SEANCE DU 29 MARS 2001


M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre, et je la formule au nom de mes collègues MM. Lambert et Goulet, sénateurs du département de l'Orne.
Dès la constatation du premier cas de fièvre aphteuse dans une exploitation située au nord du département de la Mayenne, à la lisière de l'Orne, des mesures d'une brutalité absolue ont été mises en oeuvre : destruction immédiate du troupeau bovin infecté, destruction à titre préventif des porcs élevés dans le périmètre proche, mise sous embargo de tous les mouvements d'animaux vivants et des produits issus de l'agriculture dans les deux départements.
Drame humain pour les éleveurs situés dans l'oeil du cyclone, risque d'asphyxie pour la filière, et pour l'économie de la Mayenne et de l'Orne.
Sans délai, le Président de la République et le Gouvernement ont manifesté leur solidarité. Des procédures d'évaluation des préjudices subis et de compensation ont été mises en place.
La gravité de la situation exige, oui, que l'on aille vite : la Mayenne et l'Orne sont devenues le « bouclier » contre la propagation de l'épizootie. Mais nos deux départements n'entendent pas être sacrifiés. Le principe que nous voulons voir respecter est celui de la compensation des pertes subies. Mme le secrétaire d'Etat au budget nous a dit tout à l'heure qu'il pourrait y avoir des pertes qui atténueraient le montant de l'impôt : ce n'est pas notre vision ! Nous souhaitons qu'il n'y ait pas de pertes. Nous avons subi les conséquences d'un choix des pouvoirs publics et les préjudices doivent être compensés.
A cet égard, je veux saluer les efforts du Gouvernement et la mobilisation de tous les partenaires locaux.
Je crois que nous sommes sur la bonne voie. Les éleveurs dont les troupeaux ont été détruits ont accepté l'évaluation qui vient d'être faite, et les fonds seront, semble-t-il, versés dans les toutes prochaines semaines. Il en va de même pour la prise en charge du coût du stockage des animaux dans les exploitations.
Des interrogations subsistent néanmoins dans trois domaines.
Premièrement, des carcasses ont fait l'objet de retrait du marché. L'intervention publique s'opère en dessous de la valeur marchande. J'aimerais que nous confirmiez, monsieur le ministre, que cette moins-value sera bien intégralement compensée.
Deuxièmement, nombre d'entreprises de négoce et de transformation, abattoirs et laiteries - notamment des artisans et de petites entreprises du monde rural - ont dû suspendre ou réduire leur activité. Certaines ont dû détruire une partie de leurs stocks, vont subir des retours d'expéditions, en particulier d'exportations. Comment les pertes ainsi infligées seront-elles indemnisées ?
Troisièmement, certaines entreprises ont été contraintes de mettre leurs collaborateurs au chômage technique. Ces derniers subissent des pertes de salaires substantielles. Je demande à M. le Premier ministre de prendre l'engagement de les compenser intégralement. La procédure ESB n'est pas adaptée !
M. René-Pierre Signé. Oh !
M. Jean Arthuis. Enfin, dans ces sinistres circonstances, l'Union européenne nous a donné la désagréable impression d'une sorte d'absence politique. S'agissant de la vaccination, le désordre est total entre les choix faits en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas ou en France. Le temps est venu d'ouvrir le débat sur la poursuite éventuelle des bûchers et la destruction systématique des troupeaux. Cette pratique heurte la sensibilité de nos concitoyens et met en cause la place que nous accordons, dans notre société, aux animaux.
Les meilleurs spécialistes nous assurent qu'il existe aujourd'hui un vaccin contenant une protéine marquée. Il rend possible la détection du virus, et donc la certification, sur la base d'analyses de sang, de la qualité sanitaire des animaux et des produits exportés.
M. René-Pierre Signé. La question !
M. Jean Arthuis. Quelle est l'intention du Gouvernement ? Allez-vous intervenir auprès de vos collègues européens ?
Nous ne pouvons accepter que l'abattage soit une fatalité ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Si j'ai autorisé un dépassement du temps imparti, c'est que, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, il s'agit d'une question importante qui appelle de longs développements, et la réponse de M. le ministre sera certainement aussi longue.
Je vous remercie de votre compréhension.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Combien de temps me donnez-vous, monsieur le président ? (Sourires.)
M. le président. Bonne question !
M. Alain Lambert. Le sujet est grave, néanmoins.
M. Jacques Mahéas. Mais la question est mal posée !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je vais essayer d'être bref.
Je remercie M. Arthuis de la tonalité de sa question.
Je ne suis pas en désaccord avec le constat qu'il fait, ni avec son analyse de la situation dans la Mayenne et dans l'Orne, nous avons eu l'occasion d'en parler tous les deux.
Je retiens volontiers l'expression de « bouclier », puisque je l'ai employée moi-même. C'est vrai, nous avons fait subir à ces deux départements un traitement brutal à bien des égards. Mais c'est de cette brutalité et du caractère draconien, drastique et urgent des mesures que nous y appliquons que dépendait directement le succès de notre lutte contre l'épizootie.
Je ne veux pas prendre d'engagement sur l'issue de cette lutte, car nous avons connu un deuxième foyer depuis, et je me félicite d'avoir été prudent dès le début. Je le resterai, même si je pense que chaque jour qui passe montre que cette brutalité, d'une certaine manière, porte ses fruits et que, en France, nous sommes à l'abri de ce que nos amis britanniques connaissent, c'est-à-dire une course folle après l'épizootie. En effet, dans notre pays, nous semblons maîtriser la situation parce que nous avons pris à temps des mesures de caractère brutal.
J'assume le fait que l'Orne et la Mayenne servent de bouclier, mais ils ne doivent pas servir de bouc émissaire et, à tous égards, la solidarité nationale est due à ces deux départements.
Vous connaissez les dispositions que nous avons prises, puisque nous en avons parlé ensemble lors de la mise en place de la première cellule de crise.
J'ai nommé un haut fonctionnaire dont la mission est de coordonner ces efforts et ce travail. Il s'est rendu aussitôt dans vos département ; je crois qu'il a fait du bon travail, que les choses se mettent en place.
Toutes les questions que vous m'avez posées, monsieur Arthuis, ne peuvent pas trouver de réponse aussi simple aujourd'hui, surtout à brûle-pourpoint. Indemniserons-nous tout au franc le franc ? Non, toutes les pertes ne seront pas indemnisées au franc le franc dans tous les secteurs. Mais nous ferons le maximum. J'ai dégagé une première enveloppe d'urgence. Ce qui me paraît surtout important, et je crois que nous sommes d'accord sur ce point, c'est que le contenu de ces premières enveloppes aboutisse rapidement sur les comptes bancaires des agents économiques. Ensuite, on rediscutera pour savoir s'il faut les abonder. J'ai donc pris des dispositions, et nous aurons l'occasion d'en reparler, pour que ces aides parviennent très vite, dans les jours à venir, à ces agents économiques qui souffrent à la fois d'une crise bovine liée à l'ESB, qui dure depuis quelques mois, et de cette nouvelle crise qui les affecte encore plus. La nouvelle qui a été annoncée par Mme Parly voilà quelques instants, à savoir que les indemnités versées aux éleveurs touchés par la fièvre aphteuse feraient l'objet de la même neutralité fiscale - et c'est très important - que les dispositions que nous avons prises face à l'ESB, va, elle aussi, dans le sens de la solidarité nationale.
Pour le reste, monsieur Arthuis, vous avez lancé un débat sur la vaccination, qu'il est difficile de régler en quelques secondes. Cela étant, les mesures européennes sont mieux coordonnées que vous ne le dites. Elles sont débattues à l'échelon européen, et les dispositions qui sont prises pour les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la France ne sont pas aussi contradictoires que vous l'affirmez. Elle sont différentes, parce que les situations sont différentes. J'ai dit tout à l'heure que le Royaume-Uni courait après l'épizootie et que, à un moment donné, il se trouvait dans une situation où tous les moyens sont bons pour essayer d'enrayer la maladie, y compris la vaccination, non pas préventive, celle que l'on a abandonnée en 1991, mais curative, pour faire face, notamment dans les zones périfocales, autour des foyers d'infection, à une épizootie qui ne cesse de courir sans que les Britanniques arrivent à la rattraper.
Nous ne sommes pas dans cette situation en France, et tous les efforts que nous mettons en oeuvre sont faits précisément pour éviter la vaccination. En effet, cette vaccination n'est pas la recette miracle dans la situation qui est la nôtre ; elle présente également beaucoup d'inconvénients, notamment en ce qu'elle nous fermerait les marchés à l'exportation. Or l'économie agricole, en particulier l'économie de l'élevage français, est tellement dépendante de l'exportation que nous devons essayer à tout prix d'éviter une interdiction des exportations qui durerait au moins deux ans, et dont nous aurions beaucoup de mal à nous remettre.
Les choses sont coordonnées à l'échelon européen et discutées à ce niveau. L'Union européenne, en particulier la Commission, joue assez bien son rôle en cette période de crise, et je ne veux pas qu'on lui jette la pierre, parce qu'elle assume ses responsabilités de manière globalement satisfaisante.
J'aurai l'occasion de revenir sur certains points tout à l'heure pour vous éclairer davantage. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

MOYENS DE LA JUSTICE POUR LA MISE EN OEUVRE
DE LA LOI SUR LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE