SEANCE DU 25 AVRIL 2001


M. le président. Par amendement n° 416, le Gouvernement propose d'insérer, après l'article 34, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré dans le même code un article L. 321-4-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 321-4-3 . - I. - L'employeur qui envisage de prononcer un licenciement pour motif économique est tenu de proposer à chaque salarié concerné le bénéfice d'un bilan d'évaluation des compétences et d'orientation réalisé par l'organisme mentionné à l'article L. 311-1. Ce bilan peut être mis en oeuvre dès la notification du licenciement et est réalisé pendant la période du préavis. Ce bilan doit permettre notamment au salarié de réunir les informations sur ses compétences qu'il pourra mobiliser ultérieurement dans une démarche de validation des acquis de l'expérience.
« La proposition intervient au plus tôt lors de l'entretien prévu à l'article L. 122-14 ou à l'issue de la dernière réunion du comité d'entreprise ou d'établissement ou des délégués du personnel tenue en application de l'article L. 321-3 ou de l'article L. 321-7-1.
« Ce bilan est financé par l'employeur.
« Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret. Ce décret prévoit le montant de la contribution de l'employeur. Ce montant peut varier en fonction de la taille de l'entreprise et de sa situation économique.
« II. - Dans les entreprises d'au moins mille salariés, celles visées à l'article L. 439-1 dès lors qu'elles occupent ensemble au moins mille salariés et celles visées à l'article L. 439-6, l'employeur qui envisage de prononcer un licenciement pour motif économique est tenu de proposer à chaque salarié concerné un congé de reclassement.
« Pendant le préavis, puis le congé, le salarié bénéficie d'actions de formation nécessaires à son reclassement, notamment celles définies dans le bilan mentionné au I ci-dessus et des prestations d'une cellule d'accompagnement des démarches de recherche d'emploi. L'employeur assure le financement de l'ensemble de ces actions dans des conditons fixées par décret en Conseil d'Etat.
« La durée totale du préavis et du congé ne peut excéder six mois, ou neuf mois pour les salariés âgés de cinquante ans et plus.
« Pendant la durée du congé de reclassement, le contrat de travail de l'intéressé est suspendu.
« Le salarié en congé de reclassement bénéficie d'une rémunération mensuelle à la charge de l'employeur dont le montant est fixé par le décret précité.
« Les dispositions du 4° et du dernier alinéa de l'article L. 322-4 sont applicables à cette rémunération.
« Les partenaires sociaux peuvent dans le cadre d'un accord national interprofessionnel prévoir une contribution aux actions mentionnées au I et II du présent article. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 446, présenté par M. Gournac, au nom de la commission des affaires sociales, et tendant à supprimer les deux dernières phrases du dernier alinéa du I du texte présenté par l'amendement n° 416 pour l'article L. 321-4-3 du code du travail.
La parole est à Mme le ministre, pour présenter l'amendement n° 416.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Cet article additionnel vise à renforcer les obligations de l'employeur en matière de reclassement, et ce préalablement à la rupture du contrat de travail du salarié. C'est évidemment l'une des dispositions les plus importantes que nous proposons d'introduire dans le projet de loi car elle vise à responsabiliser les employeurs en les impliquant financièrement dans le reclassement de leurs salariés, tout en augmentant les sécurités dont bénéficient ces derniers lorsque leur entreprise est contrainte de se restructurer.
Nous proposons la mise en place d'un dispositif à deux niveaux.
D'une part, nous créons un droit de tous les salariés, quelle que soit la taille de l'entreprise, à bénéficier d'un bilan d'évaluation des compétences et d'orientation financé par l'employeur, bilan qui comprendra des éléments d'information susceptibles d'être mobilisés dans le cadre d'une démarche de validation des acquis de l'expérience.
D'autre part, nous prévoyons que les entreprises les plus importantes auront l'obligation d'organiser et de financer un congé de reclassement pour les salariés qui en feront la demande.
Pendant ce congé, qui pourra durer de six à neuf mois pour les salariés les plus âgés, le contrat de travail sera suspendu, mais non rompu, et le financement de ces actions sera à la charge des employeurs.
C'est évidemment une amélioration considérable par rapport à ce qui a pu exister dans le passé, sous forme de congé de conversion par exemple, à la fois en termes de durée, d'obligation et de financement.
M. Hilaire Flandre. Et si l'employeur est insolvable ?
M. le président. La parole est à M. Gournac, rapporteur, pour présenter le sous-amendement n° 446 et pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 416.
M. Alain Gournac, rapporteur. Cet important amendement du Gouvernement s'inspire largement de la nouvelle convention d'assurance chômage, qui prévoit le financement d'actions d'évaluation des compétences professionnelles et celui des actions d'accompagnement ou de reclassement au profit des demandeurs d'emploi. Il vise à créer un droit pour les salariés à bénéficier d'un bilan d'évaluation des compétences financé par l'employeur, ainsi que d'un congé de reclassement, dont le financement sera également à la charge de l'employeur.
Point important, cet amendement prévoit que les partenaires sociaux pourront, dans le cadre d'un accord national interprofessionnel, prévoir une contribution à ces actions.
Compte tenu du peu de temps dont nous disposions pour examiner cet amendement, qui aurait nécessité de nombreuses consultations et auditions, il est malaisé de se prononcer. Cependant, afin de tenir compte des pistes intéressantes qu'il ouvre, et de la nouvelle assurance chômage, je m'en remets à la sagesse du Sénat, sous réserve de l'adoption du sous-amendement n° 446 supprimant les deux dispositions qui prévoient que le montant de la contribution de l'employeur peut varier en fonction de la taille de l'entreprise et de sa situation économique, et qui ne semblent pas correspondre à un dispositif propre à chaque entreprise.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 446 ? Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le Gouvernement est défavorable au sous-amendement n° 446, qui remet en cause la logique même du dispositif visant à responsabiliser l'employeur qui licencie et à faire profiter le salarié d'un bilan d'évaluation de compétences destiné à lui permettre d'engager une démarche de formation et de reclassement.
Le Gouvernement a souhaité faire varier le coût de ce bilan en fonction de la taille de l'entreprise. Il est en effet légitime, tout en assurant la même prestation de bilan à tous les salariés, quelle que soit la taille de l'entreprise - c'est en quelque sorte un tronc commun - que les entreprises contribuent de manière différenciée au financement de ce bilan en fonction de leur taille et de leurs moyens.
Le Gouvernement ne peut donc pas être favorable à la proposition de M. le rapporteur.
M. le président. Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 446.
M. Gérard Delfau. Je demande la parole contre le sous-amendement.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Dans cette affaire, je n'arrive pas à comprendre la logique du rapporteur, selon laquelle, si je comprends bien, l'entreprise de trois salariés devrait verser la même somme que celle qui en compte plus de mille !
M. Jean Chérioux. Dans les mêmes proportions ! Ce n'est pas pareil !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 446, repoussé par le Gouvernement.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifié, l'amendement n° 416, pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 34.
Par amendement n° 417, le Gouvernement propose, après l'article 34, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 122-9 du code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 122-9 . - Le salarié lié par contrat de travail à durée indéterminée et qui est licencié alors qu'il compte deux ans d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité minimum de licenciement. Le taux de cette indemnité, différent suivant que le motif du licenciement est le motif prévu à l'article L. 321-1 du présent code ou un motif inhérent à la personne du salarié, et ses modalités de calcul, en fonction de la rémunération brute dont il bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail, sont fixés par voie réglementaire. »
La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Cet amendement vise à introduire une distinction entre les motifs de licenciement personnel ou économique à l'article L. 122-9 sur le montant de l'indemnité légale de licenciement. Cette distinction permettra de différencier les taux des indemnités de licenciement et de renchérir le coût des licenciements pour motif économique.
Pour cette catégorie de licenciements, le Gouvernement prévoit de doubler l'indemnité par voie réglementaire, en la faisant passer de un dixième à un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté.
Un tel renchérissement du coût des licenciements est d'abord une mesure de justice sociale pour les salariés qui perdent leur emploi. C'est aussi une mesure raisonnable en ce que le montant envisagé ne pénalisera pas dangereusement les entreprises, notamment les plus petites d'entre elles.
Je tiens à souligner ici que cette mesure n'est pas réservée aux seules grandes entreprises. On dit souvent que les mesures que nous proposons sont toutes réservées aux grandes entreprises ; c'est faux, et je l'ai déjà montré il y a un instant à propos du droit à la formation.
En ne réservant pas l'application de cette disposition aux salariés des seules grandes entreprises, le Gouvernement marque clairement sa volonté de prendre en compte la situation de tous les salariés qui perdent leur emploi pour des motifs économiques, et notamment de ceux qui sont d'autant moins protégés que, précisément, ils ne travaillent pas dans une grande entreprise.
Certes, les indemnités de licenciement peuvent être plus élevées, mais la loi doit fixer un plancher en dessous duquel on ne peut pas descendre, et le Gouvernement propose de doubler ce plancher.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Gournac, rapporteur. Cet amendement présente une nouvelle rédaction pour l'article L. 122-9, afin de pouvoir différencier le montant de l'indemnité légale de licenciement selon que le licenciement est personnel ou économique.
Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé son intention de doubler, par voie réglementaire, le montant de cette indemnité de licenciement.
Cet amendement ne semble pas à la mesure des enjeux. En renchérissant le coût des licenciements, on risque de mettre en difficulté des entreprises déjà fragilisées, alors même que la plupart des grands groupes ont antérieurement adopté, par la voie conventionnelle, des dispositions plus favorables. Toutes les entreprises n'ont, à l'évidence, pas nécessairement les moyens de présenter un plan social aussi développé que Danone, par exemple.
M. Jacques Machet. Bien sûr !
M. Alain Gournac, rapporteur. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 417.
M. Roland Muzeau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau. Nous voterons cet amendement bien qu'il nous semble avant tout symbolique. Il reste que le doublement de l'indemnité peut effectivement marquer les esprits.
M. Hilaire Flandre. Et où voyez-vous cela ?
M. Roland Muzeau. Cela étant, un salarié rémunéré au SMIC - il y en a tout de même quelques millions dans notre pays ! - et qui a dix ans d'ancienneté verra son indemnité de licenciement passer de 6 000 à 12 000 francs, environ, ce qui n'a rien d'extraordinaire. Dès lors, les craintes exprimées par M. le rapporteur quant au coût d'une telle mesure pour l'entreprise doivent être relativisées.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Très bien !
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Mme la ministre nous a dit tout à l'heure que cette mesure n'était pas réservée aux grandes entreprises. Pour ma part, je crois qu'elle vise surtout les petites entreprises puisque, nous le savons, la plupart des grandes entreprises ont prévu, par la voix conventionnelle, des indemnités beaucoup plus importantes.
Dans ces conditions, le présent amendement n'est pas adapté à la situation actuelle, où les entreprises qui licencient sont de grandes entreprises qui ont des moyens, qui font des bénéfices et qui veulent rationaliser leur fonctionnement. Or ces grandes entreprises-là ne seront pas touchées puisqu'elles font en général déjà beaucoup plus que ce que prévoit le projet de loi.
Je ne suivrai donc pas Mme la ministre.
M. Hilaire Flandre. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Flandre.
M. Hilaire Flandre. Je ne peux pas être en accord avec la position de Mme le ministre. Il faut cesser une fois pour toutes, dans cette assemblée et ailleurs, de considérer le monde de façon manichéenne en pensant qu'il y a, d'un côté, les pauves travailleurs et, de l'autre côté, les méchants patrons,...
M. Roland Muzeau. Mais beaucoup de travailleurs sont effectivement pauvres !
M. Hilaire Flandre. ... qui ne penseraient qu'à maximiser leurs profits et qui seraient toujours des « sans coeur » quand leur entreprise connaît des difficultés.
J'ai été moi-même responsable d'entreprise, en tant que président du conseil d'administration, membre du directoire ou membre du conseil de surveillance d'un certain nombre d'entreprises. Chaque fois qu'il m'est arrivé de devoir licencier ou me séparer d'un collaborateur, ce fut toujours pour moi une décision déchirante. Une telle décision est toujours précédée de discussions qui mettent en cause le plus profond de soi-même. Vous pouvez interroger les gens avec qui j'ai travaillé : vous verrez qu'ils conservent de moi le souvenir d'un responsable d'entreprise et non pas celui d'un « méchant ».
M. Jacques Machet. C'est vrai !
M. Hilaire Flandre. Par ailleurs, je ne pense pas qu'il soit sain de confier au pouvoir réglementaire le soin de fixer les indemnités. La presse a effectivement évoqué un doublement du plancher légal des indemnités de licenciement. Mais, lorsque je lis le texte de l'amendement, je ne vois rien de tout cela. Autrement dit, voter cet amendement, c'est laisser au pouvoir réglementaire la liberté de doubler, quintupler ou décupler le plancher, sans que le Parlement puisse en discuter.
Pour toutes ces raisons, bien entendu, je voterai contre cet amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 417, repoussé par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Section 4

Lutte contre la précarité des emplois

Article additionnel avant l'article 35 A