SEANCE DU 17 JANVIER 2001


DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi organique (n° 166, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne surprendrai personne en réaffirmant à cette tribune l'opposition des sénateurs communistes à cette proposition de loi visant à inverser le calendrier électoral initialement prévu pour les élections législatives et présidentielles à venir.
Nous regrettons ce débat de convenance qui nous est proposé aujourd'hui.
Je l'affirme d'emblée, reprenant d'ailleurs en cela ce qu'a indiqué avec une grande clarté le professeur René Rémond devant la commission des lois mardi dernier, c'est bien la question d'une présidentialisation ou non du régime qui est aujourd'hui posée.
Nous constatons tous que, au travers d'une mesure de circonstance, c'est bien l'enjeu présidentiel qui positionne les deux principaux protagonistes dans cette affaire, c'est bien le renforcement du pouvoir présidentiel qui est en discussion.
M. Giscard d'Estaing, dans un éternel retour, confirmait cette analyse, le 19 décembre dernier, à l'Assemblée nationale : « Le rôle du Président est prééminent, au sens étymologique du terme. Cela ne signifie pas que son pouvoir est absolu ou illimité ; cela indique simplement qu'il l'exerce au-dessus des autres pouvoirs, à l'exception du pouvoir judiciaire ».
L'ancien président ne s'est pas arrêté en si bonne voie, affirmant qu'après l'élection présidentielle il suffisait « de mettre en oeuvre cette politique », celle qui a été décidée lors du scrutin présidentiel.
Le débat qui s'ouvre aujourd'hui au Sénat confirme nos craintes exprimées en juin dernier dans ce même hémicycle au sujet du quinquennat. Nous dénoncions alors l'engagement, avec le « quinquennat sec », d'un processus vers une présidentialisation du régime.
Nous avions noté, sans trop y croire, les garanties en faveur d'un renforcement des pouvoirs du Parlement apportées par les promoteurs de la réduction du mandat. Trois mois à peine se sont écoulés, et nous passons directement à la seconde étape d'un affaiblissement institutionnel du Parlement ! Tout est ainsi fait pour que l'élection législative devienne subalterne.
La Constitution de 1958 porte en son sein l'affirmation du pouvoir personnel. Les fortes personnalités, en dehors des périodes de cohabitation, ont su utiliser les institutions de la Ve République en ce sens. C'est l'une des raisons de l'opposition permanente et cohérente des communistes à ce régime.
Mais, dans le même temps, nous n'avons jamais oublié que ce régime n'était pas un régime à l'américaine ; de type présidentiel. Le pouvoir parlementaire, certes bridé, demeure réel, au moins sur le papier, et le Gouvernement est responsable devant le Parlement et non pas devant le Président de la République.
Il est à noter que les périodes de cohabitation accentuent le caractère potentiellement parlementariste de la Ve République. Mais il est clair que certains veulent en terminer avec cette situation et assurer à l'avenir le caractère présidentialiste de nos institutions.
On pourrait nous demander pourquoi nous sommes hostiles à ce régime, qui est l'expression même de la démocratie électorale. Un contrat serait, en effet, ainsi passé entre un homme et un peuple par le biais du suffrage universel.
Je réfute cette analyse et confirme l'opposition des sénateurs communistes à ce type de régime pour des raisons que je vais maintenant exposer.
Premièrement, la bipolarisation de la vie politique découle de la personnalisation du pouvoir et du mode de scrutin. Or, c'est le pluralisme, la recherche du débat d'idées qui fait vivre une démocratie. La bipolarisation appauvrit ce débat à l'extrême, simplifie, voire abêtit, l'échange politique.
M. Giscard d'Estaing s'inquiétait, toujours le 19 décembre, de la primauté donnée aux élections législatives : « Que deviendraient alors les grands débats entre les candidats, les tête-à-tête télévisés, qui permettent aux électeurs de se former un jugement sur les projets respectifs des deux candidats ? »
Ce qui fait la différence entre l'idéal démocratique que nous défendons et celui que défendent M. Giscard d'Estaing et ses amis, c'est notre volonté d'élargir le débat, de l'enraciner au plus profond du pays et de notre peuple, et non pas de le limiter à un show télévisé, méthode dont les Etats-Unis nous ont encore démontré récemment, et tristement, les limites.
La quintessence du régime présidentiel, le modèle du genre, c'est le système américain. La culture politique française, mais aussi européenne, ne peut s'accorder avec cette simplification de la vie politique qui n'est pas étonnante dans un pays où, chacun le sait, le véritable pouvoir est non pas politique mais économique.
La présidentialisation d'un régime élargit la césure entre les dirigeants et les citoyens.
Confier le destin de la nation à un seul homme, même en mettant en place tel ou tel contre-pouvoir, diminue l'influence des relais d'opinion et de l'opposition. C'est l'expression suprême de la délégation de pouvoir.
De toute évidence, une évolution vers un régime présidentiel ne réduira pas la profondeur de la crise du politique que notre pays traverse. Car la vie politique française est en crise, chacun le sait ici. Ce sera le deuxième point de mon propos.
Je conteste formellement le point de vue du Président de la République, qui estime cette crise inexistante. Les résultats du référendum sur le quinquennat - sept Français sur dix n'ont pas voté - l'abstention croissante lors de chaque élection, mais aussi l'attitude de nos concitoyens, que chacun d'entre nous peut rencontrer, montrent bien une défiance croissante des Françaises et des Français à l'égard de ce qu'ils désignent comme la classe politique.
Il est terrible, pour les femmes et les hommes qui ont fait de l'action politique leur passion, de constater que la perception essentielle par notre peuple de la vie politique se résume bien souvent, aujourd'hui, aux affaires, et aux seules affaires. Mais comment s'en étonner, puisque, pour le reste, les choix, les éléments de décision leur échappent ?
Nous sommes bien loin des principes fondateurs de la République, et je dirai même du système démocratique, affirmé notamment par les philosophes du siècle des Lumières. Trop souvent, il est oublié que la souveraineté est exercée par le peuple, par l'intermédiaire, mais seulement par l'intermédiaire, de ses représentants.
C'est bien ce rapport des institutions au peuple, cette nouvelle relation entre le représentant et le représenté qu'il faut mettre en chantier aujourd'hui plutôt que de contribuer au rétrécissement de l'exercice du pouvoir, à son éloignement.
Nous le réaffirmons, la proportionnelle constitue indubitablement le moyen d'assurer la meilleure adéquation entre représentation politique et population. Toutes les remarques sur les difficultés à créer et à stabiliser les majorités sont pour nous des arguties. Un principe est, à nos yeux, essentiel : les assemblées doivent coller au plus près de la réalité sociale.
Par ailleurs, seule la proportionnelle permettra le rajeunissement et la féminisation des élus. Nous le constatons bien dans cet hémicycle, c'est la proportionnelle qui a permis d'assurer la présence de sénatrices, malheureusement encore trop peu nombreuses !
A propos de la proportionnelle, je regrette souvent, avec mes amis, que la précipitation ait pu ainsi être de mise pour l'inversion du calendrier électoral, alors que, pour l'injection d'au moins une dose de proportionnelle dans le mode de scrutin législatif et pour l'accès des étrangers au droit de vote lors des élections municipales, on a argué de la proximité trop grande des scrutins pour repousser les échéances. Il y a là deux poids deux mesures, et cela confirme sans ambiguïté l'aspect circonstanciel du présent débat.
Après avoir fermé cette parenthèse, j'affirme, pour conclure sur ces réflexions relatives à la crise de la vie politique, qu'il est grand temps de faire évoluer le Sénat.
En effet, au-delà d'un mode de scrutin toujours déséquilibré, au-delà d'un mandat d'une durée déraisonnable - neuf ans -, au-delà d'un âge d'éligibilité trop élevé - trente-cinq ans -, c'est l'existence d'une chambre où l'alternance est une donnée inconnue et qui, en conséquence, bloque l'expression de la volonté générale exprimée par le suffrage universel direct qui doit être intégrée dans votre réflexion sur l'état de la démocratie française.
Nous notons qu'un éminent membre de la majorité sénatoriale vient de déposer une proposition de loi visant à appliquer le recensement de 1999 à la répartition des sièges sénatoriaux. Il est grand temps ! Cela fait de nombreuses années que notre groupe, ainsi que le groupe socialiste, réclame la prise en compte des évolutions démographiques. Il n'est pas possible, en effet, que le Sénat d'aujourd'hui représente la France de 1975 !
La décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet, que nous avons vivement désapprouvée quant à la remise en cause de la démocratisation du corps électoral, se prononçait paradoxalement pour la prise en compte des évolutions démographiques.
Je note d'ailleurs que les représentants de la majorité sénatoriale avaient eux-mêmes fondé leur contestation de la réforme du mode de scrutin sur la nécessité d'appliquer au préalable le recensement de 1999. Alors, qu'attendons-nous ? Inscrivons les propositions de loi et débattons-en !
N'est-il pas temps, mes chers collègues, que le Sénat prenne l'initiative d'adapter, enfin, notre Haute Assemblée à la réalité démographique du pays ?
Puisque nous sommes à l'heure de la précipitation, précipitons-nous pour anticiper sur le renouvellement de 2001. Ce serait de bon augure !
Face à cette crise de la vie politique, face à cette inquiétude des Français sur leur capacité à intervenir, les sénateurs communistes proposent quelques axes de réflexion ; ce sera le troisième point de mon intervention.
En premier lieu, nous proposons d'agir avec détermination pour conférer au Parlement de nouveaux pouvoirs.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Robert Bret. Il faut combattre toute une pratique qui inféode le pouvoir législatif au pouvoir exécutif. Prenons l'exemple des journées d'initiative parlementaire, appelées également « niches parlementaires » : soit les propositions de loi ne sont pas inscrites à l'ordre du jour de l'autre assemblée, soit elles sont sous haute surveillance gouvernementale pour obtenir le label majoritaire.
Des dispositions de la Constitution de 1958 doivent par ailleurs être supprimées. C'est le cas du fameux « 49-3 » qui, même lorsque, comme aujourd'hui, le Gouvernement ne l'utilise pas, pèse comme une épée de Damoclès sur le Parlement. Nous proposons également de revoir la sacro-sainte règle de la fixation de l'ordre du jour par le Gouvernement.
M. Paul Girod. Vaste programme !
M. Robert Bret. Des dispositions, comme le vote bloqué de l'article 44 ou comme l'article 40, doivent également être écartées. Sur ce dernier point, celui du pouvoir budgétaire, la restauration du pouvoir parlementaire doit être engagée d'urgence. Nous savons qu'une réflexion est engagée depuis de longs mois à l'Assemblée nationale à ce sujet, mais, là aussi, il conviendrait d'« accélérer » !
Permettez-moi cependant d'émettre un doute sur la portée réelle de toute réforme sur ce point si l'on ne desserre pas l'étau, le carcan des critères de convergences établis par le traité de Maastricht. Ces critères accentuent fortement le caractère de chambre d'enregistrement de nos deux assemblées en période de débat budgétaire. Il ne s'agit pas d'une mince affaire. Il me semble en effet que cette question du pouvoir budgétaire du Parlement est au centre du sentiment d'impuissance, en tout cas d'affaiblissement, qui se dégage trop souvent de notre intervention.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ça, c'est vrai !
M. Robert Bret. Combien de mesures s'avèrent d'une portée réduite - je pense en particulier aux propositions d'initiatives parlementaires précédemment évoquées - faute de moyens budgétaires débloqués par Bercy, autrement dit par le tout puissant ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ?
Le contrôle de constitutionnalité représente un élément important du progrès ou du recul du pouvoir législatif. Cette question est sous les feux de l'actualité car, depuis plusieurs mois, le Conseil constitutionnel a rendu décision sur décision qui contrecarre l'action de la majorité de l'Assemblée nationale, issue, je le rappelle, du suffrage universel direct en 1997.
De la censure de dispositions importantes, de la réforme du mode de scutin sénatorial à celle du dégrèvement de la CSG, au profit des neuf millions de salariés les plus défavorisés, en passant par l'écotaxe, le Conseil constitutionnel a clairement pris des décisions de caractère politique. Cela n'est pas surprenant puisque la composition du Conseil est elle-même un enjeu politique : majorité et opposition guettent rituellement l'instant où elles domineront l'instance.
Le seul problème, et il n'est pas le moindre, concerne la légitimité démocratique du Conseil consitutionnel. Au nom de quel principe républicain - je faisais référence au siècle des Lumières, il y a un instant - neuf juges peuvent-ils défaire ce qui est l'expresion de la volonté générale ?
Bien entendu, je comprends parfaitement la nécessité d'assurer un contrôle de constitutionnalité. Mais ne faut-il pas mettre en chantier une réflexion pour substituer à cette instance, qui semble bien avoir fait son temps, une juridiction au fondement démocratique, qui peut être - c'est une proposition - l'émanation du Parlement, respectant un équilibre entre opposition et majorité ?
Le dernier point sur le renforcement des pouvoirs du Parlement concerne l'importante question du contrôle par le Parlement national de la politique européenne.
L'épisode, malheureux, du débat sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances sur des dizaines de directives européennes a mis en évidence la nécessité de permettre aux assemblées de peser en amont sur la préparation des normes européennes et à les examiner réellement en avril.
Je réitère notre proposition de donner au Parlement le pouvoir de mandater le Gouvernement avant la réunion d'un conseil des ministres européens statuant sur tel ou tel projet de directive. Pour le contrôle en aval, une disposition doit être insérée dans le règlement afin de permettre l'examen systématique de toutes les directives posant un problème important. Nous envisageons le dépôt rapide d'une proposition de loi sur ce point.
Le second grand axe de réflexion pour la restabilisation de la vie politique concerne le rapport entre le pouvoir économique et le pouvoir politique.
Il est clair que la désaffection de nos concitoyens à l'égard des partis et des décideurs politiques provient d'une impuissance croissante constatée à l'égard du pouvoir économique. Je n'entrerai pas aujourd'hui dans le détail de cette question, mais le rôle de la Banque centrale européenne, organe toujours dépourvu de contrôle démocratique, est significatif en ce domaine. La question des privatisations s'avère, dans ce cadre, centrale. Comment restaurer la primauté du pouvoir politique, du pouvoir démocratique si l'on retire à la collectivité publique la plupart de ses moyens d'intervention ?
Il s'agit là d'une question essentielle, en tout cas pour nous. Le libéralisme qui, par essence, privilégie les intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général, porte en lui-même la contestation du système démocratique. Le libéralisme s'accorde parfaitement au système présidentiel. La simplification du débat, la délégation de pouvoir facilite grandement l'action des intérêts privés.
Comme quoi, mes chers collègues, la question des institutions est bien une question globale. Elle recouvre l'ensemble des secteurs de la société et, de toute évidence, cette question des institutions mérite bien mieux qu'un référendum raté ou une « belle manoeuvre » réalisée, comme cela a été souligné, dans la précipitation coutumière de la fin du mois de décembre.
Agir pour une nouvelle démocratie, car c'est bien de cela dont il s'agit, exige une extension sans précédent de la démocratie participative.
C'est une condition du retour de la confiance des Français dans le système politique, c'est également la garantie d'un pouvoir retrouvé du Parlement ; c'est l'interactivité permanente entre le citoyen et l'institution, qu'elle soit locale ou nationale, qui permettra véritablement à la loi d'être l'expression de la volonté générale.
Cela impose évidemment un effort de réflexion et d'imagination pour créer de nouvelles formes de consultation, de débat. Faut-il aller vers une possibilité de contrôle du mandat électif au cours de celui-ci ? La question peut se poser. Nous estimons en tout cas possible de mettre en chantier dès à présent un dispositif tendant au dépôt de propositions de loi d'initiative populaire, permettant à une partie de la population - 2 % des électeurs inscrits par exemple - d'intervenir sur le plan législatif.
Je rappelle que la commission Vedel, mise en place en 1993, avait élaboré une intéressante proposition en ce sens.
Il est temps, mes chers collègues, de bousculer l'ordre établi et de permettre à nos concitoyens d'investir le champ politique. Toute tentative de « rapiéçage » constitutionnel en dehors de cette réflexion serait, à mon sens, de portée excessivement limitée.
L'essor de la décentralisation est inséparable, on le sait, de ce concept de démocratie participative. Ces deux idées doivent se nourrir dialectiquement.
Nous appuyons et nous appelons de nos voeux l'idée d'une nouvelle étape de la décentralisation. Mais, pour nous, il ne s'agit pas d'une décentralisation tournée contre l'Etat et la République, comme certains libéraux l'interprètent.
Nous alertons sur cette tentation de l'Europe des régions, qui créerait une entité territoriale uniforme en Europe, gommant les spécificités nationales.
Nous alertons également sur les tentatives d'utiliser cette juste aspiration à la décentralisation pour porter un coup à l'unicité du territoire et de la loi. Pour ces mêmes raisons, nous nous interrogeons sur la proposition de loi, déposée par le groupe UDF et débattue à l'Assemblée nationale, qui, au nom de l'expérimentation locale des collectivités territoriales, peut justement cacher des tentatives libérales. Nous en débattrons au Sénat le moment venu.
La décentralisation est pour nous, mes chers collègues, le moyen de donner à la population et aux élus locaux les moyens de mettre à profit au mieux les acquis de la République. Cette décentralisation, c'est l'outil de cette nouvelle démocratie que nous appelons de nos voeux, le moyen de mettre en pratique l'interactivité entre le haut et le bas, entre le bas et le haut.
Bien entendu, cette décentralisation doit s'appuyer sur un véritable statut de l'élu, qui permettra aux hommes et aux femmes de ce pays, jusqu'à présent écartés des fonctions électives pour causes d'activités salariées ou de charges familiales, de les assumer. Le statut de l'élu constitue un élément clef de la démocratisation de la vie politique.
C'est avec satisfaction que nous avons appris le vote, le 14 décembre dernier, d'une proposition de loi, présentée par les députés communistes, constituant un premier pas, certes encore trop modeste, vers un statut de l'élu. Nous serons vigilants au Sénat sur l'adoption de ces dispositions et nous aurons l'occasion d'en débattre dès la semaine prochaine.
Avant de conclure, je souhaite réaffirmer que la question de la démocratisation de la vie politique traverse l'ensemble de la société, notamment les entreprises. Comment imaginer construire une véritable intervention citoyenne si les Françaises et les Français ne disposent pas de pouvoirs d'intervention nouveaux dans la gestion des entreprises ?
Comme je l'indiquai précédemment, le pouvoir économique exerce actuellement, nous le savons, une forte pression sur le pouvoir politique. N'est-il pas nécessaire, pour retrouver l'équilibre indispensable, d'injecter une forte dose de démocratie dans l'entreprise française ? Cela irait, me semble-t-il, dans le bons sens.
Je dirai, en conclusion et pour résumer mon propos, que le débat d'aujourd'hui est censé porter sur une modification mineure de calendrier. Il s'agirait simplement de rétablir l'ordre naturel des choses.
De son côté, la commission des lois du Sénat propose deux amendements visant au maitien du calendrier.
N'est-il pas surprenant à cette occasion de découvrir les partisans traditionnels de la Constitution de la Ve République et de son caractère présidentialiste dans le rôle des preux défenseurs du Parlement et de découvrir les habituels détracteurs du coup d'Etat permanent présidentiel dans le rôle des promoteurs de la logique présidentialiste de la Ve République ?
Vous remarquerez, mes chers collègues, que j'ai pris soin de ne citer personne, ni aucune sensibilité politique.
M. Serge Vinçon. Ils se sont reconnus !
M. Robert Bret. Toutefois, nous mettons en garde solennellement ceux qui, à droite comme à gauche, peuvent être tentés de jouer avec le feu, c'est-à-dire avec les règles démocratiques. Sachons plutôt entendre le message que les Françaises et les Français nous ont adressé lors du dernier référendum.
Non, décidément, nous ne participerons pas à ce que je crois percevoir comme étant les derniers avatars d'une Ve République qui marque ses limites et confirme la nécessité d'engager de profondes réformes de nos institutions.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs communistes se prononceront contre l'inversion du calendrier électoral proposé par les auteurs de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer la position de la commission des lois et la brillante présentation qui en a été faite par le rapporteur, notre collègue M. Christian Bonnet.
Si, d'aventure, la proposition que je vais présenter ne recevait pas un soutien massif, il est clair que je me rallierais volontiers à la position exprimée par la commission des lois.
M. Guy Allouche. Ce n'est pas un scoop !
M. Philippe Adnot. La Constitution, en instituant, à l'origine, un mandat parlementaire d'une durée de cinq ans pour les députés et de sept ans pour le Président de la République, avait organiquement prévu que l'élection présidentielle puisse se tenir avant ou après les élections législatives. Il ne peut donc y avoir, aujourd'hui, de rétablissement d'un ordre chronologique qui n'a jamais existé.
Dès lors, nous sommes conduits à constater que les partisans d'une modification du calendrier électoral le sont, d'abord et uniquement, pour des questions d'opportunité. Que leur conviction soit ancienne, pour des motifs d'« espace présidentiel », ou plus récente, pour des préoccupations tactiques, d'ailleurs très aléatoires, la qualité des motivations n'est pas des plus respectable.
Pour autant, il est clair qu'il existe des problèmes qui découlent à l'évidence de la réforme dite du « quinquennat », laquelle, en soumettant les deux élections au même calendrier, contredit le caractère aléatoire de l'ordre des élections, puisque, sauf décès ou empêchement du Président de la République ou encore dissolution de l'Assemblée nationale, ces élections inverviendront toujours dans le même ordre.
Ce faisant, si nous adoptions l'inversion du calendrier, nous entrerions de plain-pied dans un régime présidentiel sans les contre-pouvoirs que celui-ci requiert normalement.
Je suis partisan de la mise en place d'un véritable régime présidentiel, ce qui m'a conduit à ne pas voter la demi-mesure - le quinquennat - qui nous était proposée. Je pense que, de demi-mesure en demi-mesure, nous allons changer la nature de nos institutions, et ce sans vision globale et sans véritable réflexion à long terme.
C'est user d'un euphémisme aujourd'hui que de souligner combien nos concitoyens sont à mille lieues de ces préoccupations politiciennes et, à l'évidence, ce n'est pas ce nouveau « coup » qui va les réconcilier avec la politique.
C'est la raison qui me conduira, mes chers collègues, à vous proposer un amendement tendant à faire coïncider les dates de l'élection présidentielle et des élections législatives.
Cela peut présenter un certain nombre d'avantages : un gain de temps, d'abord, car deux élections le même jour, c'est bon pour tout le monde ; ensuite, à l'évidence, une économie pour les deniers publics ; en outre, l'élimination des arrière-pensées prêtées aux uns ou aux autres, à tort ou à raison - ce serait le meilleur moyen de réconcilier les Français et la politique ; et, enfin, l'augmentation du taux de participation des électeurs aux deux scrutins, la mobilisation étant évidemment plus importante, sans oublier l'élimination de tous les problèmes liés aux délais nécessaires pour réunir les candidatures.
Assurément, les Français ne trouveraient que des avantages à une proposition qui, pour une fois, loin de se soucier du sort de tel ou tel camp, ne prendrait en considération que leur intérêt, et donc celui de la France.
Mes chers collègues, je vous invite à ne pas vous priver d'une solution originale qui pourrait donner satisfaction à tous. (Applaudissements sur certaines travées du RPR, de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat n'est-il pas un peu surréaliste, rapporté au contenu même du texte, lorsqu'on voit l'extraordinaire afflux d'orateurs auquel il va donner lieu, et ne sommes-nous pas en train de faire de cette discussion ce qu'elle ne peut pas être ? La question peut se poser, et elle a été d'ailleurs humoristiquement soulevée hier par mon collègue et ami le président Badinter.
Mes chers collègues, il ne s'agit pas, pourtant, d'une vaste réforme électorale ; il s'agit seulement d'une simple prolongation de deux mois et demi de la durée des pouvoirs de l'actuelle Assemblée nationale, et de fixer désormais les élections législatives normales tous les cinq ans, certes, mais en mai-juin plutôt qu'en mars.
Ne nous faisons pas trop d'illusions et soyons modestes - plusieurs orateurs ont déjà fait allusion à ce point - : nous réglerons sans doute le problème pour 2002, mais nous ne réglerons définitivement la question de la date de l'élection des députés qu'en ce qui concerne les scrutins qui ont lieu au terme normal du mandat de l'Assemblée nationale. Car, pour ce qui est des élections qui suivent une dissolution, seul le Président de la République est maître de la date, nous le savons bien.
Et pourtant, rapporté à l'histoire et aux circonstances du moment, le texte qui nous est soumis n'est pas une banale loi électorale relative à l'Assemblée nationale. Il ne ressemble pas à celles que nous avons précédemment connues en 1985 et en 1986, qui avaient donné lieu aux polémiques habituelles sur la sincérité et les arrière-pensées de leurs auteurs, la gauche, d'abord, puis la droite.
En 1985, il s'agissait pour la gauche de mettre en oeuvre la proportionnelle, notamment parce que le temps avait manqué à la majorité depuis 1981 pour adapter le découpage électoral de 1958 aux évolutions démographiques et qu'il fallait éviter, en 1986, un résultat qui aurait pu être peu conforme à la réalité politique et sociologique du pays.
En 1986, il s'agissait de revenir au scrutin majoritaire, mais avec un nouveau découpage, le tout conformément aux conceptions qui ont toujours été celles des fondateurs de la Ve République.
Les responsables de 1985 - j'en faisais un peu partie, pas seul sans doute, dans cette assemblée - ont-ils voulu alors, par la proportionnelle, atténuer la victoire du gagnant prévisible et freiner la chute du perdant ? Ceux de 1986 ont-il voulu, par le scrutin majoritaire, accentuer la victoire qu'ils espéraient en 1988 et donc laminer un peu plus leurs adversaires ? Ce n'est pas totalement impossible, d'où les polémiques de l'époque. Mais ne refaisons pas l'histoire.
Même si l'on refuse de l'avouer, beaucoup d'entre nous sentent bien aujourd'hui que le texte qui nous est soumis, bien qu'il concerne la loi électorale de l'Assemblée nationale, n'appartient pas vraiment à la série de 1985 et 1986. D'abord, parce qu'il ne change rien au régime électoral actuel - le scrutin majoritaire demeure - et qu'il ne concerne que la date du scrutin. Ensuite, et surtout, parce que nous ne sommes pas appelés à régler un problème purement politique, comme en 1985 ou 1986, ni même les problèmes techniques et pratiques bien réels, monsieur le ministre, que pose le calendrier électoral un peu particulier de 2002. Au demeurant, ces problèmes pratiques et techniques peuvent toujours être surmontés, et le passé a montré, en 1974 en particulier, qu'on « savait faire », puisque, je le rappelle, au lendemain de la mort du président Pompidou, les présentations des candidats ont été collectées en moins de dix jours : décret de convocation le 8 avril ; publication de la liste des candidats le 18 avril !
Ce qui est en cause aujourd'hui, mes chers collègues, comme l'a solidement et brillament démontré mon collègue et ami le président Badinter, c'est une question d'ordre constitutionnel qui touche directement au fonctionnement des institutions.
Je ne reviendrai pas sur les inconvénients de la coïncidence des dates que l'Histoire nous a légués avec la mort du président Pompidou en 1974 et la dissolution de 1997, ni sur le fait que la réduction de la durée du mandat présidentiel à cinq ans rend ces inconvénients permanents, au moins jusqu'à la prochaine dissolution ou à la prochaine vacance de la présidence de la République.
Je m'en tiendrai à la réalité : l'héritage de l'Histoire fait que, si nous ne changeons rien, les Français, dont le libre vote est le fondement même de la République, pourront, certes, choisir, comme toujours, leurs dirigeants comme ils l'entendent, mais risquent d'être privés du droit de décider comment la France doit être gouvernée. Or la question : comment gouverner la France ? me paraît être un préalable à l'autre question importante, elle aussi, mais qui passe après : par qui la France doit-elle être gouvernée ?
Chacun sait que la Constitution de 1958 a institué un régime parlementaire, avec droit de dissolution et faculté pour les députés de renverser le Gouvernement. Mais elle a aussi créé une institution inhabituelle en régime parlementaire : un président de la République qui n'est pas seulement une autorité morale, comme sous les républiques précédentes, mais qui a des pouvoirs propres importants - « domaine réservé », jusqu'en 1981, « domaine partagé » depuis - et qui, surtout, est le seul responsable public français élu par la nation au suffrage universel direct, ce qui veut dire qu'il est le seul élu de France à rassembler sur son nom autant de citoyens.
Cette double caractéristique de nos institutions a rendu plus évidente encore qu'à l'origine la « double lecture » de la Constitution dont parlait souvent Michel Debré : « présidentielle », lorsqu'il y a identité de vues entre l'Elysée et le Palais-Bourbon ; « parlementaire » dans le cas contraire, double lecture, mes chers collègues, dont nous savons désormais, après plusieurs expériences, qu'elle n'est pas inévitable.
On a pu douter longtemps de la thèse sur la « double lecture » : après tout, la lecture « présidentielle » a prévalu pendant vingt-huit ans, jusqu'en 1986, lorsque les majorités, pour la première fois, n'ont plus coïncidé. Et, depuis 1986, les deux lectures n'ont pas cessé d'alterner : parlementaire de 1986 à 1988, présidentielle de 1988 à 1993, parlementaire de 1993 à 1995, présidentielle de 1995 à 1997, parlementaire depuis.
Il était sans doute bon pour la « respiration » de notre démocratie que surviennent ces alternances du régime institutionnel lui-même. Car elles permettent aux Français de choisir selon l'idée qu'ils se font de ce qui peut être la meilleure formule du moment.
Et ce que nous avons vécu trois fois en 1986, 1993 et depuis 1997 nous permet de voir les choses plus clairement : chacune des deux lectures, nous le savons, a évidemment ses avantages et ses inconvénients.
Ainsi, je tire de ces périodes successives depuis 1958 que, de même que le régime d'assemblée finit toujours par tuer le régime parlementaire, la lecture « présidentielle », si elle se prolonge trop, peut avoir tendance à remettre en cause la réalité du régime parlementaire maintenu clairement par les Français en 1958. Mais je tire aussi la conclusion, et je crois que ce que j'ai appris « sur le tas » en 1986 et 1993 m'y autorise, qu'il existe une très grande différence de nature pour ce qui est de la lecture « parlementaire » elle-même - ce qu'on appelle aujourd'hui la « cohabitation » - selon qu'elle dure deux ans ou cinq ans.
Car, mes chers collègues, qu'on le veuille ou non, et quels que soient les efforts - et nous savons qu'ils ont toujours été réels et grands - des deux principaux responsables de l'exécutif pour faire passer l'intérêt de la France avant tout le reste, nous savons bien que le partage des plus grandes responsabilités nationales entre deux autorités qui n'ont pas la même sensibilité politique et qui ne peuvent donc pas avoir une parfaite identité de vues sur tout oblige à des renoncements ou à des compromis qui peuvent parfois finir, à la longue, par porter un certain préjudice à l'idée que nous avons, les uns et les autres, de l'intérêt national.
M. Pierre Fauchon. C'est le moins qu'on puisse dire !
M. Michel Charasse. Observons les trois périodes de lecture « parlementaire » que le vote des Français a imposées en 1986, 1993 et 1997. L'essentiel, quelles qu'aient pu être les difficultés, notamment du fait de la très vive compétition entre les deux têtes de l'exécutif entre 1986 et 1988, a pu être préservé en 1986 et en 1993, parce que l'élection présidentielle arrivait moins de deux ans plus tard, et ce qu'il faut bien appeler une « parenthèse », au regard de la nature même de la Constitution de 1958, révisée en 1962, était de courte durée.
Aujourd'hui, et sans mettre en cause, au contraire, le sens de l'intérêt national du Président de la République et du Premier ministre, nous sentons bien tous que cinq ans de « cohabitation », c'est long, et même très long ! Certains peuvent donc penser que c'est sans doute le maximum de ce que la France peut supporter sans difficultés. D'autres peuvent s'en accommoder, notamment ceux qui s'inquiètent du poids inévitable de la fonction présidentielle sur la vie publique et sur la vie parlementaire. Comme si un homme élu par la nation pouvait se confiner à l'inauguration des chrysanthèmes ! Mais, mes chers collègues, qui peut trancher ce débat, sinon le suffrage universel ?
Depuis 1981, les Français ont compris et admis que la France et sa démocratie ont besoin d'alternance dans les choix politiques. La majorité de nos compatriotes ne condamnent pas la cohabitation, d'autant qu'elle résulte de leur choix, ni la Constitution de 1958, dont on dit beaucoup qu'elle a fait ses preuves. Mais il en est qui souhaitent une alternance dans la pratique institutionnelle et dans la lecture constitutionnelle.
La question à laquelle beaucoup de Français doivent pouvoir répondre en 2002, c'est certes celle qui concerne le choix des dirigeants du pays, mais c'est aussi celle qui touche à la manière de gouverner.
Ce qui nous préoccupe aujourd'hui, c'est que les Français puissent réfléchir, en 2002, au-delà de la vie politique au quotidien, habituelle et donc un peu banale, c'est-à-dire au-delà du choix d'un président de la République et des députés qui formeront une majorité parlementaire.
Or, réfléchir au-delà, c'est offrir à nos compatriotes les moyens de répondre à la question essentielle qui se posera en 2002 : voulez-vous encore cinq ans de « cohabitation », c'est-à-dire de lecture parlementaire des institutions, ou voulez-vous revenir à la lecture « présidentielle » ?
La Constitution étant ce qu'elle est et ne pouvant pas être changée d'ici à 2002, l'élection du Président de la République au suffrage universel direct étant irréversible, éviter, sciemment ou non, que notre peuple ait la possibilité de répondre à cette question, c'est en quelque sorte, un peu, manquer à la France.
Mais, mes chers collègues, comment répondre autrement qu'en élisant d'abord le Président de la République, donc en approuvant les grandes orientations qu'il proposera au pays, et en décidant ensuite quelles conséquences il faut tirer de ce premier choix au moment de l'élection des députés ?
Cette modification de l'ordre des scrutins prive-t-elle les Français de dire librement comment ils préfèrent que la France soit gouvernée ? Evidemment non ! Interdit-elle aux Français de choisir une Assemblée nationale opposée au Président ? Evidemment pas davantage ! Cette modification n'interdit pas, ne peut pas interdire une nouvelle cohabitation de cinq ans. Mais elle a l'avantage de permettre aux électeurs de mesurer eux-mêmes les conséquences de leurs choix en temps réel et simultanément, ce que n'ont pas permis les scrutins, que Robert Badinter définissait très justement comme des « scrutins sanctions », de 1986, 1993 et 1997.
C'est justement pour que les choses soient claires et les choix sans ambiguïté que l'Assemblée nationale a été dissoute par le président Mitterrand en 1981 après son élection, puis en 1988 après sa réélection, parce qu'il fallait bien que les électeurs puissent, en toute connaissance de cause, tirer les conséquences de leur choix présidentiel.
Maintenir le calendrier actuel - législatives en mars puis présidentielle en avril-mai - ne peut que conduire à éluder la question fondamentale : que veut-on pour la France, et quelle est la meilleure solution entre le prolongement de la lecture « parlementaire » actuelle et le retour à la lecture « présidentielle » ? Or, si les élections législatives viennent d'abord, avec leur logique propre et la personnalisation naturelle du scrutin d'arrondissement, la question ne sera pas posée parce qu'elle sera impossible à poser.
Car, contrairement à ce que certains feignent de croire ou de craindre, rien ne retient la main de l'électeur et le choix d'une majorité législative ne préjuge en rien celui du Président de la République, ni inversement d'ailleurs, ne serait-ce que parce que les deux modes de scrutin ne sont pas les mêmes.
En revanche, si le Président de la République est choisi avant les députés, il aura la légitimité et l'autorité pour dire aux Français : « Je ne pourrai pas respecter mes engagements, que vous avez approuvés, si je n'ai pas une majorité pour cela à l'Assemblée nationale. » Nos compatriotes auront alors toute liberté pour lier ou non leurs deux décisions. Mais ils le feront en toute conscience. Rien ne sera pour autant automatique, comme on l'a vu dans le passé. En effet, si la majorité présidentielle a été écrasante aux législatives de 1981, puiqu'un seul parti avait à lui seul la majorité, elle fut beaucoup plus juste et plurielle en 1988. Et pourtant, le président François Mitterrand avait été élu en 1988 beaucoup plus brillamment qu'en 1981.
M. Henri de Raincourt. C'est vrai !
M. Michel Charasse. Voilà pourquoi, mes chers collègues, la proposition de loi organique votée par l'Assemblée nationale va bien au-delà des réformes électorales habituelles. Et voilà pourquoi tous ceux qui ont le souci de la manière dont la France sera gouvernée demain - question qui, de mon point de vue, et de celui de notre groupe, me semble-t-il, dépasse de très loin celle du choix des hommes et des équipes - ne peuvent que se rallier à une mesure dont on dit qu'elle est empreinte d'arrière-pensées. Hier, le président de Raincourt s'est livré, à cette tribune, à un véritable florilège de citations.
Plusieurs sénateurs des Républicains et Indépendants. Elles étaient fort bonnes !
M. Michel Charasse. On aurait pu sans doute en trouver dans les deux sens !
M. Henri de Raincourt. C'est vrai !
M. Michel Charasse. A titre personnel, ainsi que mon groupe, nous ne voyons qu'une arrière-pensée : que le pays, au-delà des hommes et des équipes, puisse se prononcer clairement sur la bonne marche de la France, c'est-à-dire sur la stabilité de ses institutions, sur l'efficacité de son action, sur l'autorité de son Etat et sur sa place, son poids et son image en Europe et dans le monde.
Vous comprendrez que pour ces raisons, mes chers collègues, le groupe socialiste est favorable au texte qui nous est transmis par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Pierre Fauchon. Quel bon apôtre !
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'ai pas le talent oratoire de M. Michel Charasse,...
M. Henri de Raincourt. Mais si !
M. Paul Girod. ... mais je voudrais lui dire que, selon moi, pas un sénateur au sein de cette assemblée ne raisonne, sur le problème qui nous est posé, à partir d'un autre positionnement que celui qu'il a pris en conclusion de son intervention.
Un sénateur socialiste. Alors, il faut voter le texte !
M. Paul Girod. Nous aussi, nous avons le souci d'une bonne gouvernance de la France, d'une traduction authentique de la volonté de son peuple et de la capacité d'expression de ses gouvernants, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, avec l'autorité nécessaire.
Nous sommes réunis pour parler calendrier et nous sommes enfermés dans un calendrier !
Monsieur le ministre, je regrette que M. le Premier ministre ne soit pas à votre place ; mais je comprends bien que, sur un débat auquel apparemment il tient, il préfère déléguer à ceux dont c'est le rôle d'avoir avec le Parlement les relations qui siéent au gouvernement de la Ve République par rapport à l'une des deux assemblées, en l'occurrence le Sénat !
Nous parlons d'un calendrier qu'un homme politique pour qui j'ai beaucoup d'amitié a qualifié un jour - chacun sait de qui il s'agit - de « calendrier dingo ». Il s'agit de celui de l'élection de 2002 à propos duquel - non pas contrairement à ce qui s'est toujours passé sous la Ve République, mais précisément pour cette année-là - une conjonction d'événements remet ouvertement en cause, ou tout au moins trouble quelque peu le raisonnement intellectuel des Français sur la pratique de leur Constitution ; je parle bien de leur raisonnement, car ils croient encore, pour la plupart d'entre eux, être dans la République que nous avons vécue de 1958 à 1986. Or, nous le savons bien les uns et les autres, nous ne sommes plus dans une lecture aussi cohérente de la Constitution depuis 1986.
Si l'on fait l'analyse des scrutins qui se sont succédé, surtout à partir de cette période de 1981, on s'aperçoit que les majorités ont moins été élues que les sortants n'ont été battus, et ce pour des raisons variées. Mais cette réforme portant sur un calendrier qui pose problème se déroule - j'ai eu l'occasion, monsieur le ministre, de vous le dire avec quelque verdeur au sein de la conférence des présidents - selon un calendrier qui, lui, est proprement inacceptable pour un parlementaire conscient de ses responsabilités.
M. Pierre Fauchon. Eh oui !
M. Paul Girod. De quoi s'agit-il ? Le problème qui se pose en 2002 est connu depuis, disons, pour être gentil, octobre 1997. En 1999, j'ai voté ici contre la réforme constitutionnelle et, dans mon département, j'ai fait campagne auprès de mes électeurs.
L'une des raisons qui m'animaient était, s'agissant de la mise en place du quinquennat sec, que personne nous éclairait sur le problème qui allait se poser en 2002, sur le « validement » de la durée du mandat du Président de la République sur celui de l'Assemblée nationale. Peut-être est-ce d'ailleurs aussi l'une des raisons pour lesquelles les Français, sur le référendum qui a suivi, ont été aussi perplexes, pour ne pas dire prudents, et, malheureusement, absents.
Le problème était simple : soit le calendrier de 2002, compte tenu de cette coïncidence des longueurs de mandat, se déroulait comme il le devait selon l'état des choses et, à l'évidence, nous basculions peu ou prou davantage vers une République parlementaire ; soit l'élection présidentielle, pour des raisons quelconques - accident, démission ou Dieu sait quoi... - précédait l'élection parlementaire, et, qu'on le veuille ou non, compte tenu de l'identité de durée des mandats, nous basculions dans ce cas-là vers une République plus présidentielle encore que celle que nous avions connue entre 1958 et 1986. Telle est la question qui aurait dû être posée.
Monsieur le ministre, je regrette de ne pas pouvoir m'adresser à M. le Premier ministre en cet instant, car lorsque le débat sur le quinquennat a été lancé à l'échelon officiel par le Président de la République, ce dernier a fait une déclaration claire qui engageait tout l'exécutif, puisqu'il a dit, sans être démenti à aucun moment et par qui que ce soit : « Je me suis entretenu de la question du quinquennat avec le Premier ministre et nous sommes d'accord, l'un et l'autre, pour que seule cette question soit posée et aucune autre derrière. » Le Premier ministre n'a pas démenti. Il n'a fait aucune observation.
M. Guy Allouche. Vous savez pourquoi ?
M. Paul Girod. A aucun moment, il ne s'est démarqué du cadre que le Président de la République avait fixé en le nommant précisément. Par conséquent, le silence du Premier ministre valait engagement.
Nous avons très vite constaté, au sein même de cette assemblée - je me rappelle mon échange avec M. Estier -, que si certains croyaient pouvoir discuter du quinquennat sec, d'autres avaient l'intention d'exploiter la brèche ainsi créée et, d'une certaine manière, nous sommes parvenus au moment où elle est exploitée. Dans quelles conditions ?
Monsieur le ministre, que vous le vouliez ou non, que le Gouvernement le veuille ou non, que la majorité plurielle le veuille ou non, la conjonction du quinquennat et de la remise en cause du calendrier oblige à une lecture complexe de la Constitution.
Permettez-moi de vous dire que ce n'est pas un sujet pour lequel on obtient du Parlement approbation ou refus dans les délais impartis. D'autant que, depuis 1997, on savait que le problème allait se poser. Depuis le lancement du débat sur le quinquennat, tous ceux qui étaient un peu conscients savaient que cette question se dessinait en filigrane. Pourtant, il a fallu attendre la fin du mois de novembre pour qu'au sein d'un congrès du parti socialiste le Premier ministre lance ce que l'un de nos collègues en commission des lois - je salue M. Guy Allouche - a appelé une « invitation à la réflexion », laquelle a été conduite tellement vite que, quelques semaines plus tard - trois semaines précisément -, on annonçait dans l'exaltation une série de propositions de loi d'antériorité, d'origines diverses, j'en conviens...
M. Claude Estier. Eh oui !
M. Paul Girod. La question a été mise à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, qui a voté à la hussarde un texte dont je dirai tout à l'heure pourquoi il est inacceptable. Aucun temps de réflexion n'a été prévu à la suite d'un débat qui avait été souhaité même par ceux qui, ne partageant pas vos convictions, se posaient néanmoins la question de l'inversion. Le texte a été aussitôt transmis au Sénat, juste avant les vacances.
Inscription - j'allais dire, droit dans ses bottes - par le Gouvernement du débat le 16 janvier, alors qu'on ne pouvait - on le savait ! - nommer le rapporteur que le 10 janvier et que cela imposait donc un débat sur le siège !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous plaisantez ! C'est dantesque !
M. Paul Girod. Monsieur le ministre, certains constitutionnalistes estiment que tout cela est très bien alors que d'autres soutiennent le contraire. Le moins que l'on puisse dire c'est que le débat mérite réflexion et que les travaux de la commission des lois, dont chacun connaît la qualité, menés avec compétence par son rapporteur, sous la direction de M. Fauchon pendant l'absence du président Jacques Larché, de celui-ci ensuite, que ces travaux, dis-je, méritaient d'être connus et digérés par l'ensemble de nos collègues.
Un certain nombre de tentatives ont été faites pour vous expliquer qu'il était impossible que l'examen en commission soit immédiatement suivi, l'après-midi, de la discussion en séance publique. Ces efforts de conviction furent d'ailleurs assortis d'engagements tendant à faire en sorte que si, vraiment, le Gouvernement y tenait, l'examen du texte soit terminé le 9 février prochain ; au moins, nos collègues auraient le temps de réfléchir !
Nous n'avons pas été entendus.
Il y avait peut-être un calendrier « dingo », en tout cas maintenant, nous nous trouvons enfermés dans un calendrier que je qualifierai de « macho » ou de « Rambo » : on nous force à délibérer l'épée dans les reins, à la hussarde sur un sujet qui mérite tout de même quelques réflexions. (Protestations sur les travées socialistes. - Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Claude Estier. A qui voulez-vous faire croire cela ?
M. Paul Girod. Je connais l'argument dévelopé hier par M. le ministre de l'intérieur sur l'extraordinaire respect qu'a le Gouvernement pour l'initiative parlementaire : 30 % des textes votés sont d'origine parlementaire. Peut-être mais, à part le texte « Fauchon », qui, entre parenthèse, a ôté une sacrée épine du pied de tout le monde, les propositions de loi qui sont arrivées à terme ne viennent pratiquement pas du Sénat,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas vrai !
M. Paul Girod. ... encore moins de l'opposition ; souvent, d'ailleurs, ce furent des textes alibis pour le Gouvernement, qui lui ont permis de court-circuiter l'étape indispensable du Conseil d'Etat.
En l'occurrence, le recours, aujourd'hui, à une proposition de loi organique est un artifice à deux titres : d'abord, cela évite le passage devant le Conseil d'Etat, mais surtout cela élimine toute possibilité de soumettre la question à référendum. Cela, c'est de l'astuce ou je ne m'y connais pas !
M. Guy Allouche. Mon cher collègue, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Paul Girod. Je vous en prie ! Comme je vous ai cité, c'est la moindre des choses que vous puissiez prendre la parole.
M. le président. La parole est à M. Allouche, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Guy Allouche. Cher Paul Girod, vous dites que les propositions de loi qui ont été adoptées depuis 1997 émanent essentiellement de la majorité. C'est sûrement vrai, encore qu'il faudrait les recenser. Mais pouvez-vous nous dire combien de propositions de lois déposées par la gauche ont été prises en considération entre 1993 et 1997 ?
M. Henri de Raincourt. 1995 !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Paul Girod.
M. Paul Girod. Non, monsieur de Raincourt, entre 1995 et 1997 parce que, avant, les journées réservées n'existaient pas.
M. Henri de Raincourt. C'est ce que je dis !
M. Paul Girod. J'aurais tendance à vous dire, mon cher collègue Allouche, qu'en la matière les comportements ont fâcheusement été identiques, mais en tout cas je n'ai jamais entendu un gouvernement de l'ancienne majorité se vanter, comme cela a été fait hier, de l'aboutissement généralisé des propositions de loi pour montrer à quel point il était respectueux du Parlement. Il y avait au minimum, dans cette démarche, un abus de langage.
Revenons-en à la question qui nous est posée, question apparemment anodine.
Je ne suis pas absolument certain que nos concitoyens perçoivent ce problème comme un des problèmes majeurs auxquels ils sont confrontés.
M. Henri de Raincourt. Sûrement pas !
M. Paul Girod. Je me permets en cet instant de rappeler ce que j'ai dit tout à l'heure : dans les consultations majeures qui ont eu lieu depuis quinze ans, la question que se sont posée les électeurs était plutôt de savoir s'il fallait ou non réélire les sortants que de savoir ce que valait le programme des uns et des autres. Peut-être aurez-vous l'occasion de le constater encore.
M. Henri de Raincourt. C'est très vrai. Cela dure depuis vingt ans !
M. Paul Girod. Et cela s'est vérifié à chaque scrutin. En 1986, ce n'est pas tellement la majorité de l'époque qui a été battue ; les Français ont plutôt voulu donner leur confiance, à travers les élections législatives, à un chef de Gouvernement dont tout le monde connaissait d'avance l'identité.
En fait, a été commise une erreur de fond dans la lecture de notre Constitution. Le Gouvernement procède du Président de la République ; cela figure dans le texte. Il peut demander l'approbation de l'Assemblée nationale, mais cela, ce n'est pas une obligation. Je ne suis pas certain que le vrai coup de canif donné dans la Constitution de la Ve République ne le fut pas le jour où, en 1986, un Président de la République dans l'exercice de ses pouvoirs s'est cru obligé de prendre comme Premier ministre le leader de la majorité parlementaire qui venait de sortir des urnes. Cette obligation, je le répète, ne figure pas dans les textes.
M. Michel Charasse. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Paul Girod ?
M. Paul Girod. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. Charasse, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Michel Charasse. En 1986, j'ai été associé de très près...
M. Paul Girod. Je l'imagine !
M. Michel Charasse. ... aux conditions dans lesquelles M. Chirac a été désigné Premier ministre.
A l'époque, le président Mitterrand avait retenu trois candidats possibles : MM. Jacques Chirac, Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chaban-Delmas.
Une discussion s'est engagée avec M. Chirac, plusieurs jours avant la décision, sur la question des ordonnances, c'est-à-dire sur la question de savoir, d'une part, si M. Chirac, Premier ministre, aurait l'intention d'agir par ordonnances dans un certain nombre de domaines - à l'époque il s'agissait des dénationalisations et de la loi électorale relative aux élections à l'Assemblée nationale - et, d'autre part si, dans ce cas, il admettrait que le Président de la République, en application de l'article 13 de la Constitution, ne soit pas obligé de signer.
La discussion a duré plusieurs jours. Elle a été conduite par M. Balladur, qui est venu à plusieurs reprises dans le bureau du secrétaire général de l'Elysée, Jean-Louis Bianco, en ma présence en qualité de conseiller juridique et constitutionnel du président Mitterrand, pour discuter de ce sujet.
Je peux vous dire que le président Mitterrand n'aurait pas désigné M. Chirac si un accord n'était pas intervenu, M. Chirac ayant fini par admettre que, dans l'hypothèse où le Président ne voudrait pas signer, il faudrait passer par la voie législative et le président Mitterrand disant : « Je ne ferai pas votre travail à votre place ni à la place de votre majorité ! »
J'ajouterai une anecdote : le jour où M. Chirac est venu à l'Elysée pour la confirmation de son choix, nous avions été chargés, M. Bianco et moi-même, de demander, d'une part, au président Giscard d'Estaing, d'autre part, à M. Chaban-Delmas de se tenir prêts, et un avion du GLAM avait été envoyé à Clermont-Ferrand et à Bordeaux, où ils se trouvaient respectivement, afin qu'ils puissent rentrer à tout moment à Paris au cas où l'accord n'aurait pas eu lieu avec M. Chirac. La désignation de celui-ci n'était donc pas aussi évidente que cela.
Je me rappelle avoir dit à l'époque au Président de la République : Monsieur le Président, tout le monde s'attend, dans la nouvelle majorité, à ce que ce soit M. Chirac qui soit désigné comme Premier ministre - raisonnement du président Girod -, aussi ne craignez-vous pas qu'un gouvernement dirigé par quelqu'un d'autre puisse rencontrer quelques difficultés à l'Assemblée nationale ?
Le président Mitterrand m'avait répondu : vous savez, la nature politique a horreur du vide ; à partir du moment où vous avez sollicité une quarantaine de personnalités pour siéger dans un gouvernement, il est peu probable qu'elles n'acceptent pas d'y entrer, qu'elles n'acceptent pas d'y rester et que l'Assemblée nationale décide de les renverser.
Vous voyez, mon cher collègue, rien n'était décidé à l'avance ; les choses se sont passées ainsi, mais elles auraient pu tourner autrement.
Je pourrais raconter une autre anecdote plus cocasse sur le moment où M. Chirac était dans le bureau du Président et où l'accord était en train de se conclure, mais celle-là je la révélerai personnellement et confidentiellement à M. Girod, car je ne souhaite pas qu'elle figure au Journal officiel. (Sourires.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Paul Girod.
M. Paul Girod. Je vous remercie à l'avance, monsieur Charasse, de me faire bénéficier des éclairages particuliers et confidentiels que vous pouvez avoir sur cette période ; cela me touche beaucoup.
Il n'empêche, mon cher collègue, que vous venez de disserter sur ce qui s'est passé avant ; moi je suis amené à disserter sur ce qui s'est passé au moment même. Rien, dans les textes, n'impose au Président de la République de désigner comme Premier ministre l'un des leaders de la nouvelle majorité. Le rôle du Parlement est de contrôler, de légiférer, éventuellement de censurer, non de générer.
Je pense que la présence du ver dans le fruit date de cette époque. Je pourrais peut-être aussi vous faire part, sur le terrain de la confidence, d'un certain nombre des réflexions que je me suis faites sur la question.
Cela étant dit, dans la lecture qu'ils font de la Constitution, nos concitoyens sont persuadés que c'est encore le Président qui impulse tout, même si, petit à petit, au bout de cinq ans de cohabitation, ils s'aperçoivent que c'est un peu moins vrai - peut-être le déplorent-ils ? - qu'ils ne l'imaginaient.
Or, que nous propose-t-on ?
Si nous arrivait de l'Assemblée nationale un texte précisant que, pour l'élection de 2002, et pour elle seule, le mandat de l'assemblée était prolongé de deux mois, on pourrait se poser la question de son bien-fondé... sous réserve qu'on ait le temps de le faire, monsieur le ministre.
M. Claude Estier. Comment, vous n'avez pas encore eu le temps d'y réfléchir ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quand vous étiez dans la majorité, vous alliez plus vite que cela !
M. Paul Girod. Si, monsieur Estier, j'ai eu le temps d'y réfléchir et cela m'amène exactement à une conclusion inverse de la vôtre.
Si, je le répète, on nous proposait de prolonger de deux mois le mandat de cette assemblée, cela mériterait une large enquête d'opinion, un débat dans le public et non pas un débat restreint au simple Parlement, mais ce serait envisageable. Or ce n'est pas du tout ce que contient le texte qui nous est soumis.
L'Assemblée nationale nous transmet une proposition qui fixe définitivement le terme de l'exercice des mandats de l'Assemblée nationale au mois d'avril.
Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que, sous couvert d'une simple affaire de date, on introduit en fait dans la pratique - très vraisemblablement - et dans l'esprit du public - sûrement - une lecture spécifique de la Constitution, parce qu'il s'agit d'une mesure définitive.
Or, sur quoi cette mesure est-elle accrochée ? Sur un événement totalement fortuit : le président Badinter l'a remarquablement démontré hier.
On nous dirait que l'on prolonge les pouvoirs de l'actuelle Assemblée nationale de deux mois et que l'on remet les élections « dans l'ordre » pour 2002, cela pourrait se concevoir. Pour autant, je ne suis pas convaincu que ce serait très bien accepté par nos concitoyens ; mais c'est un autre problème.
Mais, sous prétexte que, par un jour du mois d'avril, il est arrivé malheur à un Président de la République, bloquer tous les renouvellements législatifs au mois de juin, pour aboutir à l'évidence à ce que les gouvernements soient systématiquement formés au début du mois de juillet, au moment des départs en vacances, dans la confusion totale des esprits, sans même parler de la confection du budget et des lettres de cadrage,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En 1968, c'était le 30 juin !
M. Paul Girod. ... constitue une erreur de fond.
L'événement de départ est un événement fortuit : faire du législatif et du quasi-constitutionnel définitifs à partir d'un événement fortuit, ce n'est pas un crime contre l'esprit, mais cela commence à s'en rapprocher sérieusement !
En outre, est-il vraiment si nécessaire de vouloir remettre les élections « dans l'ordre » ? Comme si les Français n'avaient pas la faculté de réfléchir « en sens inverse » à quatre semaines d'intervalle ! Ne sont-ils pas capables de savoir ce qu'ils veulent fondamentalement ? En fait, dans cette affaire, on les prend un peu pour des benêts !
Cependant, à la limite, je pourrais comprendre qu'on veuille à tout prix respecter cet ordre. Mais figer définitivement les élections au 15 juin parce qu'il se trouve que le mandat du Président de la République se termine au mois d'avril, c'est introduire subrepticement dans la Constitution une lecture définitivement présidentielle du système. Or cela mérite que l'on y réfléchisse un peu plus longtemps !
Alors, une mesure pour 2002, peut-être ; une mesure répétitive, sûrement pas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On verra !
M. Paul Girod. Eh bien voilà ! Monsieur Dreyfus-Schmidt, je vous prends au mot : on verra ! Pourquoi ne pas prendre, effectivement, le temps de voir ? On modifie la date des prochaines élections législatives, et seulement de celles-ci, et l'on se donne quatre ans pour réfléchir sur la suite !
M. Claude Estier. Vous seriez contre tout de même !
M. Paul Girod. Monsieur Estier, vous ne me ferez tout de même pas croire que ce choix à titre définitif est totalement fortuit ! J'imagine, et les Français imaginent aussi, derrière tout cela, un certain nombre d'arrière-pensées ou de manipulations.
On nous dit, par ailleurs, que le Sénat n'a pas à s'occuper du mode d'élection de l'Assemblée nationale. Je me permettrai de rappeler que, depuis le début de la Ve République, par quatorze fois, l'Assemblée nationale s'est saisie du mode d'élection du Sénat. Il y a eu, si je me rappelle bien, cinq désaccords : l'un s'est résolu en cours de route, quatre ont été des désaccords profonds, et cela sous des majorités différentes ; nous avons, bien entendu, à l'esprit les plus récents, mais il y en a eu d'autres.
En sens inverse, le Sénat a été saisi par deux fois de projets de modification du mode d'élection de l'Assemblée nationale. La première fois, en 1985, par respect pour l'Assemblée nationale - un respect dont nous n'avons pas toujours été payés de retour -, il a adopté une motion de procédure afin de permettre le déroulement du débat sans intervenir dans les affaires concernant l'autre assemblée.
La seconde fois, en 1986, comme tout le monde était d'accord, cela n'a pas posé de problème.
Alors, mes chers collègues, devant la question qui nous est posée, et qui est en réalité sous-tendue par des précautions à mon avis tout à fait superfétatoires - car il s'agit d'un jeu consistant, pour le Président de la République et l'Assemblée nationale, à se demander réciproquement : « qui t'as fait roi ? » - je crois que la précipitation est la pire des choses.
C'est la raison pour laquelle, de toute façon, je ne voterai sûrement pas le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Paul Girod. Je m'interroge encore, malgré l'amitié que j'ai pour notre éminent rapporteur et malgré la qualité de son rapport et de ses propsitions, sur le fait de savoir s'il vaut mieux adopter sa solution ou carrément refuser le texte. En fin de débat, je me déterminerai, mais, dans l'état actuel de choses, je peux seulement dire, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu'un débat de cette importance mérite mieux que dispositions prises à la hussarde ou à la sauvette.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Paul Girod. J'ajoute que l'alibi de l'année précédant les élections que l'on nous sort en permanence est, dans tous les cas de figure, un faux alibi.
En effet, même si la mesure ne passe qu'au début du mois d'avril 2001, elle se situe encore à l'intérieur de l'année qui précède les élections législatives. Par conséquent, la précipitation et ces procédés à la hussarde ne se justifient pas ! La manière dont le Premier ministre, après avoir appelé à la réflexion, s'engage, flamberge au vent, en brutalisant l'ordre du jour, n'est donc pas acceptable.
Ainsi, je vous le dis avec gravité, monsieur le ministre, je n'entrerai pas dans le débat sur le « calendrier dingo » parce que je ne peux accepter ni le flou ni le « calendrier Rambo » ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Autexier.
M. Jean-Yves Autexier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, m'exprimant non pas au nom du groupe communiste républicain et citoyens mais en tant que sénateur membre du Mouvement des Citoyens, je rappellerai d'abord qu'à nos yeux le choix du quinquennat « sec » ne correspondait à aucune réalité. Nous nous en étions expliqués, à l'époque, en soulignant que cette réforme devait en appeler d'autres pour sauvegarder la cohérence des institutions.
Le quinquennat « sec » posait en effet autant de questions qu'il en résolvait. A présent, ces questions apparaissent une à une en pleine lumière ; il faut y apporter des réponses.
Tout d'abord ramener à cinq ans le mandat du Président ne peut à aucun titre effacer le rôle majeur qui est le sien.
L'élection directrice est celle du Président de la République au suffrage universel. La réforme de 1962, la pratique, la réalité politique depuis 1965 le montrent abondamment. Peut-on revenir sur cet état de fait ? Je peux comprendre que certains le souhaitent, car la présidentialisation comporte ses inconvénients. Mais on ne les surmontera pas en revenant sur l'élection au suffrage universel du Président. Les Français y voient un élargissement de la citoyenneté et la marque de la responsabilité du Président devant le peuple.
C'est donc par le rééquilibrage des pouvoirs que les écueils de la présidentialisation seront évités.
Le Président de la République, depuis 1965, n'est plus l'arbitre, le deus ex machina qu'avait imaginé le général de Gaulle, créant la fonction à son image. Il est à présent, il faut bien le dire, le chef d'une coalition de droite ou le chef d'une coalition de gauche. Quand il dispose d'une majorité à l'Assemblée nationale, il assure la direction effective de l'exécutif et le Gouvernement est en réalité choisi par lui. Cette responsabilité devant le suffrage universel de celui qui a vocation à tracer les grandes orientations de la politique du pays est un trait marquant qu'on ne peut plus effacer.
L'élection présidentielle structure notre vie politique : les alliances se concluent devant le suffrage universel. Les candidats sont conduits à présenter un programme, ce qui invite d'ailleurs à la responsabilité et à la cohérence.
L'élection présidentielle au suffrage universel est une expression directe de la souveraineté populaire.
La cohabitation, qui aboutit à affaiblir notablement le rôle du Président, n'est ni durable ni souhaitable.
La cohabitation institutionnalise la rivalité entre les deux têtes de l'exécutif. Elle conduit à ce que les affaires de l'Etat ne soient plus traitées qu'à travers le prisme de cette rivalité.
C'est d'ailleurs avec le souci de réduire les risques de la cohabitation qu'a été instauré le quinquennat. Mais cette réforme n'a de sens que si l'élection du Président précède le renouvellement de l'Assemblée. Dans l'hypothèse inverse, comment imagine-t-on un Président en fin de mandat désignant un Premier ministre qui pourrait n'être qu'intérimaire jusqu'à la date de l'élection présidentielle ? La cohabitation reviendrait par la fenêtre après avoir été éconduite par la porte. Et cette cohabitation d'un nouveau genre pourrait naturellement donner envie au nouveau Président de faire usage de son droit de dissolution. Une nouvelle discordance entre le quinquennat et la législature ouvrirait encore une période d'instabilité.
Autant ceux qui n'ont jamais approuvé le principe de l'élection du Président de la République au suffrage universel direct sont fondés à s'opposer au rétablissement du calendrier électoral normal, autant ceux qui sont depuis toujours favorables à cette élection, ceux qui tiennent le Président pour la clé de voûte des institutions, nous surprennent dans leur refus de modifier un calendrier qui ne doit rien à la raison ni à la Constitution, mais qui doit tout aux circonstances. Laisser persister cette inversion, ne pas rétablir le calendrier logique, c'est affaiblir le dispositif central des institutions.
La confusion des pouvoirs, les habiles stratégies d'empêchement auxquelles on est accoutumé lors des périodes de cohabitation ne sont pas faites pour rétablir la confiance des citoyens dans leurs gouvernants.
Il est temps de retrouver quelques règles simples, fondées sur la responsabilité : un Président élu pour cinq ans et qui est, de facto , le chef de l'exécutif ; un Parlement qui légifère et qui contrôle ; une opposition qui s'oppose. Et, après cinq ans de travail, permis par la stabilité, chacun se retrouve au rendez-vous du suffrage universel, le seul souverain, capable alors de se prononcer dans la clarté.
Le rétablissement du calendrier est, à nos yeux, une bonne chose pour la démocratie.
En effet, il établit nettement les responsabilités, préserve mieux la possibilité de gouverner de manière stable durant une période de cinq ans de donne aux citoyens le moyen d'un contrôle plus effectif des gouvernants.
Pierre Mendès France, qui était hostile à l'élection du Président de la République au suffrage universel, souhaitait, pour sa part, un contrat de législature liant l'exécutif au législatif durant cinq ans, et qui ne pouvait être rompu qu'en allant aux urnes pour des élections générales.
Le même esprit doit nous conduire, en tenant compte de ce fait acquis qu'est l'élection présidentielle, à favoriser un contrat de législature liant, cette fois, le Président et l'Assemblée nationale, afin que le citoyen sachent clairement qui gouverne, qui légifère et qui s'oppose. Après cinq ans, le retour devant les électeurs sanctionnerait non plus l'arbitrage des rivalités de la cohabitation, mais l'appréciation d'une politique cohérente conduite pendant cinq ans.
Placer l'élection présidentielle avant le renouvellement de l'Assemblée nationale pourrait-il nuire à l'expression pluraliste des opinions, notamment aux petits partis ? L'expérience nous montre que ce n'est pas l'élection présidentielle qui nuit au pluralisme. Au contraire, les premiers tours sont l'occasion d'une démonstration de vitalité et de pluralisme ; comme le note le doyen Vedel, « ils donnent une chance exceptionnelle aux petits partis d'exister, de percer et de se renforcer ».
Non, ce qui affadit le pluralisme, c'est davantage la nécessaire discipline majoritaire puisque, en elle, réside la clé de la stabilité gouvernementale. Placer dans l'Assemblée nationale la source de légitimité du Gouvernement, c'est évidemment encourager la discipline majoritaire, alors même que le gouvernement procède de facto du Président de la République, hors les périodes de cohabitation. Les deux inconvénients sont alors cumulés : carcan majoritaire pour l'Assemblées nationale et présidentialisation pour l'exécutif. C'est en modifiant ce rapport qu'on équilibrera mieux les institutions. Ce n'est pas en conservant un calendrier qui doit tout au hasard et interdit un bon fonctionnement des institutions.
Un rééquilibrage satisfaisant de nos institutions nous conduira à d'autres réformes.
Ce qu'on nomme le « présidentialisme majoritaire » appelle un renforcement du pouvoir législatif.
Déjà, la réforme en cours de l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances peut améliorer le contrôle parlementaire sur le budget de l'Etat.
D'autres évolutions sont possibles et souhaitables.
La première consisterait à limiter la maîtrise du Gouvernement sur l'ordre du jour des assemblées.
La seconde réformerait l'article 55 de notre Constitution, en limitant la supériorité des traités sur les lois aux seules lois votées avant la ratification desdits traités.
Nous sommes là au coeur de l'abaissement actuel des pouvoirs du Parlement.
Car, je le répète, ce n'est pas l'élection du Président de la République au suffrage universel qui aboutit à réduire les pouvoirs du Parlement. Si l'on observe le fonctionnement des institutions britanniques ou allemandes, on observe que le Premier ministre ou le Chancelier ont autant de pouvoirs que le Président de la République française, quand du moins il peut compter sur une majorité à l'Assemblée nationale.
C'est pourquoi l'évolution vers un régime plus présidentiel renforcerait paradoxalement les pouvoirs du Parlement.
Le quinquennat, avec la logique majoritaire qui prévaut, fera du président le chef réel de l'exécutif ; de lui procédera, dans la réalité politique, le Gouvernement. C'est la situation que nous avons connue chaque fois que les majorités présidentielle et parlementaire coïncidaient.
Si le président n'est plus un arbitre au-dessus de la mêlée mais qu'il est le chef de l'exécutif, il doit cesser d'exercer de surcroît une tutelle abusive sur le Parlement.
La désuétude du droit de dissolution s'impose. Dans un régime plus présidentiel, et sans copier le modèle américain, le président est certes responsable de l'exécutif, le Gouvernement est certes responsable devant lui, mais le Parlement exerce la plénitude de ses pouvoirs pour la loi, le budget et le contrôle de l'exécutif.
Oui, paradoxalement, un régime présidentiel, qui ne serait pas pour autant un régime américain, signifierait pour le Parlement davantage de pouvoirs et l'exercice plein et entier de ses prérogatives, aujourd'hui amputées par l'exécutif, qu'il s'agisse de la dissolution, de l'article 49-3, de la maîtrise de l'ordre du jour, de l'article 40.
On objecte à cette évolution le risque de blocage. Il est un très bon moyen de le surmonter. Reprenant l'idée de contrat de législature, il conviendrait que l'exercice exceptionnel de la dissolution en cas de crise conduisît à la remise en jeu simultanée du mandat des députés, bien sûr, mais aussi du mandat du Président. Pareille dissuasion, qui ferait des citoyens le seul arbitre d'une crise, est de nature à surmonter les tentations de blocage.
Il faut ajouter que, si le Gouvernement est responsable devant le président, la discipline majoritaire à l'Assemblée nationale est moins contraignante. Délivrée de l'obligation de dessiner des majorités nettes, le mode de scrutin peut alors faire place à une part de représentation proportionnelle, pour que tous les courants de notre vie publique soient effectivement représentés.
Ainsi, par une série d'évolutions successives, se trouverait établi un meilleur équilibre entre un exécutif stable, capable de gouverner et de prendre en compte le long terme, et un Parlement qui débat, légifère et contrôle.
Le rétablissement du calendrier électoral est donc, à nos yeux, comme le quinquennat, un pas dans la bonne direction dans la mesure où l'arbitrage du suffrage universel dans sa forme la plus limpide, celle de l'élection présidentielle, revient au coeur de nos institutions, où la pratique délétère de la cohabitation l'avait remplacé par un jeu subtil des habiletés.
Dans la tourmente de la mondialisation, dans un monde où les leviers de commande tendent à passer des instances légitimes issues du suffrage vers les marchés ou les entreprises, la France a besoin d'un Etat. Elle a besoin d'institutions fermes, capables d'être garantes du long terme, capables de faire prévaloir la volonté des citoyens sur les lois du marché.
Il faudra, à l'avenir, reconquérir les souverainetés perdues, regagner ces pouvoirs que les élites délaissent ou délèguent parfois sans se soucier de ce qui ne leur appartiennent pas, mais qui leur sont confiés par la souveraineté populaire.
Quand la politique monétaire se décide à la Banque centrale européenne, la politique de défense à l'OTAN, la politique commerciale à l'OMC, quand le droit dérivé européen proliférant s'impose à la loi, même votée postérieurement, quand les instances administratives dites indépendantes se multiplient, quand le Parlement est mis hors jeu, c'est le citoyen qui est blessé, c'est la souveraineté qui est atteinte, c'est la démocratie elle-même qui est en question.
La crise du politique ne trouve pas sa source ailleurs. Voilà pourquoi nous avons besoin d'institutions capables de remettre la souveraineté populaire au coeur de tout et de rendre au citoyen la capacité d'influer sur le cours des choses. L'élection présidentielle au suffrage universel direct en est aujourd'hui le moyen principal.
Rétablir le calendrier logique, c'est rendre sa force à des institutions solides, outils de la volonté populaire pour se faire entendre contre les vents de la mondialisation, capables d'opposer la voix légitime du peuple, issue du suffrage, face aux exigences du marché privées de la légitimité politique.
Tel est, à nos yeux, comme l'ont dit les précédents orateurs, le sens de la lecture de la Constitution qui s'engage. Voilà pourquoi nous apportons tout notre soutien au rétablissement du calendrier électoral, étape importante pour replacer la souveraineté populaire au coeur de nos institutions démocratiques. (Applaudissements sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. M. Paul Girod, qui n'est pas là pour entendre ma réponse, m'a interpellé tout à l'heure au sujet des propositions de loi qui ont été examinées pendant cette législature.
Je voudrais simplement donner le chiffre : depuis juin 1997, ce sont cinquante-trois propositions de loi qui ont été adoptées par le Parlement, donc beaucoup plus que sous les législatures précédentes, et celle-là n'est pas terminée ! Sur ces cinquante-trois propositions de loi, trente-quatre ont été déposées par la majorité et dix-neuf par l'opposition. M. Allouche, qui s'interrogeait, peut ainsi faire la comparaison avec la législature précédente.
L'initiative parlementaire a donc bien été respectée.
J'ajouterai que la proposition de loi qui est en discussion aujourd'hui est issue de six propositions de loi pluralistes, puisqu'elles émanent à la fois de la majorité et de l'opposition de l'Assemblée nationale.
M. Josselin de Rohan. Quelle blague !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Cela prouve bien qu'en ce domaine l'initiative parlementaire est respectée.
Je tenais à apporter cette précision, car je connais la vigilance du Sénat s'agissant du rôle législatif du Parlement. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Pierre Raffarin. L'excès d'argumentation n'emporte pas la conviction !

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