le pouvoir et le devoir, monsieur le ministre, de conduire cette réforme dans une logique d'aménagement du territoire.
Vous pouvez, pour cela, vous appuyer sur une expérience : les agents du ministère des affaires étrangère installés à Nantes ont certainement une qualité de vie bien supérieure à nombre de leurs homologues parisiens. Vous inspirerez-vous de cet exemple et des aspirations de la plupart des fonctionnaires à une meilleure qualité de vie pour redessiner la carte de la fonction publique de l'avenir ?
Le Gouvernement livre, avec ce projet de loi, un combat permanent et ancien, puisque le premier plan de titularisation remonte à 1950. Ce rocher de Sisyphe moderne a résisté à un changement de République et à de multiples gouvernements, appartenant aux majorités les plus diverses.
Monsieur le ministre, nos attentes sont à la hauteur de l'enjeu. Les injustices doivent tous nous mobiliser ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à Mme Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le ministre, je prends acte des propos que vous avez tenus sur l'emploi précaire dans les services de l'Etat à l'étranger. C'est un engagement ferme de réduire la précarité que connaissent les agents contractuels de l'Etat français dans le monde que vous avez pris ainsi, et je vous en sais gré.
Mais il est certain que les difficultés que connaissent ces personnels dépassent de beaucoup le cadre de ce projet de loi. Il faut rappeler que quatre grandes catégories d'emplois sont précaires dans les services de l'Etat à l'étranger. Le dénombrement que j'en ferai n'est pas exhaustif. En tout cas, 20 000 personnes sont concernées, dont 25 % de Français.
Les services du réseau diplomatique et consulaire emploient plus de 5 000 recrutés locaux sur des postes administratifs de fonctionnaires.
Le réseau culturel en emploie 5 200, dont 1 000 Français contractuels et vacataires.
L'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE, en emploie 10 000, dont 5 000 enseignants.
Quelques centaines d'assistants techniques contractuels, issus du secteur privé, sont en fonction, sans garantie de réemploi en France à l'issue de leur mission.
Il s'agit d'effectifs importants en pourcentage du total des agents de l'Etat à l'étranger.
Dans le réseau diplomatique et consulaire, les recrutés locaux contractuels et vacataires représentent 61 % du personnel total et 75 % de la catégorie C. Dans le réseau culturel, les contractuels et les vacataires représentent au moins 90 % du personnel.
A l'AEFE, la moitié des enseignants sont recrutés locaux.
Un ministre qui a récemment quitté le Gouvernement se scandalisait que les entreprises aient 10 % de personnels permanents en CDD. L'Etat fait bien pis à l'étranger et il est généralement très mauvais employeur au niveau tant des pratiques sociales que des salaires.
M. Aymeri de Montesquiou. C'est vrai !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Par un télégramme du 13 novembre 1999, le ministre des affaires étrangères a donné les grandes lignes d'un plan d'action pour le recrutement local qui dessine, en creux, l'image de relations sociales dignes du XIXe siècle. Il est ainsi recommandé de respecter enfin le droit local, ce qui signifie qu'il n'est toujours pas respecté. Des instructions sont données pour l'information des agents, pour la transparence des recrutements, pour l'élaboration de grilles de salaires, pour l'assurance maladie des agents ; en pratique, tout cela est très peu respecté.
Pour ma part, je peux témoigner que, en dépit de quelques exceptions heureuses dues à la personnalité du chef de poste, ambassadeur ou consul, l'arbitraire règne toujours en matière de recrutement, de licenciement et de salaires. Ainsi, il sufffit de placer une assistante bilingue diplômée bac + 5 dans la catégorie des agents de bureau et de ne pas lui communiquer la grille de salaire en vigueur pour la payer une misère. Je dis « la » parce qu'il s'agit généralement de femmes.
L'ambassadeur Amiot signale des pratiques de licenciement, souvent abusifs et sans indemnités, pour l'année 1998 ; on en relève 180 dans les six premiers mois de l'année pour le seul réseau diplomatique et consulaire. Ce n'est pas peu !
Je reconnais que des progrès ont été faits pour l'assurance maladie des agents français, mais ce n'est pas le cas pour les étrangers. Aux Etats-Unis, la modicité de rémunération de nos agents contractuels américains ne leur permet pas de disposer d'une assurance maladie.
Le recours à la vacation horaire est un moyen courant, surtout dans les services culturels, pour éviter de respecter les droits sociaux.
En fin de contrat, aucune indemnité de licenciement ou de fin de contrat n'est versée.
Pour conclure, je dirai que notre présence à l'étranger, dans les ambassades et les consulats, au sein de notre réseau culturel, dans les écoles, dans l'assistance technique, repose encore, en dépit des déclarations d'intention, sur l'exploitation des personnels de recrutement local, qui, je le répète, sont majoritairement des femmes.
Le ministère des affaires étrangères a vu son budget trop diminuer au cours des 15 dernières années, le nombre de ses emplois trop baisser - il en a perdu plus de 1 000 en dix ans - pour pouvoir faire fonctionner dignement, dans le respect des droits de tous ses personnels, son réseau diplomatique, culturel, scolaire et de coopération.
Je terminerai sur une métaphore : la présence officielle de la France à l'étranger, c'est le XVIIIe siècle élégant au salon et le sombre XIXe siècle à l'office. C'est une situation que, par cette loi ou par les mesures à venir, conformément à vos engagements, monsieur le ministre, le gouvernement de Lionel Jospin doit corriger au plus tôt. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quatre ans après la loiPerben sur la résorption de l'emploi précaire dans la fonction publique, il nous est aujourd'hui proposé de nous pencher à nouveau sur la situation des effectifs de non-titulaires dans la fonction publique. Est-ce à dire que la loi Perben n'a pas atteint son objectif ? Je ne le crois pas.
Pour illustrer mon propos, je prendrai comme exemple celui de la fonction publique territoriale, que je connais de différents points de vue : en tant que maire, comme président de la commision « fonction publique » à l'Association des maires de France, l'AMF et aussi comme président d'un centre de gestion.
Le dispositif mis en place dans la loi de 1996 visait surtout à corriger les effets induits par l'étalement de la construction statutaire sur presque dix ans et, à ce titre, ce sont les non-titulaires des dernières filières publiées qui ont été essentiellement concernés, dans la mesure où ceux-ci n'avaient pas eu la possibilité de passer plusieurs fois le concours correspondant à leur emploi.
Les secteurs concernés étaient, pour une part, ceux de la filière médico-sociale, pour lesquels les concours réservés ont, dans l'ensemble, été organisés de manière satisfaisante. En revanche, pour l'autre part relative aux filières sportive et culturelle, et en particulier le secteur de l'enseignement artistique, je regrette que la faiblesse du nombre de concours organisés ait conduit à une restriction du champ d'application de la loi Perben. Mon collègue Dominique Perben s'est ému à plusieurs reprises de cette inapplication préjudiciable à de nombreux personnels, dont les professeurs de musique ; je pense que cela ne vous a pas échappé, monsieur le ministre.
Par ailleurs, une part importante de non-titulaires, notamment ceux des filières administratives et techniques, n'était pas touchée par ce dispositif.
Les mesures proposées dans le premier volet du projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui apparaissent ainsi comme un complément et la continuation du dispositif engagé en 1996. On ne peut donc qu'y être favorable, sous réserve, monsieur le ministre, que les concours réservés soient effectivement organisés et rapidement.
Mais, plus largement, il conviendra de s'interroger sur les dysfonctionnements qui conduisent en partie à la reconstitution permanente des effectifs de non-titulaires, notamment la pénurie dans certains cadres d'emplois tels que celui des administrateurs ou les difficultés relatives à l'insuffisante mutualisation de la prise en charge de la formation initiale des lauréats de concours.
Je voudrais aussi attirer votre attention sur les emplois-jeunes, et souhaiterais connaître, monsieur le ministre, les types de concours qui leur seront proposés pour mettre fin à la précarité de leur emploi, surtout - vous le savez bien, mes chers collègues -, que nombre d'entre eux occupent des emplois de l'administration.
S'agissant du deuxième volet relatif à la modernisation du recrutement, l'objectif d'éviter la reconstitution des effectifs d'agents en situation précaire est tout à fait louable. Bien entendu, c'est sur les moyens pour y parvenir que portera la discussion.
A ce titre, je souhaite attirer votre attention sur la situation des 32 000 communes de moins de 2 000 habitants, comme l'a fait avec beaucoup de pertinence notre rapporteur M. Daniel Hoeffel : la difficulté de recrutement de personnel à temps non complet à laquelle nous nous heurtons depuis des années nous avait conduits à demander à ce que soit expressément autorisé le recrutement d'agents non titulaires, à défaut d'avoir trouvé un fonctionnaire. Ce dispositif visait non pas à constituer des emplois précaires, mais bien à permettre le bon fonctionnement des collectivités.
Je tiens à souligner que nous sommes nombreux à encourager ces agents à se présenter aux concours. Par ailleurs, nous utilisons pleinement les services de remplacement mis en place par les centres de gestion. C'est pourquoi nous priver de cette possibilité qui permet d'assurer la continuité du service public dans les zones rurales me paraît une erreur.
Dans le même ordre d'idée, je proposerai que soit simplifiée la procédure d'embauche pour faire face aux besoins occasionnels.
Enfin, sur cette question de l'emploi dans les petites communes, je souhaite vous rappeler la nécessité d'autoriser certains agents qui effectuent quelques heures au service de l'administration à compléter leur activité professionnelle dans le secteur privé - cela permettrait à ces agents d'avoir un revenu décent et aux communes rurales d'assurer le service public - et ce par une disposition législative, le renvoi à des décrets d'application, comme le prévoit la loi de modernisation de l'agriculture ou celle qui est relative à l'organisation et la promotion des activités sportives, s'étant révélé complètement inopérant.
A ce propos, je rappelle devant la Haute Assemblée que la loi du 1er février 1995 de modernisation de l'agriculture prévoit, à l'article 45, amendé par mes soins à l'époque, les dispositions suivantes : « Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions dans lesquelles une personne exerçant à titre principal une activité professionnelle non salariée agricole peut occuper à titre accessoire un emploi à temps non complet dans une collectivité locale. » Nous attendons toujours le décret en Conseil d'Etat. Comme l'a souligné notre rapporteur, c'était une première avancée. Je rappelle que, à l'époque, vous aviez vous-même défendu devant la Haute Assemblée le texte qui porte aujourd'hui le nom de « loi Hoeffel ». Pour ma part, j'avais déposé un amendement qui tendait à permettre le cumul entre une activité publique et une activité privée. Cet amendement avait été adopté par le Sénat et rejeté par l'Assemblée nationale. Je l'avais déposé de nouveau devant la Haute Assemblée, et à l'époque, vous m'aviez demandé, monsieur Hoeffel, de bien vouloir le retirer, au motif que le Gouvernement procéderait à la mise en oeuvre de ce dispositif par des mesures dérogatoires.
Aujourd'hui, je suis heureux de constater que l'initiative vient de celui qui avait alors présenté le texte et qui est aujourd'hui le rapporteur du nouveau texte. Cela me laisse à penser qu'un consensus pourra peut-être se dessiner sur ce dossier au sein de la Haute Assemblée. En effet, j'ai également constaté des avancées significatives sur les travées de gauche de cet hémicycle, ce qui démontre que, en définitive, il ne faut jamais désespérer de quoi que ce soit. Tout peut arriver !
Je suis persuadé, monsieur le ministre, que vous accepterez la disposition qui vous est proposée par la commission des lois, disposition que nous soutiendrons avec mon collège Daniel Eckenspieller.
S'agissant des améliorations de la gestion prévisionnelle des emplois et des effectifs dans les collectivités, je me félicite de la reconnaissance du travail accompli par les centres de gestion, qui sont au coeur de la gestion de la fonction publique. Les missions de concertation dont ils auront la charge ne peuvent que renforcer la gestion locale et favoriser la décentralisation de la gestion.
En revanche, il est dommage que cette action des quatre-vingt-quinze centres de gestion ne puisse être coordonnée et que les données sur les emplois et les effectifs qu'ils détiennent ne puissent être mises en réseau, en disposant pour cela d'un minimum de support logistique.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous demande de prolonger notre démarche. Tel est l'objet des amendements que je proposerai sur ce point. Il est souhaitable que soient incitées, voire créées, les conditions d'une réelle prise en compte du réseau informatique mis en place par de nombreux centres de gestion, dont l'intérêt pour les élus, et plus largement pour les usagers de l'administration, est certain. Je me réjouis d'ailleurs qu'il figure sur le portail « service-public.fr » dont vous êtes à l'origine et mis en oeuvre par la Documentation française. Son utilité est une évidence.
Sur le troisième volet relatif à l'application des 35 heures dans les collectivités territoriales, je serai beaucoup plus bref.
La disposition législative ne traite pas des mesures concrètes envisagées. Toutefois, j'émets le souhait que les mesures relatives à l'aménagement du temps de travail puissent enfin permettre une organisation du temps de travail des agents à temps non complet sur un autre cycle que le seul cycle hebdomadaire. Une telle mesure serait sûrement de nature à réduire le recrutement de non-titulaires sur les emplois à temps non complet liés au rythme scolaire et s'inscrirait bien dans le cadre de la résorption de l'emploi précaire dans la fonction publique territoriale.
Permettez-moi de douter de l'efficacité de cette disposition, mais, surtout, de relever les difficultés que ne manqueront pas de rencontrer les petites communes rurales du fait de l'application de la loi sur les 35 heures.
Je suis maire d'une commune de 183 habitants. J'ai un secrétaire de mairie à temps partiel, un employé de voirie et un emploi-jeune. Comme vous le voyez, j'ai joué le jeu des emplois-jeunes dans ma petite collectivité !
M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Le tiers des emplois !
M. Alain Vasselle. Oui ! mais je ne pourrai pas pérenniser l'emploi-jeune, parce que mes moyens ne me le permettront pas. En ce qui concerne l'agent de voirie, qui travaille trente-neuf heures et prend les congés que la loi prévoit, l'application de la loi sur les 35 heures priverait ma petite commune d'une partie du travail qu'il fournit et je ne pourrai pas compenser cette perte par le recrutement d'un autre agent : comment arriverai-je à trouver quelqu'un qui acceptera de ne travailler que quinze ou vingt heures pour me permettre de respecter les 35 heures ? Un réel problème d'application de la loi se posera ; je me permets d'attirer votre attention sur ce point.
Je crois savoir que des mesures dérogatoires pourraient être prises afin d'apporter une certaine souplesse dans la mise en oeuvre de la loi sur les 35 heures. Je souhaite toutefois que vous puissiez nous en donner la confirmation, monsieur le ministre, de manière à rassurer la majorité des maires des communes rurales. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Penne.
M. Guy Penne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en octobre 1999, alors que M. Zuccarelli était ministre de la fonction publique, j'étais intervenu sur les conséquences à tirer de la jurisprudence Berkani et pour faire appel à une prise de conscience nécessaire sur la situation des recrutés locaux à l'étranger.
Ces personnels sont en constante augmentation, car la faiblesse de son budget ne permet pas au ministère des affaires étrangères de faire face, uniquement avec des fonctionnaires, à toutes les missions qui lui incombent. Il est flatteur de dire que nous avons le deuxième réseau diplomatique du monde, mais il est inquiétant de voir que, sans les « supplétifs », comme ils se nomment entre eux, les ambassades, consulats et autres établissements culturels ne fonctionneraient pas.
J'avais souhaité, voilà un peu plus d'un an, que le Gouvernement s'engage à étudier « rapidement », avais-je osé dire, cette question, pour corriger l'image de notre Etat en la matière, qui est celle d'un mauvais employeur et qui nuit, en fait, à notre action diplomatique.
M. Zuccarelli n'avait pas soutenu l'amendement que j'avais déposé, mais il s'était engagé à organiser une réunion de travail, qui concerne quelques milliers de personnes qui oeuvrent pour la France.
Le Gouvernement n'avait certes pas souhaité cela mais, après les navettes entre les deux assemblées, la situation de nos compatriotes concernés s'est trouvé aggravée.
Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit par ma collègue, Monique Cerisier - ben Guiga. Vous trouverez la continuité de ma pensée dans le soutien que j'apporte, notamment, aux deux amendements sur l'article 1er, déposés au nom du groupe socialiste, en particulier sur l'initiative de Mme Cerisier - ben Guiga, M. Biarnès, M. Debarge - en sa qualité d'ancien ministre de lacoopération, il connaît bien ces problèmes - et Mme Pourtaud.
En conclusion, je résumerai mon propos en trois points.
Premièrement, les contractuels à l'étranger n'occupent-ils pas des emplois précaires, monsieur le ministre ? Pourquoi n'ont-ils pas, comme leurs collègues en France, les mêmes possibilités de recrutement dans la fonction publique ? De la même façon qu'après le texte de M. Zuccarelli, j'espère qu'après l'adoption du texte de Michel Sapin leur situation ne sera pas rendue plus difficile encore.
Deuxièmement, s'agissant de la promesse faite par M. Zuccarelli, que vous avez déclaré reprendre à votre compte en ce qui concerne le rapport d'étape, pourriez-vous nous dire, monsieur le ministre, dans quels délais vous pensez mettre en oeuvre cette mesure.
Troisièmement, nous savons que, pour la fonction territoriale, les situations sont complexes, et elles le sont certainement beaucoup plus pour les personnels à l'étranger, tant les responsabilités et les localisations géographiques où elles sont exercées multiplient les cas d'espèces. Mais un texte généraliste peut prévoir des dérogations.
Dans cet hémicycle, avec quelques collègues, nous sommes disposés à aider le Gouvernement et à participer à toute séance de travail utile que vous voudrez bien organiser, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, sur certaines travées du RDSE et sur les travées de l'Union centriste.)
M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Je n'interviendrai pas longuement, mais je souhaite vous remercier, les uns et les autres, pour l'appréciation, résultant d'un travail approfondi, qui a été la vôtre sur ce projet de loi. Le plus souvent, cette appréciation a été positive, même si, selon les préoccupations des uns et des autres, elle a été plus ou moins positive.
De nombreuses questions ont été posées au cours de cette discussion générale, mais il me semble qu'elles trouveront leur traduction dans l'examen des amendements qui va maintenant s'engager. C'est bien entendu à cette occasion que j'apporterai des réponses plus concrètes aux problèmes soulevés, mais je voulais d'ores et déjà vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, de la qualité de vos interventions.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

DISPOSITIONS RELATIVES À LA RÉSORPTION
DE L'EMPLOI PRÉCAIRE

Chapitre Ier

Dispositions concernant la fonction publique
de l'Etat

Article 1er