SEANCE DU 6 FEVRIER 2001


M. le président. « Art. 1er. - L'article L.O. 121 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L.O. 121. - Les pouvoirs de l'Assemblée nationale expirent le troisième mardi de juin de la cinquième année qui suit son élection. »
La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le ministre, vous avez bien voulu saluer la qualité de la discussion générale, qui a effectivement permis aux sénateurs de s'exprimer. Vous avez pu constater qu'il ne sert à rien de chercher à bousculer le Sénat ; quand il veut travailler en profondeur sur les dossiers, il le fait ! (Rires et exclamations sur les travées socialistes. - Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Je suis heureux d'avoir l'occasion de saluer nos collègues socialistes, qui nous font le grand honneur d'être présents, puisqu'ils n'ont pas daigné nous écouter quand nous nous sommes exprimés, et cela tout au long, ou presque, de la discussion générale.
M. Claude Estier. Nous avons préféré vous laisser travailler en profondeur ! (Sourires sur les travées socialistes.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Mais, j'aperçois ici d'éminentes personnalités qui ont souvent la parole... On comprendra que les sénateurs de base que nous sommes, lorsqu'ils ont l'occasion de s'exprimer, en profitent. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Monsieur le ministre, j'ai beaucoup apprécié l'hommage que vous venez de rendre à notre collègue Jean Arthuis. Comme vous, nous avons pour lui beaucoup de considération, et j'y ajouterai même de l'amitié. Ce qu'a dit Jean Arthuis était effectivement frappé au coin du bon sens : qui peut connaître le résultat des élections avant qu'elles se déroulent ? C'est vrai, quand on lance une manoeuvre de ce type, on ne sait pas à qui elle va profiter.
M. René-Pierre Signé. Eh bien alors ?...
M. Jean-Pierre Raffarin. Tout peut arriver ! C'est pourquoi il vaut mieux éviter de jouer avec le feu. Consultez donc la sagesse populaire : tôt ou tard, elle vous reprochera une arrière-pensée, surtout si cette arrière-pensée vient de la rue de Varenne, de cet hôtel Matignon où l'on prépare une échéance au lieu de s'occuper des problème quotidiens des Français. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur quelques travées de l'Union centriste.)
Alors que, à l'aube de ce nouveau siècle, les problèmes de sécurité viennent frapper le coeur des Français, que la fiscalité vient frapper leur portefeuille, que la fracture territoriale se développe, alors que tant d'inquiétudes se manifestent chez nos concitoyens, de quoi discute le Parlement à la demande de M. le Premier ministre ? Du calendrier électoral de 2002 ! Il s'agit de savoir s'il faut mettre telle élection avant telle autre !
Décidément, monsieur le ministre, il y a de quoi être choqué par la manoeuvre qui a été engagée avec cette proposition de loi organique, qui plus est frappée de l'urgence.
M. René-Pierre Signé. Et le quinquennat ?
M. Josselin de Rohan. Cessez d'aboyer, monsieur Signé !
M. Jean-Pierre Raffarin. Précisément, le fait qu'on évoque le quinquennat à propos de ce texte montre bien que de vrais débats institutionnels méritent d'être menés, car il existe effectivement une interrogation sur ces sujets.
Un tel débat pourrait parfaitement avoir lieu, avec une réflexion approfondie. De même qu'il y a eu une commission Mauroy, bien présidée d'ailleurs, pour parler de l'administration du territoire,...
M. Claude Estier. Vous l'avez quittée !
M. Jean-Pierre Raffarin. ... pourquoi n'y aurait-il pas une commission Badinter pour réfléchir à ces sujets, en prenant le temps d'aller au fonds des choses ?
De telles manoeuvres sont regrettables, et c'est la raison pour laquelle le Sénat a tenu à prendre la parole !
M. René-Pierre Signé. Irresponsables !
M. Jean-Pierre Raffarin. Je ne comprends pas que l'on accepte par cet article 1er de laisser une assemblée prolonger elle-même ses pouvoirs...
M. Alain Gournac. Eh oui : elle-même !
M. René-Pierre Signé. Chirac les a racourcis !
M. Jean-Pierre Raffarin. ... sans respecter la procédure parlementaire la plus approfondie, ce qui, à défaut d'enlever la marque de la manoeuvre, aurait tout au moins donné de la dignité ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite intervenir aujourd'hui pour souligner que, dans une certaine mesure, l'inversion est anticonstitutionnelle.
En effet, la prolongation de la durée de la législature est une rupture du contrat passé entre les électeurs et les élus lors de l'élection.
M. René-Pierre Signé. Vous, vous l'avez raccourcie !
M. Alain Gournac. La prolongation du mandat ne doit pouvoir s'opérer qu'avec l'accord des électeurs, et il est vraisemblable qu'en l'espèce la solution du référendum aurait dû s'imposer pour modifier la loi organique.
La prolongation de la durée de la législature est une négation du pouvoir de dissolution du chef de l'Etat et elle est donc en contradiction avec l'article 12 de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion d'accepter la prorogation de mandats électoraux, mais il n'y a consenti que pour des élus locaux. Et ce n'était pas ces derniers qui prenaient la décision de proroger eux-mêmes leur propre mandat, c'était le Parlement, tandis que, dans le cas qui nous occupe, ce sont en définitive les députés qui prennent une décision les concernant.
Ce sera un précédent important pour une démocratie. Selon ce principe, l'Assemblée nationale pourrait éventuellement décider sans contrainte et sans limite, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, de proroger indéfiniment son propre mandat.
M. Jean-Pierre Schosteck. Oui, pourquoi pas ?
M. Alain Gournac. Jamais le Conseil constitutionnel n'a eu l'occasion de s'exprimer sur une exception à la durée habituelle du mandat parlementaire.
Certes, l'article 25 de la Constitution renvoie à la loi organique pour fixer « la durée des pouvoirs de chaque assemblée ». Mais il ne permet pas de faire varier chaque législature au gré de ceux qui la composent. Il prévoit que la loi organique doit fixer une durée pérenne au mandat législatif et non pas une durée variable, comme vous voulez le faire aujourd'hui.
Les députés en place décident eux-mêmes de proroger la durée de leur mandat ! C'est pour le moins discutable, d'autant qu'aucun événement imprévu n'est survenu.
Si tel avait été le cas, on aurait peut-être pu concevoir une telle attitude ; mais, en 1997, on savait que les élections législatives auraient lieu en 2002.
M. Adrien Gouteyron. Il y en a qui ne le savaient pas !
M. Alain Gournac. Il n'y avait donc rien d'imprévisible. Encadrée par la Constitution, la loi organique aurait obligatoirement dû prévoir une durée juridiquement stable à la législature.
Le Conseil constitutionnel a en outre précisé, dans une décision du 6 juillet 1994, que la mesure de prorogation devait avoir un caractère exceptionnel.
Or, en principe, le rapprochement des élections présidentielle et législatives la même année n'a rien d'exceptionnel, puisqu'il était largement prévisible.
M. René-Pierre Signé. Abrégez !
M. Alain Gournac. La condition posée par le Conseil constitutionnel pour les élections locales n'est donc pas remplie pour les élections nationales.
En conclusion, les auteurs de la proposition de loi organique affirment ne se fonder que sur l'esprit des institutions, mais les principes sur lesquels elle repose ne peuvent qu'être inconstitutionnels : atteinte au droit de dissolution, c'est-à-dire violation de l'article 12 de la Constitution, et atteinte à la stabilité du mandat législatif, c'est-à-dire violation de l'article 25 de la Constitution. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Francis Giraud.
M. Francis Giraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le code électoral n'a jamais été aussi souvent modifié que depuis trois ans. Cela porte inéluctablement atteinte à l'équilibre de nos institutions.
Les réformes, votées, au pis, par convenance ou, au mieux, de justesse ne sont jamais les bienvenues, car elles ne durent jamais longtemps, sont défaites par les majorités suivantes et divisent le peuple au lieu de le souder.
Notre Constitution et nos règles électorales sont des contrats dont le but est de réunir les citoyens autour d'un projet de vie commun ; elles ne doivent en aucun cas être la cause d'affrontements.
Je réitère donc à présent le souhait formulé durant notre très utile discussion générale : il serait salutaire pour notre équilibre démocratique que les majorités successives cessent de faire passer en force des réformes électorales leur étant systématiquement favorables. De ce point de vue, vous ne pourrez m'empêcher de constater - sans provocation - qu'il s'agit tout de même depuis vingt ans d'une spécialité socialiste, car, contre une réforme de droite qui répondait à une autre de gauche, on ne compte plus les modifications successives du code électoral par les différents gouvernements socialistes.
Les règles du jeu ne doivent pas trop changer et, si elles doivent le faire, cela doit s'opérer dans le consensus entre toutes les parties en présence. Encore une fois, dans l'ensemble des démocraties voisines, aucune règle électorale ne change sans qu'un réel consensus ne se soit dégagé.
Dans bon nombre de ces démocraties, le code électorale est annexé à la Constitution, et c'est sans doute le plus sûr moyen d'éviter de trop brutaux changements.
Si le code électoral était inscrit dans la Constitution, il faudrait réunir une majorité des deux tiers au Congrès pour qu'une modification soit adoptée. Ainsi, nous aurions le plus sûr verrou pour garantir l'accord explicite de la droite et de la gauche avant toute modification des règles du jeu, nous aurions l'assurance que les réformes électorales relèvent non pas de la tactique politicienne mais d'une réelle ambition de moderniser la vie politique. Lorsque les deux camps sont d'accord, l'équilibre est maintenu et il ne peut être fait procès à la majorité de tricher en jonglant avec les règles à quelques mois des élections.
M. René-Pierre Signé. Etes-vous seulement d'accord entre vous ?
M. Francis Giraud. Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, il me semble que le temps d'un débat sur la place du code électoral dans nos institutions est venu. Sans doute faudra-t-il le faire entrer dans notre Constitution ou, du moins, empêcher qu'au gré des majorités il puisse être modifié comme une simple loi ordinaire ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. René-Pierre Signé. Mettez-vous déjà d'accord !
M. le président. La parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion générale a permis de mettre en exergue quelques arguments forts montrant l'inopportunité de l'inversion du calendrier électoral.
Je tiens, avant que nous passions à l'examen des amendements, à revenir sur quelques points que je crains ne pas avoir assez développés. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier. Ça, c'est la meilleure !
M. Bernard Fournier. Il est question de faire coïncider la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale avec la fin de la session parlementaire : je reviendrai un peu plus tard sur ce qui me semble une aberration calendaire.
Je veux simplement ici mettre en garde les apprentis sorciers.
M. René-Pierre Signé. Oh ! là ! là !
M. Bernard Fournier. Contrairement à nos collègues favorables à l'inversion du calendrier, je ne fais pas de la politique-fiction, je ne me cale pas sur des sondages hypothétiques : je m'appuie sur le passé récent.
Mes chers collègues, nous devons retenir le message fort que nos concitoyens nous ont adressé le 24 septembre dernier, lors du référendum constitutionnel. Le taux d'abstention a été tel qu'il a posé, et lourdement, la question de la légitimité du vote exprimé. En effet, que signifie un résultat entaché de 60 % à 70 % d'abstentions et d'une proportion significative de votes blancs ou nuls ?
L'assentiment populaire est le fondement de la légitimité.
La démocratie repose non pas sur une fiction intellectuelle mais sur le consentement majoritaire.
La minorité ne s'incline devant le fait majoritaire que dès lors que cette majorité est réelle.
Lorsque la majorité n'est plus que virtuelle, lorsqu'elle n'est en fait que celle d'une minorité de suffrages exprimés, il y a un vrai risque sinon de contestation à moyen ou à long terme, du moins de remise en cause des résultats.
M. René-Pierre Signé. C'est vraiment nul !
M. Bernard Fournier. Ne voit-on d'ailleurs pas augmenter le nombre des décisions du juge électoral ?
Pouvons-nous nous permettre de « saper » la légitimité des élus...
M. René-Pierre Signé. Bien sûr...
M. Bernard Fournier. ... en modifiant à notre guise les règles du jeu, en les adaptant à notre convenance personnelle ? Non ! Cela est irresponsable et dangereux.
Le doyen Gélard et notre excellent collègue Robert Badinter ont opposé des arguments de constitutionnalistes, des arguments pertinents, juridiques au lieu d'être politiques, qui ont montré que chacune des thèses pouvait emporter des partisans.
Pour ma part, je souhaite revenir à des arguments touchant à la théorie générale de l'Etat, à la conception même du pouvoir puisque, in fine , c'est de cela qu'il s'agit.
En effet, l'élection n'est autre chose que la désignation du titulaire du pouvoir d'administration ou de représentation. C'est donc de la notion de commandement et de celle d'obéissance dont nous discutons.
C'est par l'élection que le peuple consent à limiter certaines de ses latitudes : c'est le fondement même de la démocratie. Si l'élection est fragilisée, comme elle l'est en France depuis vingt ans par une participation de plus en plus chétive, c'est l'assise de la démocratie qui s'affaiblit.
Le législateur doit donc être très vigilant, notamment aux manipulations de circonstance pour lesquelles le peuple n'a pas de considération. Il accuse alors ses représentants d'adapter la démocratie à leurs ambitions. Il déserte les isoloirs et, bien entendu, la contestation grandit.
Soyons conscients que la démocratie n'est pas un fait acquis, c'est un bien commun qu'il faut défendre tous les jours.
M. René-Pierre Signé. Abrégeons !
M. Bernard Fournier. Le texte qui nous est soumis aujourd'hui est donc d'une opportunité largement discutable. Ramené aux fondements même de la conception du pouvoir et de l'élection, il peut être dangereux. Je tenais à rappeler ce point de vue. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. René-Pierre Signé. Vous me dégoûtez de la démocratie !
M. le président. La parole est à M. Schosteck.
M. Jean-Pierre Schosteck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite, en prenant la parole sur cet article, déplorer une fois encore l'usage de la procédure d'urgence.
Je m'interroge, et je ne suis pas le seul, sur la nécessité de cette procédure,...
M. René-Pierre Signé. Allez votre train de sénateur !
M. Jean-Pierre Schosteck. ... car je ne vois pas à quelle priorité nationale peut répondre le présent texte. Or, nous appelons de nos voeux, et le peuple avec nous, bon nombre d'autres réformes autrement plus urgentes pour nos concitoyens. Je pense, par exemple, à la famille, à la crise agricole et alimentaire qui secoue notre pays, à une réforme en profondeur de la justice,...
M. François Autain. ... et aux retraites !
M. Jean-Pierre Schosteck. J'y viens ! Je vous remercie de m'aider. Si jamais j'avais omis de les citer, j'aurais été vraiment fautif. Cher collègue, je suis très sensible à votre aide. Je vois que je suis entendu.
M. François Autain. Ecouté !
M. Louis de Broissia. Suivi avec attention !
M. le président. Monsieur Schosteck, veuillez poursuivre, pour la clarté du débat.
M. Jean-Pierre Schosteck. Je m'y efforce, monsieur le président.
Parmi les réformes plus urgentes pour nos concitoyens figurent la justice en profondeur...
M. René-Pierre Signé. Le débat en profondeur !
M. Jean-Pierre Schosteck. ... et toutes les autres que ce Gouvernement, comme vous dites...
En l'occurrence, il est curieux de vous entendre employer cet adjectif démonstratif. Puisque vous avez un peu d'ancienneté, dites : « le » Gouvernement. Cessez donc de dire « ce » Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RPR.) On a bien compris qu'il s'agit de celui-là !
M. Jean-Pierre Raffarin. Cela peut être iste ou ille !
M. Louis de Broissia. Absolument ! Il serait intéressant d'en débattre !
M. Jean-Pierre Schosteck. Parmi toutes ces autres réformes, il y a notamment la réforme tant promise et tant attendue des retraites. Vous aurez observé que je n'ai pas parlé de la sécurité.
M. François Autain. Effectivement !
M. René-Pierre Signé. Allez-y !
M. Jean-Pierre Schosteck. Et pourtant, c'est ce qui préoccupe au premier chef nos concitoyens. Ce dossier, autrement plus urgent, dort dans les tiroirs des ministères concernés. Le Gouvernement commande des rapports, crée des commissions.
Je reprends mon propos. Nous devons donc étudier aujourd'hui la proposition de loi organique n° 166, adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, « modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale ».
Vous me permettrez de m'amuser quelque peu de cet intitulé. « Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale » est un délicat euphémisme, qui masque à peine la réalité de cette proposition de loi organique.
Il aurait sans doute fallu avoir le courage d'appeler ce texte par son nom. Tout d'abord, il s'agit non pas d'une simple modification de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, mais bel et bien d'une prolongation de la durée d'un mandat fixé pourtant à cinq ans. Le peuple souverain a donné mandat aux députés pour cinq ans, et seulement cinq ans.
M. Claude Estier. Ils ont été élus en juin 1997 : en juin 2002, cela fera cinq ans !
M. François Autain. Effectivement !
Il n'avait pas pensé à ça !
M. René-Pierre Signé. Vous, vous avez raccourci le mandat de la précédente Assemblée nationale !
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, donnez la parole à M. Signé !
M. Jean-Pierre Schosteck. Si M. Signé souhaite m'interrompre, j'accepte bien volontiers.
M. Louis de Broissia. M. Signé pourrait parler. Ce serait normal !
M. Josselin de Rohan. M. Signé ne parle pas, il aboie !
M. le président. Poursuivez, monsieur Schosteck.
M. René-Pierre Signé. Il n'a plus d'argument !
M. Jean-Pierre Schosteck. Le peuple souverain ayant donné mandat aux députés pour cinq ans, disais-je, je ne comprends pas quelle crise politique majeure justifie cette prolongation.
Faut-il rappeler, à ce sujet, que les seuls cas de prolongation du mandat de député ont toujours été liés à l'existence d'un conflit armé dans lequel la France et le territoire national étaient engagés ? Nous ne sommes manifestement pas, et c'est heureux, dans une situation semblable.
Pour en revenir à l'intitulé de cette proposition de loi organique, en plus de la litote consistant à appeler « prolongation de mandat » une modification de durée, je m'amuse également qu'il n'y soit pas fait expressément référence à la portée réelle de ce texte, à savoir l'inversion du calendrier électoral.
M. François Autain. ... le rétablissement !
M. Jean-Pierre Schosteck. Si le principe est d'inverser le calendrier afin que l'élection présidentielle précède les élections législatives, alors il faut le dire. Et sans doute faut-il, d'une part, renommer la proposition de loi organique et, d'autre part, l'amender sans plus attendre car le texte en l'état ne garantit absolument pas l'antériorité de l'élection présidentielle.
Il existe bon nombre de raisons pour lesquelles le calendrier pourrait à nouveau être inversé ou, tout du moins, modifié, pour reprendre votre euphémisme : une dissolution en raison d'une crise majeure, qui, après tout, pourrait survenir ; le décès, que, bien évidemment, je ne souhaite en aucun cas, du Président de la République, qu'il s'agisse du Président actuel ou de ceux qui lui succéderont. Dans le texte qui nous est proposé aujourd'hui, absolument rien ne garantit totalement l'antériorité de l'élection présidentielle.
M. le président. Monsieur Schosteck, je vous prie de conclure !
M. Jean-Pierre Schosteck. Autre hypothèse : ce texte n'aurait pas d'autre ambition que d'étendre arbitrairement la durée du mandat de député. J'en doute, vu le contenu des débats de l'Assemblée nationale à la fin du mois de décembre dernier. Aucune urgence nationale, encore une fois, ne justifie cette prolongation.
C'est ce que je souhaitais souligner, une fois encore, avant d'examiner les articles. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais revenir sur la méthode employée pour faire passer cette réforme, méthode qu'ont déjà évoquée nos collègues MM. Raffarin et Gournac, voilà un instant.
Cette méthode, je vous le dis avec franchise, ne me semble pas juste. En effet, la formule retenue consiste à passer, comme chacun le sait dans cet hémicycle, par le biais d'une proposition de loi organique, c'est-à-dire un texte d'origine parlementaire.
M. François Autain. C'est comme pour le quinquennat !
M. Charles Descours. Certes, pour l'opinion, ce fait semble sans importance. Pourtant, je rappelle à la représentation nationale que ce choix n'est pas innocent.
M. François Autain. Cela vaut aussi pour le quinquennat !
M. Charles Descours. En effet, en procédant de la sorte, la majorité plurielle, d'ailleurs excessivement plurielle sur ce texte puisqu'il n'a été adopté que par une partie des députés de cette majorité,...
M. François Autain. Ah !
M. René-Pierre Signé. C'est l'hôpital qui se moque de la charité !
M. Charles Descours. C'est ce qu'on appelle la majorité plurielle. Cela fait partie du débat démocratique. La majorité plurielle qui n'est d'accord sur rien, en tout cas en ce qui concerne ce texte,...
M. François Autain. Nous tâcherons de faire mieux la prochaine fois !
M. Charles Descours. ... peut se dispenser d'un certain nombre de contrôles. Ainsi, le Conseil d'Etat, je le rappelle, n'a pas eu à donner d'avis sur ce texte, alors qu'il aurait été de son devoir le faire. On sait bien que le Gouvernement, « ce » Gouvernement, n'aime pas les éléments qui perturbent ses stratégies. Toute instance, qu'il s'agisse du Sénat aujourd'hui, du Conseil constitutionnel hier ou du Conseil d'Etat maintenant, qui commet l'outrage de ne pas suivre le Gouvernement s'expose à sa vindicte. Le rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale le sait bien. En effet, lorsque le Conseil constitutionnel a très justement censuré l'agression dont a été victime la CSG et que nous avions dénoncée - c'était effectivement un geste anticonstitutionnel - on a entendu des cris d'orfraies émanant de quelques députés socialistes, particulièrement agités.
Ainsi, en ne procédant pas par un dépôt d'un projet de loi organique, le Gouvernement se dispense de l'avis du Conseil d'Etat, qui sans doute, compte tenu de sa capacité juridique, n'aurait pas été très favorable à la manoeuvre.
Par ailleurs, et c'est au moins aussi grave, le Gouvernement a ainsi pu se dispenser de l'avis et du contreseing du Président de la République.
On nous parle de respect de la Constitution. Monsieur le ministre, je vous ai entendu, voilà un instant, appeler la Constitution à votre secours. A l'évidence, cette réforme touche, sans le dire, à l'élection présidentielle puisqu'il s'agit bien d'inverser le calendrier électoral.
M. François Autain. Il a tout compris !
M. Charles Descours. Oui, j'ai bien compris !
Ce respect constitutionnel, dont on nous rebat les oreilles depuis quelques semaines,...
M. René-Pierre Signé. Vous avez les oreilles bouchées !
M. Charles Descours. ... aurait consisté à passer par la voie d'un projet de loi organique, qui aurait donc été examiné en conseil des ministres présidé par le Président de la République. En effet, aux termes de l'article 9 de la Constitution, le Président de la République préside le conseil des ministres.
Ainsi, le Président de la République, directement concerné par ce texte, aurait pu formuler, ce qui semblait la moindre des choses, des observations, voire des réserves, quant à l'inversion du calendrier électoral.
M. René-Pierre Signé. Il l'a fait !
M. Charles Descours. Cela relevait non seulement de la plus élémentaire des courtoisies, mais également de l'esprit même de nos institutions, que certains croient défendre aujourd'hui en soutenant cette inversion du calendrier, comme vous venez de le faire voilà quelques instants, monsieur le ministre.
M. Josselin de Rohan. Mais, eux, font faire leurs commissions !
M. Charles Descours. Personne ne peut se prévaloir d'être garant de l'esprit des institutions, et surtout pas ceux qui, héritiers spirituels de l'auteur du Coup d'Etat permanent, l'ont combattu jusqu'à très récemment.
M. René-Pierre Signé. Et alors ?
M. Charles Descours. Une seule chose reste certaine : les réformes institutionnelles relèvent de la compétence du Président de la République.
M. René-Pierre Signé. Il n'a plus de pouvoir ! (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Charles Descours. Le voilà le coup d'Etat permanent ! Vous vous livrez, monsieur Signé ! On sait bien que vous n'avez pas de respect pour la démocratie et le suffrage populaire. Le Président de la République a été élu au suffrage universel, par l'ensemble du peuple.
M. René-Pierre Signé. Il a dissous !
M. Charles Descours. Vous ne respectez pas le peuple. On le sait, monsieur Signé. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Cela fait tout de même du bien que certains rêvent à voix haute !
M. Charles Descours. En ce sens, dans les remarquables auditions auxquelles nous avons procédé au Sénat, d'éminents constitutionnalistes nous révèlent leur opposition sur la question. Qui peut dire que tel constitutionnaliste a raison et que tel autre a tort quand tous deux sont d'éminents et incontournables spécialistes des questions institutionnelles ?
En revanche, personne ne peut nier que la réforme, si elle devait avoir lieu, devrait être du ressort du Président de la République.
Permettez-moi de citer encore une fois notre Constitution - on l'a beaucoup fait du côté du Gouvernement - puisque, nous dit-on, il est salutaire de ne pas l'oublier. L'article 5 est on ne peut plus explicite. Son premier alinéa dispose, avec la plus grande de clarté : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat. »
Il me paraît difficile d'être plus clair. De quel droit le Président de la République, élu au suffrage universel, donc par l'ensemble du peuple - et c'est pour cela, nous dit-on, qu'il faudrait adopter ce texte - a-t-il été écarté, d'une part, d'un débat institutionnel et, d'autre part, de l'élaboration d'un texte de loi le concernant au premier chef ?
Telles sont les remarques que je souhaitais formuler, car la méthode me semble pour le moins cavalière et relève, à la limite, du coup d'Etat permanent. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Pierre Fauchon applaudit également.)
M. le président. La parole est M. Lassourd.
M. François Autain. Nous allons apprendre beaucoup !
M. Patrick Lassourd. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd'hui, les socialistes veulent ajouter à la Constitution, sans même la modifier, des dispositions qui n'ont jamais fait débat depuis 1958.
M. Patrice Gélard. Très bien !
M. Patrick Lassourd. En effet, chacune des élections prochaines vient à son échéance naturelle. Il n'y a donc rien à rétablir.
Les élections législatives viennent à l'échéance fixée par l'article L.O. 121 du code électoral, soit dans les deux mois qui précèdent le premier mardi d'avril de la cinquième année qui suit l'élection.
Il en est ainsi depuis 1958, et il n'y a donc rien à rétablir. La date de l'élection présidentielle est fixée depuis la mort du président Pompidou, soit depuis vingt-six ans.
Les deux élections viennent donc, comme l'a rappelé M. le rapporteur, à un moment parfaitement habituel et prévu depuis toujours. Certes, elles ont lieu la même année, mais il n'y a aucun hasard à cela, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement.
S'il pense ainsi, c'est la date de l'élection présidentielle qu'il lui faut modifier. Et s'il ne le fait pas, c'est parce qu'il n'a pas de majorité constitutionnelle pour cela.
En définitive, le Gouvernement ne s'en prend à la date légitime et traditionnelle des élections législatives que parce qu'il n'a pas de majorité pour modifier la date de l'élection présidentielle, date qu'il prétend illégitime.
Il s'agit donc bien d'une loi de convenance.
Le Gouvernement conteste, en fait, que les deux élections aient lieu la même année. Or cette concomitance résulte de la dissolution de 1997, qui impliquait un renouvellement de l'Assemblée nationale en 2002.
Votre proposition revient en définitive à contester le droit de dissolution. Implicitement, le Gouvernement et sa majorité contestent les conséquences de la dissolution de 1997, comme si le terme normal de la législature n'avait pas été envisagé à ce moment-là.
Or l'effet le plus évident de cette dissolution est bien le renouvellement de l'Assemblée nationale en 2002 ! Le droit de dissolution, inscrit à l'article 12 de la Constitution, est absolu et n'est pas soumis à la condition que l'élection présidentielle ait lieu avant les législatives. Rien dans la Constitution ne limite le droit de dissoudre.
Il n'y a donc aucun hasard à corriger l'ordre du calendrier électoral, qui dépend de trois facteurs constitutionnels, hors d'atteinte d'une loi organique : la dissolution, la démission du Président de la République ou son décès. Si le Président de la République démissionne ou meurt dans les six mois suivant l'élection législative, le calendrier est à nouveau renversé.
Vouloir que, en cas de dissolution, les élections législatives soient renvoyées après l'élection présidentielle conduit à modifier la Constitution, ce qu'une loi organique ne peut pas faire. Malgré le vote de la proposition de loi, les élections législatives pourraient donc avoir lieu avant l'élection présidentielle.
Faute de pouvoir vous en prendre directement au droit de dissolution, vous entendez en corriger les effets accidentels quand ils vous dérangent.
Ainsi, le Gouvernement soutient que, quand les deux élections ont lieu la même année, l'élection présidentielle doit précéder les élections législatives. Le seul moyen de pérenniser ce principe serait de l'intégrer à la Constitution : il deviendrait alors incompatible avec le droit de dissolution. Il faudrait donc supprimer ce dernier, interdire la démission du Président de la République - voire son décès ! - quand elle suit des élections législatives. Ou alors, il faudrait instituer un vice-président ; ce serait quand même changer fondamentalement la Constitution !
Ou bien encore fallait-il proposer qu'une élection législative soit obligatoirement organisée dans les deux mois qui suivent une élection présidentielle. Dans ce cas, ni la mort, ni la démission du Président de la République, ni même la dissolution n'auraient pour effet de modifier ce calendrier, qui resterait immuable, et cette réforme-là s'appliquerait indéfiniment.
Au lieu de cela, le texte qui nous est proposé est certes valable pour 2002, sous réserve que les événements dont je parlais ne se produisent pas d'ici là. Mais nul doute qu'un jour ces derniers se produiront et que ce qui aura été prévu pour 2002 - et pour 2002 seulement - deviendra parfaitement inutile. L'inversion du calendrier électoral ne peut donc que conduire à un bouleversement profond de la Constitution.
C'est donc bien, je le répète - et je le déplore, compte tenu du contexte dans lequel ce texte nous est présenté - une loi de circonstance qu'on nous demande de voter. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Marest.
M. Claude Estier. Ils ont tous préparé leur intervention !
M. Louis de Broissia. On travaille, nous !
M. Claude Estier. Ah oui ! D'ailleurs, vous reprenez ce que vous avez déjà dit !
M. Josselin de Rohan. Pas du tout !
M. Louis de Broissia. Comment le savez-vous ? Vous n'étiez pas là !
M. Emmanuel Hamel. Ce sont tous de grands orateurs !
Mme Hélène Luc. C'est un nouveau tour ?
M. Max Marest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant la discussion des amendements déposés sur l'article 1er, je souhaiterais dénoncer aujourd'hui le caractère totalement irréfléchi de cette inversion, véritable manoeuvre, sur un certain nombre de points.
En effet, la modification du calendrier est artificielle car elle ne tient pas compte d'événements ultérieurs, comme la démission ou la disparition du chef de l'Etat, qui pourraient remettre en cause le nouveau calendrier ; de plus, la date retenue pour élire le Parlement - fin juin - est une incitation à l'abstention, car elle se situe au moment tant des vacances de très nombreux Français que des examens universitaires et de nombreux concours.
Ainsi, le Parlement, élu fin juin, ne pourra se réunir que quelques jours avant de devoir suspendre ses travaux du fait des vacances. Il aurait mieux valu choisir la date de septembre pour que le Parlement puisse se réunir dès son élection. Je suis désolé de ne pas être d'accord avec vous sur ce point, monsieur le ministre.
Par ailleurs, il est difficile, comme le soulignait M. le rapporteur, de savoir sur quel « consensus », sur quel « large accord », la décision du Gouvernement a été prise.
D'ailleurs, Josselin de Rohan le soulignait dans son excellente intervention lorsqu'il déclarait ceci : « Le consensus ne provient pas de la majorité plurielle, puisque les Verts et le parti communiste, pour des raisons diverses, sont hostiles à la modification proposée. Il n'existe pas davantage, à ma connaissance, dans l'opposition ; on l'a vu au moment du vote à l'Assemblée nationale et on le verra sans doute dans cette enceinte.
« La décision prise par le Gouvernement de changer la loi est donc bien le fruit d'une collusion, c'est-à-dire du rapprochement d'une partie des formations gouvernementales avec des éléments de l'opposition. [...] Quant aux raisons qui ont amené le Premier ministre, non pas à prendre, mais à laisser prendre des initiatives, nous avons là-dessus notre petite idée. »
Le consensus ne provient pas non plus du large accord de l'opinion publique. En effet, la dernière enquête d'opinion réalisée sur ce sujet a fait apparaître que 41 % des Français souhaitaient le maintien du calendrier électoral tandis que 32 % d'entre eux se prononçaient pour sa modification.
Nous le savons tous, et les orateurs qui m'ont précédé l'ont rappelé, les Français appellent de leurs voeux d'autres réformes. Ils attendent que nous discutions de l'insécurité...
M. René-Pierre Signé. Ah, voilà !
M. Max Marest. Oui, voilà ! Mais c'est là que le bât blesse, mon cher collègue.
M. René-Pierre Signé. Voici la litanie !
M. Josselin de Rohan. A Château-Chinon, bien sûr, on peut se promener les mains dans les poches. Il s'en fiche, lui !
M. Max Marest. Les Français attendent que nous discutions de l'insécurité, qui affecte nombre d'entre eux sur leur lieu de vie, dans leur travail et dans leurs déplacements, de l'avenir du système de retraite...
M. François Autain. Ah !
M. René-Pierre Signé. La litanie recommence !
M. Max Marest. ... qui nous préoccupe tous et pour lequel aucune solution durable n'a été trouvée, de la réforme de l'Etat qui, chaque jour, paraît plus nécessaire,...
M. Josselin de Rohan. Elle attendra !
M. Max Marest. ... de l'adaptation aux mutations de l'économie et des changements de société, de notre système éducatif,...
M. René-Pierre Signé. Ah !
M. Max Marest. ... d'une refonte de notre fiscalité...
M. René-Pierre Signé. Voilà ! Et l'aménagement du territoire ?
M. Max Marest. ... devenue obsolète, excessive et contraignante.
M. René-Pierre Signé. Et la couche d'ozone ?
M. François Autain. Et le prion ?
M. Max Marest. Les Français n'attendent certainement pas de réforme de convenance qui, derrière un habillage institutionnel, n'a d'autres inspirations que politiciennes (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite vous faire part de ma stupéfaction lorsque j'entends les opposants traditionnels aux institutions de la Ve République se faire les plus ardents défenseurs de ce qu'ils appellent la logique de ces mêmes institutions !
M. François Autain. Et inversement !
M. Daniel Eckenspieller. Ainsi avons-nous entendu des déclarations aussi vertueuses que soudaines sur la logique de la Constitution et sur le respect des principes établis par le général de Gaulle.
Il est regrettable qu'à l'affirmation de ces principes correspondent aussi étroitement les intérêts électoraux de ceux qui prétendent s'en inspirer.
MM. Josselin de Rohan et Dominique Braye. Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck. Très bien !
M. Daniel Eckenspieller. Lionel Jospin lui-même ne déclarait-il pas que la Constitution de la Ve République n'était pas sa référence ?
Le Premier ministre comme le ministre de l'intérieur ont affirmé que nul ne pouvait prévoir à seize mois de distance le résultat des élections. Avec l'apparence de la bonne foi, ils soulignent ainsi que ce texte pourrait être voté en l'état puisqu'il ne profiterait à aucune des parties en présence.
Néanmoins, comment ne pas douter de cette bonne foi à la lecture de l'excellente publication La Revue socialiste et du non moins excellent traité d'Eric Perraudeau ?
M. Josselin de Rohan. Ils ne connaissent pas !
M. Daniel Eckenspieller. En effet, les socialistes, quoi qu'ils en disent, ne font pas l'économie de prévisions électorales.
On ne fera donc croire à personne que le parti socialiste n'a pas réfléchi à l'intérêt éventuel d'une inversion du calendrier électoral, d'autant que, lors des prochaines élections législatives, il pourra difficilement compter, cette fois, sur le maintien de l'extrême droite au second tour.
M. François Autain. Oh ! là, là !
M. Daniel Eckenspieller. Son inquiétude est d'autant plus grande que, depuis 1978, aucune assemblée sortante n'a été reconduite ; la gauche craint, bien sûr, que ce ne soit son tour d'être battue, et les élections partielles qui se succèdent ici et là accentuent cette inquiétude.
Ainsi, M. Jospin aurait les plus grandes difficultés, après avoir perdu les élections législatives, à se poser, dès le lendemain, en candidat susceptible de l'emporter à l'élection présidentielle qui suivrait.
M. Emmanuelli, avec une franchise que nous saluons, a d'ailleurs déclaré ceci, le 27 novembre : « Tout le monde sait que ce calendrier tel qu'il existe aujourd'hui n'est pas vraiment favorable au candidat de la gauche. »
Et M. Cambadélis, grand théoricien électoral du parti socialiste depuis plus de quinze ans, s'est empressé d'ajouter ceci : « On lève aussi l'hypothèque du centre. C'est un élément secondaire, peut-être un peu politicien, mais qu'il faut avoir toujours en tête : soit l'UDF vote le changement de calendrier, et je crains que cela n'induise une crise assez forte au sein de la droite au vu de la réaction du RPR, soit elle ne le vote pas, et l'hypothèse d'une candidature du centre aux élections présidentielles se réduit à néant. »
M. François Autain. C'est pas mal vu !
M. René-Pierre Signé. C'est ce qui arrive ! Voilà le dilemme !
M. Daniel Eckenspieller. Il est ainsi évident, au regard de tous ces éléments, que les socialistes ne font pas de politique politicienne. N'était-ce pas ce qu'il fallait démontrer ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Estier. (Ah ! sur les travées socialistes et sur celles du RPR.)
M. Claude Estier. Il serait temps, je crois, mes chers collègues - mais je ne me fais aucune illusion - que cesse l'hypocrisie que vous êtes en train d'entretenir (Protestations sur les travées du RPR) et qui n'honore pas le Sénat.
La discussion générale a duré trente heures, discussion que nous n'avons pas interrompue et au cours de laquelle nous ne vous avons pas gênés.
M. Louis de Broissia. C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Claude Estier. Cette discussion générale ayant été close jeudi dernier, vous la reprenez aujourd'hui en multipliant les interventions sur l'article 1er et en lisant des papiers qui sont la copie conforme de tout ce qui a été dit...
Un sénateur du RPR. C'est vous qui le dites !
M. Claude Estier. ... et de tous les arguments, si tant est que l'on puisse parler d'« arguments », qui ont été avancés pendant cette discussion générale.
Et comme cela ne vous suffit pas, vous avez déposé une trentaine d'amendements dont la quasi-totalité sont, vous le savez, des « cavaliers ». (M. Braye s'exclame.)
Vous avez voulu prolonger pendant trois semaines la discussion générale...
M. Dominique Braye. C'est un procès d'intention !
M. Claude Estier ... et vous voulez encore gagner quarante-huit heures afin que le Parlement interrompe ses travaux en vue des élections municipales avant le vote sur ce texte.
M. Dominique Braye. C'est un procès d'intention !
M. Claude Estier. Ce n'est pas un procès d'intention ! Nous venons d'entendre, sur l'article 1er, dix interventions qui sont toutes répétitives par rapport aux propos tenus dans la discussion générale.
M. Dominique Braye. Je suis choqué !
M. Claude Estier. Il est évident que vous ne faites tout cela que pour gagner du temps !
M. Dominique Braye. Je suis vraiment choqué !
M. Claude Estier. Nous, nous n'allons pas vous en faire perdre ! Je tiens à vous dire que, compte tenu de ces amendements qui vont vous occuper encore pendant plusieurs heures, le groupe socialiste ne participera plus au débat ni à aucun vote. Vous resterez ainsi entre vous ! (Applaudissements sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées du RPR des Républicains et Indépendants. - Les sénateurs socialistes quittent l'hémicycle.)
M. Dominique Braye. Comme nous l'avons été jusqu'à présent !
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Vissac.
M. Guy Vissac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je crois bien, moi aussi, comme tout un chacun, avoir le droit d'exprimer mon point de vue dans cet hémicycle, si j'en vois l'intérêt ; or j'en vois l'intérêt. Je ne vois donc pas pourquoi je ne m'exprimerais pas ni pourquoi on me retirerait la parole. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Si je conteste encore une fois la méthode, j'aimerais particulièrement aborder la question de l'absence de vue d'ensemble sur ce débat.
Certes, à l'Assemblée nationale, un débat sur l'avenir des institutions a précédé l'examen de ce texte. Néanmoins, vous me permettrez d'être dubitatif quant à l'apport réel de ce débat.
J'ai le sentiment - et je suis loin d'être le seul ici, cet avis étant, de plus, largement partagé par les électeurs et par les électrices - que nous prenons le problème à l'envers. Nous souffrons, en France, du mal chronique, qui consiste à s'affronter sur les institutions : d'une part, nous passons notre vie à modifier notre Constitution et nos règles électorales au gré des événements et, parfois, des convenances des uns ou des autres ; d'autre part, nous manquons cruellement à chaque fois de recul et de vue d'ensemble sur les réformes proposées.
A force de modifier au coup par coup nos règles institutionnelles, nous finirons par sortir définitivement du champ et de l'esprit de notre Constitution.
Encore une fois, quelle est l'ambition de cette réforme ? Nous avons écarté l'idée - du moins je l'espère ! - d'une modification de l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale pour simple convenance de députés souhaitant conserver leur mandat deux mois de plus.
Si donc l'ambition de cette réforme est bel et bien ce qui est affiché, à savoir l'inversion du calendrier électoral du printemps 2002 afin de consacrer l'antériorité de l'élection présidentielle par rapport aux élections législatives, la méthode adoptée est sans souffle et sans envergure.
Sans me prononcer sur l'opportunité ou non de cette inversion, monsieur le ministre, même si vous vous doutez de ce que j'en pense, permettez-moi, encore une fois, de souligner que le manque de vision d'ensemble vous empêche d'arriver à vos fins.
Ne vous en déplaise, notre Constitution n'indique nulle part qu'une élection doit, ou non, précéder l'autre, bien au contraire.
Et si vous jugiez que, dorénavant, l'élection présidentielle devrait systématiquement précéder les élections législatives - je dis bien « systématiquement », et pas seulement pour une seule fois pour convenance personnelle parce que quelques études vous ont effrayés et donné le sentiment que, sans cette inversion, vous n'aviez pas la moindre chance de l'emporter lors des prochaines échéances - dans ce cas, dis-je, il aurait fallu proposer une réforme ayant un peu plus de souffle et d'envergure.
Il aurait fallu indiquer, par exemple, que toute nouvelle élection présidentielle devait conduire à une expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Il aurait fallu inscrire dans notre Constitution que, dorénavant, l'Assemblée nationale serait systématiquement renouvelée après chaque élection d'un nouveau président de la République ou chaque réélection.
Cette réforme constitutionnelle aurait donné lieu à un large débat sur la nature même de notre régime. De plus, nos concitoyens auraient été amenés à se prononcer sur cette question par la voie du référendum, comme chaque fois que notre Constitution a été modifiée en profondeur.
Au lieu de cela, par le biais d'une douteuse prolongation des pouvoirs de l'Assemblée nationale, vous vous contentez d'intervertir, pour cette fois, et cette fois seulement, les deux élections.
Je ne comprends pas votre démarche : soit on est respectueux de notre Constitution actuelle, et l'on s'en tient au calendrier tel qu'il existe ; soit on souhaite une présidentialisation du régime, mais, alors, on en tire les conséquences qui s'imposent, en proposant une vraie réforme, définitive et globale, au lieu de se contenter d'une simple proposition de loi organique, discutée à la va-vite entre deux navettes, fin décembre, à l'Assemblée nationale, et sur laquelle a, de surcroît, été déclarée l'urgence. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me permets d'en revenir à l'essence même de ce débat, c'est-à-dire à l'esprit de nos institutions.
Je veux évoquer la prétendue conversion du Gouvernement à un retour aux sources gaulliennes de notre Constitution.
Je trouve tout bonnement abracadabrant que ceux qui n'ont eu de cesse de combattre le général de Gaulle et les institutions de la Ve République s'en réclament maintenant à tout bout de champ.
Si nous avons aujourd'hui, en France, depuis maintenant plus de quarante ans, un régime stable et viable, ce n'est sans doute pas à ceux qui ont appelé à voter contre la Constitution de 1958 que nous le devons !
Si nous avons aujourd'hui un régime stable et viable, ce n'est certainement pas à ceux qui se sont opposés à l'élection du Président de la République au suffrage universel que nous le devons !
Je m'étonne donc que l'on porte maintenant aux nues un prétendu esprit gaullien de la Constitution, par simple convenance momentanée, alors même que Charles de Gaulle ne s'est jamais prononcé sur cette question.
Faut-il rappeler que Charles de Gaulle a été élu Président de la République à la fin du mois de décembre 1958, juste après l'élection de l'Assemblée nationale, et qu'en 1965 il a été réélu Président de la République trois ans après les élections législatives de 1962 ?
Georges Pompidou, qui n'était pas le dernier des gaullistes, a été élu Président de la République en 1969, un an seulement après les législatives de 1968.
Valéry Giscard d'Estaing, quant à lui, a été élu Président de la République seulement un an après les législatives de 1973.
François Mitterrand a été élu trois ans après les législatives de 1978.
Enfin, Jacques Chirac a été élu deux ans après les élections législatives de 1993.
Ainsi, quoi que l'on veuille nous faire croire, l'antériorité de l'élection présidentielle par rapport à l'élection législative n'a jamais été la règle de la Constitution. L'usage me ferait presque dire : « au contraire ». Seules les dissolutions de 1981 et 1988 ont, par deux fois, changé cette donne. Il me semble qu'il était bon de le rappeler.
On dit aussi que l'esprit gaullien de nos institutions, c'est un Président fort qui dirige l'action politique. C'est, là encore, permettez-moi de le dire, totalement faux.
Le général de Gaulle ne s'est jamais fait élire Président de la République avec un programme d'action gouvernementale. C'est un lieu commun qu'il convient, là aussi, de dénoncer. La fonction présidentielle forte à laquelle il aspirait, comme nous, dignes héritiers de sa pensée, n'impliquait pas que le Président de la République dût se substituer au Premier ministre.
Jacques Chirac, alors candidat heureux de l'élection présidentielle de 1995, rappelait à juste titre, à cette époque, qu'aucun Président de la République n'avait aussi peu fait d'ingérence dans l'action du Gouvernement que le général de Gaulle.
La dérive présidentialiste est venue avec les années et les présidents successifs. Pour Jacques Chirac, il était essentiel d'en revenir à l'esprit des institutions, à savoir « un Président qui préside, un Premier ministre qui gouverne ». Cette règle qu'il s'est fixée a marqué un retour à l'esprit de notre Constitution. Il l'a respectée aussi bien avec Alain Juppé qu'avec Lionel Jospin.
Pour moi, c'est cela l'esprit de nos institutions, parce que nos institutions sont par essence parlementaires et parce que, encore une fois, jamais le général de Gaulle n'aurait estimé illégitime que les législatives précèdent la présidentielle. Bien au contraire, et l'histoire des années soixante l'a démontré. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le 16 janvier dernier, nous avons assisté dans cette enceinte à un bien étrange débat sur la proposition de loi tendant à l'inversion du calendrier électoral de l'année 2002, la droite sénatoriale monopolisant le temps de parole jusqu'à ce jour, comme nous venons encore de le constater.
Soixante orateurs se sont ainsi succédé, dont trente d'un seul et même groupe, dans une longue et fastidieuse répétition d'arguments allant à l'encontre de la proposition de loi.
Chacun reconnaîtra que nous n'étions pas loin de tomber dans une utilisation excessive des droits du Parlement !
Pour autant, ces droits existent, et il ne saurait être question, pour nous, de les remettre en cause, ni de brider l'intervention et l'expression des parlementaires. (M. Patrice Gélard applaudit.)
Tout ce que je veux souhaiter, c'est que nos concitoyens ne se soient pas égarés à consulter le compte rendu de nos débats au Journal officiel , car c'est plutôt soporifique !
Votre attitude, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, est coupée des réalités et des préoccupations des Françaises et des Français, tout autant que la proposition de loi organique qui nous venait de l'Assemblée nationale, et dont nous avons, dès le début, souligné le caractère politicien, en marquant notre opposition à son adoption. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Lors de la discussion générale, j'ai souligné la réalité de la crise politique que traverse notre pays, la réalité de l'écart, ressenti comme croissant, entre les citoyens et les centres de décision sous la responsabilité des dirigeants politiques.
De toute évidence, la tentative, au moyen de la proposition visant à instituer le quinquennat sec et de la présente proposition tendant à l'inversion du calendrier électoral, de présidentialiser nos institutions tourne le dos à toute volonté de rapprocher le peuple, au travers de ses représentants, du pouvoir.
La présidentialisation, c'est la bipolarisation, contraire au pluralisme, c'est le mythe du coup politique, contraire au débat d'idées qui, pourtant, manque tant à notre pays.
La présidentialisation, c'est à terme, l'appauvrissement de notre démocratie.
L'avenir de nos institutions, leur réforme profonde, si nécessaire, exigent, de toute évidence, autre chose que ce type de manoeuvre.
Il faut repenser les voies d'accès du peuple aux centres de décision, sur le plan tant local que national.
Il faut penser une démocratie participative qui bouscule les hiérarchies.
Le Parlement doit trouver une place centrale dans ce nouveau contrat entre peuple et dirigeants.
Des mesures immédiates peuvent être prises en ce sens, comme je l'ai indiqué lors de la discussion générale, en faisant toute une série de propositions.
Mes chers collègues, une chose est certaine : la course de lenteur observée durant ces trois semaines au Sénat n'aura pas servi le Parlement.
Les sénateurs communistes regrettent vivement que le débat sur l'IVG ait pâti de cet enlisement parlementaire. Les milliers de femmes qui attendent ce texte doivent être très désagréablement surprises de voir que la vie quotidienne, la santé, passent une nouvelle fois après les soucis politiciens des uns et des autres.
Soucieux, depuis le début de cette discussion, de ne pas prendre parti dans ce dialogue de sourds, les sénateurs communistes, hostiles à la proposition de loi votée à l'Assemblée nationale, ainsi que leurs collègues du Mouvement des citoyens, ne prendront part au vote ni sur les amendements proposés par la commission des lois ou par la majorité sénatoriale, ni sur le texte de la majorité sénatoriale qui sortira des travaux du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Emmanuel Hamel. Si vous êtes hostiles au texte, participez au débat et votez contre !
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous avons eu - il sera profitable aux uns et aux autres d'en relire le compte rendu dans le Journal officiel - a été un débat magnifique, un débat comme il n'y en a pratiquement jamais eu au Sénat ces dernières années. Nous nous sommes en effet interrogés sur l'ensemble des questions constitutionnelles soulevées par le texte qui nous est soumis ; nous avons ouvert un véritable débat sur les institutions.
Monsieur le ministre, ce qui m'a frappé, dans votre réponse à l'ensemble des orateurs, c'est l'absence totale d'arguments juridiques.
M. Jean-Pierre Schosteck. Tout à fait !
M. Patrice Gélard. En réalité, votre majorité, notamment sa composante socialiste, n'a pas d'argument à nous opposer. La plaidoirie de M. Badinter, pour lequel j'ai une admiration sans borne, a été non pas une plaidoirie juridique mais une plaidoirie politique en faveur de l'inversion du calendrier, alors que tous les arguments que nous avons développés, nous, sont d'ordre juridique.
Mais je veux aller plus loin, car c'est important. Ce qu'a remis en cause, tout à l'heure, notre cher collègue président du groupe socialiste, ce sont les droits souverains du Parlement. En effet, le Parlement a le droit de prendre son temps ; il a le droit d'exprimer son désaccord avec ce que propose le Gouvernement. Nous ne sommes pas une assemblée de béni-oui-oui qui, à longueur de temps, doit se soumettre aux volontés gouvernementales.
Monsieur le ministre, vous avez mené le mauvais combat, dans cette affaire. On l'a dit et répété, il vous fallait déposer un projet de loi. Nous aurions, alors, demandé l'organisation d'un référendum. Il fallait que le Conseil d'Etat soit saisi ; il fallait que le secrétariat général du Gouvernement soit consulté ; il fallait que le Président de la République soit associé à la procédure. Rien de tout cela n'a été fait.
On a voulu nous prendre à la va-vite. On a voulu faire en sorte que le Parlement soit violé, en dépit de toutes les règles juridiques.
Si jamais le Conseil constitutionnel estime que c'est contraire à la Constitution, compte tenu de tous arguments que nous avons développés, j'espère bien que le Gouvernement et sa majorité ne hurleront pas, comme ils l'ont fait récemment en d'autres occasions, en prétendant que le Conseil constitutionnel va trop loin.
En réalité, monsieur le ministre, je le redis, vous n'avez pas d'argument juridique à nous opposer. Nous, nous avons, cette fois, utilisé l'arme juridique. Nous ne l'avons pas fait souvent. Nous aurions pu le faire en d'autres occasions.
Nous avons aussi affirmé les droits du Parlement face à des abus de pouvoir de la majorité. Nous avons eu raison de le faire, car l'opinion publique et la presse nous ont suivis, dans cette affaire. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Sur l'article 1er, je suis saisi de six amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 4, MM. de Broissia, André, Bernard, Besse, Bizet, Blanc, Braun, Braye, Mme Brisepierre, MM. Calméjane, Cazalet, César, Chaumont, Cornu, de Cuttoli, Darcos, Delong, Demuynck, Descours, Doublet, Dubrule, Dufaut, Eckenspieller, Esneu, Flosse, Fournier, François, Gaillard, Gerbaud, Ginésy, Giraud, Goulet, Gournac, Gouteyron, Gruillot, Haenel, Hugot, Jourdain, Joyandet, Karoutchi, Larcher, Leclerc, Le Grand, Lepeltier, Loueckhote, Marest, Marini, Martin, Masson, Mme Michaux-Chevry, MM. Miraux, Murat, Natali, Neuwirth, Mme Olin, MM. d'Ornano, Ostermann, Oudin, Reux, Souvet, Taugourdeau, Trégouët, Valade, Vasselle, Vial, Vinçon et Vissac proposent de supprimer l'article 1er.
Par amendement n° 1, M. Bonnet, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit l'article 1er :
« L'article L.O. 122 du code électoral est complété par un alinéa ainsi régigé :
« Sauf en cas de vacance de la présidence de la République ou d'empêchement définitif du Président de la République constaté par le Conseil constitutionnel, lorsque des élections législatives sont organisées avant une élection présidentielle, le second tour des élections législatives ne peut précéder de moins de trente jours le premier tour de l'élection présidentielle. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 12, présenté par MM. Gélard et de Broissia, et tendant, dans le texte proposé par l'amendement n° 1 pour compléter l'article L.O. 122 du code électoral, à remplacer les mots : « trente jours » par les mots : « vingt-huit jours. »
Par amendement n° 3 rectifié bis, MM. Adnot, Turk, Darniche, Foy et Durand-Chastel proposent de rédiger comme suit l'article 1er :
« I. - L'article L.O. 121 du code électoral est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« A titre exceptionnel, les pouvoirs de l'Assemblée élue en 1997 expirent le 14 mai 2002. »
« II. - Sauf en cas de dissolution de l'Assemblée élue en 1997, de vacance de la Présidence de la République ou d'empêchement du Président constaté par le Conseil constitutionnel, en 2002, les élections présidentielles ou législatives ont lieu le même jour. Le second tour des élections législatives est organisé le deuxième dimanche qui suit le premier tour. »
Par amendement n° 28 rectifié, MM. Marini et Vial proposent de rédiger ainsi l'article 1er :
« L'article L.O. 121 du code électoral est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Dans le cas où l'élection présidentielle intervient avant l'expiration normale des pouvoirs de l'Assemblée nationale, ceux-ci expirent le mardi suivant l'élection du Président de la République.
« En ce cas, les élections présidentielles et législatives ont lieu le même jour. Le second tour est organisé le deuxième dimanche qui suit celui du premier tour. »
Par amendement n° 7, MM. Gélard et de Broissia proposent de rédiger ainsi le texte présenté par l'article 1er pour l'article L.O. 121 du code électoral :
« Art. L.O. 121. - Les pouvoirs de l'Assemblée nationale expirent le premier mardi d'octobre de la cinquième année qui suit son élection. »
Enfin, par amendement n° 26, M. Fournier propose de rédiger ainsi le texte présenté par l'article 1er pour l'article L.O. 121 du code électoral :
« Art. L.O. 121. - Les pouvoirs de l'Assemblée nationale expirent le dernier mardi de septembre de la cinquième année qui suit son élection. »
La parole est à M. de Broissia, pour défendre l'amendement n° 4.
M. Louis de Broissia. Après le doyen Gélard, et après nos deux collègues M. Bret et M. Estier, je tiens à dire, moi aussi à titre personnel, combien j'ai été heureux que nous ayons pu participer à un vrai débat. Contrairement à ce que disait M. Bret, la lecture que nous faisons, dans le Journal officiel, des interventions que nous avons pu prononcer, montre que la discussion n'a jamais été funeste. A cet égard, j'aimerais dédicacer mon intervention à M. Estier et je citerai, pour commercer, Benjamin Constant.
« Puisque l'erreur est funeste, l'autorité doit en préserver les hommes et les conduire à la vérité.(...) Le soutien naturel de la vérité, c'est l'évidence. La route naturelle vers la vérité, c'est le raisonnement, la comparaison, l'examen. Persuader à l'homme que l'évidence, ou ce qui lui paraît l'évidence, n'est pas le seul motif qui doive le déterminer dans ses opinions, que le raisonnement n'est pas la seule route qu'il doive suivre, c'est fausser ses facultés intellectuelles. C'est établir une relation factice entre l'opinion qu'on lui présente et l'instrument avec lequel il doit la juger. »
Enfin, du même auteur : « L'abnégation de notre intelligence nous aura rendu des êtres misérablement passifs. Le ressort de notre esprit se trouvera brisé. »
Le Sénat vient de prouver que le ressort de son esprit n'était pas brisé et que nous exercions nos droits de parlementaires.
Dans la discussion générale, mes chers collègues, nous avons dénoncé, avec nos talents - certains que vous avez appréciés, monsieur le ministre, d'autres que vous n'avez pas appréciés - avec conviction - vous l'avez dit, et je vous en remercie - une manoeuvre plus politique que juridique, plus politicienne que politique.
Je tiens à le répéter, nous voulons, à l'occasion de la discussion de ce texte, nous opposer à l'entrée en campagne du Premier ministre avant l'époque prévue par les règles institutionnelles, entrée en campagne qui est le seul objet de cette proposition de loi organique.
Nous voulons aussi, monsieur le ministre, obliger le Gouvernement à s'attaquer aux vraies mesures qu'un chef de Gouvernement doit prendre. Gouverner, c'est choisir. Choisir, c'est parfois devenir impopulaire. Nous savons que c'est le risque que vous ne voulez plus assumer.
Vous préférez une discussion factice, et nous le récusons. Sous couvert d'une « mesurette » constitutionnelle, d'une petite loi organique, comme les uns et les autres l'ont dit avec beaucoup de brio, après le quinquennat, on nous propose aujourd'hui une sorte d'arrangement constitutionnel manifestement voulu par le parti socialiste et, après mûre réflexion, par une très petite partie de l'autre gauche - nos collègues communistes ont exprimé à l'instant et avec conviction leur refus de la mesure qu'ils qualifient de « politicienne » - ainsi que par une poignée de membres de l'opposition nationale qui ont eu, qui ont ou qui vont avoir - n'ayons pas peur de dire les choses crûment - maille à partir avec le chef de l'Etat. C'est là la majorité qui vous a proposé cette proposition de loi organique !
Mes chers collègues, nous dénonçons, les uns et les autres, une dérive institutionnelle, une dérive constitutionnelle.
Monsieur le président, comme chacun d'entre nous, je vais régulièrement dans les collèges, dans les lycées, devant les associations de retraités de mon département, pour leur parler tout simplement, parce que c'est notre mission. Dans ces différentes occasions, et bien que n'étant ni professeur de droit constitutionnel ni doyen de faculté, j'ai toujours défendu l'esprit même de la Constitution de la Ve République, qui, mes chers collègues, loin d'être la tentation d'un régime présidentiel ou la tentation d'un régime parlementaire, est l'affirmation d'un régime d'équilibre : équilibre entre l'exécutif et le législatif ; équilibre, au sein même de l'exécutif, entre le chef de l'Etat et le Premier ministre, chacun exerçant des prérogatives, chacun se respectant, voire se contrôlant, et équilibre entre les deux chambres, exerçant chacune leurs pouvoirs en termes de législation et de contrôle du Gouvernement.
Ces pouvoirs sont réciproques, et la Ve République s'est peu à peu établie dans cet équilibre.
Irions-nous, mes chers collègues, vers ce coup d'Etat sournois que l'on nous suggère avec cette proposition de loi organique, par laquelle le Président de la République - c'est clairement affiché - deviendrait le Premier secrétaire de sa majorité à venir ?
C'est ainsi que Lionel Jospin a vu la réforme qu'il nous propose aujourd'hui, mais précisément, mes chers collègues, nous refusons cette interprétation d'une Ve République qui deviendrait indéniablement une autre République, soit la IVe, celle de mon enfance, qui voyait les gouvernements tomber les uns après les autres, soit la VIe République, qui n'est que virtuelle et dont certains parlent déjà. C'est parce que nous les refusons, l'une ou l'autre, parce que nous ne croyons pas à cette tentative de « présidentialisation » ou, pardonnez-moi le néologisme, de « parlementarisation » du régime, c'est parce que nous croyons à l'équilibre dont je parlais, que nous rejetterons l'article 1er.
Monsieur le ministre, vous avez salué M. Robert Badinter - nous le saluons tous, et je regrette son absence, mais il suivra peut-être nos débats dans le Journal officiel - et mentionné un de vos alliés de circonstance, qui vous sert d'ailleurs d'alibi. Permettez-moi de citer à mon tour cet ancien Président de la République, à qui nous imputons des déclarations qui ne sont certainement pas toutes les siennes, je veux parler de M. Giscard d'Estaing.
Dans une lettre qu'il m'a adressée en date du 4 janvier et dont j'ai accusé réception avec la courtoisie que l'on doit à l'autre chambre, M. Giscard d'Estaing ne propose pas l'inversion du calendrier : « Depuis l'adoption du quinquennat présidentiel, écrit-il, la solution la plus satisfaisante et la plus conforme aux échéances de la modernité serait en réalité de tenir les deux élections à la même échéance. » La solution de l'inversion du calendrier n'est donc pas celle qui a sa préférence.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Louis de Broissia. Autrement dit, mes chers collègues, nous nous retrouverons, je pense, demain, c'est-à-dire après les élections municipales, avec une majorité qui doutera. On ne réforme pas la Constitution par défaut, ou au tiercé, comme l'avait suggéré le même député du Puy-de-Dôme ; certains de mes collègues avaient même, à l'époque, parlé de « roulette russe ».
Je vous propose, mes chers collègues, parce que nous croyons à l'esprit de la Ve République, et pas simplement à sa lettre, de soutenir, par l'amendement n° 4, la suppression de l'article 1er du texte proposé par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 1.
M. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Nous sommes ici au coeur même du débat.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a tenté de s'appuyer sur l'une des recommandations du Conseil constitutionnel datant du 23 juillet 2000 pour justifier la modification de l'ordre des élections. Or qu'a dit précisément le Conseil constitutionnel ? Je vous rappelle ses termes : « Pour des raisons de principe autant que pour des motifs pratiques, il importe que les citoyens habilités à présenter les candidats en application de l'article 3 de la loi du 16 décembre 1962 puissent le faire après avoir pris connaissance des résultats de l'élection à l'Assemblée nationale. » Je poursuis la citation : « Le deuxième tour de cette élection devrait donc avoir eu lieu lorsque s'ouvrira la période de recueil des présentations par le Conseil constitutionnel. »
Vous l'aurez observé, monsieur le ministre, une telle recommandation ne remet nullement en cause l'ordre des scrutins prévus en 2002, et il est aisé de s'y conformer. Une difficulté dans l'organisation de ce que l'on appelle familièrement les « parrainages » ne saurait surgir que si le Gouvernement retenait, parmi les dates possibles, comme l'a fait M. Roman pour la commodité de sa démonstration, la plus éloignée pour les législatives - les 24 et 31 mars - et la plus proche pour la présidentielle. J'ai déjà souligné, d'ailleurs, que M. Roman avait agi sans doute un peu hâtivement, puisqu'il n'avait pas observé que le 31 mars était quasiment impossible : on pourrait difficilement faire voter les Français le jour du dimanche de Pâques !
Mais, à dire le vrai, il n'existe aucune difficulté à concilier les deux exigences, à savoir, d'un côté, donner satisfaction au Conseil constitutionnel et, de l'autre, maintenir l'ordre établi pour deux scrutins.
En effet, dans l'hypothèse où les élections législatives, possibles, je le rappelle, depuis les premiers jours de février, seraient fixées aux 10 et 17 mars 2002, et l'élection présidentielle aux 21 avril et 5 mai, sachant que les présentations doivent être adressées au Conseil constitutionnel dix-neuf jours au moins avant le premier tour de l'élection présidentielle, les personnes habilitées à parrainer un candidat disposeraient de seize jours de réflexion. Ce serait, convenez-en, leur faire injure que de les imaginer incapables de se déterminer dans un tel délai.
Mieux même, elles en auraient encore neuf, ce qui est largement suffisant, si l'on retenait, pour les élections législatives, la date la plus éloignée possible, compte tenu du dimanche de Pâques, qui est le 31 mars, soit les 17 et 24 mars et, pour l'élection présidentielle, le 21 avril et le 5 mai.
Nous constatons, après Michel Debré, qu'il y a bien deux lectures de la Constitution. D'ailleurs, dans l'une de ses interruptions remarquées dont il est coutumier, M. Signé, tout à l'heure, d'une manière sans doute un peu simplificatrice et brutale,...
M. Josselin de Rohan. Ce n'est pourtant pas dans son caractère ! (Rires.)
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... en est convenu. En effet, contrairement à ce qu'ont affirmé le Gouvernement et le groupe socialiste, n'a-t-il pas reconnu lui-même que « le Président de la République n'a aucun pouvoir » ? Certes, le mot est un peu simplificateur et son auteur oublie pas mal de choses. Il n'en reste pas moins que Saint-Jean Bouche d'Or marque bien, par ces mots, qu'il existe deux lectures de la Constitution.
M. Josselin de Rohan. Eh oui !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Nul ne saurait donc se prévaloir d'une quelconque difficulté pratique, d'un quelconque motif d'intérêt général pour justifier une modification de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, dès lors que peuvent être très aisément prises en compte la très sage recommandation, la très justifiée observation du Conseil constitutionnel.
Aussi la commission des lois vous propose-t-elle, dans le droit-fil des traditions du Sénat, une solution de sagesse. Pour éviter un nouveau - et totalement inutile - bouleversement de nos règles institutionnelles, elle a adopté un amendement tout simple visant à compléter l'article L.O. 122 du code électoral par un alinéa de nature à garantir aux citoyens habilités à présenter un candidat à l'élection présidentielle le plein exercice de leurs droits : seize jours dans un cas et, au minimum, neuf jours.
La disposition ne s'appliquerait bien évidemment pas aux situations exceptionnelles que sont la vacance de la présidence de la République ou l'empêchement constaté par le Conseil constitutionnel. C'est dit en toutes lettres dans l'amendement, dont je lis les trois dernières lignes : « Lorsque des élections législatives sont organisées avant une élection présidentielle, le second tour des élections législatives ne peut précéder de moins de trente jours le premier tour de l'élection présidentielle. »
Mes chers collègues, pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gélard, pour présenter le sous-amendement n° 12.
M. Patrice Gélard. Je suis tout à fait convaincu par les excellents arguments de notre rapporteur, et je m'y suis rallié en commission des lois. Il me permettra toutefois de souligner que le délai de trente jours ne me paraît pas conforme à nos traditions juridiques : généralement, nous raisonnons en termes de semaines et non de jours et trente jours correspondent, non pas à un nombre entier de semaines mais à quatre semaines plus deux jours.
La proposition qui nous est soumise risquerait de nous amener - ce qui, au demeurant, ne m'effraierait pas - à organiser des élections en milieu de semaine.
Ce sous-amendmeent permettrait de corriger des motifs d'insatisfaction et de lever des obstacles.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Durand-Chastel, pour défendre l'amendement n° 3 rectifié bis .
M. Hubert Durand-Chastel. La Constitution, en instituant à l'origine un mandat parlementaire de cinq ans pour les députés et un mandat présidentiel de sept ans, avait organiquement prévu que l'élection présidentielle puisse se tenir avant ou après les élections législatives. Il ne peut donc y avoir de rétablissement d'un ordre chronologique qui n'a jamais existé.
Le fait nouveau est l'institution du quinquennat présidentiel, qui justifierait un changement de calendrier.
Quant aux motifs qui sous-tendent les prises de position en faveur du maintien du calendrier ou de son changement, qu'ils soient, pour les uns, seulement circonstanciels ou, pour les autres, arrêtés depuis fort longtemps, ils ne sont, en tout état de cause, que la résultante d'une réforme du quinquennat insuffisamment approfondie.
Dans ces conditions, la meilleure solution est celle qui est la plus économe, la moins manipulatrice. Il convient donc de fixer la date des élections présidentielle et législatives le même jour et de porter l'écart entre les deux tours à quinze jours pour les deux élections.
M. le président. La parole est à M. Vial, pour défendre l'amendement n° 28 rectifié.
M. Jean-Pierre Vial. Cet amendement a pour objet de prendre en compte la réforme adoptée par la voie du référendum en septembre dernier et instituant le quinquennat. Il convient d'assurer la concomitance des deux élections afin de donner le jour même au président élu une majorité présidentielle.
Cet amendement présente l'incomparable avantage de réintroduire un peu de clarté dans le débat qui nous occupe aujourd'hui, alors que plusieurs semaines de discussions intenses n'ont pas permis de dégager nettement une logique dominante.
Sur la forme, tout d'abord, il permet avant tout de mettre fin aux querelles de ceux qui, en faisant peu de cas du libre arbitre de l'électeur, prétendent trouver dans l'ordre des échéances électorales, législatives et présidentielles - ou l'inverse - l'illustration d'un certain déterminisme politique, comme si, à coup sûr, du résultat de la première consultation dépendrait celui de la suivante.
Prises pour argent comptant, ces polémiques, assez vaines et légères, convenez-en, n'ont comme seul effet que de conforter davantage nos concitoyens dans l'intérêt médiocre qu'ils portent à la chose publique et que, scrutin après scrutin, les résultats de la participation, toujours plus faibles, viennent confirmer. Ces spéculations encouragent tous les détournements et toutes les manigances, qui, malgré tout ce que l'on a bien voulu nous dire, répondent avant tout à des considérations d'ordre personnel et non à l'intérêt général.
L'amendement qui vous est ici proposé marquerait, s'il était adopté, la volonté de notre assemblée de ne pas souscrire à l'idée selon laquelle le résultat d'une échéance majeure pour notre pays, pour notre vie démocratique et pour nos institutions, tiendrait au seul choix d'une date plutôt que d'une autre.
Alors qu'il n'a pu être véritablement établi à qui cette inversion profiterait, ne nous laissons pas tenter par le désir secret de changer artificiellement le cours des choses !
Ce n'est certainement pas le message que nos concitoyens, en votant largement pour la réforme du quinquennat, ont voulu faire parvenir à la représentation nationale.
C'est en effet à l'adoption du quinquennat qu'il faut ici se référer, comme nombre d'entre nous l'ont déjà rappelé. Profitons donc du débat pour poursuivre dans la logique que la réforme a introduite, en renforçant notre régime dans un sens présidentiel qui lui assurerait force, légitimité et cohérence.
En regroupant le même jour, le deux consultations majeures de notre pays, mettons élus, candidats et citoyens face à leurs responsabilités. En jouant le jeu de la coïncidence, efforçons-nous, par notre action concrète, par les idées que nous proposons aux électeurs, par la clarté de nos alliances électorales, de chasser le hasard. En travaillant sur le fond, sur les programmes, en répondant aux véritables attentes des Français et en assumant nos différences, nous pourrons ainsi, comme c'est le cas en Grande-Bretagne, en Allemagne ou aux Etats-Unis, proposer une alternative claire aux électeurs, leur laisser un choix entre des programmes, des équipes et des dirigeants identifiables et identifiés. Cet amendement présente en vérité l'avantage considérable de la clarté et de la simplification.
Mais son intérêt est plus grand encore lorsque l'on considère que l'instauration de facto d'une « journée d'élections nationale » - parallèle heureux avec la « journée d'élection locale » que beaucoup appellent de leurs voeux depuis longtemps et qui, en forme réduite, avec les municipales et les cantonales, va voir le jour en mars prochain - contribuerait indéniablement à simplifier fortement notre calendrier électoral qui, aujourd'hui trop diffus contamine notre vie politique et à concentrer les enjeux autour d'échelons de compétence déterminés, qui sont les reflets de réalités différentes.
Il y aurait désormais une journée d'élections nationale, pendant laquelle le Président de la République et l'Assemblée nationale seraient élus pour des mandats de durée similaire, et une journée d'élections locales durant laquelle les conseillers municipaux, généraux et - pourquoi pas ? - régionaux, se repésenteraient devant leurs électeurs pour les convaincre de la complémentarité de leurs institutions locales, au services de leur territoire ?
Je crois sincèrement qu'un tel choix, fort et ambitieux, mais aussi clair et plus simple, contribuerait considérablement à motiver davantage les Françaises et les Français. Cet amendement permettrait de reconstruire un nouveau pacte de confiance avec les électeurs.
A l'inverse, je suis convaincu que le vote en l'état du texte qui nous est aujourd'hui soumis entraînerait un affaiblissement progressif des institutions fondamentales de notre République.
M. le président. La parole est à M. Gélard, pour défendre l'amendement n° 7.
M. Patrice Gélard. Il s'agit d'un amendement de repli, dans l'hypothèse où l'amendement de la commission ne serait pas adopté.
Un sénateur du RPR. Il le sera !
M. Patrice Gélard. Je tiens à souligner, comme je l'avais fais dans la discussion générale, que le calendrier retenu par l'Assemblée nationale est mauvais. Je m'appuie pour ce faire, sur les déclarations de mon excellent collègue, le président de l'association française des constitutionnalistes, M. Didier Maus, lors de son audition par notre commission.
Bien que favorable à l'inversion du calendrier, il a souligné que la date retenue, le mois de juin, était mauvaise. Elle ne l'est pas seulement pour les raisons que les uns et les autres ont pu exposer : à cette période de l'année, une grande partie de nos concitoyens partent en vacances, en particulier les retraités, et les étudiants passent des examens et se présentent à toute une série de concours administratifs.
Cette date est mauvaise également pour des raisons purement pratiques et techniques.
La première d'entre elles est que le Président de la République prendra ses fonctions le 13 mai alors que l'Assemblée nationale ne pourra prendre les siennes qu'à la fin du mois de juin. Cela signifie qu'il faudra mettre en place un gouvernement de transition pour expédier les affaires courantes pendant trois à quatre semaines. Cela a déjà été le cas en 1981 et en 1988. Il n'est cependant pas souhaitable d'avoir un gouvernement temporaire, qui pourra d'ailleurs être tout à fait différent après les élections législatives.
Le calendrier retenu est par ailleurs assez irréaliste, à moins de reporter les élections au plus tard au mois de juin, parce que le premier tour des élections législatives se déroulerait avant l'installation du Président de la République.
Nous avons eu tort, lors de la révision constitutionnelle de 1995, lorsque nous avons établi la session unique, de ne pas réfléchir sur l'inversion du calendrier électoral à l'Assemblée nationale.
Il était logique d'élire l'Assemblée nationale au mois de mars, lorsque la session reprenait au début du mois d'avril. Lorsque nous avons établi la session unique, il n'y avait plus de raison de maintenir l'élection au mois de mars. Le Parlement débutant sa session au mois d'octobre, il serait normal qu'il soit élu juste avant que la session ne débute, c'est-à-dire au mois de septembre.
On m'objectera sans doute la préparation de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale. Il faut néanmoins relativiser les choses.
Chacun sait en effet qu'à l'heure actuelle les budgets des conseils municipaux et des conseils généraux sont adoptés juste avant les élections cantonales ou municipales, à charge pour les futurs conseils municipaux ou généraux de voter des mesures budgétaires modificatives en cours d'année. Rien n'interdit cela !
J'ajoute que, en matière de lois de finances, le Gouvernement peut en cas de problème de calendrier, soumettre au Parlement les services votés et, ensuite, le reste du budget. Cela ne serait pas bien grave, puisque ce sera exceptionnel, et que la part des services votés représente 95 % de l'ensemble d'un budget.
L'objection budgétaire ne peut pas être soulevée non plus parce que nous pouvons examiner assez rapidement les lois de finances rectificatives. C'est tout aussi vrai pour les lois de financement de la sécurité sociale.
M. le président. La parole est à M. Fournier, pour défendre l'amendement n° 26.
M. Bernard Fournier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si in fine nous prenions le parti de modifier le calendrier électoral, il faudrait le faire de manière cohérente.
Depuis la réforme Séguin, l'Assemblée nationale se réunit lors d'une session unique siégeant d'octobre à juin, le mois de juin correspondant à la fin de la session parlementaire, personne ne peut le contester.
Cette session peut être prolongée par une session extraordinaire, le plus souvent jusqu'au 14 juillet. L'exemple n'est pas rare dans l'histoire parlementaire de notre Ve République. Les retards législatifs peuvent parfois s'accumuler et quelques semaines supplémentaires peuvent être nécessaires pour achever l'examen de certaines lois.
Elire les députés en juin reviendrait à ce qu'une nouvelle assemblée travaille sur des textes dont les travaux préparatoires ont été commencés par une autre ; la bonne administration du pays pourrait en souffrir.
Des élections au début du mois d'avril correspondaient au début de la session de printemps. Les élections se déroulaient avant le commencement d'une session et non à une fin.
On peut donc affirmer qu'il est de tradition républicaine constante et d'une logique imparable de faire débuter le mandat des députés non à la fin de la session parlementaire, en juin, mais au début de la session, c'est-à-dire en octobre.
Pour que les députés commencent à siéger en octobre, ils doivent être élus en septembre : tel est le sens de l'amendement que je vous propose.
Choisir cette date serait d'autant plus cohérent que l'élection des sénateurs a, elle aussi, lieu en septembre. Il serait tout à fait logique, que les deux chambres du Parlement soient élues à la même période.
En tout état de cause, l'élection de l'Assemblée nationale en juin ne revêt, à mon sens, aucune justification, ni au regard du droit parlementaire, ni au regard de la tradition républicaine.
Ces arguments me semblent suffisamment forts pour mettre en lumière l'esprit de la modification proposée par nos collègues de gauche : il s'agit bien d'une modification de circonstance destinée à servir les intérêts supposés de M. Jospin.
Mon amendement n° 27 est donc un amendement réaliste : il permet d'élever un peu le débat, d'accepter le principe d'une modification du rythme électoral et d'adresser un signe de bonne volonté du Sénat au Gouvernement.
Je ne pense pas que la majorité sénatoriale soit arc-boutée sur ses positions ; le Sénat a toujours un peu plus de recul que l'Assemblée nationale. Puisqu'il est question de modifier le calendrier électoral, modifions-le, mais faisons-le intelligemment !
Voici les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, je vous demande de voter cet amendement n° 26.

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