SEANCE DU 9 OCTOBRE 2001


M. le président. La séance est reprise.
La parole est à Mme la ministre, à qui je laisse quelques instants pour reprendre son souffle.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, si quelqu'un est essoufflé ici, ce n'est pas moi ! (Sourires sur les travées socialistes. - Exclamations amusées sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Permettez-moi de vous faire remarquer, madame la ministre, que nous vous avons attendue vingt minutes.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, il était prévu que j'arrive au Sénat à seize heures quinze, en raison des questions au Gouvernement à l'Assemblée nationale, où j'ai répondu jusqu'à seize heures cinq à une question de M. André Gérin, député du Rhône, qui avait d'ailleurs un lien avec le présent débat puisqu'il s'agissait, précisément, des projets de restructuration de la verrerie de Givors. Et si je suis arrivée au Sénat avec quelques petites minutes de retard, croyez-bien que j'en suis désolée !
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la commission des affaires sociales du Sénat a souhaité, au mois de juin dernier, dissocier l'examen des dispositions du projet de loi de modernisation sociale relatives au régime du licenciement économique de celui des autres dispositions du texte.
J'ai déploré ce délai supplémentaire, qui retarde le vote définitif de la loi et prive ainsi les salariés d'une protection sociale attendue. Mais il est vrai qu'il aura permis de mettre encore plus en évidence l'importance et l'actualité toute particulière de la question !
Depuis plusieurs mois déjà, les difficultés économiques que connaissent les Etats-Unis entraînent une révision à la baisse des perspectives de croissance dans l'ensemble des pays industriels. Certains secteurs, comme la téléphonie ou ceux de l'économie de l'Internet, ont subi des révisions déchirantes ; la chute des cours boursiers a un effet de freinage important des investissements.
Les inquiétudes et incertitudes nées des attentats du 11 septembre ont amplifié les doutes sur la capacité de redressement, à brève échéance, des économies développées. De nouveaux secteurs d'activité ont été directement et immédiatement affectés, comme le transport aérien ou le tourisme.
Même si des mesures ont d'ores et déjà été prises ou sont en discussion pour réagir face à ces difficultés et lever ces inquiétudes, pas une semaine ne s'écoule sans que soient annoncés des plans de restructuration d'entreprises, qui avivent la crainte de milliers de salariés quant à l'avenir de leur emploi.
Vous êtes, mesdames, messieurs les sénateurs, plus encore qu'au mois de juin, sous le regard des salariés, qui attendent du législateur le bénéfice d'un régime de traitement des difficultés et des restructurations économiques plus protecteur du droit à l'emploi. C'est bien la finalité du texte qui a été adopté le 13 juin dernier, par un vote solennel, en deuxième lecture par l'Assemblée nationale.
Ce texte est bien proportionné aux enjeux économiques et sociaux qui sont devant nous. Il prévoit des solutions justes et équilibrées, sur lesquelles je vais revenir, et ce dans deux directions : celle du droit d'information et d'intervention des salariés et de leurs représentants sur les projets de restructuration des entreprises ; celle de la responsabilité sociale des chefs d'entreprise dans la protection de l'emploi des salariés.
En ce qui concerne, tout d'abord, le droit d'information et d'intervention des salariés et de leurs représentants, je voudrais souligner que le projet de loi n'empêche pas les entreprises d'évoluer et de s'adapter. C'est pourquoi nous n'avons pas retenu l'idée d'un recours au juge ou à l'Etat pour se prononcer sur l'opportunité d'un projet de restructuration.
Le texte que vous examinez aujourd'hui mise sur le renforcement du dialogue social à l'intérieur même de l'entreprise, entre l'employeur et les représentants des salariés, pour trouver les voies d'une adaptation qui concilie au mieux les intérêts économiques et sociaux en cause. Un changement réussi est celui dont la justification et les modalités sont clairement présentées aux principaux intéressés, c'est-à-dire les salariés et leurs représentants. C'est justement quand il n'est pas joué d'avance et quand il y a des marges de discussion - parce que l'avenir de l'entreprise ne se fait pas contre les salariés - que ce changement peut être accepté.
Cela étant, j'entends critiquer le risque que feraient courir aux entreprises des délais supposés excessifs d'information et de consultation préalables.
Mais il est des délais bien plus invalidants encore ; ce sont ceux qui sont dus aux conflits collectifs, lesquels sont engendrés dans un grand nombre de cas par l'absence de dialogue social et auraient pu, bien souvent, être évités.
Les exigences posées par le projet de loi en matière d'annonce publique ou de concertation préalable à la prise de décision de l'employeur sont, à mes yeux, parfaitement fondées.
Rien ne saurait justifier, en effet, que le comité d'entreprise soit le dernier informé d'un projet social pouvant avoir des conséquences importantes sur l'emploi ou sur les conditions de travail ; rien ne peut justifier que le comité d'entreprise soit souvent informé après le public ou les actionnaires.
Le recours à la médiation, qui constitue une innovation de ce projet de loi, est une voie ultime de conciliation des points de vue lorsqu'ils divergent durablement. Il me paraît d'autant plus adapté qu'il ne dessaisit pas l'employeur de la responsabilité de la décision finale et, par conséquent, ne porte pas atteinte à son pouvoir de gestion économique.
On a dit que cette procédure était « précipitée » ou « non évaluée », alors même que la médiation fait partie de longue date de notre arsenal juridique, toutes branches du droit confondues, et qu'un projet est à l'étude, sur le plan européen, pour la mettre en valeur et la promouvoir comme élément du droit social communautaire. Mieux vaut, me semble-t-il, une médiation réussie, même au prix d'un allongement des délais de concertation, qu'un conflit qui hypothéquera la réussite de la restructuration.
Je constate, en outre, qu'une telle procédure a le mérite de privilégier la recherche d'une solution entre parties plutôt que de renvoyer les décisions au juge ou à l'administration, comme l'induirait un droit d'opposition qui ne serait pas assis sur la médiation.
Enfin, il n'est pas besoin d'ajouter que le recours à un médiateur n'est qu'une possibilité à laquelle on pourra ne pas recourir si le dialogue social, précisément, est de qualité.
Les remarques que je viens de faire, mesdames, messieurs les sénateurs, n'épuisent pas l'ensemble des mesures du projet de loi que vous examinez aujourd'hui.
D'autres dispositions importantes consolident l'obligation des employeurs en matière de concertation préalable à toute décision de restructuration pouvant entraîner des suppressions d'emplois. Je ne les rappellerai que pour mémoire, car elles n'ont pas fait l'objet de critiques de principe de la part de la commission des affaires sociales.
Je pense notamment ici à la saisine des organes de direction et de surveillance de l'entreprise, sur la base d'une étude d'impact social et territorial, avant toute décision de restructuration.
Je pense aussi à la distinction faite entre la concertation sur le projet économique lui-même et la concertation sur les conséquences sociales en matière de suppression d'emplois, assortie d'un droit des représentants du personnel de recourir à un expert et de proposer des mesures de remplacement.
Je pense enfin à l'information, en amont, de l'entreprise sous-traitante, pour lui permettre de parer aux conséquences que le projet de l'entreprise donneuse d'ordre peut avoir pour elle-même.
Telles sont les remarques que je voulais faire sur le droit d'information et de consultation.
En ce qui concerne maintenant l'extension de la responsabilité sociale des chefs d'entreprise et de la protection de l'emploi des salariés, une des principales idées-forces du projet de loi de modernisation sociale est que toutes les solutions de rechange doivent avoir été proposées, étudiées et mises en oeuvre avant que des suppressions d'emplois ne soient envisagées : les licenciements économiques ne peuvent être que l'ultime recours.
Cette idée n'est pas nouvelle ; elle était déjà inscrite dans le code du travail, en particulier dans la logique du dispositif de plan social, depuis 1986, et elle a été plusieurs fois renforcée en 1989 et en 1992. Cependant, il est vrai qu'il manquait encore des éléments à cet édifice, lacune que vient justement combler le texte adopté par l'Assemblée nationale.
J'estime, par exemple, que l'obligation de négocier des mesures de réduction du temps de travail avant d'envisager de procéder à des licenciements est une mesure fondamentale pour sauvegarder des emplois. Refuser de faire de cette question un préalable à la présentation d'un projet de licenciement collectif, ainsi que le propose la commission des affaires sociales du Sénat, est incompréhensible dans une logique de solidarité interne à l'entreprise pour sauvegarder des emplois.
Sur ce point en particulier - comme sur d'autres - vous n'êtes d'ailleurs pas en phase, loin de là, avec les salariés et les organisations syndicales que, pourtant, vous prétendez avoir pris soin de consulter.
Le deuxième élément fondateur de la responsabilité sociale des chefs d'entreprise et de protection du droit à l'emploi des salariés repose sur la définition du licenciement économique.
La définition adoptée par l'Assemblée nationale est, il est vrai, plus exigeante. Elle rendra plus serrée la discussion dans l'entreprise avec les représentants du personnel sur les circonstances justifiant des licenciements et elle conduira à renforcer la recherche de mesures alternatives. C'est son objet.
Toutefois, elle reste ouverte et proche des apports de la jurisprudence puisqu'elle ne se limite pas à la prise en compte des difficultés économiques. Elle admet la nécessité pour l'entreprise de s'adapter aux évolutions technologiques et de se réorganiser pour assurer son activité présente et à venir.
Le troisième pilier de ce projet de loi, sans doute le plus important, est celui qui vient donner toute sa force au droit au reclassement.
Le reclassement interne, par l'adaptation des salariés aux évolutions de l'emploi et le développement de leurs compétences par la formation, est une obligation permanente de l'entreprise. Elle est posée clairement par le projet de loi.
Une innovation fondamentale, que vous avez déjà adoptée au mois de juin, donnera corps à cette obligation : la validation des acquis de l'expérience et leur reconnaissance par les diplômes et titres. Elle permettra de mettre en évidence les compétences acquises des salariés, souvent ignorées des entreprises faute de formalisation. Elle offrira aux salariés des perspectives de développement professionnel garantissant leur parcours dans l'emploi.
Cette obligation d'adaptation permanente est d'autant plus forte que l'employeur devra faire la démonstration de son respect au moment où il envisage des licenciements économiques.
Le projet de loi n'autorise en effet le licenciement qu'après que tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement des salariés a été recherché dans l'entreprise, voire dans le groupe.
Le licenciement est donc bien l'ultime recours. Pour éviter qu'il ne conduise au chômage, il est prévu que les salariés des entreprises de 1 000 salariés et plus se voient proposer un congé de reclassement de neuf mois maximum, financé par l'employeur.
Mais il manque dans le texte que vous examinez un dispositif actif d'aide au reclassement pour les salariés des petites et moyennes entreprises, non concernés par le congé de reclassement.
C'est pourquoi, après en avoir discuté avec les partenaires sociaux, le Gouvernement a déposé un amendement qui permettra à l'UNEDIC et à l'ANPE d'engager des actions de préparation au reclassement de ces salariés pendant la durée de leur préavis.
Ces actions porteront sur des bilans d'évaluation des compétences et sur un accompagnement personnalisé. L'employeur sera tenu de les porter à la connaissance des salariés et de leur laisser le temps d'y participer. C'est une mise en oeuvre anticipée du PARE, le plan d'aide au retour à l'emploi.
J'espère que le Sénat adoptera cet amendement qui répond à une critique relative à l'insuffisance des mesures de protection pour les salariés des entreprises petites et moyennes, les plus nombreux à subir les licenciements économiques.
Votre Haute Assemblée adoptera aussi, je le souhaite, deux dispositions très importantes, dont la commission des affaires sociales prône, hélas !, la suppression.
Je pense au doublement de l'indemnité minimum légale de licenciement en cas de licenciement économique et aux obligations faites aux grandes entreprises de contribuer à la réactivation des bassins d'emploi affectés par des fermetures totales ou partielles de sites.
S'agissant de l'indemnité légale de licenciement, faut-il rappeler que son taux n'a pas évolué depuis 1973 ? Faut-il rappeler aussi que l'inégalité est grande entre salariés d'entreprises importantes, qui voient souvent fortement majorer leurs indemnités de départ, et ceux des petites et moyennes entreprises, qui ne bénéficient que du minimum légal ?
L'argument selon lequel cette mesure de justice sociale va engendrer une fraude au licenciement personnel s'autodétruit puisque, la fraude étant redressable par le juge, il en coûtera alors plus cher à l'entreprise.
Enfin, puisque la demande de suppression de l'article sur l'obligation de contribution à la réactivation des bassins d'emploi est fondée sur l'absence de précisions concernant la nature et l'assiette de cette contribution, j'espère que vous accueillerez favorablement l'amendement du Gouvernement, qui vous apporte satisfaction sur ce point. A moins qu'il ne s'agisse d'une écoute sélective, ne prenant en compte qu'un versant des avis des partenaires sociaux !
M. Eric Doligé. Comment peut-on dire cela ?
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Mais ce serait étonnant de la part de parlementaires qui expriment souvent leur désarroi lorsque des fermetures d'entreprises dans leur circonscription ruinent les efforts qu'ils entreprennent pour assurer le développement économique local !
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les points que je tenais à mettre en lumière.
Loin d'empêcher les entreprises d'évoluer et de s'adapter, les dispositions sur le licenciement économique adoptées par l'Assemblée nationale exigent qu'elles le fassent en toute responsabilité : dans la transparence du dialogue social, en s'appuyant sur la force du compromis et en préservant l'emploi dans toute la mesure du possible.
C'est une architecture de droits et obligations dont notre pays a besoin pour faire face aux incertitudes économiques qu'il connaît, et pour combattre le désespoir de dizaines de milliers de salariés qui craignent d'en être les premières victimes. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gournac, rapporteur.
M. Alain Gournac, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le Sénat a commencé à examiner, en deuxième lecture, les 26 et 27 juin dernier, le projet de loi de modernisation sociale. Comme l'ont alors souligné les rapporteurs, le texte transmis par l'Assemblée nationale intégrait de très nombreuses et substantielles modifications. C'est pourquoi la deuxième lecture de ce texte par notre assemblée s'apparente, à maints égards, à une « première lecture bis ».
Les dispositions relatives au droit du licenciement, c'est-à-dire, en fait, les trois premières sections du titre II, figurent sans doute parmi celles qui ont connu le plus grand nombre de modifications au cours de la navette. En effet, ce ne sont pas moins de quatorze articles qui ont été ajoutés par l'Assemblée nationale sur ce seul thème au cours de la deuxième lecture, parfois à l'occasion d'une seconde délibération organisée le 12 juin.
Parmi les nouvelles dispositions adoptées, on retiendra, bien sûr, le durcissement de la définition du licenciement pour motif économique à travers la limitation du nombre et de la portée des situations propres à autoriser un licenciement, mais aussi la substitution des termes « plan de sauvegarde de l'emploi » aux termes « plan social », la création d'études d'impact social et territorial devant précéder ou accompagner tout projet de cessation d'activité ou de développement stratégique, la modification de l'articulation entre la phase de consultation-information et celle de négociation avec les partenaires sociaux lorsque sont envisagés à la fois une restructuration et des licenciements, l'instauration du recours à un médiateur lorsqu'un désaccord apparaît entre l'employeur et le comité d'entreprise à propos d'un projet de restructuration, l'instauration de contributions spécifiques à la charge des entreprises qui procèdent à des licenciements afin de développer leur bassin d'emploi.
Ces modifications du droit du travail n'ont rien de mineures, comme en témoigne le mécontentement qu'elles ont provoqué de la part de l'ensemble des acteurs sociaux et économiques,...
M. Roland Muzeau. Non !
M. Alain Gournac, rapporteur. ...tant d'ailleurs du fait de la nature même des modifications apportées au droit en vigueur que des conditions dans lesquelles elles ont été préparées et adoptées.
Certes, nul ne pouvait rester indifférent devant la multiplication des annonces de plans sociaux et les importantes restructurations intervenues dans plusieurs grands groupes, tels Danone, Marks & Spencer, AOM-Air Liberté et Moulinex. A cet égard, le fait que le Gouvernement ait souhaité « faire quelque chose » ne peut être considéré en soi comme illégitime, bien au contraire.
Cependant, était-il pour autant opportun que le Gouvernement et l'Assemblée nationale légifèrent ainsi, « en direct », se privant de tout recul et de l'avis des spécialistes du monde économique et social que sont les partenaires sociaux ?
Tel est bien le problème. Ces amendements, le plus souvent d'origine gouvernementale, ont été préparés et débattus dans l'urgence, et ils en conservent la marque. Les différentes étapes du processus législatif ont été pour ainsi dire court-circuitées. Le choix d'amender le texte, souvent en séance, excluait de fait l'intervention du Conseil d'Etat, le passage en conseil des ministres et le recours à une étude d'impact qui précèdent traditionnellement l'examen d'un projet de loi.
Même l'étape fondamentale du passage en commission n'a pu être pleinement menée à bien, comme en témoigne l'absence à l'Assemblée nationale de rapport écrit sur ces dispositions.
Que penser, dans ces conditions, de l'apport essentiel qu'aurait pu fournir le Conseil économique et social ? Alors que le Gouvernement a rendu hommage, dans ce texte même, à son travail concernant la lutte contre le harcèlement moral, il s'est interdit de bénéficier de ses précieux conseils dans un domaine où sa compétence ne fait pourtant guère de doutes.
Enfin, sinon surtout, il est patent que la méthode retenue à l'occasion de cette deuxième lecture a fait une victime collatérale de choix ; je pense au dialogue social. Certes, il n'était déjà pas très bien portant. Mais était-il pour autant judicieux de tenir les partenaires sociaux dans une complète ignorance des dispositions qu'ils auront à faire vivre au quotidien ?
A entendre le Gouvernement le 26 juin 2001 à l'Assemblée nationale, « il était difficile de les consulter pendant le cours même des débats ». Tel n'est pas l'avis de la commission.
Comme pour en donner une preuve au Gouvernement, et parce qu'elle est convaincue qu'on ne saurait impunément négliger l'intérêt du dialogue social, notre commission a souhaité, à la fin du mois de juin, réserver l'examen des dispositions relatives au droit du licenciement jusqu'à aujourd'hui, afin d'entendre l'ensemble des partenaires sociaux.
Ces auditions, qui ont eu lieu à la fin de la dernière session et dont le compte rendu est publié dans le rapport supplémentaire que j'ai eu l'honneur de présenter au nom de la commission, sont riches d'enseignements.
C'est pourquoi je souhaiterais, ne serait-ce que brièvement, me faire le porte-parole des partenaires sociaux que nous avons auditionnés, en rappelant quelques propos que nous avons entendus.
M. Roland Muzeau. Propos sélectionnés !
M. Alain Gournac, rapporteur. Vous les avez entendus, vous y étiez !
M. Jean Chérioux. C'est fort intéressant ! Un peu de bonne foi, s'il vous plaît !
M. Alain Gournac, rapporteur. La CGC a regretté que « cette loi arrive dans l'urgence après l'annonce de plusieurs plans sociaux », tandis que la CGT a marqué sa déception qu'il n'y ait pas eu de consultation en amont.
M. Patrick Lassourd. C'est clair !
M. Alain Gournac, rapporteur. FO a considéré que les consultations avaient cessé à l'issue des annonces de plans sociaux pour laisser place à l'« agitation politique ».
Le MEDEF a estimé, quant à lui, que cette situation illustrait une absence de concertation entre l'Etat et les partenaires sociaux « unique au monde », avant de déplorer que « partout ailleurs on recherchait, dans la confiance et non dans la défiance et l'ignorance des partenaires sociaux, à se concerter sur des solutions efficaces ».
La CGPME a été également sévère puisqu'elle s'est estimée trompée de ne pas avoir retrouvé les propositions qu'elle vous avait faites à l'issue de la première lecture et qui, semble-t-il, avaient reçu un accueil favorable.
Sur le fond, les partenaires sociaux que nous avons auditionnés n'ont pas fait preuve de plus de mansuétude quant au détail de vos propositions. Ils ont même majoritairement considéré que les conditions de leur élaboration tendaient à les vicier inéluctablement.
Ils ont fustigé votre choix de modifier l'ensemble du droit du licenciement pour répondre à l'annonce de plusieurs plans sociaux, en estimant que, dans la réalité, l'essentiel des licenciements avaient un caractère individuel et que seules 2 000 entreprises étaient cotées parmi les 1 200 000 que compte notre pays.
Ce constat a ainsi pu amener la CFDT à considérer que ce texte accroissait « la protection de ceux qui étaient déjà les plus protégés et laissait dans le vide ceux qui le sont beaucoup moins ».
La CGT a semblé partager cette analyse puisqu'elle a déclaré qu'« il ne faudrait pas que nous ayons des procédures de licenciement à deux vitesses avec, d'une part, les licenciements massifs, qui font l'objet de dispositions particulières, et, d'autre part, la masse des petits licenciements, qui ne seraient, eux, pas couverts par des garanties suffisantes ».
Nous aurons, bien entendu, l'occasion de revenir sur le détail du texte au cours de la discussion des articles. Mais les observations des partenaires sociaux devant la commission méritent, à ce stade, d'être rappelées lorsqu'elles concernent les dispositions les plus importantes qu'a adoptées l'Assemblée nationale en deuxième lecture.
M. Eric Doligé. Tous les partenaires sociaux sont d'accord !
M. Alain Gournac, rapporteur. La nouvelle définition du licenciement pour motif économique, par exemple, constitue certes un progrès pour la CGT, mais celle-ci est bien la seule à le penser. Pour la CFTC, cette nouvelle définition soulève de « nombreuses interrogations ».
Le MEDEF a considéré, quant à lui, que cette nouvelle définition était « stupéfiante » et qu'elle traduisait une « volonté d'interdire à toute entreprise qui a des résultats positifs de se restructurer ».
La CGPME a souhaité le maintien de la définition en vigueur, tandis que la CFDT a fait part de sa crainte « que cette approche n'écarte des personnes licenciées de la protection du plan social, en poussant les entreprises... vers des licenciements individuels ».
Les partenaires sociaux n'ont pas été plus tendres envers les autres dispositions du texte, comme le recours à un médiateur.
Si la CGT a rappelé qu'il ne s'agissait pas d'une de ses revendications, la CFDT a fait montre de davantage d'hostilité à l'égard de ce dispositif, considérant que l'externalisation du débat jouait contre le dialogue social et qu'un tel dispositif était « déresponsabilisant » pour les partenaires sociaux.
Au final, force est de le constater, ce texte ne trouve pas grâce auprès des partenaires sociaux, ce qui explique d'ailleurs sans doute le peu d'empressement manifesté par le Gouvernement pour les consulter.
Ce décalage entre, d'une part, le monde politique et, d'autre part, le monde du travail et de l'entreprise doit nous amener à réfléchir quant aux conséquences que peut avoir un tel texte sur le fonctionnement de notre économie. On ne peut exclure en effet qu'un tel durcissement du droit du licenciement ait des conséquences sur l'évolution du chômage en réduisant les embauches des entreprises.
Comment expliquer autrement, il est vrai, l'étrange coïncidence qui a vu l'adoption des amendements à l'Assemblée nationale correspondre exactement à une hausse du taux de chômage et celle qui associe aujourd'hui le refus du Gouvernement de modifier son texte à une brutale baisse du nombre des embauches qui s'annonce d'ores et déjà durable ?
Pour l'instant, force est de constater que, alors même que le taux de chômage français demeure sensiblement supérieur à la moyenne européenne, l'interruption du rattrapage entamé depuis 1997 intervient au moment précis où l'on observe une divergence importante dans la façon dont les différents pays européens entendent réagir au ralentissement de la croissance.
En effet, alors que nous discutons de la meilleure façon d'empêcher les entreprises de préserver leur compétitivité, le Chancelier allemand Gerhard Schroëder s'apprête à porter de douze à vingt-quatre mois la durée des contrats à durée déterminée et n'exclut pas de modifier le droit du licenciement afin de transformer les indemnités de licenciement en aides à la qualification.
Dans ces conditions, madame le ministre, une question nous taraude : faites-vous le bon choix ?
Nous sommes en effet d'autant plus perplexes qu'outre le scepticisme des partenaires sociaux et le contre-exemple allemand votre projet doit également faire face au désaveu de votre collègue ministre des finances, M. Laurent Fabius. En effet, celui-ci a déclaré en juin que ce texte posait des « questions sérieuses » et qu'il fallait éviter que cette loi n'ait « un effet dissuasif sur l'investissement et le recrutement ».
On le voit, le Gouvernement lui-même ne semble pas unanime quant au diagnostic et au traitement le plus approprié pour faire face à un retournement de conjoncture qu'il n'avait pas anticipé.
N'est-il pas temps, finalement, aujourd'hui, alors que la pression médiatique est retombée, de revenir sur des dispositions qui devaient constituer une réponse à un mal qui n'a plus cours, je veux parler des « licenciements boursiers » ? Que peut bien signifier, en effet, cette expression pour des entreprises comme Alcatel et Moulinex, qui ont perdu 80 % de leur valeur depuis janvier ?
Le contexte a changé. Des dispositions qui, en juin, apparaissaient préjudiciables à l'emploi se révèlent aujourd'hui comme des facteurs de hausse du chômage. C'est pourquoi le Gouvernement se doit de réagir.
Hélas ! il n'en est rien, comme le montrent les amendements que vous avez déposés au nom du Gouvernement, madame le ministre, et qui ne modifient pas le déséquilibre général du texte.
Bien sûr, la discussion ne fait que commencer et votre position peut encore évoluer. C'est pourquoi il appartiendra au Sénat de proposer des modifications qui tiennent compte du nouveau contexte économique sans pour autant remettre en question l'ensemble des dispositions qu'il nous est proposé d'adopter.
La commission a clairement fait son choix. Sans se départir de l'esprit constructif qui la caractérise dans l'examen des projets de lois depuis 1997, elle s'attachera à rétablir le droit du licenciement dans un état acceptable tant pour les salariés que pour les entreprises (M. Fischer s'exclame) compte tenu, en particulier, d'un contexte qui érige le maintien de la compétitivité de nos entreprises en principe fondamental du développement de notre économie et donc de l'emploi.
C'est ainsi que la commission proposera d'adopter conformes plusieurs articles : l'article 33 concernant le droit au reclassement avant tout licenciement pour motif économique, l'article 34 bis B relatif à la lutte contre les contournements des dispositions relatives à la présentation de plans sociaux, et l'article 34 bis E qui a trait à l'augmentation de la durée laissée au salarié licencié pour manifester son souhait de bénéficier de la priorité de réembauchage.
Elle proposera, par ailleurs, un certain nombre d'amendements sur des articles importants qui peuvent être encore améliorés afin de mieux concilier la nécessité de protéger les salariés et la nécessité de préserver l'activité des entreprises. Je pense, en particulier, à la nouvelle rédaction qu'elle proposera pour l'article 33 A, qui permettra de conserver une définition du licenciement pour motif économique conforme à la jurisprudence et plus conforme à la situation actuelle de notre économie.
Enfin, elle proposera plusieurs amendements de suppression, qui concernent des dispositions dont les auditions ont confirmé qu'elles n'étaient ni nécessairement opportunes ni forcément applicables. Ces amendements de suppression concerneront en particulier l'amendement « Michelin » et le recours à un médiateur.
Telles sont, monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les principales observations que je souhaitais présenter sur ces articles pour lesquels la commission avait, fort pertinemment, demandé la réserve. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About, président de la commission. Au début de votre propos liminaire, vous avez, madame la ministre, reproché à notre assemblée d'avoir retardé l'adoption du présent projet de loi.
Je regrette qu'un tel reproche nous ait été adressé. En effet, le Sénat a été saisi, en deuxième lecture, d'un projet de loi enrichi par l'Assemblée nationale de 56 articles additionnels, portant le nombre d'articles en navette à 158. Le Sénat en a, en outre, été saisi tardivement.
Je rappelle que le mardi 29 mai l'Assemblée nationale renonçait à procéder au vote sur l'ensemble pour s'accorder quinze jours supplémentaires de réflexion et une deuxième délibération. C'était le dispositif « licenciement » qui était en cause : il était passé de 6 articles dans le projet déposé par le Gouvernement le 24 mai 2000 à 24 articles !
C'est donc à juste titre que la commission des affaires sociales du Sénat a demandé la réserve de ce volet « licenciement » introduit dans la précipitation, M. le rapporteur l'a dit, et sans consultation des partenaires sociaux.
Le délai ainsi obtenu a permis à la commission d'auditionner l'ensemble des partenaires sociaux avant d'adopter un rapport supplémentaire à la fin de la session. Ce rapport comporte le contenu intégral de ces auditions, qui est particulièrement riche et instructif.
Cette demande de réserve pleinement justifiée était, de surcroît, sans inconvénient, et vous le savez, madame la ministre. En effet, le délai de réflexion de quinze jours pris par l'Assemblée nationale empêchait l'adoption définitive du texte avant la fin de la session, et même, maintenant, avant la fin de la discussion budgétaire à l'Assemblée nationale.
Donc, je tiens à le dire à nouveau solennellement, aucun retard ne peut être imputé à notre assemblée. Je suis d'autant plus surpris d'un tel reproche que le Gouvernement a attendu hier soir pour déposer vingt-cinq amendements et qu'il en a même déposé un dernier ce matin. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur la petite histoire. La majorité sénatoriale a pris, en juin dernier, la décision d'interrompre et de retarder l'examen de ce projet de loi (Exclamations sur les travées du RPR) pour permettre à la commission des affaires sociales de recevoir les principaux partenaires sociaux concernés.
M. Patrick Lassourd. Cela valait la peine !
M. Gilbert Chabroux. Il faut reconnaître que ces auditions se sont révélées fort intéressantes. (Ah ! sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
Ce qui est encore plus remarquable, c'est que M. Alain Gournac se fasse ici le porte-parole des organisations syndicales. (Applaudissements sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac, rapporteur. Tout à fait, et j'en suis fier !
M. Patrick Lassourd. C'est habituel chez nous !
M. Gilbert Chabroux. Je pense qu'à l'avenir ces auditions pourraient avoir lieu plus tôt, en amont. Mais, là n'est pas le débat !
M. Patrick Lassourd. Si !
M. Gilbert Chabroux. Finalement, la majorité sénatoriale nous offre, même si c'est involontaire, l'opportunité symbolique d'ouvrir notre session sur un texte social de première importance.
M. Nicolas About, président de la commission. Effectivement !
M. Gilbert Chabroux. Certes, le contexte économique et social a évolué depuis trois mois, mais les questions dont nous avons à débattre n'ont rien perdu de leur intensité. Les licenciements, la précarité demeurent au centre des préoccupations de la majorité des salariés en France et en Europe. Les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis et leurs conséquences économiques prévisibles ont encore avivé les inquiétudes.
M. Nicolas About, président de la commission. Le contexte est bouleversé !
M. Gilbert Chabroux. Permettez-moi d'évoquer brièvement la situation actuelle au regard de ce qui nous occupe aujourd'hui.
Depuis cinq ans, le chômage dans notre pays a considérablement diminué, le nombre de demandeurs d'emploi étant passé de plus de 3 000 000 à 2 127 000. C'est un résultat remarquable,...
M. Patrick Lassourd. Obtenu grâce à la croissance !
M. Gilbert Chabroux. ... à mettre à l'actif du Gouvernement. (Exclamations et sourires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
C'est en effet un résultat remarquable : un million de demandeurs d'emploi en moins en cinq ans !
M. Nicolas About, président de la commission. Pourvu que ça dure !
M. Patrick Lassourd. Vous verrez malheureusement l'effet inverse dans les mois à venir !
M. Gilbert Chabroux. Pendant les quatre ans précédents, sous les gouvernements de droite, on a dénombré 250 000 demandeurs d'emploi de plus ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Depuis le début de l'année 2001, les premiers signes d'essoufflement de la croissance outre-Atlantique se font néanmoins sentir, et nous commençons à en éprouver les effets en Europe, avec un léger ralentissement de la croissance et une remontée, certes modeste, du chômage.
M. Paul Blanc. Et que fait le Gouvernement, alors ?
M. Gilbert Chabroux. Si cette remontée est faible, ou plutôt parce qu'elle est faible, nous devons nous en préoccuper et agir sans tarder, afin d'éviter qu'elle ne s'aggrave et ne réduise la portée de nos efforts.
Nous aurons l'occasion de revenir de façon détaillée sur ces points lors de la discussion budgétaire.
Néanmoins, dès à présent, les articles du projet de loi de modernisation sociale restant en discussion nous permettent de mettre l'accent sur au moins un fait préoccupant.
Sur un an, le nombre d'entrées à l'ANPE à la suite d'un licenciement économique est resté stable ; il a même très légèrement diminué de 0,6 %. Sur cinq ans, le nombre de licenciements est passé globalement de 400 000 à 250 000.
En revanche, le nombre d'entrées à la suite d'une fin de CDD, contrat à durée déterminée, ou de mission d'intérim a considérablement augmenté : 26 %. Aujourd'hui, nous dit-on, 40 % à 50 % des inscriptions à l'ANPE résultent de ces fins de contrats et de missions. Il ne s'agit donc plus seulement de jeunes qui entrent progressivement dans la vie active, il s'agit aussi de personnes qui ne connaissent que l'alternance du chômage et des emplois précaires, avec des conditions de travail souvent très dures.
Ce n'est pas un mystère : les entreprises, à commencer par les plus grandes, absorbent les variations saisonnières et celles de la conjoncture en multipliant les CDD et les missions d'intérim.
Elles contournent ainsi la législation sur les licenciements et les plans sociaux, et les indemnités qui les accompagnent.
Il résulte de cette externalisation, renforcée par le développement de la sous-traitance à la chaîne, l'émergence au sein de notre société salariale d'une classe de travailleurs pauvres et précarisés qui constituent la variable d'ajustement la plus exposée de l'économie capitaliste.
Je crois très profondément que l'un des premiers défis de ces prochaines années réside dans la stabilisation des emplois. Il faut entendre par là non pas l'emploi à vie - il ne faut pas rêver - mais le retour à des emplois pérennes garantissant à chaque citoyen une visibilité correcte sur son avenir. N'oublions pas que, si le chômage est la première des insécurités, la précarité signifie aussi, pour ceux qui en sont victimes, un stress permanent, une impossibilité de construire les aspects matériels, voire affectifs et personnels, de leur existence, ce qui n'est pas acceptable durablement pour un être humain.
Les mesures qui nous sont présentées dans ce projet de loi sont intéressantes, mais elles ne visent qu'à lutter contre les abus de la précarité, non à endiguer celle-ci.
Les dispositions que nous examinons aujourd'hui ont été élaborées dans un contexte émotionnel particulier, avec les plans sociaux de Danone et de Marks & Spencer.
Aujourd'hui, les salariés doivent encore faire face à un certain nombre de plans sociaux. Il y a bien sûr le drame de Moulinex-Brandt, qui risque d'entraîner, outre de nombreux licenciements avec des reclassements problématiques, la désertification de plusieurs bassins d'emploi. En tant qu'élus, nous sommes tous préoccupés par ce type de difficultés. Nous voulons croire que les dispositions relatives à la réindustrialisation contenues dans le texte porteront tous leurs fruits.
Permettez-moi aussi d'évoquer un problème qui me tient à coeur : la fermeture brutale de l'usine Majorette de Rillieux-la-Pape dans le Rhône, annoncée hier, avec sans doute la suppression de 330 emplois.
On évoque une délocalisation en Thaïlande non seulement en raison du prix des matières premières, mais aussi et surtout du coût extrêmement bas de la main-d'oeuvre.
M. Alain Gournac, rapporteur. Eh oui !
M. Gilbert Chabroux. Dans le cas de Moulinex, comme dans celui de Majorette, nous nous trouvons à nouveau en face d'un exemple des effets de la mondialisation libérale.
Cela nous interpelle sur la nécessité d'assortir les normes commerciales de normes sociales minimales.
Il serait temps, aussi, de se préoccuper de l'utilisation des fonds publics versés à certaines entreprises sous forme d'exonérations de cotisations sociales patronales ou d'aides diverses.
C'est une question importante : la collectivité nationale doit-elle soutenir financièrement des entreprises qui ferment des usines et licencient en France et en Europe pour faire réaliser leur production par des entreprises sous-traitantes, de préférence dans les pays en développement ?
Pour étonnante qu'elle soit, la très franche déclaration du président d'Alcatel sur les entreprises sans usine doit nous porter à la réflexion. En attendant, ce sont de nouvelles suppressions d'emplois qui viennent d'être annoncées par Alcatel : 3 000 emplois supprimés dans ses filiales spécialisées dans l'optique.
Pour en revenir à ce qui nous occupe ce soir, le texte issu de l'Assemblée nationale comporte des avancées considérables, équilibrées entre les mesures de prévention et les mesures de dissuasion.
Les branches professionnelles devront négocier tous les cinq ans sur les actions de formation destinées à l'adaptation des salariés à leur emploi. La gestion prévisionnelle des emplois dans les PME sera renforcée au moyen d'un dispositif d'appui. Il s'agit là d'une mesure très positive pour des entreprises qui n'en ont pas toujours les moyens. Dans le même temps, le coût des licenciements économiques est nettement renchéri.
Le rôle des comités d'entreprise en cas de projets de restructuration est renforcé. A cet égard, la possibilité qui est ouverte au comité d'entreprise de faire des propositions alternatives au projet présenté par le chef d'entreprise est particulièrement importante, de même que le recours à un expert-comptable et le droit d'opposition lorsque cent salariés au moins sont concernés.
Ces dispositions vont dans un sens qui paraît être, si j'ose dire, celui de l'histoire : plus et mieux les salariés seront informés des conditions de gestion de leur entreprise et plus ils pourront faire, en amont des difficultés, les propositions à même d'y remédier ; plus ils participeront en amont, plus on créera les conditions permettant d'éviter les drames et les contentieux ultérieurs. Contrairement à ce que certains affirment, il faut donc renforcer les moyens d'information, d'expertise et d'intervention des salariés sur leur entreprise.
Je rappelle au passage que l'Europe, avec les comités d'entreprise européens et la directive « Consultation de travailleurs », se situe pleinement dans cette évolution en direction des personnels.
S'agissant de l'intervention d'un médiateur en cas de projet de fermeture d'un site, nous avons entendu, notamment lors des auditions devant la commission, les avis les plus variés. Le recours à un médiateur n'est sans doute pas la solution idéale : mais y en a-t-il encore une à ce stade ? Il est exagéré de dire que l'intervention du médiateur dépossède les partenaires sociaux, dans la mesure où il intervient justement sur un constat de désaccord. Il serait par ailleurs difficile de décider la saisine de l'administration, sauf à rétablir de façon déguisée l'autorisation administrative de licenciement. Nous n'y sommes pas favorables.
J'en arrive à la définition du licenciement économique. La suppression du mot : « notamment » permet un resserrement sur une plus grande exactitude des concepts et des mots.
Parallèlement, il est tenu compte des nécessités de sauvegarde de l'entreprise, conciliant ainsi rigueur et souplesse. Mais l'on ne saurait pour autant confondre la sauvegarde de l'activité, qui est une nécessité, et la sauvegarde de la compétitivité, qui ouvre la porte à toutes les interprétations.
Lorsque le plan social est néanmoins en place, le projet de loi prévoit des mesures de reclassement et de réindustrialisation du site. Ce sont là les mesures les plus importantes pour l'avenir des salariés concernés et pour les régions frappées. Nous y reviendrons plus avant dans la discussion des articles, mais je tiens à dire d'ores et déjà que le maintien du lien contractuel salarié-entreprise pendant le congé de reclassement et l'obligation d'efforts de formation intégrant la validation des acquis constituent des apports importants et innovants.
Au total, ce texte, dans les dispositions qu'il contient, recueille donc notre assentiment et notre soutien.
Je dois pourtant me faire l'écho de la préoccupation, non seulement du groupe socialiste du Sénat, mais surtout des salariés, quant aux licenciements qui ne sont pas concernés par ce projet de loi. En effet, si les salariés des grandes entreprises bénéficieront - et c'est un progrès appréciable - d'une meilleure protection dans notre pays, il n'en est cependant pas de même dans les PME et dans les entreprises artisanales.
Il n'en est pas de même non plus pour tous les salariés qui sont victimes d'un licenciement individuel : ils sont 400 000 par an. Cela signifie que 85 % des licenciements vont continuer à échapper à notre effort législatif. Là aussi, nous sommes en présence d'un vrai défi pour les années à venir, et nous avons à réfléchir à une meilleure protection de ces salariés.
J'évoquerai ici une piste : depuis plusieurs années, nous nous efforçons de développer les groupements d'employeurs, qui permettent à de petites entreprises d'absorber les fluctuations saisonnières et les à-coups dans leur activité. Ne pouvons-nous, comme nous l'avons déjà fait, mieux inciter les employeurs à se diriger vers des solutions de cet ordre ? Je sais bien que ce n'est pas chose facile.
Je reviendrai néanmoins à un propos qui traverse toute mon intervention : le législateur doit fournir aux acteurs économiques, à tous les acteurs économiques, les outils leur permettant de travailler efficacement, et donc de manière gratifiante et sécurisante pour tous.
C'est avec cet espoir et dans cette perspective que nous soutenons les présentes dispositions. Le groupe socialiste vous apporte, madame la ministre, son total soutien dans la rude tâche qui est la vôtre. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis qu'il nous soit enfin possible d'examiner la partie du projet de loi de modernisation sociale portant sur le titre II, qui concerne le travail, l'emploi et la formation professionnelle.
La première partie - le titre Ier - a été examinée en juin dernier. C'est ainsi que le groupe communiste républicain et citoyen a notamment avancé une meilleure définition du harcèlement moral au travail et réaffirmé tant la nécessité d'exécuter le contrat de travail de bonne foi que la responsabilité du chef d'entreprise pour prévenir des actes de harcèlement.
La majorité sénatoriale refuse le volet concernant une sanction pénale spécifique, mais l'Assemblée nationale saura, j'en suis certain, rétablir le texte dans toute sa dimension.
Sur d'autres volets du texte, comme la limitation du recours à l'emploi précaire, nous avons défendu une définition plus stricte de la notion de surcoût d'activité.
Concernant le volet de la formation professionnelle, nous avons défendu le dispositif de validation des acquis de l'expérience, sans tomber dans l'acceptation des certifications « maisons ».
Enfin, concernant les retraités, les personnes âgées ou handicapées, nous nous sommes opposés au retour de la loi Thomas sur les fonds de pension, voulu par la droite, et nous nous sommes félicités de l'amélioration du statut d'accueillants familiaux et de la prise en charge par l'Etat et par l'employeur des accessoires de salaires dus aux travailleurs handicapés en ateliers protégés.
Aujourd'hui, mes collègues et moi-même nous efforcerons, comme nous l'avions fait en première lecture, d'améliorer la législation sur les licenciements économiques pour que ces derniers soient effectivement des mesures de dernier recours et non pas, comme trop de chefs d'entreprise les entendent, de simples variables d'ajustement ou - je cite l'expression employée par Mme Nicole Notat - des « techniques de valorisation boursière ».
Chacun en conviendra, le débat est éminemment politique.
En juin dernier, la majorité sénatoriale s'est employée à faire barrage à l'examen des dispositions nouvelles introduites en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, sur l'initiative des députés communistes.
Deux points essentiels ont cristallisé vos griefs, chers collègues de la majorité sénatoriale : la nouvelle définition légale du licenciement économique et les contre-pouvoirs des salariés et des comités d'entreprise.
Ces dispositions nouvelles, vous les avez considérées tour à tour, et non sans contradictions, comme des cadeaux sans importance concédés au parti communiste ou comme des mesures trop contraignantes, car susceptibles de servir de point d'appui à l'évolution du droit du travail, notamment du droit en matière de licenciement.
Vous vous êtes même exercés à auditionner les syndicats, avec l'arrière-pensée de retarder l'adoption et l'entrée en vigueur rapide de ce texte. (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Chérioux. C'est faux !
M. Nicolas About, président de la commission. C'est là le travail parlementaire !
M. Roland Muzeau. Mais l'évidence est là : vous les avez écoutés, mais vous ne les avez pas entendus, hormis le MEDEF bien évidemment. Vous avez eu tort, parce que c'était très intéressant.
Vous considérez, comme M. Seillière, que ces dispositions sont « funestes » pour les entreprises. Je ne fais là que reprendre le mot de l'Union des industries métallurgiques et minières.
Elles sont donc « funestes » pour les entreprises, mais « utiles, sans être révolutionnaires » pour les salariés, selon M. Marc Blondel, de Force ouvrière, répondant à ma question lors des auditions devant la commission.
M. Nicolas About, président de la commission. Et la CFDT ?
M. Roland Muzeau. Réunis pour leurs universités d'été, les entrepreneurs se sont plaints d'être rendus responsables du retour des plans sociaux. M. Serge Dassault s'est dit « scandalisé » par l'expression « licenciements boursiers ».
Selon une enquête CSA-opinion, les Français, eux, soutiennent toujours dans leur grande majorité - à 87 % ! - l'action des salariés de l'entreprise Moulinex menacée de fermeture.
Lors des différentes manifestations, la résignation face aux destructions d'emplois plongeant salariés et territoires entiers dans le marasme a fait place à la volonté de rejeter ces décisions uniquement motivées par la sacro-sainte règle capitaliste du profit maximum pour l'actionnaire, quel qu'en soit le prix social, fût-il terrible.
Danone peut-il décemment évoquer la sauvegarde de sa compétitivité pour justifier son plan social qui, quels que soient les moyens déployés par le groupe, demeure selon M. Philippe Waquet, conseiller doyen de la Cour de cassation, un « sinistre social » ?
Et pourtant, la commission nous propose aujourd'hui une réécriture de l'article définissant le licenciement économique en ajoutant le droit de licencier pour procéder à des « réorganisations destinées à sauvegarder la compétitivité de l'entreprise concernée ». Décidément, M. Gournac se distingue en refusant d'écouter ce que disent les Français, par la voix de syndicats aussi différents que la CGT, la CFTC, FO et la CGC, et en continuant à défendre la possibilité de procéder à ces licenciements boursiers.
Voilà trois mois, on reprochait au projet de loi de modernisation sociale de répondre dans l'urgence à des situations particulières. Aujourd'hui, ce texte, qualifié hier de « circonstance », est d'une terrible actualité.
L'été a été émaillé de multiples annonces de plans sociaux et de fermetures de sites.
Les grands groupes industriels sont concernés. Selon le journal Les Echos du 13 août dernier, près de soixante sociétés, réalisant chacune plus de 100 millions de francs de chiffre d'affaires chaque année, ont déposé le bilan.
Mais combien de PME-PMI, dont les médias ne parlent pas, sont-elles dans cette situation, avec des salariés dramatiquement privés de droits ?
Dans mon département, les Hauts-de-Seine, près de cinquante entreprises de divers secteurs - CS Télécom, Framatome, Atofina, TDF, Aéro Matra Missile, Brandt, etc. - programmant quelque 4 800 suppressions d'emplois ont été recensées par la CGT des Hauts-de-Seine lors du dernier comité départemental de la formation professionnelle, de la promotion sociale et de l'emploi, le CODEF.
Et comment ne pas parler aujourd'hui de toutes ces entreprises qui ont disparu depuis l'ouverture de nos débats, avant les vacances, de Lacoste Devanlay, de Dim et de tant d'autres encore ?
Depuis les événements douloureux et graves survenus le 11 septembre dernier aux Etats-Unis, les annonces de licenciements ne cessent de se succéder. L'onde de choc des attentats n'a pas fini de se diffuser dans l'économie américaine et mondiale ! Des dizaines de milliers de salariés sont inquiets pour leur emploi.
Dans le journal Le Monde et, plus largement, dans la presse économique, de nombreux observateurs ont d'ores et déjà fait part de leurs propres craintes de voir nombre d'entreprises tirer prétexte du contexte émotionnel actuel pour mettre en oeuvre des plans de licenciements en préparation plusieurs semaines avant les attentats. Ainsi, M. Edward Leamer, économiste à l'Andersen School de l'université de Californie, estimait que « les attaques du mois dernier pourraient bien constituer le catalyseur de plans de restructuration massifs ».
Rien de ce qui constitue des avancées dans le droit du travail ne trouve grâce aux yeux de la commission des affaires sociales, qui propose également de supprimer le recours au médiateur.
M. Alain Gournac, rapporteur. Bien sûr !
M. Roland Muzeau. Rappelons que le groupe communiste républicain et citoyen était pour un droit de véritable opposition ; mais la possiblité de choix paritaire du médiateur n'en constitue pas moins une avancée dans l'obtention de droits nouveaux par les salariés dans les entreprises. Tout en soulignant que ce dispositif « n'a pas de véritable effet contraignant », M. Gournac ajoute qu'il convient tout de même de le supprimer !
Ce que M. Gournac oublie, c'est que la CGT, par exemple, considérait que les articles 32 bis et 32 quater constituaient bien deux avancées nouvelles dans les droits des salariés, même si elle estimait le dernier article sur le médiateur de portée limitée.
M. Alain Gournac, rapporteur. Ah !
M. Roland Muzeau. Ce n'était pas une raison pour le supprimer !
La CGT demandait le recours au juge, lors des auditions, en cas de désaccord sur le choix du médiateur, ce que M. Gournac refuse.
Vos amendements, monsieur le rapporteur, visent aujourd'hui à supprimer toutes les avancées législatives qui, bien évidemment, ne réglaient pas tout, mais donnaient plus de possibilités aux salariés pour s'opposer aux plans sociaux et moins de marge de manoeuvre aux directions d'entreprise pour les décider.
L'organisation de nos débats, qui nous accorde un temps de parole réduit à la portion congrue, finit d'éclairer le fond de la pensée de la droite sénatoriale : mépris des salariés et défense indéfectible des positions du MEDEF.
Notre pays et ses citoyens méritent une tout autre ambition.
C'est en ce sens que le groupe communiste républicain et citoyen fera entendre son opposition résolue à votre volonté, monsieur le rapporteur, d'annuler les avancées du 13 juin dernier. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur celles du groupe socialiste.)
M. Patrick Lassourd. Caricature !
M. le président. La parole est à Mme Bocandé.
Mme Annick Bocandé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rarement un projet de loi aura connu un parcours aussi erratique !
La genèse de ce texte remonte en effet à 1998. Peu à peu, de nouveaux chapitres ont fait leur apparition, contenant notamment des dispositions sur les hôpitaux publics après le mouvement de grève de décembre 1999. Mais je pense surtout à l'amendement Michelin.
Par ailleurs, des dispositions sur le travail de nuit des femmes ou l'égalité professionnelle - partie dont je fus le rapporteur - furent retirées pour être examinées à part.
S'agissant des dispositions relatives aux licenciements, dernière partie que nous examinons aujourd'hui, j'aimerais faire quelques observations.
La question de la définition du licenciement économique est essentielle et il convient de mesurer le danger d'un cadre trop restrictif qui risquerait de pousser les entreprises à déposer leur bilan.
Cela n'a pas échappé au Gouvernement, puisqu'il a longuement hésité à modifier l'article L. 321-1 du code du travail. Toutefois, poussé par ses partenaires de la majorité plurielle, il a dû malheureusement s'y résoudre.
Même le ministre de l'économie et des finances, qui fait bien partie du Gouvernement, madame la ministre, a fait part publiquement de ses réserves au sujet de la nouvelle réglementation sur le licenciement que vous nous proposez et qui a été introduite lors de la deuxième lecture du projet de loi à l'Assemblée nationale.
Il s'est interrogé publiquement sur l'opportunité d'une nouvelle réglementation inadaptée aux évolutions d'une économie moderne.
Il craint, en effet, comme nous, que la mise en oeuvre de cette loi ne conduise à accélérer les suppressions d'emplois et n'ait un effet dissuasif sur l'investissement et le recrutement.
Il redoute aussi, comme nous, que le dispositif n'ouvre une période d'incertitude sur l'interprétation juridique des textes.
Au sein du Gouvernement, madame la ministre, il n'y a pas unanimité sur ce que vous voulez nous faire adopter aujourd'hui. Nos concitoyens s'en inquiètent.
Les modifications en cours du droit du licenciement répondent donc à des motivations principalement politiques ; elles semblent malheureusement faire abstraction de la vie des entreprises.
Le droit du licenciement, complexe et plutôt rigide, a bénéficié de l'évolution de la jurisprudence.
Dans la période récente, grâce à la croissance économique, le nombre de licenciements économiques a baissé, comme le nombre de plans sociaux d'ailleurs. Malheureusement, depuis cet été, ce nombre est à nouveau en hausse.
Certes, il ne saurait être acceptable que nombre de licenciements ne soient motivés que par les seuls intérêts financiers.
Cependant, le retournement de la conjoncture auquel nous assistons aujourd'hui pourrait placer bien des entreprises en situation délicate. Alors que celles-ci sont amenées à se restructurer, les mesures que le Gouvernement propose pourraient constituer un frein préjudiciable à la pérennité même de certaines d'entre elles, ainsi qu'une source d'instabilité juridique. C'est le cas, en particulier, de la définition du licenciement pour motif économique.
Nous assistons, une fois de plus, à une nouvelle « exception française » qui tend à vouloir encadrer de façon rigide le droit du licenciement au moment même où les autres pays européens prennent en compte le ralentissement économique. Certains envisagent ainsi d'assouplir le droit du licenciement, c'est, notamment, le cas de l'Allemagne.
Les auditions organisées par la commission des affaires sociales, en juin dernier, ont bien confirmé qu'à aucun moment les partenaires sociaux n'avaient été consultés sur ces nouvelles dispositions. C'est tout de même surprenant !
Elles ont été l'occasion de mettre en évidence la contradiction qu'il y avait pour le Gouvernement à évoquer le renforcement de la démocratie sociale, alors même que, dans les faits, il n'hésitait pas à se substituer aux partenaires sociaux.
Sur le fond, ces derniers ont réservé un accueil mitigé à cette réforme du droit du licenciement que vous nous proposez aujourd'hui.
Je ne vais pas revenir sur les positions des différents partenaires sociaux puisque M. le rapporteur vient de le faire excellement, mais il est flagrant qu'une très forte majorité d'entre eux, comme les spécialistes du droit du travail qui ont été consultés, ont regretté la modification de la définition du licenciement pour motif économique.
Notre droit du licenciement est le fruit d'une lente sédimentation d'accords collectifs, de lois et de jurisprudence. Il est donc nécessaire, à nos yeux, de préserver le relatif équilibre atteint aujourd'hui, en particulier dans la définition du licenciement économique.
Comme l'a très bien souligné M. le rapporteur, votre projet de loi, madame la ministre, privilégie non pas la recherche de l'accord mais plutôt une vision conflictuelle des rapports sociaux, et ce en contradiction avec les pratiques de l'ensemble de nos voisins européens.
C'est la raison pour laquelle mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même soutiendrons les amendements proposés par la commission des affaires sociales.
En effet, ils tendent à mieux concilier la nécessité de protéger les salariés et celle de préserver l'activité des entreprises, comme l'a rappelé M. le rapporteur.
C'est ainsi que l'on édifiera le meilleur cadre pour garantir le dynamisme de la vie économique. Dans le contexte de dégradation de la conjoncture que nous connaissons désormais, ce sera plus que jamais nécessaire. Il en va de même pour la préservation du dialogue social. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais vous répondre brièvement. Dans la mesure où la discussion générale a déjà eu lieu, il ne me semble pas utile de revenir sur l'ensemble des dispositions du texte. Je tiens néanmoins à formuler quelques remarques.
Tout d'abord, je souhaite souligner que ce projet de loi, comme tous ceux qui sont présentés au Parlement, émane de l'ensemble du Gouvernement ; il ne peut en être autrement.
Par ailleurs, il est évident que les partenaires sociaux ont été consultés, au stade tant de l'avant-projet que de la première lecture, mais aussi entre les deux lectures.
M. Jean Chérioux. Au téléphone !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ils l'ont même été - informellement, je veux bien le reconnaître - pendant les quinze jours au cours desquels l'Assemblée nationale a demandé le report du texte.
Mais vous admettrez, je pense, qu'il y a toujours des amendements sur lesquels les partenaires sociaux ne sont pas consultés. Cela arrive chaque fois, qu'il s'agisse d'amendements d'origine gouvernementale ou d'amendements d'origine parlementaire.
A propos des citations qu'a faites M. Gournac tout à l'heure, je formulerai deux remarques.
D'abord, ces citations sont extrêmement sélectives : une plus grande place est donnée à l'opinion du MEDEF et de la CGPME - Confédération générale des petites et moyennes entreprises - qu'à celle des organisations syndicales, mais sans doute vous était-il difficile de faire autrement, monsieur le rapporteur !
J'ajouterai ensuite que, si vous aviez consulté les organisations syndicales sur les amendements de suppression que vous proposez, et pas seulement sur le texte du Gouvernement, vous auriez certainement entendu un autre son de cloches.
Vous avez évoqué la situation, en effet préoccupante, dans laquelle nous sommes, en émettant quelques remarques et jugements, monsieur le rapporteur. Nous connaissons en effet un ralentissement depuis le début de l'année dû aux difficultés économiques éprouvées par les Etats-Unis d'Amérique, et ce avant même les événements du 11 septembre.
Certes, la croissance fut moins élevée au cours des années 1993-1997, lorsque les gouvernements que vous souteniez étaient aux responsabilités ; mais il faut dire que les gouvernements d'alors ont aggravé la situation. (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Didier Boulaud. Et comment !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Alors que la croissance cumulée entre 1993 et 1996 était de 6,6 % en Europe, elle n'a été que de 4 % en France.
M. Patrick Lassourd. Qu'avez-vous fait pendant la période de croissance ?
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. S'agissant du chômage, c'est la même chose : alors qu'il est resté stable en Europe pendant cette période, les gouvernements que vous souteniez ont aggravé la situation, avec 177 000 chômeurs de plus.
A contrario, pendant la période 1997-2001, pendant laquelle, je le répète, la croissance a été plus forte à l'échelon européen - convenez toutefois que nous avons trouvé en 1997 une situation qui n'était pas facile, ce qui fut d'ailleurs la cause de la dissolution et celle de notre arrivée au pouvoir contre toute attente, en tout cas contre les prévisions faites par le Président de la République et la majorité de l'époque - pendant cette période, donc, à partir d'une croissance plus favorable, nous avons encore amélioré les choses : la France a connu une croissance plus élevée que les autre pays européens. (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Patrick Lassourd. Les dépenses n'étaient pas financées !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Quant au chômage, il a plus diminué chez nous que dans les autres pays.
M. Jean Chérioux. Il était plus haut !
M. Patrick Lassourd. C'est dû à la croissance !
M. Paul Blanc. Il y a des bombes à retardement !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. A cet égard, permettez-moi de vous citer des chiffres révélateurs. En 2000, l'Union européenne a enregistré une forte diminution du chômage, puisque 1 210 000 personnes ont retrouvé du travail dans l'ensemble des quinze pays qui la composent, dont 444 000 en France,...
M. Didier Boulaud. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... soit près de 40 % pour notre seul pays, alors qu'en 1996 on a compté 290 000 chômeurs supplémentaires en Europe, dont 126 000 en France, soit également près de 40 %. Voilà qui démontre que, dans une situation donnée, on peut faire mieux ou moins bien. Vous avez fait moins bien, nous avons fait mieux. (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Gournac, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Gournac, rapporteur.
M. Alain Gournac, rapporteur. Avant de répondre à Mme le ministre, je veux dire à M. Chabroux combien ses propos concernant l'intérim m'ont surpris. Je le dis haut et fort, l'intérim constitue souvent une voie d'accès à la vie active. Si M. Chabroux avait entendu ce qu'a expliqué à ce sujet M. Fitoussi, il pourrait constater que mon analyse va exactement dans le même sens. Or, dans l'intérim, on constate actuellement une baisse de 23 % - près d'un quart ! - des contrats.
Par ailleurs, je tiens à préciser à mon collègue du groupe communiste républicain et citoyen que, pour ma part, je n'ai jamais employé le mot « funeste ».
Quoi qu'il en soit, madame le ministre, nous venons d'en avoir la confirmation : la croissance n'a eu aucun effet ; tout tient à la politique du Gouvernement ! (M. Chérioux s'esclaffe.)
J'attends donc du Gouvernement qu'il nous dise clairement quelle est sa responsabilité dans la situation actuelle, puisque c'est à sa « bonne politique » que nous devions la situation précédente !
Moi, je dis merci au gouvernement qui était là avant... (Rires et exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. Gilbert Chabroux. Avant la dissolution !
M. Roland Muzeau. Juppé, c'était un million de grévistes !
M. Didier Boulaud. Et il s'est sauvé en courant !
M. Alain Gournac, rapporteur. En tout cas, c'est bien le gouvernement de M. Juppé qui a permis de ramener la croissance !
Madame le ministre, je ne suis pas un menteur : je confirme solennellement devant le Sénat que les partenaires sociaux n'ont pas été consultés sur toutes les modifications, et je suis prêt à faire revenir tous les représentants des syndicats qui ont été auditionnés par notre commission.
Madame le ministre, vous ne pouvez pas dire qu'ils ont été consultés, fût-ce de façon informelle, parce que ce n'est pas vrai !
M. Jean Chérioux. Au téléphone, peut-être ! (Sourires.)
M. Alain Gournac, rapporteur. Alors le téléphone de M. Blondel devait être coupé ! (Nouveaux sourires.)
Enfin, madame le ministre, si j'évoque l'inquiétude du ministre des finances, c'est parce que j'ai lu ce qu'il a dit et qui a été rapporté par la presse. Je n'ai rien inventé !
Alors, on peut, comme vous, adopter la méthode Coué et affirmer que tout est merveilleux, mais je préfère m'en tenir à la réalité : non, les partenaires sociaux n'ont pas été consultés, et ils ont été très heureux que la commission des affaires sociales prenne l'initiative de les écouter. Ce fut d'ailleurs tout à fait intéressant. Au reste, mon rapport supplémentaire reprend la totalité des propos des partenaires sociaux, ainsi que ceux des experts que nous avons reçus.
Monsieur le président, mes chers collègues, je tenais, avant que nous n'abordions les articles qui restent en discussion, à remettre les choses à leur place, car je ne veux pas passer pour un menteur.
M. Jean Arthuis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Je voudrais activer la mémoire de Mme le ministre, car je ne puis la laisser énoncer des données macro-économiques accréditant l'idée selon laquelle la période 1992-1993 aurait été particulièrement faste.
On se souvient que le début des années quatre-vingt-dix était l'époque de la « réhabilitation de la dépense publique ». C'est à ce moment-là que le gouvernement de Michel Rocard avait participé à la signature du traité de Maastricht stipulant que le passage à la monnaie unique était conditionné par la maîtrise des déficits publics, ceux-ci ne devant pas dépasser 3 % du produit intérieur brut.
Permettez-moi de rappeler la séquence des événements qui se sont déroulés durant le deuxième semestre de 1992. Le Gouvernement de l'époque avait fait voter une loi de finances initiale avec un déficit prévisionnel de 91 milliards de francs. En loi de finances rectificative, à l'automne 1992, il nous a laissé entendre que ce pourrait être 184 milliards de francs.
M. Georges Gruillot. Le double !
M. Jean Arthuis. Et la loi de règlement s'est soldée avec un déficit de 226 milliards de francs.
M. Georges Gruillot. Un record !
M. Jean Arthuis. L'année 1993 a été marquée par une récession économique et les déficits publics se sont élevés, cette année-là, à 350 ou 360 milliards de francs, soit 6 % du produit intérieur brut, alors même qu'on s'était engagé à ne pas dépasser 3 %.
Alors, madame le ministre, un peu d'humilité serait séante en la circonstance. Vous irez expliquer demain aux salariés de Moulinex, à ceux des sous-traitants de Moulinex, aux salariés de la téléphonie mobile et des sous-traitants de la téléphonie mobile que les 35 heures sont une contribution à l'emploi... (Applaudissements sur les travées du groupe de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

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