SEANCE DU 31 JANVIER 2001


DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Suite de la discussion d'une proposition de loi
organique déclarée d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. de Gaulle. (Applaudissements sur les travées du groupe du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Philippe de Gaulle. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à peu près un an seulement avant la date normale prévue, voilà qu'on nous demande, tout à coup, et en urgence, de proroger de quelques mois la durée du mandat de l'Assemblée nationale.
C'est, nous dit le Gouvernement, pour éviter que l'élection présidentielle, clef de voûte de la République, ne tombe quatre semaines après les élections législatives.
Je note que ce gouvernement, qui est marxiste, s'inquiète subitement de préserver la clef de voûte d'une constitution qu'il a toujours combattue, son but ayant toujours été le gouvernement par une assemblée unique et omniprésente, plus démagogique et révolutionnaire que d'autres régimes. A l'instar de la Convention de Robespierre, près d'un siècle et demi auparavant, ou de Lénine dans un autre pays se réclamant de Robespierre et même de l'affreux Marat, c'est cette assemblée unique et omnipotente que préconisait Léon Blum en 1936 et de nouveau en 1946, contre l'avis du général de Gaulle. C'est toujours cette tendance à l'assemblée unique et omnipotente qui s'affirme ouvertement ou sournoisement encore aujourd'hui, ce qui rend assez dérisoires les propos parfois entendus ici même et selon lesquels les socialistes ont toujours voulu défendre le Sénat.
Sur ce sujet, les seuls opposants sincères au général de Gaulle étaient, à mon avis, des esprits radicaux restés dans l'optique du Sénat de la IIIe République. Pour eux, comme pour les autres, il y a eu, bien sûr, le mécontentement assez justifié de voir intégrer dans un premier temps les syndicalistes du Conseil économique et social, assemblée héritée de la IVe République que le général de Gaulle voulait supprimer ; c'est en effet cette assemblée, et non le Sénat, comme on l'a faussement prétendu, que le général de Gaulle souhaitait voir disparaître. Mais c'est par dessus tout l'élection du Président de la République au suffrage universel qui a été la cause fondamentale du conflit ; le Sénat se serait en effet vu supprimer une prérogative qu'il s'était attribuée, de fait, depuis Mac-Mahon : faire le Président de la République, généralement issu de son sein.
La Ve République, malgré sa naissance dans l'effondrement d'un régime d'assemblée, malgré les difficultés considérables issues du désastre de la Seconde Guerre mondiale, des convulsions d'une décolonisation trop tardive malgré, enfin, les pesanteurs mentales d'une culture sociale malheureusement héritée du xixe siècle, s'est instaurée, pour la première fois de notre histoire, sur la seule souveraineté du peuple, seul souverain, en quatre référendums massifs en dix ans.
Tirant les leçons de nos échecs de la fin de la IIIe République, de Vichy, de l'expérience d'une IVe République, ratée au départ par la faute d'un gouvernement à majorité marxiste, et de dix années d'études et de réflexions publiques depuis les déclarations de Bayeux et de Strasbourg, c'est d'abord le socle même de la République et de la nation, dans son existence même, que le général de Gaulle s'est efforcé de bâtir.
C'est le général de Gaulle qui a été l'inspirateur et le fondateur de la nouvelle Constitution, et c'est Michel Debré, rejoint par quelques autres, tels René Cassin, Raymond Janot, Georges Pompidou, Félix Houphouët-Boigny, etc., qui en ont été les rédacteurs.
Le général de Gaulle donna à cette Constitution une empreinte ferme dans l'esprit de Bayeux et de Montesquieu : séparation des pouvoirs, droit par l'article 11 pour le chef de l'Etat de dissolution et de consultation du peuple par référendum, moyens pour lui de faire face à des situations exceptionnelles par l'article 16, conçu pour répondre à quelque nouveau juin 1940 qui pourrait, désormais, être le fait d'un assaillant nucléaire ; mais aussi, parlementarisme clair et net : le Premier ministre est responsable devant le Parlement ; le chef de l'Etat est l'arbitre « au-dessus des pouvoirs et des conflits de pouvoirs » et a, de surcroît, en charge de bien plus hauts intérêts que la seule gestion quotidienne du pays.
Pour la petite histoire, qui a parfois une plus grande importance qu'on ne l'imagine de prime abord, je dirai que, lors de la promulgation du texte de la Constitution, le général de Gaulle est entré en fureur lorsqu'il a constaté que la rédaction de Michel Debré, dont il s'était abstenu de vérifier tous les termes, faisait un lien intempestif entre 1958 et les préambules des constitutions antérieures de 1946, de 1848, etc. « Ainsi, s'est-il exclamé, les démagogues qui sont les inspirateurs de ces additions vont-ils pouvoir ergoter sur les droits de l'homme pour rendre l'internationalisme, le cosmopolitisme et l'apatridisme opposables aux droits du citoyen auquel le préambule et l'article 1er de notre constitution de 1958 donnent clairement la primauté. »
Parallèlement, a travaillé place Vendôme, au ministère de la justice, une équipe de spécialistes dirigés par le garde des sceaux pour établir l'équilibre de la justice, qui ne peut être rendue qu'au nom du souverain, c'est-à-dire le peuple français, justice dont le bras séculier est de la responsabilité du Gouvernement par le garde des sceaux et le chef de l'Etat, élu de tous les Français, président du Conseil supérieur de la magistrature, pour garantir l'indépendance fonctionnelle de chaque magistrat à dire le droit tel qu'il a été fixé par le législateur, c'est-à-dire le Parlement.
Aussi, du texte de la Constitution aux équilibres juridiques subtils, le fondateur de la Ve République a-t-il tenu à faire un acte historique en choisissant d'abord le peuple comme premier récipiendaire. Et pas n'importe où ni n'importe quand : place de la République, au coeur même du Paris populaire, à l'ombre de la statue érigée en 1883 pour célébrer le triomphe de la République ; le 4 septembre, date anniversaire de la IIIe République, à laquelle, lui qui l'a sauvée du désastre de 1940, il entend rattacher la continuité républicaine.
En réalité, et c'est ce qui démontre son impartialité, cette Constitution de 1958, le général de Gaulle n'en avait pas besoin pour lui-même, pas plus qu'il n'en avait eu besoin en 1945. Il avait l'approbation quasi unanime du peuple français et celle, formelle, du Parlement, qu'il avait estimée indispensable. Il aurait ainsi pu gouverner, tout comme le Gouvernement britannique, sans autre constitution que le bon sens et l'approbation de l'opinion. Il est d'ailleurs deux fois parti de lui-même lorsque ce Parlement et l'opinion lui ont fait défaut.
C'est bien pour ses successeurs que la Constitution de la Ve République a été établie, pour les obliger, autant que possible, à gouverner.
Sanctionnée par un vote massif - 15 % d'abstention seulement - et positif - plus de 79 % de « oui » - le 18 septembre 1958, après avoir été solennellement présentée le 4 septembre, elle reçoit du suffrage universel une ratification d'une étendue sans précédent, valant quitus de tout et mandat pour l'avenir.
Aujourd'hui, après plusieurs rajustements de détail, souvent inspirés par ceux qui veulent changer les règles du jeu à leur manière et parfois même par ceux qui espèrent ouvertement ou sournoisement la détruire par des modifications répétées, cette Ve République, certains ne l'ont, dans le fond, encore pas admise parce qu'ils veulent un autre régime.
Et voilà maintenant qu'on nous propose de changer les dates des élections respectives du Président de la République et de l'Assemblée nationale, cette dernière prorogeant son propre mandat de près de trois mois et en urgence !
A la vérité, cette proposition vole bas par rapport à l'histoire, à la nature et à la mission de la Ve République telles que nous venons de les rappeler. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Cette proposition est bien loin des préoccupations actuelles des Français : immigration, déstabilisation sociale ou scolaire, insécurité, qui vont être le principal problème de l'Europe en général, et de la France en particulier, mutations industrielles ou commerciales et chômage, biologie, nucléaire, informatique, transports, monnaies, impôts et taxes, etc.
Il est arrivé, dans le passé, qu'une assemblée ait elle-même abrégé son mandat, mais jamais, en République, à ma connaissance, un parlement français n'a, de lui-même, décidé de proroger son mandat. Le Président de la République et le Sénat l'y avaient invité seulement en temps de guerre, en 1870, en 1916 et en 1940.
Dans le régime de la Ve République, le Président de la République peut, bien entendu, abréger ce mandat par dissolution.
Quoi qu'il en soit, il ne faut pas chercher à tricher avec les dates des élections de ce pays telles qu'elles tombent à leurs échéances normales.
Quelles que soient ces échéances, dispersées ou confondues, pour les différentes élections, il n'y a pas, et il n'y aura pas de confusion chez les Français, qui ne sont pas des citoyens sous-développés et qui ne peuvent pas l'être. Tout cela pour dire qu'il ne faudrait tout de même pas trop déformer l'esprit de notre Constitution ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
En fait, aujourd'hui, on nous demande de modifier un calendrier électoral au profit d'un Premier ministre candidat, et ce pour faciliter son élection au détriment des autres, maintenant que l'état de grâce dont il bénéficiait a disparu, qu'il s'use au fur et à mesure que le temps s'écoule et qu'on constate de plus en plus son incapacité à prendre quelque mesure fondamentale appropriée que ce soit, sur les retraites, par exemple.
M. Philippe Marini. Bon exemple !
M. Michel Pelchat. Entre autres !
M. Philippe de Gaulle. Pour ma part, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne saurais souscrire à une manoeuvre qui n'est ni dans la nature ni dans la vocation de notre République, qui n'est d'aucune utilité pour le peuple français et qui constituerait même un précédent de manipulation fâcheux pour notre démocratie.
Je me permets de penser que c'est l'avis du Sénat, dans sa grande majorité, et que ce pourrait bien être aussi celui de la majorité des Français. (Vifs applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Emmanuel Hamel. Quelle lucidité !
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est avec une certaine surprise, pour ne pas dire une certaine stupéfaction, que j'ai découvert l'inscription de ce texte par le Gouvernement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, puis du Sénat.
Je me suis d'abord demandé ce qui conduisait le Gouvernement à déclarer l'urgence et, ensuite, si ce texte correspondait effectivement à une attente forte des Françaises et des Français.
J'avais plutôt le sentiment que nos compatriotes attendaient d'autres initiatives de la part du Gouvernement, dans des domaines qui concernent leur vie de tous les jours, et en premier lieu la sécurité.
M. Serge Vinçon. C'est d'actualité !
M. Alain Vasselle. Il y a bien eu, ici ou là, dans un certain nombre de villes, la signature de contrats locaux de sécurité, et ce n'est pas M. le secrétaire d'Etat au logement, plus particulièrement chargé du logement social, qui me démentira sur ce point. Mais si je comprends que le Gouvernement ait soutenu de telles initiatives, je ne suis pas persuadé qu'il ait, ce faisant, répondu à l'attente des Français, ni que les résultats aient été ceux que l'on attendait, notamment dans les villes où l'insécurité sévit. Il suffit en effet d'ouvrir le journal chaque jour pour se rendre compte que l'insécurité est encore bien présente dans ce pays et qu'elle reste la préoccupation majeure des Français.
Un texte sur l'inversion du calendrier des élections législatives et présidentielle avait-il une urgence réelle ?
M. Philippe Marini. Aucune !
M. Alain Vasselle. Répondait-il effectivement à une attente profonde des Français ? Je n'en suis pas persuadé.
Par ailleurs, le Gouvernement peut-il considérer qu'il a répondu aux attentes des Français en matière d'insécurité, de chômage, de retraites ?
S'agissant des retraites, des manifestations de rue ont été organisées ces derniers jours par les partenaires sociaux. Elles tendaient à ramener le Gouvernement à la réalité des choses. Le message était clair : pourquoi n'assurez-vous pas les retraites de demain alors que vous avez tous les éléments pour ce faire ?
Et je ne parle ni des questions d'environnement, ni de la justice, ni de la famille !
J'ai tout de même noté, monsieur le secrétaire d'Etat, que ce gouvernement a une spécialité, celle de travailler « à crédit » et de laisser des ardoises.
N'est-ce pas Mme Guigou qui, garde des sceaux pendant quelque temps, s'est dépêchée de quitter sa fonction sans prévoir les moyens devant permettre au texte de loi sur la présomption d'innocence de trouver son application ?
N'est-ce pas Mme Aubry, qui, après avoir mis en place cette bombe à retardement que sont les 35 heures, a quitté le Gouvernement sans prévoir un financement équilibré de la mesure ? Sont ainsi remis en cause, au travers du dispositif des 35 heures tel que prévu dans la loi de financement de la sécurité sociale, et l'équilibre des comptes sociaux et l'alimentation du fonds de réserve devant permettre le financement des retraites dans les années à venir.
J'aurai d'ailleurs l'occasion, pas plus tard que demain, d'interroger le Gouvernement sur ce sujet des retraites pour qu'enfin il nous apporte un véritable éclairage.
Voilà deux jours, sur une chaîne publique, relativement tard dans la soirée, j'ai pu suivre un débat auquel participaient Denis Kessler, Patrick Devedjian et le porte-parole du groupe socialiste. Denis Kessler a notamment précisé qu'il était prêt à engager de nouveau les négociations sur le dossier des retraites, à condition que le Gouvernement annonce la direction dans laquelle il souhaitait que la réforme soit engagée.
Il faut en effet reconnaître que, pour le moment, nous sommes toujours dans l'attente d'une initiative gouvernementale. Après plusieurs rapports, on a simplement créé le conseil d'orientation des retraites, qui ronronne gentiment, mais dont il ne sort rien. On attend tranquillement les échéances électorales de 2002. Il faut caresser l'électeur dans le sens du poil pour éviter des réactions à des mesures impopulaires qu'il faudrait avoir le courage de prendre et que le Gouvernement se refuse à prendre.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Me permettez-vous de vous interrompre, mon cher collègue ?
M. Alain Vasselle. Je vous en prie, monsieur le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je souhaite ajouter à l'argumentation de notre collègue Alain Vasselle un élément qui ne me paraît pas mince.
Le Gouvernement vient de perdre 64 milliards de francs...
M. Serge Vinçon. Exactement !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... qu'il comptait affecter au maigrelet fonds de réserve des retraites. Peut-être est-ce une raison supplémentaire, pour lui, de se demander où il va et quand il pourra prendre enfin une décision. Perdre 64 milliards de francs du fait de la défection de deux opérateurs à l'offre d'attribution des licences UMTS, ce n'est pas rien, on en conviendra !
M. François Trucy. C'est vrai !
M. Serge Vinçon. Ce n'était pas prévu !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le secrétaire d'Etat, la remarque de M. le rapporteur est tout à fait pertinente. J'ai lu, en effet, dans Le Monde d'hier soir,...
M. Philippe Marini. C'est-à-dire le Journal officiel ! (Sourires sur les travées du RPR.)
M. Alain Vasselle. ... que le groupe Bouygues avait également décidé de retirer sa candidature.
M. Serge Vinçon. Absolument !
M. Alain Vasselle. Or, le bénéfice de cette opération devait permettre à la fois d'alléger la dette, à concurrence de 14 milliards de francs, et d'alimenter le fonds de réserve, à hauteur de 18 milliards de francs.
C'est important, car le Gouvernement a toujours avancé comme preuve de sa détermination à préparer l'avenir la création de ce fonds de réserve destiné à faire face aux difficultés que rencontreront tous les régimes de retraite à partir de 2020 et jusqu'en 2040.
Aujourd'hui, nous le savons, il y a pratiquement deux actifs pour un retraité ; à partir de 2020, il y aura un actif pour un retraité ; puis, à partir de 2040, il y aura moins d'un actif pour un retraité. Si donc les réformes nécessaires ne sont pas engagées dès à présent, ce ne sont pas ceux qui partent à la retraite aujourd'hui qui connaîtront des difficultés, mais nos enfants et nos petits-enfants quand ils atteindront l'âge de la retraite.
M. Lucien Lanier. Tout à fait !
M. Alain Vasselle. Nous savons aussi que la seule progression du nombre de cotisants n'y suffira pas. Les experts, dont M. Charpin lui-même, l'ont confirmé : même si l'on met l'ensemble des Françaises et des Français au travail à partir de 2020, un taux d'immigration positif ne suffira pas pour faire face aux besoins de financement des régimes de retraite.
Il me paraissait nécessaire de souligner ici que ce qu'attendent les Françaises et les Français, ce n'est pas l'inversion du calendrier des élections présidentielle et législatives, qui relève plus des préoccupations politiciennes et des arrière-pensées électorales du Gouvernement.
Aujourd'hui, vous connaissez une situation plutôt favorable au plan national, voire international. M. Philippe Marini, rapporteur général du budget, ne manque pas de le rappeler lors de l'examen de chaque projet de loi de finances, si la situation de la France est plutôt positive s'agissant de l'activité économique et de la réduction du chômage, ce n'est pas tant en raison de la politique que mène le Gouvernement Jospin depuis 1997, mais c'est bien parce qu'un contexte européen et international favorable sur le plan économique a permis une reprise de notre croissance qui est venue au bon moment renflouer les caisses de l'Etat.
Cette reprise a d'ailleurs provoqué le débat sur la fameuse « cagnotte », dont vous avez eu du mal à vous dépêtrer puisque, à partir du moment où les Français ont découvert l'existence de cette cagnotte, chacun a voulu profiter de celle-ci et bénéficier de l'amélioration de la situation économique de la France.
M. Philippe Marini. Juste remarque !
M. Alain Vasselle. Je crois d'ailleurs que vous n'avez dû faire que des déçus, puisque vous n'avez pas pu satisfaire les revendications de l'ensemble des catégories sociales.
Je pourrai citer un autre exemple. Lorsque Mme Martine Aubry, alors ministre de l'emploi, a présenté, voilà maintenant un peu plus de deux ans, à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale devant le Parlement, la réforme qu'elle a ensuite engagée concernant la politique familiale, elle a justifié la mise sous conditions de ressources de l'attribution des allocations familiales et la fiscalisation de ces allocations familiales par le fait que la branche famille était en déficit. Aujourd'hui, la branche famille est excédentaire et le Gouvernement n'a pourtant pas pris l'initiative, dans la loi de financement de la sécurité sociale, de redonner aux familles nombreuses ce qu'elles avaient perdu.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. C'est faux !
M. Alain Vasselle. Je ne parle pas des allocations familiales pour le logement.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. C'est quand même le régime de la branche famille qui en assume 50 %.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Vasselle ?
M. Alain Vasselle. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. J'ai observé pour ma part que l'augmentation des prestations sociales a été de 2,2 % pour l'ensemble des prestations et de 1,8 % seulement pour les allocations familiales. On ne peut pas appeler cela une politique familiale ! (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Vasselle.
M. Alain Vasselle. J'ajoute que, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, le Gouvernement a prévu une revalorisation des retraites de 0,5 %. Or les retraités ont considéré que les comptes n'y étaient pas et que cela ne constituait pas un véritable rattrapage de leur pouvoir d'achat.
La revalorisation des retraites a été inférieure - je dois en donner acte au Gouvernement - à celle qui était prévue pour les allocations familiales.
Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité avait justifié la réforme qu'elle avait mise en oeuvre par le déficit de la branche famille. Elle nous avait même assuré que, dès que la branche famille serait en excédent, la politique du Gouvernement pourrait être revue. Ainsi, les familles concernées retrouveraient une situation comparable à celle qu'elles connaissaient antérieurement.
Le fameux quotient familial a donc été mis en place. Il a pénalisé essentiellement les classes moyennes. La politique familiale a été remplacée par la politique sociale.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je suis désolé de devoir vous le dire avec force : il n'y a plus de politique familiale en France ! Cela se vérifie chaque fois que vous prenez des mesures.
Ainsi, lorsque la loi d'orientation agricole a été soumise à l'examen du Sénat, la préoccupation du Gouvernement n'a pas été de permettre à la profession agricole de retrouver le chemin de la croissance économique, mais elle a été de mener une politique purement sociale et environnementale : il s'agissait de faire de la redistribution de crédits par le biais des CTE, ces fameux contrats territoriaux d'exploitation,...
M. Philippe Marini. Encore une illusion !
M. Alain Vasselle. ... en mettant en place la modulation, c'est-à-dire en prenant dans la poche de Pierre pour distribuer à Jacques.
Cette opération n'a pas provoqué la satisfaction qu'avait annoncée M. Glavany, puisque les CTE sont un véritable échec, même si un certain nombre sont signés ici ou là. Et, actuellement, la profession agricole se mobilise pour dénoncer les insuffisances de la loi d'orientation agricole.
Les préoccupations du Gouvernement sont bien celles qui correspondent à son idéologie : faire du social, faire de la politique. Mais les préoccupations majeures des Français, elles ne sont pas du tout satisfaites, même si, en apparence, nos concitoyens se contentent de la situation actuelle.
Jusqu'au jour où un renversement de conjoncture...
M. Serge Vinçon. Il approche !
M. Alain Vasselle. ... démontrera que la politique menée depuis 1999 a été néfaste pour la France.
Le réveil sera plus douloureux qu'il ne l'a été en 1991 après le gouvernement de M. Rocard et en 1993, où la situation avait empiré après la première période de cohabitation, celle pendant laquelle M. Chirac avait été Premier ministre.
La deuxième période de cohabitation a été plus douloureuse que la première car les gouvernements en place ont dû engager à nouveau des réformes structurelles et demander aux Français de fournir des efforts plus importants que ceux qui leur avaient été demandés précédemment. Je suis persuadé, quant à moi, qu'une troisièmepériode de cohabitation, si celle-ci devait survenir, ce que je ne souhaite pas, serait encore plus douloureuse que la deuxième.
Le rôle de l'opposition consiste à apporter cet éclairage à l'ensemble des Françaises et des Français afin qu'ils se rendent compte de la situation dans laquelle ils risquent de se retrouver si le Gouvernement devait poursuivre la politique actuelle.
Mes chers collègues, il y a des raisons d'être inquiets par une initiative de cette nature, qui est loin des préoccupations fondamentales de nos concitoyens.
Par ailleurs, cette proposition de loi répond bien à des arrière-pensées électorales. C'est également le cas du projet de loi sur la parité et du projet de loi sur le cumul des mandats. A mon avis, ces deux textes n'auraient eu aucune raison d'être, monsieur le secrétaire d'Etat, si le Gouvernement avait accepté de faire légiférer le Parlement sur le statut de l'élu.
M. Philippe Marini. Ah oui, c'est vrai !
M. Alain Vasselle. Le Sénat a pris l'initiative, grâce à M. le président du Sénat - je l'en remercie une nouvelle fois - d'examiner la semaine dernière une proposition de loi, que j'avais déposée et qui était cosignée par une centaine de sénateurs, relative au statut de l'élu.
Le ministre qui siégeait au banc du Gouvernement nous a alors dit : « Bien que je sois d'accord sur l'essentiel de votre texte, sur les trois quarts, pour ne pas dire les 100 % des dispositions que vous proposez, je ne peux donner un avis favorable parce que le Gouvernement va présenter au Parlement, au printemps prochain, un projet de loi sur la décentralisation auquel sera adjoint un volet sur le statut de l'élu. » Le Gouvernement ne l'avait pas prévu initialement. Mais, puisqu'il y avait des initiatives parlementaires !...
Je relève que le groupe communiste, lui aussi, a réussi à faire inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale un texte sur le statut de l'élu. L'Assemblée nationale a adopté un certain nombre de mesures, qui étaient similaires à celles que j'ai proposées dans ma proposition de loi. Or le Gouvernement, qui a approuvé ce qui était présenté par le groupe communiste à l'Assemblée nationale, et qui approuve du bout des lèvres ce que je propose dans cette enceinte avec plusieurs de mes collègues, conclut en disant : « Nous sommes d'accord, mais nous ne donnerons pas un avis favorable parce qu'il faut attendre le texte sur la décentralisation. »
M. Philippe Marini. C'est dommage ! C'est un texte qui prend du retard !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Vous y contribuez !
M. Alain Vasselle. Le Gouvernement préfère garder la main, garder l'avantage médiatique et politique. Il ne souhaite donc pas que les mesures soient portées au crédit du Sénat.
Il en a été de même en ce qui concerne la proposition de loi constitutionnelle déposée par M. le président du Sénat. La Haute Assemblée l'a adoptée, mais le Gouvernement a dénigré le dispositif imaginé par notre président et qui invitait le Parlement à mener une réflexion fondamentale sur nos institutions, sur les réformes constitutionnelles absolument nécessaires pour assurer aux collectivités territoriales la sécurité de leurs ressources financières à travers les contributions d'Etat.
C'est la raison pour laquelle je suis persuadé que, si le Gouvernement n'avait pas mis la charrue devant les boeufs et avait accepté ou proposé un texte sur le statut de l'élu, nous n'aurions pas eu besoin des projets de loi sur la parité ou sur le cumul des mandats.
Le groupe communiste s'est d'ailleurs rendu compte très rapidement de la limite de l'exercice, puisque la parité crée bien des difficultés à certaines têtes de liste.
Je ne sais pas ce qu'il en est dans votre belle ville de Savoie, monsieur le secrétaire d'Etat. Parvenez-vous à réaliser la parité ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Sans difficulté !
M. Alain Vasselle. Il faudrait que vous donniez la recette à ceux qui peinent à la mettre en oeuvre. Nombre de collègues, notamment dans les communes de 3 500 à 4 000 habitants, ne parviennent pas à boucler leur liste !
M. Philippe Marini. Ils n'ont qu'à prendre les femmes des conseillers sortants !
M. Alain Vasselle. Ils doivent faire de multiples démarches pour que des femmes acceptent de figurer sur une liste en vue des élections municipales.
La présence des femmes sur les listes en vue des élections municipales ne relève pas de dispositions législatives. Rien dans les textes n'interdisait aux femmes de se présenter à des élections, quelles qu'elles soient.
M. Serge Vinçon. Absolument !
M. Alain Vasselle. La preuve en est : Mme Brisepierre est des nôtres.
M. Emmanuel Hamel. C'est un cas exceptionnel, unique !
M. Alain Vasselle. D'autres femmes sont sénateurs, députés ou élues dans les assemblées municipales, cantonales ou régionales. Le problème des femmes c'est d'avoir un statut de l'élu qui leur permette de concilier leur vie professionnelle, leur vie familiale, et leur vie élective.
Tant que vous n'aurez pas réglé la question du statut de l'élu, il y aura des difficultés. Y arriver par la force, par la voie législative n'est pas une bonne méthode. On verra ce que cela donnera ! On verra comment fonctionneront ces assemblées municipales avec des femmes qui rencontreront des difficultés.
D'ailleurs, le groupe communiste, qui ne s'y est pas trompé, a déposé sa proposition de loi sur le statut de l'élu. Il propose de régler le problème de la garde des enfants, c'est-à-dire la prise en charge par la collectivité publique des frais de garde d'enfants. Il sait très bien que, si ces femmes ne trouvaient pas de solution pour se libérer de leurs charges familiales liées à l'éducation de leurs enfants, elles ne pourraient pas assumer complètement leur mandat.
Chaque jour, la démonstration est faite. Les textes de loi sont adoptés par l'Assemblée nationale. A chaque occasion, le Sénat n'a pas manqué d'alerter le Gouvernement sur les effets pervers des dispositions législatives qu'il fait adopter et sur les difficultés pratiques que nous allons rencontrer dans leur mise en application. Chaque fois, vous en êtes alertés. Pourtant, chaque fois, vous passez en force. Malheureusement, lorsque les Français ont à vivre l'application de ces textes au quotidien, ils ne peuvent qu'en souffrir et rencontrer des difficultés.
Mes chers collègues, voilà en ce qui concerne les préoccupations des Français.
Beaucoup d'autres exemples pourraient être cités. Je pense, notamment, aux emplois-jeunes ou encore au fameux texte sur la solidarité et le renouvellement urbains, le SRU. D'une manière un peu plus insidieuse, des mesures sont prises pour faire en sorte que le parti socialiste, ou la majorité plurielle, garde complètement le pouvoir en matière de politique d'aménagement du territoire et d'urbanisme, et que les Françaises et les Français n'aient pas toute la liberté d'action qui devrait être la leur dans le cadre d'une société comme la nôtre.
Un autre texte démontre encore que ce gouvernement a des préoccupations électoralistes - comme c'est le cas avec cette proposition de loi que nous examinons aujourd'hui - c'est la fameuse loi relative à la chasse. Il fallait donner satisfaction à une partie de la gauche plurielle, c'est-à-dire à Mme Voynet ! Les chasseurs sont descendus dans la rue et un certain nombre d'aménagements du texte ont été obtenus pour éviter de fâcher un peu trop une partie de l'électorat.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous savez très bien que parmi les chasseurs une bonne partie de l'électorat est de votre côté. Il fallait donc à tout prix ne contrarier ni Mme Voynet ni les chasseurs. On s'est donc retrouvé avec un texte mi-figue mi-raisin, et ce fameux mercredi devenu un jour de non-chasse ! Je me suis toujours demandé s'il n'avait pas un caractère anticonstitutionnel. D'ailleurs, je crois savoir que, même si tel n'a pas été l'avis du Conseil constitutionnel, un recours a été engagé devant les instances européennes pour leur demander de se prononcer sur le bien-fondé d'une disposition de cette nature.
Lorsque le Gouvernement a engagé la réforme du mode d'élection des sénateurs, n'avait-il pas d'arrière-pensées électorales, comme il en a aujourd'hui ? Cette réforme n'avait-elle pas pour objet d'améliorer la représentation du parti socialiste et du parti communiste au sein de la Haute Assemblée ? N'était-ce pas une manipulation patente de la part du Gouvernement ?
M. Philippe Marini. Une complète manipulation politique !
M. Serge Vinçon. Absolument !
M. Alain Vasselle. L'objectif est bien d'essayer, grâce à une meilleure représentation du parti socialiste au Sénat, de permettre au Gouvernement d'atteindre la majorité des trois cinquièmes au Congrès et donc d'être en mesure d'engager toutes les réformes constitutionnelles qu'il souhaiterait faire voter !
Parlons précisément des réformes constitutionnelles. Depuis 1992, date à laquelle je suis devenu sénateur, je crois être allé au moins sept fois à Versailles. Je ne pense pas qu'en vingt ou vingt-cinq ans, au cours de leurs mandats, les sénateurs qui m'ont précédé - ils sont un certain nombre ici - y soient allés plus d'une ou deux fois ! Il n'y a jamais eu autant de réformes constitutionnelles que ces dernières années. Je dois admettre qu'elles sont intervenues sur l'initiative tant des gouvernements précédents que du vôtre. Certes ! Mais l'envie ne vous manque pas de convoquer le Congrès un peu plus souvent !
Si le Sénat n'avait pas fait valoir l'incohérence qu'il y aurait eu à adopter à Versailles le projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature sans engager préalablement une réforme globale de la justice, le Gouvernement n'aurait pas fait marche arrière ni fait examiner le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence !
S'agissant du quinquennat, même si je n'ai pas eu l'occasion de le dire à la tribune parce que je ne m'étais pas inscrit dans le débat qui nous a conduits à décider, dans un consensus quasi général, la réduction du mandat présidentiel, je fais partie de ceux qui pensent que la réforme de la durée du mandat du Président de la République ne se limitait pas à une question de durée. Si elle pouvait peut-être se justifier, elle devait en tout cas, à mon sens, faire partie d'une réforme globale.
Faire en permanence des « réformettes » de notre Constitution, ce n'est pas très sérieux et c'est vraiment manquer de considération à l'égard des Françaises et des Français !
Pour le quinquennat, un référendum a été organisé sur l'initiative du Président de la République et en accord avec le Premier ministre. Mais quelle est la légitimité d'une réforme constitutionnelle qui a mobilisé moins de 30 % des Français, puisque à peine 27 % ou 28 % d'entre eux ont accepté de se déplacer ? Cette réforme a fait l'objet d'une approbation d'autant plus faible qu'un pourcentage non négligeable de Françaises et de Français s'y sont opposés !
Pour ma part, je pense que nous ne devrions pas engager de réforme constitutionnelle sans avoir l'assurance d'un minimum de participation des électrices et des électeurs de ce pays. Il faudrait qu'au moins 50 % des Françaises et des Français s'expriment pour considérer qu'il y a adhésion de la population française à une réforme de notre constitution. Lancer une réforme qui engage l'avenir de la France, de ses institutions, de sa Constitution avec une si faible adhésion de la population française m'apparaît particulièrement préoccupant.
Je regrette, de ce point de vue, que le Gouvernement n'ait pas fait preuve d'une attention plus soutenue. Il serait bien inspiré de déposer un projet de loi tendant à prévoir qu'aucune réforme constitutionnelle ne pourra désormais être mise en oeuvre sans un minimum de participation des électrices et des électeurs au scrutin. C'est déjà la règle pour un certain nombre d'élection, celle des conseillers généraux par exemple. Les électrices et les électeurs le savent, ne peut être considéré comme élu un conseiller général qui recueillerait au premier tour la majorité des suffrages exprimés avec moins d'un quart des inscrits. Un second tour est nécessaire.
Cette mesure montre la préoccupation fondamentale qui a été, à l'époque, celle du législateur pour démontrer qu'il faut, pour représenter une population, un minimum de légitimité, participation à l'élection concernée. Il devrait en être de même pour les réformes constitutionnelles, surtout lorsqu'elles donnent lieu à un réfé-rendum !
La solution de facilité aurait été d'aller à Versailles pour faire adopter le quinquennat. Vous auriez peut-être eu de bonnes chances d'obtenir la majorité qualifiée nécessaire pour faire aboutir la réforme. Elle n'aurait toutefois pas eu la même valeur que celle qui résulte d'un référendum à l'occasion duquel s'exprime l'ensemble des Françaises et des Français. Sur ce point, j'adhère complètement à l'initiative qui a été prise par le Président de la République, car les Françaises et les Français devaient se prononcer sur ce point et non pas le Parlement seul.
La proposition de loi organique relative à l'inversion du calendrier électoral s'inscrit, mes chers collègues, dans la continuité du syndrome qui touche le Gouvernement, celui d'une « réformite » aigue de nos institutions qui tend à devenir chronique. Mais, chacun le sait, une « réformite » ne donne que des réformettes et non de véritables réformes !
Nous avions pourtant pris la peine d'alerter le Gouvernement sur les risques qu'il faisait courir à notre démocratie et à nos institutions de la Ve République. Si notre régime politique n'est plus viable, il faut d'abord prendre le temps d'établir un véritable diagnostic afin d'engager un débat constitutionnel digne de ce nom.
Ce n'est pas en escamotant un débat aujourd'hui nécessaire que nous y gagnerons dans l'amélioration de notre Etat de droit. C'est d'ailleurs pour cette raison que mes collègues de la majorité sénatoriale et moi-même attachons de l'importance au débat d'aujourd'hui.
D'aucuns avanceront des raisons électoralistes, mais je rappellerai à ceux-là que la discussion générale, dans le cadre de la procédure législative, consacre la liberté d'opinion et la liberté d'expression, qui sont parmi les plus précieuses dans une démocratie, car elles permettent encore au Parlement d'exercer sa fonction, si ce n'est son pouvoir, alors qu'il est dévalorisé aujourd'hui.
Les conséquences institutionnelles de ce texte ne peuvent être déniées. Elles doivent même être reliées à d'autres, qui résultent notamment de la récente modification de notre Constitution relative au quinquennat.
L'ampleur de cette réforme a sans doute été mal mesurée et le taux d'absention a montré qu'on ne pouvait pas engager à la légère des réformes constitutionnelles de cette nature sans veiller à ce que les Françaises et les Français fassent preuve de civisme en y participant nombreux. Ce taux de participation nous renseigne sur l'état de notre démocratie représentative.
L'inversion du calendrier électoral permettra-t-elle à nos concitoyens de se sentir mieux représentés ? Je ne le pense pas. D'autres réformes offriraient de meilleures réponses aux attentes légitimes des Français.
Les profonds changements intervenus ces dernières années dans la vie économique et sociale posent la question de savoir comment l'Etat s'adaptera à cette évolution. Permettez-moi d'emprunter le titre d'une communication du professeur Pierre Vellas : « Pour les années 2000 : un Etat à réformer ou à réinventer ? » Il faudrait être aveugle pour ne pas mesurer la pertinence de cette question !
L'évolution de la notion d'Etat dans la société internationale et les dysfonctionnements de la société d'aujourd'hui marquent le besoin de faire quelque chose.
Mais, aujourd'hui encore, cette réforme de l'Etat est marquée par de fausses manoeuvres - et la proposition de loi qui nous intéresse ce jour en est une - qui en étouffent l'intérêt urgent.
A l'évidence, cette réforme n'a pas été préparée sérieusement. Elle a même disparu du débat politique. J'en veux pour preuve le faible taux de participation de nos collègues socialistes dans la discussion générale.
Je vois que les travées du groupe socialiste et celles du groupe communiste républicain et citoyen sont particulièrement vides.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je les comprends !
M. Alain Vasselle. J'ai noté d'ailleurs qu'à l'Assemblée nationale les membres du groupe socialiste n'avaient pas été beaucoup plus nombreux à participer au débat !
Je ne me permettrai pas de soupçonner un quelconque désintérêt pour le sujet, tout au plus me permettrai-je de présumer un certain aveu de leur part quant aux intentions peu louables et, pour le coup, purement électoralistes qui s'attachent à cette manoeuvre du Gouvernement.
M. Jospin ne nous fera pas croire qu'un esprit bien déterminé tel que le sien n'aurait pas mesuré les conséquences constitutionnelles de ces divers projets et propositions de réforme, prétendument modernes et qui, additionnées et dans une vision globale, entraînent des mutations profondes et le délitement de notre régime.
Ainsi, qu'il affiche clairement sa volonté de transformer radicalement nos institutions, c'est la moindre des exigences qui s'impose au chef de gouvernement qui se veut, ou se dit, respectueux du peuple souverain.
C'est aussi la moindre des exigences qui s'impose à un chef de gouvernement tirant sa seule légitimité de la majorité parlementaire qui le soutient mais qui se trouve désunie aujourd'hui autour de cette question.
Le débat de ce jour y gagnerait en « lisibilité » et nous ne serions pas obligés de lire entre les lignes tels des exégètes au discours parfois teinté d'amertume.
Notre Constitution, charte fondamentale de l'organisation de l'Etat, n'est pas une norme figée. C'est une norme vivante qui peut être révisée mais qui ne doit pas être modifiée à tout rompre !
Parce qu'elle est une vraie création d'origine humaine, elle est un esprit et des institutions. Si, aujourd'hui, la réforme attendue de l'Etat nécessite un lissage de notre texte fondamental, voire une révision plus globale, nous ne devons pas faire l'économie, dans un premier temps, d'une réelle réflexion sur la réforme de l'Etat. Ce n'est que dans un second temps que l'on pourra entamer une modification de la Constitution.
On doit veiller à ce que la Constitution en tant que norme suprême ne soit pas « abîmée » par le mouvement inflationniste touchant les normes qui lui sont soumises ; je veux parler des normes législatives et réglementaires.
La surproduction normative est une réalité, et j'en profite pour citer, à ce propos, le rapport public du Conseil d'Etat de 1991 :
« Le droit n'apparaît plus comme une protection mais comme une menace. Enfin, rien n'est plus contraire au principe d'égalité entre les citoyens que de laisser proliférer un droit si complexe qu'il n'est accessible qu'à une poignée de spécialistes... Si l'on n'y prend garde, il y aura demain deux catégories de citoyens : ceux qui auront les moyens de s'offrir les services des experts pour détourner ces subtilités à leur profit et les autres, éternels égarés du labyrinthe juridique, laissés pour compte de l'Etat de droit. »
M. Jospin serait donc aujourd'hui le défenseur farouche de l'esprit de la Constitution, alors qu'il faisait partie autrefois de ses plus féroces détracteurs. Mes collègues ont déjà souligné que le fait que d'éminents constitutionnalistes aient choisi de faire une lecture de la Constitution propre à soutenir l'inversion du calendrier électoral de 2002 ne confère pas à leur opinion valeur de parole d'évangile. Que ces éminents constitutionnalistes soient en désaccord avec d'autres constitutionnalistes tout aussi éminents relativise largement leur position.
Mais voilà, M. Jospin veut tout et oublie que nous n'avons pas été élus pour favoriser l'élection de la gauche plurielle et encore moins la sienne. Il est sain de le rappeler ! N'ayons pas peur de nos convictions ! C'est aussi cela respecter le jeu de la démocratie.
Ne répugnons pas à le dire et à le redire même si nous n'avons pas toujours le sentiment d'être écoutés, car nous avons au moins l'assurance d'être lus.
J'espère, mes chers collègues, que cette longue discussion générale aura permis aux Françaises et aux Français d'être sensibilisés et de mieux comprendre les arrière-pensées de ce Gouvernement. Celui-ci n'a, en effet, d'autre souci que de créer, par la voie législative, toutes les conditions qui permettent de pérenniser sa situation à la tête de ce pays, même si cela peut en coûter aux Françaises et aux Français et même si cela peut mettre en cause à la fois leur liberté, leurs conditions de vie, mais également leur sécurité et leur épanouissement ainsi que ceux de leur famille.
Mes chers collègues, j'espère qu'ils ne seront pas dupes de cette initiative du Gouvernement et qu'ils sauront sévèrement sanctionner celui-ci à l'occasion des échéances électorales à venir. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)

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