SEANCE DU 12 JUIN 2001


M. le président. Par amendement n° 123, M. Lambert, au nom de la commission, propose d'insérer, après l'article 34, un article additionnel ainsi rédigé :
« Toutes les modifications de crédits opérées par voie administrative en application des dispositions de la présente loi organique sont soumises à la ratification du Parlement dans le plus prochain projet de loi de finances afférent à l'année concernée. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 209 rectifié, présenté par MM. Charasse, Angels et les membres du groupe socialiste et apparentés, et visant, dans le texte proposé pour l'article 34 par l'amendement n° 123, à remplacer le mot : « administrative » par le mot : « réglementaire ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 123.
M. Alain Lambert, rapporteur. Cet article additionnel impose une obligation de soumettre à la ratification du Parlement les modifications de crédits qui sont opérées par voie administrative. J'imagine que la question va être posée dans quelques instants.
Cette obligation ne porterait pas sur la totalité des actes administratifs relatifs aux crédits, mais serait réservée aux actes administratifs ayant pour objet de modifier les crédits, qu'il s'agisse de les augmenter, de les réduire ou d'en modifier la spécialisation ou le cadre temporel d'exécution ; je pense ici aux reports.
M. le président. La parole est à M. Charasse, pour défendre le sous-amendement n° 209 rectifié.
M. Michel Charasse. Alors que l'amendement n° 123 vise les modifications de crédits opérées « par voie administrative », je préfère indiquer « par voie réglementaire ».
Je ne vois pas ce que recouvre la formule « voie administrative ». L'essentiel des dispositions qui permettent des modifications de crédit, sont prévues par la loi organique, et ce ne sont que des arrêtés ou des décrets. Je ne vois pas quel est l'autre acte réglementaire qui pourrait intervenir. En dehors de ces textes-là, il n'y a pas d'autres catégories d'actes réglementaires en France et je ne vois pas comment, par voie administrative - instruction ou lettre d'un ministre à un autre, etc. - on pourrait modifier les crédits. Que M. le rapporteur veuille bien m'en excuser, je ne comprends pas ce qu'il veut dire par « voie administrative » en dehors des arrêtés et des décrets, puisque, dans la loi organique dont nous sommes en train de discuter, je ne vois pas d'autres textes qui puissent modifier les crédits.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 209 rectifié ?
M. Alain Lambert, rapporteur. Nous n'avons pas le sentiment d'être en désaccord avec M. Charasse. Simplement, pour la commission, il y a bien une différence juridique entre « acte administratif » et « acte réglementaire », l'acte administratif lui paraissant avoir une portée plus large.
La commission est donc défavorable au sous-amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 123 et sur le sous-amendement n° 209 rectifié ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. L'amendement n° 123 vise à soumettre à la ratification en loi de finances l'ensemble des modifications de crédits opérées par voie réglementaire, alors que, dans la rédaction qu'elle a adoptée en première lecture, l'Assemblée nationale ne prévoyait la ratification que des seuls décrets d'avance.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire - rapidement, il est vrai - cela conduirait à soumettre à la ratification un nombre très élevé d'actes réglementaires, qui iraient des transferts aux reports de crédits en passant par les rattachements de fonds de concours. Cela alourdirait, me semble-t-il, la présentation de la loi de finances et réduirait donc sa lisibilité, ce qui me paraît contraire à l'objectif fixé.
Je me bornerai, pour illustrer mon propos, à quelques exemples chiffrés. Il faudrait ainsi s'attendre à ce que les ratifications portent - sur la base, cette fois-ci, des statistiques de l'année 2000 - sur près d'une centaine d'arrêtés de reports, 85 décrets de transfert, 31 décrets de virement et 2 070 rattachements de fonds de concours.
Le texte voté en première lecture à l'Assemblée nationale correspondait d'ores et déjà à un renforcement très important de l'information du Parlement sur tous les actes modifiant les crédits pris en cours de gestion.
Par ailleurs, cette disposition ne me paraît pas tout à fait conforme à l'esprit qui a animé les débats qui ont eu lieu au Conseil d'Etat lorsque celui-ci a formulé son avis puisqu'il a rappelé très précisément les limites de la consultation du Parlement dans le cadre de l'exercice du pouvoir réglementaire confié au Gouvernement par la Constitution.
A toutes ces observations, s'ajoute une interrogation sur le caractère constitutionnel de cet amendement.
Sur le sous-amendement n° 209 rectifié, si l'amendement de la commission des finances devait être maintenu, je dirai que j'y suis favorable dans la mesure où il restreint le nombre d'actes réglementaires que le Parlement serait amené à ratifier. Pour les raisons pratiques que je viens d'évoquer, il me semble que ce serait souhaitable.
M. le président. Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 209 rectifié.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Si j'ai bien compris M. le président Lambert, les mots « voie administrative » recouvrent non seulement ce qui est réglementaire mais au-delà. Je ne vois pas très bien quoi mais, au fond, il vaut mieux aller plus loin que pas assez. Je retire donc l'amendement n° 209 rectifié.
Cela dit, s'agissant de l'amendement n° 123, je ne suis pas d'accord sur le fond.
M. le président. Le sous-amendement n° 209 rectifié est retiré.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 123.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Cet amendement n° 123 pose vraiment, me semble-t-il, un problème constitutionnel, parce que, dans le domaine des lois de finances comme dans celui des lois en général, outre la distinction qui existe entre les articles 34 et 37 de la Constitution, c'est-à-dire entre le domaine réglementaire et le domaine législatif, il y a un pouvoir réglementaire naturel qui découle de l'application des lois. Ou une grande partie des dispositions que vise cet amendement est incontestablement du domaine réglementaire.
Au fond, les seules dispositions qui peuvent être soumises à ratification parce qu'elles concernent le domaine de compétence du Parlement, c'est l'autorisation de dépense, donc les décrets d'avance.
En l'occurrence, il y a une sorte d'anticipation sur l'autorisation, il est donc naturel que l'on demande au Parlement s'il approuve une autorisation qui n'aurait dépendu que de lui si on n'avait pas été dans une situation d'urgence.
Je crains que l'amendement n° 123, s'il était adopté, soit déclaré non conforme à la Constitution. Le Conseil constitutionnel pourrait en effet considérer que nous cherchons - alors que la commission a pour seul souci de défendre le contrôle parlementaire - et que nous aboutissons à transférer subrepticement le pouvoir réglementaire vers le pouvoir législatif.
Monsieur le président Lambert, et je sais que, comme moi, vous avez l'esprit concret, les pieds sur la terre. J'attire donc votre attention sur le fait que si dans la liste de ce qui est soumis à la ratification, il y a un oubli, l'acte va tomber. Une ligne peut sauter à l'imprimerie et un acte ne serait pas ratifié, avec toutes les conséquences qui pourraient en résulter : éventuellement des contentieux, mais aussi, pour nous, l'obligation de revenir le plus vite possible à la charge.
Cet amendement pose donc, involontairement sans doute, beaucoup plus de problèmes qu'il n'en résout. Je préférerais de beaucoup, parce que cela me paraît entrer dans l'esprit de la démarche de la commission des finances, que l'on remplace, au cours de la navette, cette obligation de ratification - sauf pour les décrets d'avance, ce qui est prévu à l'article 14 - par une obligation de publication en annexe au document budgétaire.
L'intéressé disposerait ainsi de la liste des actes concernés. Cela dit, je signale que, depuis plusieurs années, la liste des arrêtés de transferts est publiée en annexe à la loi de finances rectificative. Je le sais d'autant mieux qu'il s'agit d'un amendement parlementaire dont, jeune secrétaire du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, voilà quelque vingt, ans, j'étais l'auteur. Mais je dois dire qu'à ma connaissance personne ne le lit jamais.
Evidemment, si un article général de ratification récapitule tous ces textes, non seulement personne ne le lira mais cela posera un problème de constitutionnalité. C'est pourquoi, à mon grand regret, je préfère ne pas voter l'amendement n° 123, tout en recommandant que l'on profite de la navette pour examiner d'un peu plus près son dispositif.
M. Alain Lambert, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Lambert, rapporteur. Je rassure Michel Charasse : avec ce texte, nous avons voulu redonner à l'exécutif le maximum de souplesse ; en aucun cas nous n'avons voulu « envahir » le champ réglementaire.
Madame la secrétaire d'Etat, vous considérez que les arrêtés de majoration des crédits dans le cadre des comptes spéciaux devraient être ratifiés. En cet instant, vous souhaiteriez un dispositif un peu contraire. Je ne vois donc pas la cohérence, d'autant plus que les rattachements de fonds de concours ne sont pas couverts par notre texte.
Pour toutes ces raisons, monsieur le président, il y a lieu de maintenir l'amendement de la commission.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 123, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi organique, après l'article 34.

TITRE III

DE L'EXAMEN ET DU VOTE
DES PROJETS DE LOIS DE FINANCES

Article 35