SEANCE DU 12 JUIN 2001


M. le président. La parole est à M. Jean Boyer, auteur de la question n° 1091, adressée à M. le ministre délégué à la santé.
M. Jean Boyer. Monsieur le ministre, sans vouloir parodier mes amis Louis Souvet et Pierre Guichard, je voudrais m'associer à leurs propos reconnaissants évoquant votre présence.
Effectivement, nous n'avons plus l'habitude, dans cette maison, d'avoir en face de nous les ministres adéquats - permettez-moi d'employer cet adjectif quelque peu trivial - pour répondre à nos questions. J'en veux pour preuve la question d'actualité que j'ai posée la semaine dernière à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à laquelle a répondu Mme Voynet !
La question orale que j'avais posée primitivement traitait du manque d'infirmières et d'aides-soignantes dans les hôpitaux privés et publics des départements de l'Isère et de la Haute-Savoie. Mais j'ai préféré la modifier - vous me le pardonnerez, je l'espère - afin d'aborder un problème excessivement douloureux : les soins infirmiers à domicile dispensés aux personnes handicapées dépendantes.
Lorsqu'elles désirent demeurer à leur domicile, ces personnes souffrent aujourd'hui d'un manque flagrant de soins infirmiers, en raison de la pénurie d'infirmières et d'aides-soignantes. Les soins médicaux à domicile ne sont plus assurés depuis plus d'un an.
Les raisons de cette pénurie sont connues.
La politique de santé a fait le choix du maintien autant que possible des personnes à leur domicile, choix qu'à un certain moment j'ai approuvé. Mais ce maintien, que l'évolution des techniques médicales rend de plus en plus possible, requiert des soins infirmiers importants.
Or, dans le même temps, le nombre de places mises au concours dans les instituts de formation aux soins infirmiers a été fortement réduit. Certes, les places ouvertes cette année au concours ont été augmentées de manière importante, je le reconnais, mais cette augmentation n'aura d'effet que dans trois ans, le temps de la formation de ces nouveaux personnels infirmiers.
En outre, à ces trois ans s'ajouteront trois années supplémentaires qu'ils devront obligatoirement passer en service public hospitalier. C'est donc dans six ans seulement que ces personnels pourront s'installer en secteur libéral et donner des soins à domicile aux personnes handicapées.
Il convient, enfin, d'ajouter l'effet de la médicalisation des maisons de retraite, qui va absorber un nombre important d'infirmières et d'infirmiers attirés par la perspective d'être salariés, ce qui est humain. Ce sera autant de praticiens en moins au service des personnes handicapées dépendantes à domicile.
Premièrement, ne faudrait-il pas lever cette règle des trois ans en service public hospitalier pour permettre à des infirmiers et à des infirmières de s'installer en secteur libéral dès l'obtention de leur diplôme ?
Deuxièmement, ne serait-il pas nécessaire de permettre aux aides soignants d'exercer à titre libéral dans d'autres structures que les services de soins infirmiers à domicile ?
Enfin, troisièmement, ne faudrait-il pas autoriser ces services de soins infirmiers à domicile à s'occuper pleinement des handicapés et non plus seulement à titre dérogatoire, comme c'est encore le cas aujourd'hui ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé. Monsieur le sénateur, vos questions sont très intéressantes et il me faut y réfléchir.
Tout d'abord, vous me demandez s'il ne serait pas possible de déroger à la règle des trois ans. Si ce devait être le cas - mais il me faudrait réfléchir un peu plus que je viens de le faire, c'est-à-dire trois secondes - il me semble que nous nous heurterions aux légitimes réticences de toute la profession dans la mesure où l'expérience est nécessaire et qu'elle s'acquiert lentement, et en dehors des études.
Il faut quand même laisser le temps aux professionnels de se former avant de pratiquer ces métiers qui ne sont pas simples.
Mais, après tout, c'est une idée que je dois explorer.
Vous demandez ensuite que les aides-soignants puissent prendre en charge un certain nombre de ces soins. Là encore, nous irions à l'encontre de ce que nous souhaitons, c'est-à-dire l'amélioration de la qualité, qui implique, en particulier, mais pas seulement, la nécessité de l'obtention d'un diplôme.
Vous le savez, il y a trois ans, nous nous sommes occupés des aides-soignants. Nous avons notamment revalorisé leur salaire ; nous avons ouvert plus largement l'accès de ces aides-soignantes à la formation d'infirmières.
La réponse à cette deuxième demande mérite elle aussi d'être mûrie.
Monsieur le sénateur, je connais bien cette pénurie d'infirmières et d'aides-soignantes dont vous avez parlé. Vous avez eu raison de dire que nous avions augmenté cette année très significativement le nombre de places au concours. Si nous ne l'avons pas fait avant mon séjour au Kosovo, et malgré ma demande, c'est que, la situation économique n'était pas très bonne. Elle est bien meilleure aujourd'hui.
Lorsque, dans une situation difficile, on propose à un gouvernement d'augmenter le nombre des médecins, des infirmiers, des aides-soignantes, bref de toutes les catégories de personnel médical et paramédical, la réponse est toujours la même : cela va coûter trop cher, non pas pour la formation, mais en raison des frais entraînés ensuite par la pratique.
Je désapprouve ce genre de raisonnement, car nous savons combien la pénurie était prévisible. Je crois que nous avons besoin de développer notre système de soins, toutes les questions qui ont été posées ce matin vont dans ce sens.
Je suis donc heureux que l'on ait augmenté le nombre des élèves infirmières et infirmiers. Mais, évidemment, cette mesure n'aura d'effet que dans trois ans, et deux ans supplémentaires pour les infirmières spécialisées.
Je voudrais vous dire également que la nouvelle allocation personnalisée d'autonomie, l'APA, qui a été votée récemment, va permettre aux personnes âgées dépendantes et à un certain nombre de handicapés d'être pris en charge dans de meilleures conditions et à domicile. Je partage votre sentiment : c'est effectivement à domicile que l'on est le mieux à même de prendre en charge les personnes handicapées ou dépendantes.
Je vous rappellerai par ailleurs certains chiffres concernant la région Rhône-Alpes.
La formation des infirmiers, fixée à 1 810 en 1999, a été portée à 2 600 en 2000 et 2001, ce qui représente une augmentation de 43,65 % en deux ans. Dans ce cadre, le département de l'Isère a bénéficié d'une augmentation substantielle. Le nombre d'étudiants est passé de 271 en 1999 à 421 en 2000 et 2001, soit 55,35 % de hausse pour ce département. Pendant la même période, le quota d'étudiants infirmiers attribué au département de la Haute-Savoie est passé de 176 à 321, soit une progression de 82,39 %. Nous en verrons les conséquences plus tard, vous avez tout à fait raison de le dire.
J'ajoute que l'expérience professionnelle de trois ans - on peut éventuellement envisager de la réduire... il faut y réfléchir - peut être acquise non seulement dans des hôpitaux, mais également dans d'autres structures organisées qui dispensent des soins généraux, y compris les services et les associations de soins infirmiers à domicile. Je crois cependant que nous avons intérêt à maintenir ces trois ans d'expérience.
Je relève en outre que la nomenclature des soins infirmiers n'est pas restrictive vis-à-vis des grands handicapés.
Ma réponse est imparfaite car je ne peux que constater la pénurie des prises en charge à domicile. Il est difficile, en général, de trouver des infirmières libérales, d'autant plus que celles-ci doivent respecter des quotas dans le cadre de la maîtrise nécessaire des dépenses de santé.
Je reconnais volontiers que ces professions et, par voie de conséquence, les personnes qu'elles prennent en charge, sont parfois dans des situations difficiles.
M. Jean Boyer. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le ministre, j'ai été convoqué il y a quinze jours à Grenoble par les handicapées. Ils étaient cent cinquante à deux cents, dans leurs voiturettes, et ils étaient désespérés. C'est alors que je leur ai promis de poser ces questions.
Je vous remercie de m'avoir répondu sur le ton de l'espérance. Je leur ferai part de votre réponse.
J'ai particulièrement noté votre première observation incitant à la réflexion. Il nous faut en effet refléchir parce que ces personnes sont dans des situations très spécifiques et que nous n'avons pas le droit, nous qui sommes sur nos deux jambes, d'abandonner ceux qui se déplacent dans les conditions que vous connaissez.
Nous allons bientôt avoir une réunion avec le préfet. Tous les parlementaires de l'Isère sont convoqués. Je ne manquerai pas de leur transmettre votre réponse, qu'ils auront d'ailleurs l'occasion de lire dans le compte rendu de nos débats.
En tout cas, je vous remercie de la netteté de vos réponses et, surtout, je le répète, de votre première observation engageant à la réflexion.
(M. Paul Girod remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président

APPLICATION DU CONGÉ DE FIN D'ACTIVITÉ

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