SEANCE DU 5 DECEMBRE 2000


M. le président. J'appelle en discussion l'amendement n° II-18, présenté par MM. Chaumont et Charasse, au nom de la commission des finances, qui proposent :
I. - Avant l'article 49, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Les crédits du chapitre 68-91, article 10, du budget du ministère des affaires étrangères affectés au fonds de solidarité prioritaire, ne peuvent bénéficier qu'aux pays inscrits, à la date du dépôt du projet de loi de finances de l'exercice, dans la zone de solidarité prioritaire définie par le comité interministériel de coopération internationale au développement.
« Il en est de même des crédits du chapitre 68-93 dudit budget, destinés à financer les projets mis en oeuvre par l'agence française de développement. »
II. - En conséquence, de faire précéder cet article par une division ainsi rédigée : « Affaires étrangères ».
La parole est à M. Charasse, rapporteur spécial.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. La question, ici, est grave, ou en tout cas préoccupante, pour une assemblée comme la nôtre, et l'amendement a d'ailleurs été adopté, je dois le dire, à l'unanimité de la commission des finances - je parle sous le contrôle de mon collègue et ami Jacques Chaumont.
Messieurs les ministres, lorsque la loi de finances est votée, comme c'est le cas d'ailleurs pour un budget municipal ou départemental, les crédits ont une spécificité : ils sont destinés à tel usage, à telle action.
Les crédits que nous avons votés pour l'an 2000, en particulier, étaient destinés, en ce qui concerne l'aide publique au développement, aux pays inscrits dans la zone de solidarité prioritaire. L'autorisation budgétaire qui découle de la loi organique sur les lois de finances avait été donnée pour cela, seulement pour cela et pour rien d'autre.
En septembre dernier, un décret est intervenu pour confirmer, ou ratifier une pratique - celle que j'ai signalée dans mon intervention tout à l'heure - qui fait qu'une partie importante, sur les deux années 1999 et 2000, des crédits réservés à la zone de solidarité prioritaire, qu'il s'agisse des moyens budgétaires proprement dits ou de ceux de l'Agence française de développement, ont été utilisés pour des aides dans les Balkans.
La commission des finances, pas plus que le Parlement, d'ailleurs, n'a de compétences en matière de politique extérieure. Celle-ci, en France, dépend de l'exécutif. Nous pouvons la contrôler, pas la faire à sa place, et si l'exécutif décide d'agir dans les Balkans, c'est son affaire : il n'y a pas de contestation possible de la part de la commission des finances.
Simplement, on a utilisé, mes chers collègues, des crédits qui n'étaient pas votés pour cela ; l'autorisation budgétaire n'avait pas été donnée pour cela. Et même si un décret intervient - c'est un texte réglementaire - qui autorise, à titre exceptionnel, à prélever sur ces crédits des dotations pour d'autres pays que ceux qui sont inscrits dans la zone, il n'empêche que l'autorisation budgétaire est donnée pour les pays de la zone et qu'un décret ne peut pas modifier l'autorisation budgétaire telle qu'elle découle de la loi.
L'amendement que nous présentons, au nom de la commission des finances, a simplement pour objet de rappeler - mais, messieurs les ministres, je vous rassure, ce rappel vaut pour tous les ministères et pour tous les crédits, et pas seulement dans ce cas ! - que si, en cours d'année, on veut utiliser des crédits budgétaires pour autre chose que ce pour quoi ils ont été autorisés, il faut procéder aux ouvertures budgétaires nécessaires, éventuellement en collectif, le cas échéant après avoir annulé, à l'intérieur des budgets, pour des raisons d'équilibre budgétaire, des crédits, par exemple, sur la zone - pourquoi pas ? En tout cas, on ne peut pas utiliser des crédits pour une autre action que celle pour laquelle le Parlement a autorisé la dépense.
L'amendement vise donc simplement à rappeler que les crédits affectés au fonds de solidarité prioritaire et à l'agence française de développement ne pourront plus, désormais, être utilisés que dans les pays inscrits dans la zone au moment du dépôt du projet de loi de finances de l'année. Il n'a pas d'autre objet.
Il tend, messieurs les ministres, à faire en sorte que le Gouvernement vous accorde, dans le cadre des arbitrages budgétaires, les crédits qu'il estime nécessaires à la politique extérieure et que, s'il estime nécessaire de modifier l'affectation de dotations budgétaires existantes, il aille jusqu'au bout du raisonnement en les réduisant ou en procédant à des annulations.
Nous, nous souhaitons que l'autorisation budgétaire soit respectée et que, lorsqu'on nous demande de voter un crédit pour une destination précise, ce crédit ne serve pas à autre chose. Ce n'est rien d'autre que l'application de la loi organique.
J'en termine, monsieur le président, en rappelant que le Parlement n'a plus l'initiative en matière de dépenses depuis 1958, mais qu'il est seul compétent pour les autoriser. On ne peut pas, en plus, raboter la dernière prérogative qui lui reste ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Charles Josselin, ministre délégué. Le décret du 11 septembre 2000 relatif au fonds de solidarité prioritaire, le FSP, prévoit, dès son article 1er, qui en définit le champ géographique et thématique, « qu'il peut financer, à titre exceptionnel, des opérations d'aide et de coopération situées, le cas échéant, hors de la zone de solidarité prioritaire ». On l'a d'ailleurs rappelé ici même.
Ce faisant, il est évidemment tenu compte de situations particulières et d'urgence, alors que, comme vous le savez, la liste des pays de la zone de solidarité prioritaire, la ZSP, si elle est évolutive, ne peut changer qu'après une décision du CICID, dont la réunion n'est qu'annuelle.
C'est la raison pour laquelle un FSP Balkans de 30 millions de francs a été lancé sur les crédits du chapitre 68-91, article 10. Le Gouvernement considérait qu'il y avait là matière à action rapide, à « solidarité prioritaire », et ce dans les compétences du FSP : « Dons, projets, programmes d'investissements matériels et immatériels, dans les domaines institutionnel, social, culturel et de recherche ».
A l'instar d'autres lignes budgétaires qui ont été sollicitées, 43 millions de francs ont, par ailleurs, été annulés sur le FSP pour faire face à la situation en Serbie. Mais il ne s'est pas agi, alors, d'utiliser le FSP pour la Serbie. Il est vrai que cette procédure ressemblait davantage à celle que vous préconisiez à la fin de votre intervention, monsieur Charasse.
Pour ce qui est du second alinéa de l'amendement, je vous rassure pleinement. Il ne peut être question, sur les crédits du chapitre 68-93 destinés à l'agence française de développement, l'AFD, de financer des projets hors de la ZSP. En effet, le même 11 septembre, le décret découlant de la création du FSP et modifiant les statuts de l'AFD indique, pour l'article 3 de ses statuts, c'est-à-dire quand l'AFD oeuvre pour son propre compte, que « l'agence finance des projets d'investissements contribuant au développement des Etats appartenant à la ZSP ». C'est donc exclusif de tout autre pays.
Mais je reconnais bien volontiers que, sauf à dénaturer le FSP, toute utilisation du chapitre 68-91, article 10, hors de la ZSP doit être tout à fait exceptionnelle, comme c'est clairement indiqué dans le décret.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement réfléchit activement à un dispositif budgétaire spécifique pour faire face aux situations de crise, dispositif que j'espère bien être en mesure de vous présenter dans la loi de finances de 2002.
En attendant, je crois pouvoir vous dire que le Gouvernement vous a entendus.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Et compris ?
M. Charles Josselin, ministre délégué. Oui, et c'est pourquoi j'invite ses auteurs à retirer l'amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-18.
M. Guy Penne. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Penne.
M. Guy Penne. Monsieur le ministre, nous avons été choqués par cette amputation de crédits qui frappait un budget déjà en difficulté. Nous le savons, les discussions ont été ardues, vous vous êtes battu. Bien qu'ayant déjà fait l'objet d'un repli par rapport à ce qui était proposé au départ, les sommes étaient énormes.
Les arguments présentés par M. Charasse me paraissent bons. Sur le plan constitutionnel, ils prévalent sur ce qui n'est de votre part qu'une explication.
Certes, il ne s'agit pas d'entrer en conflit avec le Gouvernement. Mais, tout de même. Sous la présidence de M. de Villepin, les rapporteurs de la commission des affaires étrangères se sont réunis avec ceux de la commission des finances, MM. Chaumont et Charasse, pour savoir comment on pourrait faire passer le message au Gouvernement, lui faire comprendre que trop c'est trop, car, s'il est vrai que nous ne pouvons pas décider à la place du Gouvernement, qui a certaines prérogatives, il y a tout de même certaines formes à respecter.
De toute façon, il convient de mettre un point final à ces régulations qui arrivent à tout moment et qui sont extrêmement choquantes.
Vous nous annoncez, monsieur le ministre, que le Gouvernement va essayer de trouver une méthode qui serait plus convenable que celle qui a été employée jusqu'à maintenant et qui a surpris les parlementaires que nous sommes. Notre prérogative, c'est de voter le budget ; or, d'un seul coup, surviennent ces coupes brutales, sans que nous soyons le moins du monde informés, si ce n'est au dernier moment !
Et quand nous commençons à hurler, puisque c'est le rôle des parlementaires, le Gouvernement, lui aussi dans son rôle, nous rétorque que nous hurlons à tort car il s'est bien battu et que, sans lui, cela aurait pu être des coupes trois ou quatre fois plus importantes. Alors, soit, bravo ! Vous vous êtes bien battus. D'ailleurs, nous sommes prêts à nous battre avec vous. J'avais annoncé en commission des affaires étrangères - je parle sous le contrôle de son président - que nous suivrions la position de la commission des finances, défendue par MM. Chaumont et Charasse, après avoir envisagé un instant, monsieur le ministre, de rejeter votre budget pour bien marquer le coup.
C'est vous dire combien nos intentions sont fermes. Nous voulons éviter que cela ne se reproduise. Si c'était le cas, il faudrait améliorer la forme pour que cela soit plus acceptable. (Très bien ! sur plusieurs travées.)
M. le président. Monsieur le rapporteur spécial, l'amendement n° II-18 est-il maintenu ?
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Monsieur le président, je serai très bref. Dans cette histoire, il y a le passé, le présent et l'avenir.
En ce qui concerne le passé et le présent, c'est-à-dire l'année 2000, les crédits du chapitre 68-91, article 10, ont été utilisés d'une manière non conforme à l'autorisation budgétaire. Cela signifie, messieurs les ministres, que si vous ne rectifiez pas les choses dans le collectif de fin d'année, la Cour des comptes mettra les ordonnateurs et les comptables en débet - c'est clair, net et précis - avec toutes les conséquences qui peuvent en résulter.
En ce qui concerne l'avenir, j'ai entendu, comme M. Chaumont, M. le ministre déclarer qu'il cherchait une solution pour créer un chapitre budgétaire destiné à recevoir des crédits d'urgence à utiliser en cas de crise, de façon que nous ne connaissions plus ce genre de problème ni ces prélèvements sur un chapitre qui n'est pas fait pour cela.
Monsieur le président, j'ajouterai deux choses.
D'abord, je souhaite que les ministres transmettent d'urgence notre demande au secrétariat d'Etat au budget, afin que soient apportées, dans le collectif que nous allons examiner tout de suite après la loi de finances, les rectifications nécessaires pour mettre les ordonnateurs et les comptables à l'abri pour les années 1999 et 2000.
Ensuite, pour l'année 2001, nous attendons avec impatience les modifications, ou les suggestions que nous fera le Gouvernement, de façon que l'on ne retombe pas dans ces errements qui conduisent à vider l'autorisation budgétaire de sa portée.
Compte tenu de la manière dont les discussions ont été conduites en commission des finances et des explications du Gouvernement, j'ai été autorisé, monsieur le président, à retirer l'amendement.
M. le président. L'amendement n° II-18 est retiré.
Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant les affaires étrangères.

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