SEANCE DU 20 DECEMBRE 2000


M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Muzeau, pour explication de vote.
M. Roland Muzeau. La discussion a montré à quel point les désaccords sont nombreux entre les conceptions de la majorité sénatoriale et celles de l'opposition. Mais il n'a échappé à personne que des différences d'appréciation existent aussi dans l'opposition de gauche.
Le résultat qui apparaîtra à l'issue du vote final n'aidera guère à comprendre, je le crains, les enjeux de société qui étaient initialement portés par cette proposition de loi sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et je le regrette profondément.
L'amendement légalisant le travail de nuit des femmes a en effet transformé le débat, et des questions sont apparues naturellement à ce propos.
La compétitivité des entreprises dans notre pays serait-elle menacée par l'interdiction du travail de nuit des femmes et par la volonté que nous affichons de procéder clairement à la limitation de ce travail de nuit pour l'ensemble des salariés ?
Les éléments économiques en notre possession traduisent-ils un effondrement de la productivité, une baisse du taux de marge des entreprises, une réduction de l'excédent brut d'exploitation ? Y a-t-il aujourd'hui moins de production réalisée, moins de profits accumulés, moins de dividendes distribués ? Manifestement, ce n'est pas le cas !
En revanche, notre pays continue de connaître un certain nombre de problèmes majeurs : volume relativement important des bas salaires, développement des formes les plus diverses de la précarité, non-reconnaissance des qualifications et des compétences ; tout cela constitue au demeurant un obstacle à la croissance.
Qui sont les premières victimes de cette situation ? Que les choses soient claires : ce sont les femmes salariées.
Ce sont les femmes salariées qui ont testé en grandeur nature le temps partiel, la mise à disposition au gré de l'employeur. Ce sont elles qui ont le plus expérimenté la non-reconnaissance des qualifications et des compétences acquises.
Chacun sait ici que les femmes salariées sont toujours plus nombreuses à intervenir dans le monde du travail mais toujours aussi peu nombreuses à exercer des postes à responsabilités. Et quand elles le font, elles doivent accepter un salaire inférieur de 27 % en moyenne à celui de leurs collègues masculins.
La prise en considération de cette situation était au coeur de la proposition de loi d'origine. Elle est très éloignée du texte qui nous est soumis aujourd'hui, dans lequel est venu se greffer cet article 8 nonies , directement transféré d'un autre projet de loi et qui a motivé d'ailleurs, en première lecture, les réticences de la Haute Assemblée.
D'un autre côté, la proposition de loi est également totalement dénaturée par la suppression qu'a opérée la majorité sénatoriale de toutes les obligations légales imposées initialement aux employeurs, renvoyant la détermination des mesures nécessaires à la négociation, dont on sait ce qu'elle est dans bien des entreprises.
Fidèle à la position qu'il a adoptée en première lecture, le groupe communiste républicain et citoyen appelle le Sénat à rejeter ce texte, au titre pourtant prometteur, visant à instaurer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes mais qui a été totalement vidé de son sens originel.
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le groupe des Républicains et Indépendants souscrit aux critiques formulées par notre rapporteur à l'encontre de cette proposition de loi, qui est à la fois trop contraignante dans les règles qu'elle édicte et trop étroite dans les préoccupations qui la sous-tendent. Une fois de plus, le Gouvernement a cédé à sa passion de légiférer. Ce volontarisme abstrait se cantonne le plus souvent au stade de l'affichage, négligeant celui des réalisations.
La loi Roudy est mal appliquée par les partenaires sociaux. Est-ce en la rendant plus contraignante qu'on la rendra plus effective ? Nous ne le pensons pas : d'abord, parce que la persistance des inégalités professionnelles tient à l'existence de nombreux freins, notamment d'ordre culturel ; ensuite parce que la contrainte résulte d'une vision trop réductrice des inégalités professionnelles.
Il n'est pas possible d'imposer un ordre décidé à l'avance.
Si les inégalités professionnelles sont évidemment présentes dans l'entreprise, elles trouvent généralement leur source hors de celle-ci. Ainsi, pour les femmes, le plus difficile est souvent de concilier vie familiale et vie professionnelle, ce qui alimente les inégalités. C'est pourquoi nous avons beaucoup regretté que la proposition de loi n'aborde pas cette question pourtant essentielle.
Bien entendu, les sénateurs du groupe des Républicains et Indépendants se félicitent, à cet égard, de l'adoption d'un amendement prévoyant la possibilité de majorer l'aide maximale que peut accorder un employeur en franchise de cotisations pour l'emploi d'un salarié à domicile lorsque ce salarié assure la garde d'un enfant de moins de trois ans.
Cela a été dit à plusieurs reprises au cours de la discussion, la contrainte étatique nous paraît moins efficace que la responsabilisation. Il nous semble beaucoup plus positif, plus constructif d'ouvrir des espaces de négociation aux partenaires sociaux et de leur faire confiance que d'ajouter sanction sur sanction, ce qui irrite tout le monde, en particulier les Français.
En ce qui concerne le travail de nuit des femmes, nous comprenons le souhait du Gouvernement de l'encadrer. Mais il l'a encadré de façon si contraignante que cela va porter atteinte à la santé des entreprises.
Mmes Marie-Madeleine Dieulangard, Gisèle Printz et Dinah Derycke. Et la santé des salariés ?...
Mme Anne Heinis. Pensez aux entreprises de nettoyage. Evidemment, avec votre système, les femmes ne travailleront pas la nuit. Mais ce n'est pas parce qu'on les aura protégées, c'est parce qu'elles n'auront plus de travail ! Seuls les hommes pourront travailler dans ces entreprises. Or les femmes ont également besoin de travailler ! Heureusement, la majorité sénatoriale est donc revenue, grâce aux propositions de notre rapporteur et de la commission, à plus de bon sens.
Non seulement l'encadrement voulu par le Gouvernement était excessif, mais il n'était pas très bien ciblé. Nous nous sommes attachés à remédier à ce défaut du texte, en renforçant la protection des femmes enceintes ou qui viennent d'accoucher et qui travaillent la nuit.
Bien entendu, le groupe des Républicains et Indépendants votera ce texte tel qu'il ressort des travaux du Sénat.
Je voudrais, enfin, adresser mes félicitations les plus chaleureuses à Mme Bocandé, qui a fait un travail remarquable sur un texte difficile. Je regrette seulement que ce travail n'ait pas été mieux reconnu à l'Assemblée nationale. J'espère, madame la secrétaire d'Etat, que vous aurez la sagesse de défendre par la suite ce qui a été voté ce soir par le Sénat, afin que nous progressions effectivement dans les domaines de l'égalité professionnelle des hommes et des femmes et du travail de nuit des femmes, qui nécessite incontestablement une surveillance. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, je voudrais adresser à mes collègues de la commission des affaires sociales de très vifs remerciements pour l'excellence du travail qu'ils ont accompli, en particulier son président, Jean Delaneau, et Mme Annick Bocandé, en sa qualité de rapporteur. Ils ont su nous faire partager leurs convictions, la confiance qu'ils placent dans la discussion entre les partenaires sociaux, à la convention. Leurs propositions laissent aux partenaires un espace pour négocier et définir le juste chemin.
Nous allons, s'agissant du travail de nuit des femmes, mettre un terme à un vide juridique et à une hypocrisie.
Je regrette la méthode employée par le Gouvernement, car ce sujet justifiait en soi un projet de loi.
C'est en effet par voie d'amendement que, en première lecture, le Gouvernement nous a invités à inscrire, dans cette proposition de loi, la nécessité d'encadrer le travail de nuit des femmes. Convenons que la méthode aurait pu être plus judicieusement choisie et que de l'option qu'avait retenue le Gouvernement il a pu résulter, en première lecture, une certaine confusion. Celle-ci est, heureusement, levée ce soir.
Je voudrais, madame le secrétaire d'Etat, tenter de vous convaincre d'écouter le Sénat. Si le Gouvernement l'avait fait s'agissant de la contribution sociale généralisée, s'il avait bien voulu retenir le dispositif adopté par notre commission des affaires sociales et notre commission des finances, puis repris par le Sénat, à l'occasion tant de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale que de celle du projet de loi de finances pour 2001, vous auriez aujourd'hui le moyen juridique d'améliorer le niveau des revenus disponibles de ceux et de celles dont le salaire est particulièrement modeste.
Madame le secrétaire d'Etat, je souhaite donc que vous preniez en compte les propositions que le Sénat a adoptées ce soir et qui, je le crois, ont contribué à la rédaction d'un texte équilibré et réaliste.
Le groupe de l'Union centriste apportera son soutien au texte tel qu'il résulte des délibérations du Sénat en deuxième lecture. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz. Après ce débat long, difficile et parfois un peu embrouillé, je voudrais d'abord rendre hommage au travail de notre rapporteure, qui a su maintenir un état d'esprit serein et constructif, dans le respect des opinions de chacun.
Sans doute n'avons-nous pas tous ici la même conception de l'égalité professionnelle ou des garanties dues aux salariés travaillant la nuit. Sans doute nos conceptions des rôles respectifs de l'Etat et des partenaires sociaux dans l'établissement de la norme en droit du travail diffèrent-elles quelque peu.
Nous ne croyons pas, nous, que la modernité se trouve dans l'absence d'un cadre précis, en particulier en ce qui concerne la protection de la santé des travailleurs ou en matière de sanctions en cas de carence ou de manquement volontaire de l'employeur à la règle de droit, et les dernières années nous ont confortés dans cette opinion. Qu'il s'agisse de l'égalité professionnelle ou du travail de nuit, c'est là le point nodal de nos divergences.
Cela étant posé, nous devons constater qu'un certain nombre de progrès ont été accomplis. Je pense notamment à la stabilisation de la garantie de rémunération des femmes enceintes travaillant la nuit non reclassées sur un poste de jour, aux dispositions concernant les conjoints collaborateurs ou encore aux élections prud'homales.
Plusieurs articles ont pu être adoptés conformes, et nous avançons dans la voie de la sécurisation juridique du travail de nuit. Pour ces motifs, en attendant les dernières mises au point de la commission mixte paritaire et des dernières lectures, nous nous abstiendrons lors du vote sur l'ensemble de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Mme Annick Bocandé, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Annick Bocandé, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, pour la deuxième fois, s'agissant d'un texte qui traite notamment du travail de nuit, nous nous sommes en quelque sorte livrés ce soir à des travaux pratiques. (Sourires.)
Je voudrais tous vous remercier de votre contribution à ce débat. Je tiens à remercier également Mme la secrétaire d'Etat de sa courtoisie, tant il est vrai que cette discussion n'a pas toujours été facile.
Je me félicite de l'avancée qui a été obtenue ce soir, notamment pour une meilleure représentation des femmes dans les élections professionnelles et pour une bonne protection des salariés, hommes ou femmes, qui doivent travailler la nuit, tout particulièrement s'agissant des femmes enceintes ; nous avons, me semble-t-il, réussi à trouver un terrain d'entente, madame la secrétaire d'Etat, et j'en suis personnellement ravie.
Il reste encore du chemin à faire, mais il est déjà fort tard, et, à cette heure, je me permettrai de souhaiter simplement d'excellentes fêtes de fin d'année à toutes et à tous. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

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