SEANCE DU 7 NOVEMBRE 2001


M. le président. « Art. 1er. - Les articles L. 4424-1 et L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales sont ainsi rédigés :
« Art. L. 4424-1 . - L'Assemblée règle par ses délibérations les affaires de la Corse. Elle contrôle le conseil exécutif.
« L'Assemblée vote le budget, arrête le compte administratif, adopte le plan d'aménagement et de développement durable de Corse.
« Art. L. 4424-2 . - I. - De sa propre initiative ou à la demande du conseil exécutif, ou à celle du Premier ministre, l'Assemblée de Corse peut présenter des propositions tendant à modifier ou à adapter des dispositions réglementaires en vigueur ou en cours d'élaboration concernant les compétences, l'organisation et le fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales de Corse, ainsi que toutes dispositions réglementaires concernant le développement économique, social et culturel de la Corse.
« Les propositions adoptées par l'Assemblée de Corse en application de l'alinéa précédent sont adressées au président du conseil exécutif qui les transmet au Premier ministre et au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse.
« II. - Le pouvoir réglementaire de la collectivité territoriale de Corse s'exerce dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues par la loi.
« Sans préjudice des dispositions qui précèdent, dans le respect de l'article 21 de la Constitution, et pour la mise en oeuvre des compétences qui lui sont dévolues en vertu de la partie législative du présent code, la collectivité territoriale de Corse peut demander à être habilitée par le législateur à fixer des règles adaptées aux spécificités de l'île, sauf lorsqu'est en cause l'exercice d'une liberté individuelle ou d'un droit fondamental.
« La demande prévue à l'alinéa précédent est faite par délibération motivée de l'Assemblée de Corse, prise à l'initiative du conseil exécutif ou de l'Assemblée de Corse après rapport de ce conseil. Elle est transmise par le président du conseil exécutif au Premier ministre et au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse.
« III. - De sa propre initiative ou à la demande du conseil exécutif, ou à celle du Premier ministre, l'Assemblée de Corse peut présenter des propositions tendant à modifier ou à adapter des dispositions législatives en vigueur ou en cours d'élaboration concernant les compétences, l'organisation et le fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales de Corse, ainsi que toutes dispositions législatives concernant le développement économique, social et culturel de la Corse.
« Les propositions adoptées par l'Assemblée de Corse en application de l'alinéa précédent sont adressées au président du conseil exécutif qui les transmet au Premier ministre et au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse.
« IV. - Lorsque l'Assemblée de Corse estime que les dispositions législatives en vigueur ou en cours d'élaboration présentent, pour l'exercice des compétences de la collectivité territoriale, des difficultés d'application liées aux spécificités de l'île, elle peut demander au Gouvernement que le législateur lui ouvre la possibilité de procéder à des expérimentations comportant le cas échéant des dérogations aux règles en vigueur, en vue de l'adoption ultérieure par le Parlement de dispositions législatives appropriées.
« La demande prévue à l'alinéa précédent est faite par délibération motivée de l'Assemblée de Corse, prise à l'initiative du conseil exécutif ou de l'Assemblée de Corse après rapport de ce conseil. Elle est transmise par le président du conseil exécutif au Premier ministre et au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse.
« La loi fixe la nature et la portée de ces expérimentations, ainsi que les cas, conditions et délai dans lesquels la collectivité territoriale pourra faire application de ces dispositions. Elle fixe également les conditions et les procédures d'évaluation de cette expérimentation, ainsi que les modalités d'information du Parlement sur leur mise en oeuvre.
« Les mesures prises à titre expérimental par la collectivité territoriale de Corse cessent de produire leur effet au terme du délai fixé si le Parlement, au vu du rapport d'évaluation qui lui est fourni, n'a pas procédé à leur adoption.
« V. - L'Assemblée de Corse est consultée sur les projets et les propositions de loi ou de décret comportant des dispositions spécifiques à la Corse.
« Elle dispose d'un délai d'un mois pour rendre son avis. Ce délai est réduit à quinze jours en cas d'urgence, sur demande du représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse. Le délai expiré, l'avis est réputé avoir été donné.
« Les avis adoptés par l'Assemblée de Corse en application du présent V sont adressés au président du conseil exécutif qui les transmet au Premier ministre et au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse. Les avis relatifs aux propositions de loi sont transmis par le Premier ministre aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.
« VI. - Par accord entre le président de l'Assemblée de Corse et le représentant de l'Etat, celui-ci est entendu par l'Assemblée sur les suites que le Gouvernement entend réserver aux propositions, demandes et avis mentionnés aux I à IV.
« Cette communication peut donner lieu à un débat sans vote.
« VII. - Les propositions, demandes et avis adoptés par l'Assemblée de Corse en application des I à IV sont publiés au Journal officiel de la République française.
Sur l'article, la parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce moment de la discussion des articles du projet de loi dont nous débattons, je ne parlerai pas de la Corse ; je parlerai de la République, car je considère que cet article 1er la défait, qu'il ouvre la boîte de Pandore de son indivisibilité. Mes chers collègues, ne votons pas cet article 1er tel qu'il est proposé par le Gouvernement ; nous déferions la France. En tout cas, pour ma part, je ne le voterai pas.
Je parlerai encore de la République, parce que la Corse c'est la République, toute la République, rien que la République. Il n'est pas question de dénier la spécificité corse, mais cette insularité ne peut en aucun cas désolidariser l'île de Beauté du continent.
Les Corses votent. Ce faisant, les Corses manifestent leur attachement à la France. Les Corses sont la France, commes les Basques, comme les Foréziens, commes les Bretons, comme nous tous.
En fait, monsieur le ministre, que nous propose le Gouvernement ? De faire de la Corse une République allégée, un territoire qui choisirait les normes qui lui sont applicables, qui écarterait les lois et les décrets qui lui sembleraient trop contraignants... Monsieur le ministre, il ne saurait y avoir de République à deux vitesses !
Je ne suis pas constitutionnaliste et je n'empiéterai donc pas sur le champ de compétence de nos excellents collègues, de gauche comme de droite, qu'il s'agisse du doyen Gélard ou du président Badinter. Mais je ne peux pas évoquer cet article 1er sans faire référence à quelques dispositions de notre bloc de constitutionnalité.
L'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »
L'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose : « La loi est l'expression de la volonté générale ».
M. Michel Charasse. Très bien !
M. Bernard Fournier. La volonté générale, c'est la volonté des Français ; une fois encore, ce n'est pas la seule volonté des Picards, des Limousins ou des Provençaux !
En conférant à l'Assemblée de Corse, au terme de circonvolutions politico-juridiques et de petits arrangements, avouables ou non, un pouvoir d'adaptation des normes nationales, le Gouvernement joue aux apprentis sorciers.
Considérer que l'Assemblée de Corse peut déroger, que ce soit de son fait ou aux termes d'une demande d'habilitation, à la loi ou au règlement est plus qu'un non-sens juridique, c'est une faute politique.
Cet article 1er est le coeur de « feu » le processus de Matignon. Mais de quel processus parlons-nous ? De celui qui vous conduit à céder aux pressions de prisonniers qui entendent pouvoir s'évader comme bon leur semble de Borgo ? Tous, sauf le Gouvernement, nous nous accordons à considérer qu'il n'y a plus de processus ; il n'en reste que des ruines encore fumantes sous les plasticages et les balles
Depuis le 1er janvier dernier, comme le président de Rohan l'a rappelé, cent dix attentats, vingt et un assassinats et dix-sept tentatives d'assassinats se sont produits sur l'île de Beauté. Sont-ce là les conditions préalables de la mise en place d'un nouveau statut ? Avec qui a-t-on négocié ?
Nous sommes quelques-uns, dans cet hémicycle et à l'Assemblée nationale, une fois encore, sur toutes les travées, à refuser la capitulation. S'il s'agit de revoir la décentralisation, d'aller plus loin, de garantir l'égalité entre toutes les collectivités, alors banco ! Refondons un nouveau contrat entre la République et les régions, les départements, les communes. S'il s'agit, en outre, de dépecer la France avec des tenailles, Bruxelles d'un côté, le maquis corse de l'autre, il ne faudra pas compter sur les élus républicains de tous bords.
La loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Elle est la même de Saint-Etienne à Marseille et de Paris à Ajaccio. Dès lors, « oui » à une spécificité corse à un statut pour la Corse, mais « non » à une Corse déliée de son lien avec la République.
Le Conseil constitutionnel, dans sa grande sagesse, avait écarté la notion de peuple corse. Le Conseil d'Etat vous a alerté sur les difficultés juridiques que sous-entend votre projet de loi. Le Palais-Royal n'est pas si grand, il écartera le pouvoir d'adaptation, parce que la Corse n'est ni un territoire d'outre-mer ni la Nouvelle-Calédonie ; elle ne peut bénéficier des mêmes facultés d'adaptation, car la Corse c'est la France, que cela plaise ou non à quelques extrémistes qui n'emportent pas l'adhésion de l'immense majorité de ceux de nos concitoyens qui vivent sur l'île. La Corse ne peut pas non plus bénéficier de délégations législatives, parce que la République n'est pas une auberge espagnole ; c'est un cadre constitutionnel rigoureux, qu'il appartient au législateur ordinaire d'appliquer et au législateur constitutionnel d'adapter.
Aujourd'hui, le Gouvernement souhaite que le législateur ordinaire contourne la Constitution : nous ne le ferons pas, par respect de l'Etat de droit ; nous ne le ferons pas, par refus des diktats du terrorisme ; nous ne le ferons pas, parce que nous aimons la République ! (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M le président. La parole est à M. Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme beaucoup dans cet hémicycle, je suis attaché à la Corse. Je lui reconnais des spécificités qu'elle tient de son caractère insulaire et qui nécessitent des adaptations structurelles et un soutien économique.
Monsieur le ministre, vous avez raison sur un point, qui est à l'origine de ce texte : les grandes îles de la Méditerranée ont des régimes particuliers. Ainsi en va-t-il des Baléares pour l'Espagne, de la Sardaigne ou de la Sicile pour l'Italie. Mais la comparaison s'arrête là.
Pour la Catalogne, le Pays basque, la Galice, l'Andalousie, et pas seulement pour les Baléares, l'Espagne a accepté des régimes particuliers avec des gouvernements autonomes ; historiquement, les Baléares correspondent à l'ancien royaume de Majorque. L'Italie a fait de même avec une régionalisation très poussée, qui permet aussi au Piémont ou à la Lombardie de bénéficier de pouvoirs locaux sans commune mesure avec ceux de l'Ile-de-France. Qui plus est, il existait au XIXe siècle un royaume de Piémont-Sardaigne et un royaume des Deux-Siciles, le tout n'étant unifié qu'entre 1861 et 1870.
L'histoire de nos pays n'est donc pas la même et les statuts existants en Méditerranée ne sont pas transférables à la République française. Plutôt que d'envisager un partage de sa souveraineté, le Gouvernement, dans sa réflexion, aurait été bien inspiré de s'orienter vers une nouvelle étape de la décentralisation, donnant à toutes les régions françaises plus de pouvoirs et assortie d'un vrai transfert de compétences et de ressources. Car c'est bien là, monsieur le ministre, la double erreur originelle du Gouvernement.
La première erreur réside dans le choix que vous avez fait des interlocuteurs privilégiés, minoritaires et peu représentatifs ; ils expriment, certes, leurs positions lors de réunions de travail, mais ils le font aussi, et peut-être d'abord, sous forme de menaces et de chantages. M. Talamoni n'est pas roi de Majorque !
La seconde erreur est celle-ci. En évoquant hier, monsieur le ministre, une nouvelle étape de la décentralisation, vous avez reproché à la majorité sénatoriale de ne pas savoir ce qu'elle voulait : d'un côté, elle souhaiterait la décentralisation - il paraît que nous sommes des décentralisateurs très récents - et, de l'autre, elle s'opposait au texte sur la Corse. Mais la vérité est très simple, monsieur le ministre : le texte de décentralisation que nous attendons devra concerner toutes les régions françaises. Lorsque vous aurez enfin décidé, au lieu de la recentralisation rampante que nous connaissons, d'atteindre un vrai niveau de décentralisation, alors ce grand texte décentralisateur pourra alors comporter un, deux ou trois articles spécifiques à la Corse portant mise en place un statut particulier. Mais ce statut particulier devra s'intégrer dans une loi-cadre générale pour l'ensemble des régions françaises, dans la reconnaissance de la République française.
Bien entendu, aujourd'hui, l'unité nationale est solide. Elle peut s'accommoder de plus de souplesse, d'ouverture, de complémentarité, de droits à l'expérience, éventuellement variables selon les régions. Définir de nouvelles libertés régionales n'est pas une atteinte à l'unité nationale. Mais cette unité est difficilement compatible avec l'obtention d'un pouvoir quasi législatif, qui plus est dans un climat de violence et de contrainte.
Il apparaît très difficile d'accepter que l'on contourne nos principes fondamentaux pour substituer une identité régionale, je n'ose dire - on l'a dit hier soir - de type quasiment ethnique, à notre identité nationale.
Cette identité nationale, la gauche, la droite, l'ont forgée en acceptant qu'elle soit d'abord une identité républicaine, en dehors de toutes les origines.
Aujourd'hui, mon collègue le rappelait à l'instant, la violence en Corse est à son paroxysme : cent dix attentats, vingt-huit assassinats et dix-sept tentatives sur les neuf premiers mois de l'année 2001. Cela représente tout de même un attentat tous les deux jours et demi ! Hier soir, vous disiez, monsieur le ministre, que l'on ne peut pas demander à la Corse d'être plus « sage » que l'ensemble du territoire. Reconnaissez quand même que, même si nous sommes les premiers à dénoncer l'explosion de la délinquance sur l'ensemble des régions françaises, nous n'en sommes pas encore, fort heureusement, à y déplorer un attentat tous les deux jours et demi !
Monsieur le ministre, le Gouvernement a sans doute péché par orgueil en croyant réussir, en acceptant de poursuivre les discussions alors que la violence perdure. Vous n'êtes pas le seul responsable ! D'autres avant vous n'ont pas su trouver de solution. Mais, aujourd'hui, la poursuite de la violence doit vous inciter à reconnaître votre erreur initiale d'appréciation.
Pour sortir de l'impasse, vous nous proposez aujourd'hui un texte lourd de possibles dérives. Monsieur le ministre, vous avez rappelé, à plusieurs reprises - à Paris, dans le Val-de-Marne et ailleurs - votre conception et votre souci de l'autorité de l'Etat. Cette autorité doit naturellement s'appliquer partout, de crainte qu'elle ne soit contestée partout.
Nous souhaitons tous ici, sur l'ensemble des travées, un retour au calme et à la paix civile en Corse, mais nous ne pouvons accepter de cautionner une politique où l'essentiel est de parvenir à un résultat, quoi qu'il en coûte. Pour cette raison, vous l'aurez compris, nous ne pouvons accepter la rédaction de l'article 1er tel qu'il a été transmis au Sénat et nous voterons les amendements déposés par la commission spéciale. Ces amendements vont dans le bon sens et, très franchement, la gauche comme la droite pourraient les accepter si l'on souhaite assurer à la Corse un sort républicain. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup a déjà été dit sur la question de la délégation du pouvoir réglementaire et législatif, question qui a mobilisé les énergies et, selon nous, fait dévier le débat de l'objectif essentiel : le développement économique de la Corse, la possibilité pour les habitants de Corse de vivre et de travailler au pays dans un climat apaisé.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, les parlementaires communistes et le parti communiste ont exprimé, dès le départ, leur soutien au processus de Matignon. Pourquoi ce soutien ? Parce que, pour la première fois, le dialogue, la volonté de réellement rassembler les Corses autour d'un projet pour l'île a guidé l'action d'un gouvernement. Malheureusement, au fil des mois, le débat a dérivé sur le terrain de la place de la Corse dans la République. Comment ne pas voir là le résultat de la pression permanente des nationalistes dans un contexte où la violence a continué ?
Ainsi, le débat sur l'article 1er est aujourd'hui un débat piégé. Etre pour la décentralisation signifierait forcément transférer les pouvoirs législatifs et réglementaires à la collectivité territoriale concernée.
Les sénateurs communistes réfutent l'idée d'un républicanisme fermé à toute évolution, exposé de ce fait au risque de sclérose, mais ils réfutent tout autant l'idée d'une décentralisation fondée sur le seul transfert de pouvoir d'une institution à une autre, sans la véritable révolution démocratique que devrait constituer, selon nous, le principe de la décentralisation des pouvoirs.
Je l'ai déjà dit hier, décentraliser le pouvoir ne peut être une fin en soi. L'objet de la décentralisation affirmé en 1982 doit être de rapprocher les citoyens du pouvoir. Ce rapprochement ne doit pas être uniquement géographique, sinon il serait vain. Il doit porter sur les moyens de contrôle et d'intervention permanents du citoyen dans les choix effectués par les détenteurs du pouvoir politique et économique.
A ce titre, je rappelle l'urgence d'une consultation des habitants de Corse sur le processus actuel. Vous nous répondez, monsieur le ministre, que c'est contraire à la Constitution. Alors, pourquoi ne pas mettre à l'ordre du jour du Parlement notre proposition de loi visant à développer la démocratie participative et permettre l'organisation d'une consultation populaire en Corse sur le processus en cours ?
Toute autre conception de la décentralisation demeurera bureaucratique et technocratique, créant finalement l'incertitude sur le lieu où se prennent les décisions.
La majorité sénatoriale a effectué, il faut le reconnaître, un travail dense et d'une grande érudition sur le plan du droit constitutionnel. Mais, en matière politique, les choses ne sont pas si claires. Que veut la droite au sujet de la Corse et sur le plan de la décentralisation ?
La majorité sénatoriale se targue de la cohérence et de la vertu constitutionnelles.
De quelle cohérence peut-on parler alors que la droite en Corse soutient le projet de loi et pousse à une autonomie sans fin et sans fond, à l'image de M. Rossi, président de l'exécutif ? De quelle cohérence peut-on parler, alors que des leaders de la droite comme MM. Balladur et Méhaignerie ont voté le projet de loi et que de fortes personnalités comme M. Giscard d'Estaing se sont abstenues ?
De quelle cohérence enfin, et surtout, peut-on parler alors que le MEDEF en Corse pousse au libéralisme le plus exacerbé, qui s'arrangerait bien d'un affranchissement de la tutelle de l'Etat et des règles républicaines ?
Je tiens à faire cette mise au point, d'autant que certains des amendements que nous avons présentés à l'article 1er sont similaires à ceux de la commission spéciale.
En quoi, l'attitude de la majorité sénatoriale est-elle différente de la nôtre ?
Sur l'idée d'une déstructuration de la République, d'une remise en cause massive des services publics, vous êtes pour, nous sommes contre.
Vous approuvez, par exemple, la démarche de M. Méhaignerie, qui a fait adopter à l'Assemblée nationale, en échange de son vote positif sur la Corse, il faut le dire, un projet de loi permettant la transmission expérimentale de pouvoirs importants aux régions. Nous sommes en désaccord avec cette démarche qui s'inscrit dans le schéma fédéraliste de l'Europe des régions, cassant ainsi le principe d'unicité de la République et d'égalité sur le territoire et qui, par ailleurs, n'apporte rien sur le plan des pouvoirs démocratiques nouveaux apportés au peuple.
Sans faire de procès d'intention, je constate une certaine hypocrisie dans cette volonté d'apparaître aujourd'hui garant de la République, alors que, par ailleurs, à tout instant, la droite s'attelle à détruire une certaine idée du droit collectif, de la collectivité publique.
M. Philippe François. Staline est mort !
M. Robert Bret. C'est ainsi que vous critiquez les transferts de pouvoir à l'égard de la Corse, alors que vous faites silence ou presque sur la désagrégation future des services de l'Etat, souvent garants de l'unicité de la République sur l'île, comme je l'ai rappelé hier soir.
Cette ambiguïté est confirmée par le renforcement des mesures fiscales libérales que vous appelez de vos voeux, contradictoire avec l'idée de solidarité républicaine. Car, rappelons-le, l'idée du libéralisme est fondamentalement opposée à celle de la République.
Je souhaitais apporter ces précisions avant d'aborder l'article 1er, que nous n'approuvons pas.
Le Parlement, et lui seul, doit détenir la possibilité de faire la loi, qui doit demeurer unique sur le territoire français. C'est seulement dans ce cadre que nous pouvons envisager de donner aux collectivités territoriales une part d'initiative législative, en Corse comme sur l'ensemble de la métropole, dans le cadre d'une refondation de nos institutions, avec les moyens d'une démocratie citoyenne élargie. Je reviendrai sur ces dispositions à l'occasion de la présentation de nos amendements.
M. Philippe Richert. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le ministre, dans les accords de Matignon, le Gouvernement s'est trompé de procédure et il a fait des promesses qu'il ne pouvait pas tenir. Ces promesses auraient peut-être pu être tenues si, au lieu d'utiliser la procédure relative à la loi ordinaire, le Gouvernement avait eu recours à la procédure concernant la loi constitutionnelle. A ce moment-là, l'inconstitutionnalité, sur laquelle je vais m'attarder quelque peu, aurait été levée.
Je suis tout à fait d'accord avec les arguments développés hier par notre collègue Jean-Yves Autexier : dans le texte qu'elle a adopté, l'Assemblée nationale s'est trompée sur la définition du pouvoir réglementaire et sur la possibilité de délégation du pouvoir législatif. En se trompant - volontairement ou non ; j'espère involontairement - peut-être espérait-elle que, du même coup, si le processus engagé capotait à un moment ou à un autre, la responsabilité en incomberait non pas au Gouvernement ou à l'Assemblée nationale, mais aux sénateurs qui s'y seraient opposés et au Conseil constitutionnel qui aurait ensuite censuré le texte. En d'autres termes, le goudron et les plumes pour ces méchants du Sénat et ces méchants du Conseil constitutionnel qui auront fait capoter le processus !
Non, monsieur le ministre, ce n'est pas la vérité ! Le fait est que vous nous avez engagés dans une voie qui ne peut en aucun cas être conforme à la Constitution. L'erreur, c'est vous qui l'avez commise, et non pas le Sénat, qui s'efforce de respecter l'Etat de droit. Dès lors que l'on ne respecte pas la Constitution, il n'y a plus ni Etat de droit ni démocratie. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
En ce qui concerne le pouvoir réglementaire dont il est question dans l'alinéa II de l'article 1er, quelle confusion ! Le Conseil constitutionnel n'a jamais reconnu un pouvoir réglementaire aux collectivités locales !
Aux termes de l'article 21 de la Constitution, le pouvoir réglementaire n'appartient qu'au Premier ministre, en accord avec le Président de la République, conformément aux dispositions de l'article 13, et il ne peut être délégué qu'aux seuls ministres et dans des cas tout à fait particuliers.
Il ne peut donc pas y avoir de délégation du pouvoir réglementaire. En réalité, ce qui a été évoqué hier, dans cet hémicycle, c'est non pas le pouvoir réglementaire, mais le pouvoir normatif des collectivités locales tel qu'il découle des délégations de compétences ou des attributions qui sont accordées à ces collectivités par la loi ou par les règlements.
Par conséquent, vous ne pouvez pas utiliser l'expression « pouvoir réglementaire » dans l'article 1er.
S'agissant du pouvoir législatif, je crois, monsieur le ministre, que les accords de Matignon se sont trompés de République.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Ce ne sont pas des accords !
M. Patrice Gélard. Sous la IIIe ou sous la IVe République, on pouvait effectivement admettre que le Parlement pouvait tout faire, y compris changer un homme en femme ou l'inverse ! (Exclamations sur les travées du RPR.) On ne peut plus, sous la Ve République, dans l'état actuel des textes, faire n'importe quoi dans le domaine de la loi. Le Conseil constitutionnel l'a réaffirmé : le Parlement ne peut pas se dessaisir de son pouvoir législatif.
Hier, vous avez cité, monsieur le ministre, la décision du Conseil constitutionnel de 1993, concernant la loi relative aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel. Cette décision est intéressante à plus d'un titre.
Tout d'abord, elle reconnaît le droit à l'expérimentation. Nous en sommes d'accord ! Je rappelle d'ailleurs que, en l'occurrence, c'est votre groupe qui avait déposé le recours devant le Conseil constitutionnel. S'agissant, donc, du droit à l'expérimentation, c'est le Parlement qui le décide et qui contrôle tous les stades de l'expérimentation.
Le Parlement ne peut pas se dessaisir de la totalité de ses attributions au profit de tel ou tel organe, voire du Gouvernement. Le Conseil constitutionnel a réaffirmé à plusieurs reprises ce devoir du Parlement d'exercer la plénitude de son pouvoir législatif. La Constitution a prévu un seul cas de délégation : l'article 38 relatif aux ordonnances. D'ailleurs, hier, le président Jacques Larché l'a souligné : seul le Parlement vote la loi et personne d'autre ne peut exercer le pouvoir législatif. Lorsqu'il le délègue, il s'agit non plus de lois mais d'ordonnances. Il n'y a qu'un seul cas où le Parlement peut être dessaisi de son pouvoir législatif : en cas de référendum prévu à l'article 11 : c'est le peuple souverain qui exerce le pouvoir législatif et non plus les représentants.
En d'autres termes, vous nous proposez, dans la corbeille de la mariée une dot que vous ne pouvez pas payer !
Vous ne pouviez pas vous engager, vous, Gouvernement, dans la voie que vous nous indiquez, parce que cette voie n'est pas conforme à la Constitution, mais cela ne veut pas dire que, de notre côté, nous ne pouvons rien faire. J'en veux pour preuve la suite de la discussion des articles au cours de laquelle M. Paul Girod, notre excellent rapporteur, nous proposera précisément les adaptations, les transferts possibles.
Le Parlement a su, dans le passé, démontrer qu'il existe toujours une possibilité d'adaptation, et il le fera encore aujourd'hui, en n'oubliant pas qu'il lui incombe de respecter les formes imposées par la Constitution, ce que ne fait pas le Gouvernement aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après ces interventions, notamment les deux premières, les choses sont claires et les a priori politiques réapparaissent.
M. Hilaire Flandre. Ce n'est pas politique, c'est constitutionnel !
M. Jean-Pierre Bel. Avec cet article 1er, nous sommes bien au coeur du débat, dans le noyau dur du projet de loi.
Le sujet a été largement abordé hier, dans la discussion générale, ainsi, bien sûr, qu'à l'occasion de l'examen de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Les arguments de chacun, et encore à l'instant, ont été développés avec talent. Il y a donc ceux qui croient à la constitutionnalité et ceux qui n'y croient pas, ou ne veulent pas y croire.
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n'est pas une question de croyance !
M. Jean-Pierre Bel. Les amendements que présente la commission se placent dans cette dernière catégorie, ce qui la conduit à supprimer purement et simplement les dispositions tendant à accorder plus de responsabilité aux élus en même temps qu'une plus grande capacité d'initiative et d'action dans leur domaine de compétence.
L'objection d'inconstitutionnalité qui est mise en avant pouvait être recevable concernant le projet initial. La réécriture opérée par l'Assemblée nationale fait échapper le texte à cette critique.
Nous ne faisons pas la même lecture de la décision du Conseil constitutionnel.
Qu'a dit le Conseil constitutionnel ? Dans sa décision sur le « statut Joxe » il a reconnu la possibilité de créer, en vertu de l'article 72 de la Constitution, une nouvelle catégorie de collectivités territoriales pouvant même se résumer à une seule, tout en la dotant d'un statut spécifique, dès lors, bien sûr, que le principe de libre administration des collectivités territoriales n'est pas remis en cause.
Le Conseil d'Etat a, certes, émis un avis négatif sur les dispositions du projet de loi initial, qui permettaient une adaptation directe, par la collectivité territoriale de Corse, des normes réglementaires et législatives en vigueur. Il a néanmoins admis que le législateur puisse confier à une collectivité territoriale le soin de définir les conditions d'application d'une loi, à condition que cette habilitation définisse précisément le champ d'application du dispositif et ses conditions de mise en oeuvre, et ne porte pas atteinte à la compétence du Premier ministre d'édicter des règles nationales applicables à l'ensemble du territoire.
S'agissant de la modification ou de l'adaptation des normes réglementaires, les pouvoirs d'adaption s'exerceront dans le respect des prérogatives du Premier ministre, conformément à l'article 21 de la Constitution.
Si, en vertu de ce même article, le Premier ministre assure à la fois l'exécution des lois et le pouvoir réglementaire, le Conseil constitutionnel reconnaît, dans sa jurisprudence, que ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité publique autre que le Premier ministre le soin de fixer les normes permettant de mettre en oeuvre une loi, à condition que cette habilitation ne concerne, bien sûr, que des mesures de portée limitée, tant par leur champ d'application que par leur contenu. C'est ainsi qu'un pouvoir réglementaire a été reconnu aux autorités administratives indépendantes, comme l'Autorité de régulation des télécommunications, l'ART.
Le présent dispositif se situe dans le droit-fil de cette jurisprudence.
S'agissant de l'expérimentation législative, les possibilités d'expérimenter des dérogations à certaines lois ne pourront être exercées que dans le cadre étroit et selon les formes fixées par la loi les autorisant. Cette loi précisera la nature et la portée de ces expérimentations, ainsi que les cas, conditions et délai dans lesquels la collectivité territoriale de Corse pourra faire application de ces dispositions.
Il ne s'agit évidemment pas non plus d'une délégation du pouvoir législatif, qui s'apparenterait à l'article 38 de la Constitution, permettant au Gouvernement de légiférer par ordonnances. En effet, le législateur garde l'entière maîtrise du dispositif et ne peut déléguer des compétences qu'il détient de la Constitution dans les matières législatives où lui seul peut intervenir, sous peine d'encourir la censure du Conseil constitutionnel.
Rien de plus, rien de moins !
L'expérimentation « législative » est déjà possible, je me permets de vous le faire remarquer, dans le cadre institutionnel actuel.
Des précédents existent, que ce soit pour le RMI, la prestation spécifique dépendance ou encore la régionalisation du transport ferroviaire de voyageurs.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a, depuis sa décision du 23 juillet 1993 relative aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, admis la possibilité, pour le législateur, de prévoir des dérogations aux règles fondamentales de nature à lui permettre d'adopter des règles nouvelles, sous réserve que cette habilitation définisse précisément, outre la nature et la portée de ces expérimentations et les cas dans lesquels celles-ci peuvent être entreprises, les conditions et les procédures selon lesquelles elles doivent faire l'objet d'une évaluation conduisant à leur maintien, à leur modification, à leur généralisation ou à leur abandon.
Dès lors que l'Etat et ses établissements publics peuvent disposer d'un pouvoir d'expérimentation reconnu par le Conseil constitutionnel, pourquoi cette même possibilité ne pourrait-elle pas être offerte aux collectivités territoriales, d'autant que, en l'occurrence, le dispositif proposé reprend les conditions posées par le Conseil constitutionnel ?
La collectivité territoriale de Corse n'aura pas, de sa propre initiative, la possibilité d'expérimenter des compétences nouvelles, ce qui conduirait à nier le pouvoir réglementaire et la valeur même de la loi.
Voilà pourquoi, monsieur le président, nous sommes étonnés de cette crainte excessive qui se manifeste dans cet hémicycle face à un dispositif original et innovant. Même si, pour certains, il n'est qu'un « tigre de papier », il n'en trace pas moins une perspective prometteuse. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je comptais intervenir sur les amendements, mais, puisqu'il faut gagner du temps, je me contenterai de quelques considérations qui, d'ailleurs, compléteront celles qui viennent d'être développées par mon collègue et ami Jean-Pierre Bel.
J'aurais été tenté, à un moment, d'emprunter la démarche suivie par les collègues qui se sont exprimés tout à l'heure, avant M. Bel. Mais, en les entendant, j'ai eu le sentiment, non sans avoir, bien sûr, réfléchi précédemment, que leurs discours s'appliquaient plus au texte initial de l'article 1er qu'au texte tel qu'il a été modifié par l'Assemblée nationale.
Chers collègues, relisons ensemble l'article 1er tel qu'il nous est soumis, du moins ce qu'il en reste. Que veut-il dire ? C'est un texte de procédure, un texte qui définit une procédure à suivre pour que l'assemblée de Corse puisse adopter, dans un certain nombre de domaines, des voeux de portée générale tels que tous les conseils régionaux, généraux et municipaux de France et de Navarre en adoptent depuis plus de cent ans !
Que dit l'article, tel qu'il est rédigé ? Contrairement à ce que l'on a pu dire ou croire - et je l'ai cru, monsieur Gélard, à un moment donné - il ne reconnaît aucun pouvoir législatif ou réglementaire à la collectivité. Il autorise simplement la collectivité à « demander », et il explique dans quelles conditions elle peut le faire. Mais demander quoi ? De procéder à des adaptations réglementaires - c'est la reprise du texte Joxe, premier alinéa -, d'exercer le pouvoir réglementaire - c'est ce que disait tout à l'heure M. Gélard -, d'exercer le pouvoir législatif pour adapter les lois et d'autoriser des demandes de dérogation pour expérimentation législative, en référence à la décision de 1993 sur les universités. L'article 1er prévoit, en outre, l'obligation de consulter l'assemblée de Corse sur les projets et propositions de loi.
C'est donc un texte de procédure, mes chers collègues, un texte à peine normatif, sinon par un biais très étroit. Vous savez tous, ou presque, car nous sommes presque tous élus locaux dans cette assemblée, que nous n'avons pas le droit, dans nos collectivités locales, d'émettre des voeux politiques. Or les sujets qui sont abordés à l'article 1er sont éminemment politiques, et le fait d'autoriser l'assemblée de Corse à émettre des voeux de nature politique, alors que les autres collectivités n'ont pas le droit de le faire, est une dérogation à un principe général qui place la démarche de l'assemblée de Corse à l'abri de tout recours du représentant de l'Etat auprès du tribunal administratif.
Y a-t-il un problème en ce qui concerne l'exercice des prérogatives du Gouvernement et du Parlement ? Pas du tout ! L'article 1er, et pour cause, n'impose pas au Gouvernement de répondre à la demande qui lui est faite ; il le peut d'autant moins que le Conseil constitutionnel en a décidé ainsi sur la loi Joxe. Je demande la lune ? On ne répond pas. Je demande que le soleil se lève à l'ouest et se couche à l'est ? On ne répond pas. Et l'article 1er impose encore moins au Parlement de donner suite à la demande.
C'est donc un texte de procédure qui, au regard de l'interdiction des voeux politiques, est législativement nécessaire, mais qui, sans cela, à la limite, aurait pu être un texte d'organisation réglementaire, un dispositif du règlement intérieur de l'assemblée de Corse précisant la procédure à suivre en la matière.
Aussi, mes chers collègues, je pense que la question qui a été abordée aujourd'hui par un certain nombre de nos collègues - pas par M. Jean-Pierre Bel - se posera lorsque le Gouvernement, s'il le décide, donnera suite aux demandes de l'Assemblée de Corse. Mais, pour le moment, qu'y a-t-il d'inconstitutionnel dans le fait de donner la possibilité à l'Assemblée de Corse de demander quelque chose ? Rien !
Le problème constitutionnel se pose à partir du moment où l'on donne suite à la demande. Croyez-vous que les projets de loi non soumis pour avis à l'Assemblée de Corse seront inconstitutionnels ? Pas du tout : la Constitution ne prévoit aucune formalité autre que la consultation du Conseil d'Etat. Vous figurez-vous que nos propositions de loi ne seront pas recevables parce qu'elles n'auront pas été soumises à l'Assemblée de Corse ? Mais la Constitution ne comporte aucune condition au dépôt des propositions de loi, en dehors de l'article 40 et de l'article 41 sur la distinction entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire.
Est-ce que le fait de « demander » à exercer telle ou telle prérogative dans tel ou tel domaine est inconstitutionnel ? Non. Pour la suite, on verra.
Et, pour la suite, précisément, ce n'est pas si simple, parce que, comme l'ont dit certains collègues, la loi, depuis 1789 et selon la conception de la nation qui est la nôtre, est l'expression de la volonté générale et ne peut pas être l'expression de la volonté des Corses, des Auvergnats ou des Bretons. On verra le moment venu !
L'article 21 de la Constitution prévoit que le pouvoir réglementaire est exercé par le Premier ministre et par lui seul. Alors, cher collègue Gélard, certes, le Premier ministre peut déléguer, mais pas les décrets car, en matière de décrets, il n'y a pas de délégation. Par conséquent, on verra bien à ce moment-là si un texte nous est soumis, et le Conseil constitutionnel verra après nous.
On s'est fondé sur la décision de 1993 pour l'adaptation et, sur le pouvoir réglementaire, on a glosé ici et là. A ce propos, cher doyen Gélard, il existe une dérogation : le pouvoir réglementaire du Premier ministre est exercé, et croyez bien que je le regrette, par un certain nombre d'organismes dits indépendants. Mais ce sont des organismes nationaux qui appliquent les mêmes règles sur l'ensemble du territoire, qui ont donc une compétence nationale et, surtout, qui n'ont pas le caractère de collectivité locale, les collectivités locales ne pouvant exercer le pouvoir réglementaire, pour l'instant, que dans le domaine strict de leurs propres compétences.
Quant à l'adaptation de 1993, je ne sais pas quelle est la portée réelle de la décision du Conseil constitutionnel. Je constate simplement que sa décision concernait des universités qui étaient des établissements publics de l'Etat - de l'Etat, mes chers collègues - lesquels n'ont pas le caractère de collectivité territoriale.
Mais tout ce que je viens de décrire depuis quelques minutes, c'est ce qui arrivera peut-être, et considérer que l'article 1er est lui-même inconstitutionnel, c'est, en réalité, faire porter l'inconstitutionnalité sur la suite, c'est-à-dire condamner, alors que nous ne sommes pas dans le droit canon ni dans une assemblée vaticane, le péché d'intention ! (Sourires.)
Par conséquent, je pense que l'article 1er, tel qu'il a été rédigé par l'Assemblée nationale, ne soulève aucun problème constitutionnel. Pour la suite, nous verrons, et comme disait l'autre, pour ceux qui y croient, si Dieu nous prête vie !
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur le président, j'aurais préféré que soient d'abord examinés les premiers amendements relatifs à la collectivité territoriale de Corse. Mais il me semble souhaitable de donner maintenant un certain nombre d'explications sur la position de la commission, qui a choisi de redéfinir le champ de délibération de l'Assemblée territoriale de Corse et de supprimer les paragraphes II à IV de l'article 1er tel qu'il nous est soumis, paragraphes qui concernent les expérimentations réglementaires et législatives.
Pour ce qui est du domaine réglementaire, je reprendrai en partie les propos de notre collègue M. Charasse, sans toutefois en tirer des conclusions identiques sur la rédaction du paragraphe II.
Il est exact et constant que le pouvoir réglementaire appartient au Premier ministre, sous réserve des pouvoirs propres du Président de la République, et qu'il ne peut le déléguer que dans des conditions extrêmement précises.
M. Michel Charasse. Et limitées !
M. Paul Girod, rapporteur. Je parle là du pouvoir réglementaire général, qui permet d'édicter les règlements en toutes matières non réservées à la loi et applicables sur l'ensemble du territoire national, nous sommes bien d'accord.
On a évoqué les autorités administratives indépendantes. J'en connais deux, à savoir le Conseil supérieur de l'audiovisuel, le CSA, et l'Agence de régulation des télécommunications, l'ART.
M. Michel Charasse. Et la CNIL !
M. Paul Girod, rapporteur. J'oubliais en effet la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
Le Conseil constitutionnel a affirmé à plusieurs reprises, sur le fondement des articles 21 et 13 de la Constitution, que « le législateur [peut confier] à une autorité publique autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes permettant de mettre en oeuvre une loi, à condition que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application que par leur contenu ».
Ce considérant de principe a fondé la reconnaissance du pouvoir réglementaire du CSA et l'ART, mais ces autorités sont soumises au respect tant de la loi que des règlements nationaux, eux-mêmes édictés par le Premier ministre.
Les chefs de service, notamment les ministres, les préfets, les maires, les présidents des conseils généraux et régionaux et les directeurs des établissements publics, détiennent un pouvoir réglementaire.
Toutefois, deux limites s'imposent à eux. Les règlements que les chefs de service peuvent édicter ne peuvent tendre qu'au « bon fonctionnement » de l'administration placée sous leur autorité ; or je vous rappelle que la collectivité territoriale de Corse fait l'objet d'une élection de caractère administratif. De plus, la légalité de ces mesures est subordonnée à l'existence d'un vide dans l'ordonnancement juridique, que le chef de service pourra combler, et au respect des normes de niveau supérieur.
Les collectivités territoriales n'ont donc de pouvoir réglementaire que résiduel.
Le Conseil constitutionnel ayant posé la compétence législative pour les questions qui touchent à la libre administration des collectivités territoriales, les espaces dans lesquels la collectivité pourra utiliser son pouvoir réglementaire sont extrêmement limités.
Les exemples suivants montrent toutefois qu'ils ont une importance pratique réelle, du fait que la collectivité prend les mesures réglementaires utiles à son « auto-organisation ».
Les règlements de portée « générale », c'est-à-dire destinés à l'ensemble de la population de la collectivité considérée, sont pris sur l'invitation expresse du législateur. Cela concerne les règlements locaux d'urbanisme, le pouvoir financier local - ne serait-ce que pour voter le taux des quatre grandes taxes, dans les limites fixées par la loi -, le règlement départemental d'aide sociale. Ils sont également pris pour régler des situations de fait, par exemple en matière de police municipale, ou encore pour créer des services publics. Ce sont donc des pouvoirs très fortement encadrés.
Le juge constitutionnel distingue bien l'exercice d'une attribution par une collectivité locale - pouvoir exécutif - du pouvoir de réglementer la matière considérée - pouvoir normatif.
Le pouvoir réglementaire local n'est jamais exclusif du pouvoir réglementaire général du Premier ministre. En d'autres termes, le pouvoir réglementaire local ne s'exerce que dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur.
Une thèse existe qui privilégie une lecture extensive du champ d'application du pouvoir réglementaire local, au moyen d'une généralisation du pouvoir d'édicter des décisions individuelles. Par exemple, en matière d'aides économiques et de subventions, la collectivité locale, compétente pour attribuer les aides individuelles, le serait aussi pour établir a priori les critères qu'elle utilisera pour les attribuer aux demandeurs.
Cette conception est pour l'instant purement doctrinale et n'est confortée par aucun élément du droit positif, jurisprudence comprise.
En effet, l'unité du pouvoir réglementaire général est reconnue par le Conseil constitutionnel. En conséquence, le législateur ne peut modifier la ligne de partage entre matières législatives et matières réglementaires, sauf à se laisser aller à la dérive que dénonçait hier M. Jacques Larché et à faire figurer dans la loi une disposition d'ordre réglementaire, de façon que celle-ci, entrée dans le domaine législatif, ne puisse plus être modifiée ultérieurement que par une autre loi.
Il n'est pas possible de s'appuyer sur la jurisprudence du Conseil d'Etat pour fonder une quelconque délégation du pouvoir réglementaire général. En effet, le Conseil d'Etat ne peut annuler un décret d'application qui serait intervenu en matière législative, car ce serait reconnaître l'inconstitutionnalité de la loi qui en a permis l'édiction..., ce que le juge administratif ne peut faire.
Hier ont été évoquées un certain nombre de décisions du Conseil constitutionnel ou de situations de fait, - notamment la décision du 28 juillet 1993, que vous avez vous-même citée, monsieur le ministre.
La justification évoquée au dispositif imaginé résulte non d'une disposition expresse de la Constitution, mais de l'habile sélection d'une jurisprudence du Conseil constitutionnel qui n'a rien à voir avec les collectivités locales et qui ne leur est pas transposable. C'est d'ailleurs en substance ce qu'a dit M. Charasse à l'instant.
Les deux considérants de principe de la décision du 28 juillet 1993 sont ainsi libellés :
« Le législateur, dans le respect des principes de valeur constitutionnelle, [...] peut, pour la détermination des règles constitutives des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, prévoir, eu égard à l'objectif d'intérêt général auquel lui paraîtrait répondre le renforcement de l'autonomie des établissements, que puissent être opérés par ceux-ci des choix entre différentes règles qu'il aurait fixées. Il lui est aussi possible, une fois des règles constitutives définies, d'autoriser des dérogations pour des établissements dotés d'un statut particulier en fonction de leurs caractéristiques propres. »
Il s'agit bien d'établissements, en aucun cas de collectivités territoriales !
« Il est de même loisible au législateur de prévoir la possibilité d'expériences comportant des dérogations aux règles ci-dessus définies de nature à lui permettre d'adopter par la suite, au vu des résultats de celles-ci, des règles nouvelles appropriées à l'évolution des missions de la catégorie d'établissements en cause. Toutefois, il lui incombe alors de définir précisément la nature et la portée de ces expérimentations, les cas dans lesquels celles-ci peuvent être entreprises, les conditions et les procédures selon lesquelles elles doivent faire l'objet d'une évaluation conduisant à leur maintien, à leur modification, à leur généralisation ou à leur abandon. »
Je le répète, il s'agit d'établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel auxquels tout un chacun est libre de recourir ou non, alors que le citoyen habitant dans le ressort d'une collectivité territoriale est, de par sa présence même, administré par elle et lui est soumis, au nom du droit général. Les situations ne sont pas identiques !
De plus, l'objet même des dérogations ainsi autorisées en principe, rejetées en l'espèce pour non-respect des conditions ci-dessus évoquées, est extrêmement limité, puisqu'elles ne pouvaient porter que sur l'organisation interne des universités et des instituts et écoles, et sur différentes composantes des universités, notamment sur le rôle respectif des présidents d'université, du conseil d'administration, du conseil scientifique et du conseil des études et de la vie universitaire.
Même dans cette rédaction prudente, le Conseil constitutionnel a censuré le dispositif, notamment sur le fondement de l'incompétence négative du législateur, qui n'a pas assorti de garanties légales les principes de caractère constitutionnel que constituent la liberté et l'indépendance des enseignants-chercheurs. C'est dire à quel point le Conseil constitutionnel a été sévère et rigoureux dans l'habilitation extraordinairement partielle qu'il a accordée, exclusivement à des établissements publics.
Il est d'ailleurs à noter que l'Assemblée nationale, dans le présent texte, a elle-même émis des réserves extrêmement fermes. Selon la commission des lois de l'Assemblée nationale, « la transposition de la décision du Conseil constitutionnel relative aux établissements publics universitaires à la collectivité territoriale de Corse pourrait être de nature à soulever des difficultés en l'absence de révision constitutionnelle préalable ».
M. Mauroy, si j'ai bien compris les propos qu'il a tenus hier, a déclaré que le processus ne pourrait s'enclencher qu'une fois la réforme constitutionnelle réalisée. Cela signifie que le dispositif proposé aujourd'hui sera effectif dans quatre ans seulement, et ne l'est pas en l'état actuel du texte.
M. Philippe Marini. Absolument !
M. Paul Girod, rapporteur. La commission tient à souligner que le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé sur la question de la dévolution d'un pouvoir à la collectivité territoriale de Corse en matière législative. En effet, lors de l'examen de la loi du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse, il n'a validé l'organisation spécifique à caractère administratif de la collectivité territoriale de Corse que dans la mesure où « ni l'Assemblée de Corse ni le conseil exécutif ne se voient attribuer des compétences ressortissant au domaine de la loi ». Le dispositif proposé par la commission spéciale se place bien dans cette ligne.
Comme vous l'avez évoqué, monsieur le ministre, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 96-383 du 6 novembre 1996 sur la loi relative au développement des négociations collectives, a adopté un considérant très proche de celui du 28 juillet 1993 afin de valider la conclusion d'accords de branche pouvant déroger à certaines dispositions législatives du code du travail : « Le législateur pouvait, sans méconnaître sa compétence, renvoyer aux accords de branche la détermination de ces seuils [d'effectifs de salariés], sous la réserve que les procédures nouvelles de négociation ne pourraient intervenir qu'en l'absence de délégués syndicaux ou de délégué du personnel faisant fonction de délégué syndical, dès lors que la latitude ainsi laissée aux acteurs de la négociation collective devrait lui permettre d'adopter par la suite des règles nouvelles appropriées au terme d'une durée réduite d'expérimentation, et d'une évaluation des pratiques qui en sont résultées. »
La validation n'est cependant pas sans réserve, puisque les dispositions ne modifient pas les règles de fond relatives à la conclusion d'accords collectifs et se bornent à prévoir des procédures nouvelles de conclusion de conventions ou d'accords collectifs de travail.
Là encore, l'objet est extrêmement limité, puisqu'il s'agit de l'organisation des relations de travail dans les entreprises. En aucun cas, cet objet ne peut être comparé au pouvoir d'adaptation des lois que le projet de loi propose de confier à la collectivité territoriale de Corse, dans les domaines très variés de ses attributions.
« Le pouvoir réglementaire de la collectivité territoriale de Corse s'exercera dans le respect du pouvoir réglementaire du Premier ministre » ; « le Parlement restera maître de ses décisions » : ce sont là des affirmations que nous avons entendues il y a quelques instants - et que, monsieur le ministre, nous allons peut-être entendre de nouveau.
L'article 1er du présent projet de loi s'apparente en tous points à un article de la Constitution en ce qu'il répartit le pouvoir normatif entre plusieurs autorités. Or, sous la Ve République, le législateur n'a pas la compétence de sa compétence. Le Conseil constitutionnel le censurerait pour incompétence négative s'il n'allait pas au bout de la compétence que lui reconnaît la Constitution, notamment dans son article 34.
Le pouvoir normatif confié à la collectivité territoriale de Corse est-il exclusif ou concurrent de ceux du Parlement et du Premier ministre ?
M. Lionel Jospin, lors de la réunion de Matignon du 6 avril 2000, demandait aux élus de la collectivité territoriale de Corse : « En ce qui concerne l'éventualité d'une compétence législative, s'agirait-il d'une compétence exclusive, concurrente avec celle de l'Etat, ou subsidiaire ? »
L'article 1er ouvre une brèche dans l'article 21 de la Constitution, car le projet de loi ne précise pas si le pouvoir réglementaire du Premier ministre pourra s'exercer concurremment à celui de la collectivité territoriale de Corse ou s'il s'agit d'un pouvoir exclusif.
En effet, l'expression : « dans le respect de l'article 21 de la Constitution », que j'ai qualifiée hier de pirouette constitutionnelle, pour maladroite qu'elle soit, ne concerne que le deuxième alinéa du paragraphe II de l'article 1er, qui traite des pouvoirs d'adaptation des règlements d'application des lois, et non le premier alinéa, qui régit le pouvoir réglementaire propre de la collectivité territoriale de Corse.
Lorsqu'elle les a auditionnés, la commission a demandé aux commissaires du Gouvernement si le pouvoir réglementaire de la collectivité territoriale de Corse s'exercerait en concurrence avec le pouvoir réglementaire du Premier ministre ou si celui-ci s'imposerait à la collectivité territoriale de Corse. Leur réponse a été qu'il n'y aurait pas concurrence entre ces deux pouvoirs réglementaires, ce qui revient à admettre que l'un sera exclusif de l'autre.
Comme pour la situation de fait existant aujourd'hui en matière d'aides économiques, le pouvoir réglementaire national ne trouvera plus à s'exercer dès lors que la collectivité territoriale de Corse aura déterminé ses propres règles. C'est à ce démantèlement du pouvoir normatif que je vous propose aujourd'hui d'opposer un refus.
Je suis un peu long, monsieur le ministre (Non ! sur les travées du RPR.), mais le sujet vaut tout de même qu'on s'en explique au fond !
J'en viens au précédent des aides économiques. Le texte validé en 1991 par le Conseil constitutionnel en la matière renvoyait à un décret en Conseil d'Etat - et c'est pour cette raison que le texte avait été accepté - la détermination des conditions dans lesquelles l'Assemblée de Corse exercerait sa compétence en matière économique. Ce point était donc, d'avance, encadré dans la loi par un décret en Conseil d'Etat, relevant du pouvoir réglementaire du Premier ministre.
Il est donc inexact d'affirmer, comme vous l'avez fait hier, monsieur le ministre, que le Conseil constitutionnel a validé l'exclusion du pouvoir réglementaire national, puisque, en réalité, c'est le Conseil d'Etat qui, bizarrement, a trouvé inutile de prendre le décret concerné. C'est sur ce vide juridique que prospère actuellement l'équivoque dont vous tirez un précédent. Cela ne me semble pas tout à fait sérieux ! La situation est une situation de fait, non une situation de droit.
Il a été dit que le projet de loi n'accorde pas un pouvoir législatif à l'Assemblée de Corse, mais définit une procédure. Sur ce point, je ne suis pas loin de partager certains arguments de notre collègue Michel Charasse, même si nous divergeons dans notre appréciation de l'effectivité du système dans son ensemble.
Première question : est-ce une véritable procédure ou une procédure virtuelle ?
Interrogé par moi-même, le Gouvernement a fait savoir que « le projet de loi se contente de fixer une règle de procédure applicable au fonctionnement de la collectivité territoriale. Le Gouvernement reste maître de choisir la suite qu'il entend réserver à cette demande. Il demeure libre de saisir le Parlement d'un projet de loi ou d'un amendement apportant une réponse à cette demande. Naturellement, une telle initiative peut découler d'une proposition de loi. »
Quand on connaît le sort de l'article 26 de la loi du 13 mai, que la commission vous proposera d'ailleurs de récrire, on devine que la nouvelle procédure a toutes les chances de rester virtuelle !
Cependant, l'article 1er n'est que la face émergée de l'iceberg : il y a une face immergée que l'on découvre dans plusieurs autres articles du projet de loi.
Je pense ici aux aides économiques, à l'article 17, qui soulèvera vraisemblablement les mêmes problèmes que le statut de 1991, en particulier la suppression de fait du renvoi à un décret en Conseil d'Etat.
Je pense aussi à l'« adaptation » - pour ne pas parler de « dérogation » - de la loi littoral sur trois points par le fameux article 12, à propos duquel je me permets de faire remarquer une seconde fois à M. le ministre que la procédure prévue à l'intérieur du projet de loi est exactement contraire à la procédure prévue à l'article 1er. En effet, elle n'émane pas d'une demande de la collectivité territoriale de Corse, et, si l'on peut admettre que les grands-messes de Matignon ou, à la limite, le vote par quarante-quatre voix contre huit de l'Assemblée de Corse valent consultation sur ce point précis, voire demande de la collectivité territoriale de Corse, il n'y a, en tout état de cause, pas de limitation quant à l'objet, pas de durée prévue pour l'expérimentation, pas de sanction, pas de validation. Bref, c'est l'inverse de ce qui est prévu au paragraphe IV de l'article 1er !
Le moins que l'on puisse dire est que c'est assez curieux, et je passe sur les délibérations de l'Assemblée de Corse tenant lieu de décret, notamment pour la composition du conseil des sites !
J'en viens enfin à Saint-Pierre-et-Miquelon, exemple évoqué hier par notre excellent collègue Louis Le Pensec.
Saint-Pierre-et-Miquelon est un archipel un peu plus distant du continent que ne l'est la Corse - 4 000 kilomètres contre 200 -...
M. Jean Chérioux. C'est si peu !
M. Paul Girod, rapporteur. ... et peuplé de quelque 6 000 habitants - contre 260 000 - en même temps qu'un ex-département d'outre-mer...
Comme Mayotte, sa filiation juridique n'est donc pas celle d'un département français, même s'il s'agit d'une collectivité territoriale de type particulier, et cela a tout de même son importance !
La collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon a été territoire d'outre-mer de 1946 à 1976, département d'outre-mer de 1976 à 1985 et collectivité territoriale à statut particulier depuis 1985.
Je dois avouer, monsieur le ministre, avoir fait hier une confusion à propos de l'article 72 de la Constitution.
Mais, si Saint-Pierre-et-Miquelon fait, comme la Corse, partie des collectivités à statut particulier, le principe de spécialité législative s'y applique, ce qui signifie que le Parlement peut décider que, dans ce territoire - tout petit et très particulier - telle ou telle loi ne s'appliquera pas, ce qui nous ramène à la notion de vide juridique dont je parlais tout à l'heure à propos du pouvoir réglementaire : c'est alors que, par substitution, la collectivité territoriale exerce ses compétences.
Pourquoi la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon n'a-t-elle pas voulu être autre chose qu'une collectivité particulière et n'est, par exemple, jamais devenue un département français comme cela avait été proposé à sa population, qui avait refusé ? La raison, c'est que les droits de pêche auraient été singulièrement réduits.
Cette raison, ajoutée à l'exiguïté du territoire, à sa faible population, à son éloignement, explique que l'on soit dans le domaine de la spécialité législative, le Parlement pouvant donc décider que telle ou telle loi ne s'appliquera pas et laissant alors compétence à l'autorité locale. Il est vrai toutefois que ce principe connaît un infléchissement à Saint-Pierre-et-Miquelon, et ne s'applique pas de façon systématique comme dans les territoires d'outre-mer. Cette caractéristique n'enlève cependant rien au fait que c'est le Parlement qui prend la décision : le législateur doit étendre et adapter expressément nombre des dispositions à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il s'agit donc bien d'initiative parlementaire, donc d'Etat.
J'en arrive au dernier exemple avancé, auquel notre collègue Daniel Hoeffel a déjà fait justice, l'Alsace-Moselle.
Certes, l'Alsace-Moselle, comme la Ville de Paris ou d'autres collectivités, a un statut particulier, mais, ces statuts particuliers, qui les a mis au point ? L'Alsace-Moselle, la Ville de Paris ou le Parlement ?
Plusieurs sénateurs du RPR. Le Parlement !
M. Paul Girod, rapporteur. Le Parlement a voté une loi prévoyant que telle disposition s'appliquait à l'Alsace-Moselle et nulle part ailleurs, mais, en aucun cas, l'assemblée délibérante de l'Alsace-Moselle - pas plus que celle de la Ville de Paris - ne s'est vu offrir la possibilité de faire « joujou » avec la loi !
M. Jean Chérioux. Heureusement !
M. Paul Girod, rapporteur. Je suis donc de ceux qui pensent que ces dispositions à propos desquelles on fait tant de bruit, qui ne sont que des effets d'affiche,...
M. Philippe Marini. Exactement !
M. Paul Girod, rapporteur. ... de la marchandise d'appel,...
M. Philippe Marini. De la gesticulation !
M. Paul Girod, rapporteur. ... n'ont pas de fondement juridique et ne peuvent qu'être sanctionnées par le Conseil constitutionnel.
Monsieur le ministre, je ne parle plus du paragraphe IV, auquel il me semble que je viens de faire justice sur le plan de l'application juridique et auquel j'ai fait justice hier sur le plan pratique. Je me permets d'ailleurs de vous rappeler que je vous ai demandé ce sur quoi portaient les demandes des responsables de l'île. Je n'ai obtenu aucune réponse, sauf pour la loi littoral, les dispositions la concernant ayant été contestées le lendemain du jour où vous les avez introduites dans le projet de loi par certains de ceux qui souhaitaient qu'elle soit évoquée...
J'ajoute que nous sommes tout de même le 7 novembre 2001. Or, pour être utiles et pouvoir être appréciées en vue d'une éventuelle révision en 2004, les expérimentations législatives doivent être menées pendant un certain temps. Nous avons, mes chers collègues, un ordre du jour quasiment démentiel jusqu'à la fin du mois de février, nous entrerons ensuite dans une période de « latence » parlementaire et, si je suppose qu'il y aura au mois de juillet une session extraordinaire, ne serait-ce que pour habiliter le Gouvernement constitué le 25 juin à procéder par ordonnances, je pense que ledit Gouvernement aura à ce moment autre chose à faire que de proposer des expérimentations spécifiques à la Corse sur demande de la collectivité territoriale de Corse !
Tout cela est donc vide de sens : aucune loi autorisant une expérimentation - en admettant qu'elle serait constitutionnelle - n'entrera en vigueur avant 2003, ce qui rend nulle sa valeur pour 2004.
Mais j'ai dit que je ne parlais plus du paragraphe IV et j'en viens au paragraphe II, dont le premier alinéa est ainsi rédigé à l'issue des travaux de l'Assemblée nationale : « Le pouvoir réglementaire de la collectivité territoriale de Corse s'exerce dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues par la loi. »
Pourquoi inscrire dans la loi une telle précision ? C'est une règle courante !
J'en viens au deuxième alinéa : « Sans préjudice des dispositions qui précèdent, dans le respect de l'article 21 de la Constitution, et pour la mise en oeuvre des compétences qui lui sont dévolues en vertu de la partie législative du présent code, la collectivité territoriale de Corse peut demander à être habilitée par le législateur à fixer des règles adaptées aux spécificités de l'île... »
Monsieur le ministre, ou les règles visées entrent en conflit avec le pouvoir normatif du Premier ministre et elles ne peuvent passer, ou elles entrent dans le champ des compétences dévolues à la collectivité territoriale de Corse, c'est-à-dire dans le cadre du premier alinéa. Dans ces conditions, à quoi sert le deuxième alinéa ? A rien ! Ou alors, il est totalement inconstitutionnel ! Encore une fois, c'est de la marchandise d'appel, pas du droit positif !
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission spéciale souhaite préciser les conditions dans lesquelles, pour la première fois peut-être, l'article 26 de la loi de 1991 pourra porter ses fruits s'agissant des conditions d'instruction des dossiers, de leur transmission au pouvoir central, de l'information du Parlement et des relations ultérieures - si le Gouvernement accepte - entre le préfet et la collectivité territoriale, en s'en tenant au pouvoir de remontrance et au pouvoir de proposition de l'Assemblée de Corse en matière réglementaire et législative.
C'est le système qui avait été prévu, il n'a pas fonctionné ; nous allons maintenant essayer de le faire fonctionner. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne vais pas refaire maintenant l'exercice auquel je me suis livré hier soir pour répondre à M. Autexier, auteur d'une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité qui, je le rappelle, n'a pas été adoptée par le Sénat. Je rappellerai seulement une nouvelle fois les intentions du Gouvernement en revenant rapidement sur les deux points de l'article 1er qui font débat, à savoir sur les paragraphes II et IV du texte proposé pour l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales.
Je veux éviter qu'un débat inapproprié ne se déroule entre nous. Les dispositions contenues dans ces paragraphes n'ont pour objet ni de doter la collectivité territoriale d'un pouvoir réglementaire équivalent à celui du Gouvernement, ni d'attribuer une quelconque compétence législative à l'Assemblée de Corse.
M. Michel Charasse. Ah !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le paragraphe II du texte proposé pour l'article L. 4424-2 rappelle, dans son premier alinéa, qu'une compétence décentralisée peut être exercée par le biais de règlements. Il ne faudrait pas ergoter sur les termes : un règlement peut être édicté par le Gouvernement, la Commission européenne, un maire, un département ou la collectivité territoriale de Corse. Nous parlons de manière générale de « règlement » ou de « pouvoir réglementaire », c'est-à-dire, pour utiliser le langage des juristes, de « dispositions générales et impersonnelles ».
Comme le rappellent les éminents juristes Olivier Duhamel et Yves Mény dans leur dictionnaire constitutionnel : « En France, l'expression "pouvoir réglementaire" désigne la compétence des autorités exécutives et administratives pour poser des normes générales et impersonnelles applicables sur tout ou partie du territoire. »
On ne peut donc raisonnablement contester que des autorités locales disposent d'un pouvoir réglementaire.
Mais il appartient au législateur de définir au cas par cas, pour l'exercice des compétences de la collectivité, les conditions dans lesquelles la loi doit être mise en oeuvre.
Il ne s'agit là, ni plus, ni moins, que d'un exercice de décentralisation dans le cadre classique des articles 34 et 72 de la Constitution pour la mise en oeuvre du principe de libre administration des collectivités locales.
Tel était d'ailleurs l'avis rendu par le Conseil d'Etat quand il a examiné le texte initial du projet de loi du Gouvernement.
On ne peut évidemment pas parler, comme certains intervenants l'ont fait hier, d'un pouvoir réglementaire général de la collectivité. Ce n'est pas du tout le sens du projet de loi.
En résumé, entre le pouvoir réglementaire général et un pouvoir réglementaire « résiduel » - expression qui a été utilisée tout à l'heure -, un pouvoir réglementaire est confié par le législateur aux collectivités locales pour l'exercice de leurs compétences dans le cadre du principe de libre administration des collectivités locales.
Je suis d'ailleurs surpris que cette réalité incontestable soit méconnue dans cette assemblée qui a pourtant contribué à porter haut et fort le principe de libre administration des collectivités locales.
Quant au second point, on cherchera vainement dans le paragraphe IV de l'article une quelconque autonomie législative de la collectivité territoriale. On trouvera plutôt des règles de procédure imposées à la collectivité territoriale pour formuler, de manière claire et rationnelle, des demandes tendant à lui permettre, si le législateur y donne suite, de tester une législation différente, mieux adaptée à la situation de la collectivité. Avant comme après ce texte, c'est le législateur et lui seul qui fixera le contenu des normes. Il en aura la possibilité et non l'obligation. Le Gouvernement n'est pas tenu de répondre à la demande de la collectivité territoriale...
M. Michel Charasse. Exact !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... et le Parlement n'est naturellement pas tenu de voter les textes que le Gouvernement pourrait lui soumettre en la matière. Ces précisions sont importantes puisque, à défaut, le texte irait à l'encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Sur le fond, les dispositions du paragraphe IV visent à clarifier les conditions dans lesquelles des modifications législatives des compétences de la collectivité territoriale pourraient être apportées sur l'initiative de celle-ci. Chacun a souligné les limites de l'article 26 du statut de 1991. Si ces dispositions, qui ressemblent, de près ou de loin, à l'écriture d'une pratique de voeux que connaissent bien les collectivités locales, n'ont pas eu le succès escompté, c'est aussi parce qu'elles sont rédigées d'une manière trop générale et qu'elles ne peuvent, à elles seules, donner un cadre solide aux initiatives locales.
M. Michel Charasse. C'est aussi parce que l'Assemblée nationale ne sait pas ce qu'elle veut !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Notre propos est non pas, je le souligne de nouveau, de doter la collectivité territoriale d'un pouvoir législatif, mais de permettre à celle-ci d'inviter le législateur, sur une demande motivée et raisonnée, à prévoir des adaptations de sa propre décision tenant compte du contexte local.
En résumé, je souhaite clairement indiquer que l'on ne pourra pas faire grief au texte proposé par le Gouvernement d'instituer un nouveau pouvoir législatif quand tout se passe sous le contrôle total et permanent du législateur, sans aucune délégation de sa compétence à la collectivité territoriale.
A propos de l'article 12, que vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, au terme de votre intervention et sur lequel nous reviendrons dans le cours de la discussion, s'il n'y a pas d'encadrement du pouvoir d'adaptation législatif, c'est précisément parce que le Conseil d'Etat a estimé qu'il s'agissait d'une adaptation de normes réglementaires et que l'inscription d'une disposition ayant été réécrite par l'Assemblée nationale ne posait pas de problème en termes d'anticonstitutionnalité. Vous voyez donc bien que le Conseil d'Etat a complètement validé cette adaptation du pouvoir réglementaire.
Je voudrais, mesdames, messieurs les sénateurs, rappeler ces éléments avant que nous n'abordions l'examen des amendements. Pour conclure sur une note plus politique, comme on dit dans cette assemblée qui l'est par essence, je dois souligner, à la suite des interventions de MM. Jean-Pierre Bel et Michel Charasse, dont les remarques me semblent frappées au coin du bon sens et pleines de justesse, que le projet de loi qui a été adopté par l'Assemblée nationale et qui est soumis aujourd'hui au Sénat n'est effectivement pas le texte initial du Gouvernement.
MM. Jean-Pierre Bel et Michel Charasse. Bien sûr !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Comme je l'ai déjà indiqué, le Gouvernement a travaillé avec la commission des lois de l'Assemblée nationale pour aboutir au texte qui vous est présenté aujourd'hui. Dois-je rappeler que ce projet de loi, notamment l'article 1er dans ses différentes dispositions, a été voté bien au-delà des rangs de la seule majorité qui soutient le Gouvernement à l'Assemblée nationale ?
M. Philippe Marini. Il se trouve qu'il y a deux assemblées ! Il faut le supporter !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je pense ici à MM. Barre et Balladur, à plusieurs députés membres du RPR, ainsi qu'à MM. Léotard, Rossi, Madelin... Il s'agit là d'élus de la nation forts d'une certaine expérience.
M. Philippe Marini. Bien sûr ! Il y en a ici aussi !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. C'est bien le signe que toutes les craintes ou réserves qui ont été exprimées et qui amèneront la commission spéciale du Sénat à présenter des amendements de suppression de l'article 1er ne sont pas fondées, que ce texte est équilibré et que sa constitutionnalité ne fait pas de doute.
Voilà pourquoi je m'opposerai aux propositions de suppression de l'article 1er. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 3, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission spéciale, est ainsi libellé :
« A la fin de la première phrase du premier alinéa du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 4424-1 du code général des collectivités territoriales, remplacer les mots : "les affaires de la Corse" par les mots : "les affaires de la collectivité territoriale de Corse". »
L'amendement n° 243, présenté par M. Bret, Mmes Luc, Beaudeau, Beaufils, Bidard-Reydet et Borvo, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Mathon, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme Terrade, est ainsi libellé :
« Dans la première phrase du premier alinéa du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 4424-1 du code général des collectivités territoriales, avant les mots : "de la Corse", insérer les mots : "de la collectivité territoriale". »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 3.
M. Paul Girod, rapporteur. J'ai dit hier que le texte proposé pour l'article L. 4424-1 du code général des collectivités territoriales constituait une « marchandise d'appel », parce qu'il est partiellement inefficace et partiellement inconstitutionnel - tout au moins dans certaines de ses dispositions, je ne parle pas ici des compétences prévues, qui sont substantielles et sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement - et qu'il était en même temps insidieux.
En effet, le texte qui nous a été transmis par l'Assemblée nationale prévoit tout d'abord que « l'Assemblée de Corse règle par ses délibérations les affaires de la Corse ».
La Corse, c'est peut-être la collectivité territoriale de Corse, mais c'est aussi, sur le plan territorial, deux départements et 360 communes. On ne peut pas dire, par conséquent, que l'Assemblée de la collectivité territoriale de Corse règle les affaires de la Corse : elle règle les affaires de la collectivité territoriale de Corse. C'est le droit commun, c'est clair et cela n'introduit pas d'ambiguïté. C'est la raison pour laquelle la commission spéciale propose au Sénat de revenir au droit existant.
M. le président. La parole est à M. Bret, pour présenter l'amendement n° 243.
M. Robert Bret. L'amendement n° 243, vous l'aurez compris, mes chers collègues, n'est pas de portée purement rédactionnelle ; il concerne, bien au contraire, l'esprit même du projet de loi.
J'estime, en effet, que la spécificité corse ne justifie pas la mise à l'écart de la République.
En effet, s'il est urgent d'élaborer un statut pour la collectivité territoriale qui réponde à la singularité de la Corse, à son insularité, à son identité culturelle et à son impérieux besoin de développement économique, cette urgence ne justifie pas que, par des manoeuvres juridiques, l'on aboutisse à une remise en cause de l'unité même de la République. Pourquoi vouloir à tout prix effacer les références à l'appartenance à la République, but visé, on le sait, par les nationalistes corses ?
Nous estimons nécessaire de rappeler, par cet amendement, l'esprit et la lettre de l'article 72 de la Constitution, qui définit la place des collectivités territoriales de la République.
Comme l'a souligné M. Bruno Le Roux, rapporteur à l'Assemblée nationale, « il s'agit d'une disposition du projet de loi qui peut sembler symbolique, mais qui est importante ».
L'évolution du débat depuis le printemps, mais aussi, et c'est un point qui doit être relevé, la nécessité de bien délimiter les rapports entre les différentes collectivités territoriales corses imposent d'éviter tout flou, fût-il symbolique.
Je propose donc au Sénat d'adopter cet amendement, en rappelant, comme je l'ai déjà fait, voilà un instant, à propos de l'article 1er, que sa similitude avec l'amendement de la commission spéciale ne peut masquer l'existence de différences d'appréciation fondamentales entre les sénateurs communistes et la majorité sénatoriale sur l'avenir de la Corse. (M. le rapporteur sourit.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 243 ?
M. Paul Girod, rapporteur. La commission spéciale demande à M. Bret de bien vouloir retirer cet amendement pour se rallier à celui qu'elle a présenté. Cela n'entraîne aucune espèce de présomption d'identité des positions respectives de la majorité de la commission spéciale et du groupe communiste républicain et citoyen, mais il est vrai qu'il est inutile d'anticiper sur la disparition des deux départements et encore moins sur celle des 360 communes.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 3 et 243 ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. La rédaction de l'article L. 4424-1 du code général des collectivités territoriales présentée par le Gouvernement a, je le rappelle, été validée par le Conseil d'Etat et adoptée dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale. La formule retenue ne peut en aucun cas remettre en cause la compétence générale de l'Etat ni celles des différentes collectivités locales en Corse. Elle a essentiellement une valeur symbolique, compte tenu de l'accroissement significatif des compétences de la collectivité territoriale de Corse.
Par conséquent, je suis amené à émettre un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. Michel Charasse. Ah !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 3.
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. J'avoue être vraiment très surpris des propos que vient de tenir M. le ministre.
En effet, en droit public, il existe un certain nombre d'entités : il y a les Etats et il y a des entités subétatiques, qui, dans notre ordre juridique interne, s'appellent des collectivités territoriales, qu'il s'agisse des collectivités territoriales de métropole, des départements ou territoires d'outre-mer ou des collectivités à statut spécifique.
Dans ce texte, il est un peu partout question de la collectivité territoriale de Corse. Par conséquent, je ne parviens vraiment pas à comprendre en vertu de quel raisonnement M. le ministre rejette une simple précision sémantique consistant à indiquer que l'on évoque bien ici les affaires de la collectivité territoriale de Corse !
En effet, comment pourrait-on imaginer que l'Assemblée de Corse puisse gérer autre chose que les affaires de la collectivité territoriale ? Croit-on que l'Assemblée de Corse gérera une sorte d'entité chimérique n'ayant aucune traduction juridique, n'exerçant pas de compétences et n'ayant aucune place définie dans l'ordre juridique interne ? Mais que signifie cela ?
Je crois qu'il s'agit véritablement là d'une sorte d'aveu du caractère déclamatoire ou proclamatoire de ce projet de loi, d'une illustration de ce qu'affirmait très justement tout à l'heure M. le rapporteur au cours de sa démonstration, que j'ai écoutée pour ma part avec un très grand intérêt, quand il nous disait que le texte tel qu'il nous a été transmis comporte dans une large mesure, au moins à l'article 1er, des décisions sans contenu normatif. C'était d'ailleurs aussi, si je ne m'abuse, pour une bonne part, sur le fond, le sens de l'intervention de M. Charasse tout à l'heure. (M. Charasse opine.)
Un texte conçu pour proclamer, pour constituer une sorte de publicité législative à l'adresse de l'opinion publique, ce n'est pas une loi, et vous le savez fort bien, monsieur le ministre, tout aussi bien que nous. Une loi, c'est l'expression de la volonté générale sous forme de normes susceptibles d'être appliquées par des entités ayant une place dans l'ordre juridique et exerçant des compétences.
Par conséquent, au nom de quoi refusez-vous, monsieur le ministre, que l'Assemblée de Corse règle les affaires de la collectivité territoriale, et préférez-vous l'expression littéraire et sans aucun contenu juridique qui figure dans votre projet de loi ? Cette question apparemment sémantique nous place en fait au coeur même de la problématique du texte, et il me semble, mes chers collègues, qu'il est indispensable, pour des raisons de clarté, de nous rallier à la position de la commission spéciale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je serai bref, d'autant que M. Marini a largement devancé mon propos.
J'insisterai cependant sur le fait que si je n'avais pas été d'emblée entièrement convaincu par M. le rapporteur, je l'aurais été par M. Charasse, qui a démontré de façon claire qu'il s'agit ici de textes de procédure, lesquels, de ce simple fait, ne peuvent pas être anticonstitutionnels.
Je laisse à M. Charasse la paternité de ses propos, mais il découle de ce raisonnement que ne pourraient être déclarées anticonstitutionnelles que les décisions prises en fonction de cette procédure. Je me demande alors vraiment à quoi pourrait bien servir de voter un texte visant uniquement à instaurer une procédure qui ne pourrait être utilisée par la suite ! C'est tout à fait aberrant ! Il s'agit là, comme l'a souligné M. le rapporteur, d'un effet d'affichage, or notre tâche est de régler sur le fond une question très douloureuse, la question corse.
M. Jean-Pierre Bel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bel.
M. Jean-Pierre Bel. M. le ministre l'a dit : il s'agit ici d'une disposition de principe consacrant en fait le renforcement des compétences dévolues à la collectivité territoriale de Corse par le présent projet de loi.
Le Conseil d'Etat a estimé que cette disposition ne met aucunement en question les compétences des autres collectivités en Corse. La collectivité territoriale de Corse exerce bien sûr ses pouvoirs dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues par la loi. Cela ne remet nullement en question le principe de libre administration des collectivités territoriales et, contrairement à ce qui a été dit, n'est en aucune manière une anticipation de la phase 2004. Voilà pourquoi nous voterons contre cet amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Of course !
M. Lucien Lanier. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lanier.
M. Lucien Lanier. Après ce qu'ont parfaitement dit MM. Marini et Chérioux, je serai bref.
Monsieur le ministre, votre refus de l'amendement proposé par M. le rapporteur n'est pas complètement innocent.
Mme Hélène Luc. Ça c'est clair !
M. Lucien Lanier. En effet, l'expression que vous employez, « la Corse », permet toutes les suppositions et, en définitive, d'envisager toutes les entités possibles et imaginables.
M. Michel Caldaguès. C'est l'auberge espagnole !
M. Lucien Lanier. C'est la raison pour laquelle il est bon de remettre les pendules à l'heure en parlant de « la collectivité territoriale de Corse ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 243 n'a plus d'objet.
L'amendement n° 4, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission spéciale, est ainsi libellé :
« Dans le premier alinéa du I du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales, remplacer les mots : "dispositions réglementaires" par les mots : "dispositions législatives ou réglementaires" (deux fois). »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. D'abord, monsieur le ministre, la loi n'est pas symbole, elle est norme,...
M. Michel Charasse. Sauf en Corse !
M. Paul Girod, rapporteur. ... et notre rôle est de l'écrire.
M. Philippe Marini. De façon compréhensible !
M. Paul Girod, rapporteur. « Ecrire est un acte d'amour, s'il ne l'est pas, il n'est qu'écriture », disait Cocteau. En l'occurrence, nous sommes en train de montrer de quelle manière nous aimons la Corse et ses collectivités territoriales.
J'en viens à l'amendement n° 4.
Il résume à lui seul la philosophie des amendements qui vont suivre. Le Gouvernement a réparti entre les I, II, III et IV des propositions variées d'observations sur le règlement et sur la législation auxquelles s'ajoutent un certain nombre de pistes d'expérimentation. Nous avons dit, depuis longtemps, que tout cela nous semble inconstitutionnel au pire, totalement inopérant au mieux.
Notre souci est de faire en sorte que, en matière législative et réglementaire, la collectivité puisse effectivement remplir le rôle que le statut de 1991 lui avait dévolu, à savoir ce que j'avais appelé « le pouvoir de remontrance et de proposition », dans le cadre d'une procédure mieux définie, de manière à la rendre, nous l'espérons, plus opérationnelle et par conséquent plus efficace. En l'état actuel de notre droit, cela nous semble la seule possibilité.
C'est la raison pour laquelle nous proposons de joindre les dispositions législatives aux dispositions réglementaires, afin que la collectivité puisse, comme c'est le cas actuellement, s'exprimer sur les différents aspects de l'application juridique d'un certain nombre de textes dans l'île. Elle pourra ainsi faire remarquer que, ici ou là, se posent des difficultés, ce qui, après tout, est son rôle. C'est mieux qu'un voeu, monsieur le ministre, dans la mesure où ces propositions sont transmises au Premier ministre par le président du conseil exécutif.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement est hostile à cet amendement, plus exactement, il est hostile à la réécriture de l'article 1er dont cet amendement constitue en fait les prémices. Le rétablissement pur et simple de l'article 26 de la loi de 1991 n'est pas une solution. Vous avez vous-même souligné dans votre rapport, monsieur Paul Girod, que le mécanisme imaginé en 1991 n'avait pas fonctionné. Je ne puis, dans ces conditions, que m'étonner de cette initiative.
En votant cet amendement, comme les suivants, la Haute Assemblée paraîtrait se contredire. On ne peut tout à la fois réclamer dans des propositions de lois constitutionnelles ou ordinaires plus de compétences et de responsabilités pour les collectivités locales, bref, pour la fameuse République d'en bas, et se réfugier, dès qu'il s'agit de passer à une application concrète, dans une hypothétique vue d'ensemble qui conditionnerait toute évolution pour la Corse.
Enfin, les débats en commission ont démontré que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale pour l'article 1er levait nombre de doutes constitutionnels que la rédaction initiale pouvait comporter.
La commission propose non d'améliorer encore la rédaction, mais de tout supprimer, c'est-à-dire, implicitement mais nécessairement, de nier la possibilité pour une collectivité locale de disposer d'un pouvoir réglementaire, par exemple, s'agissant du domaine de la loi, de demander, selon une procédure claire et connue d'avance, que le Parlement adapte la loi aux spécificités insulaires.
Pourtant, le texte du projet de loi est désormais clair. Toute action de la collectivité se place sous l'égide du législateur. C'est lui qui habilite explicitement la collectivité territoriale à prendre des règlements pour appliquer la loi. C'est encore lui qui examine la suite qu'il entend donner à une demande de cette collectivité d'expérimenter une législation différente dont le législateur fixerait lui-même le contenu.
Pour ces raisons, évidentes, je demande au Sénat de rejeter cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 4.
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Nous comprenons bien la volonté de M. le rapporteur de revenir à l'article 26 du statut de 1991 en l'améliorant. Mais peut-on se satisfaire d'un tel statu quo et, surtout, le débat a-t-il été suffisant pour tirer aujourd'hui tous les enseignements sur les raisons profondes de l'échec de cette procédure ? Pour ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le ministre, votre logique n'est pas la nôtre. Nous, nous suivons celle de M. le rapporteur. Cette autre logique veut que nous adoptions l'amendement n° 4.
L'article 26 de la loi de 1991 n'a pas été appliqué, pour deux raisons. D'une part, le Conseil constitutionnel l'a quelque peu « émasculé ». D'autre part, le Gouvernement n'a jamais répondu aux demandes de l'Assemblée territoriale de Corse.
Un sénateur socialiste. Si !
M. Patrice Gélard. Non !
M. Michel Charasse. Il faut voir les demandes !
M. Patrice Gélard. Les dossiers se sont égarés dans les services. M. le rapporteur nous propose d'améliorer assez considérablement le dispositif et d'étendre son champ d'application au domaine législatif. De plus, c'est la logique de la suite, à partir du moment où l'on supprime les II et III, il est bien évident que notre lecture n'est pas celle que fait le Gouvernement. Notre position est simple : nous suivons la lecture de M. le rapporteur, et non celle du Gouvernement.
M. Jean-Pierre Bel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur Gélard, votre logique n'est pas la nôtre.
Vous voulez revenir au dispositif de l'article 26 du statut de 1991, que vous avez reconnu totalement inopérant. Cet amendement est le prélude à d'autres amendements qui visent à supprimer toutes les possibilités d'adaptation réglementaire ou législative. Comme vous l'avez dit, nous ne sommes pas dans la même logique. Nous suivrons notre propre logique et nous voterons donc contre cet amendement.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Votre argumentation est valeureuse, monsieur le ministre. Vous vous battez - on le voit bien - avec beaucoup d'énergie pour essayer de nous faire croire à l'invraisemblable. Vous voudriez faire croire que les décentralisateurs que nous sommes...
M. Marcel Debarge. Cela n'a pas toujours été le cas !
M. Jean-Pierre Raffarin. ... et que nous représentons, très nombreux, au sein de la Haute Assemblée approuvent l'orientation qui est la vôtre.
Or, par cette démarche, vous travaillez contre la décentralisation. En effet, vous opposez en permanence - vous ne voulez pas, comme M. le rapporteur vous le demande, lever les ambiguïtés - la République d'en bas dont vous avez parlé et la République d'en haut.
Pour nous, il n'existe qu'une république. Ce que nous voulons, c'est que les choses partent d'en bas, mais dans une cohérence républicaine. A partir du moment où, en permanence, vous posez la question de la République, vous ne posez pas la question de la Corse. Je vous le dis, monsieur le ministre, votre texte comporte des dispositions positives, que nos compatriotes, en Corse et sur le continent, attendent. Il y a des choses qui peuvent aider la Corse et les Corses. Mais, par cet entêtement stratégique et politique, vous jetez l'ambiguïté sur un processus sur lequel nous voulons avancer.
En fait, votre logique consiste à vouloir nous imposer l'extrême pour ne rien faire. Nous souhaitons avancer dans la décentralisation, mais nous voulons le faire dans un cadre républicain, dans toutes les régions. A l'Assemblée nationale, vous avez refusé les demandes de nos collègues concernant un accroissement des responsabilités.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Jean-Pierre Raffarin. Nous ne voulons pas une décentralisation qui soit accordée ici ou là, au gré des événements et de la tactique gouvernementale. Nous voulons une pensée nouvelle sur une République qui tiendrait compte de ses territoires, dans un cadre global pour la Corse et pour les autres régions.
Or, en permanence, en faisant de cette question une question extrêmement politique, une question qui aurait été négociée, une question qui a un contexte politique qui nous inquiète, vous mettez en cause la République et vous abandonnez la cause de la Corse. Nous voulons, ici défendre la cause de la Corse et des républicains corses. C'est la raison pour laquelle nous sommes en désaccord fondamental et nous suivrons la voie de M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je n'aurai pas pour habitude, dans cette discussion, de reprendre la parole après les orateurs, chacun devant exprimer sa position sur les amendements.
Tout à l'heure, j'ai bien vu la réaction de M. Raffarin quand j'ai fait part de mon incompréhension à l'égard de l'attitude de la majorité sénatoriale à partir de ses amendements, quand j'ai évoqué les multiples propositions que fait la Haute Assemblée, en tout cas sa majorité. Je constate que lorsqu'il faut passer aux actes, c'est beaucoup plus difficile.
Il y a eu l'avant-1981, rien ne s'est produit.
M. Michel Charasse. Des morts !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Il y a eu 1982,...
M. Michel Charasse. Des morts !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... 1983,...
M. Michel Charasse. Des morts !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... des lois de décentralisation, certains étaient pour, d'autres étaient contre. Depuis un certain nombre d'années, il y a ...
M. Michel Charasse. Des morts !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... des pas en avant.
J'ai essayé, au nom du Gouvernement, à la suite de la commission présidée par M. Pierre Mauroy, de les traduire dans le texte relatif à la démocratie de proximité. A l'Assemblée nationale, à partir des dispositions que je proposais pour organiser le transfert de certaines compétences en Corse, j'ai envisagé, notamment à la demande d'orateurs sur tous les bancs de l'Assemblée nationale, d'étendre le dispositif aux régions. Au nom de l'association que vous présidez, vous m'avez dit qu'il s'agissait de pas en avant, et que vous nous appuieriez dans cette démarche. Monsieur Raffarin, j'ai parfois le sentiment que, en matière de décentralisation, il y a ceux qui font miroiter les grands soirs mais qui, quand ils sont aux responsabilités ne font rien et ceux qui, concrètement, veulent faire avancer les choses, y compris quand c'est pour résoudre un problème, en l'occurence celui que connaît la Corse. En la circonstance je n'ai absolument pas le sentiment de démanteler la République. J'ai, en revanche, l'envie de faire progresser la Corse sur la voie de la paix, sur la voie de son développement, de la responsabilisation de ses élus, à qui je fais confiance car ce sont les élus du suffrage universel.
Comme je le disais hier soir, je suis parfois surpris du manque de confiance dans les élus du suffrage universel de Corse,...
M. Jean-Pierre Raffarin. Pas du tout !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... et notamment de vos amis. (Applaudissements sur les travées socialiste et protestations sur les travées du RPR.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Vous ne sortirez pas de l'impasse par la mauvaise foi !
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. La position préconisée par la commission est la seule qui soit conforme à la Constitution. Pour ma part, je voterai les amendements de la commission, à commencer par le premier qui nous est soumis. En effet, nous ne saurions préjuger le vote d'une hypothétique révision de la Constitution. Nous n'avons pas le droit de considérer par avance que la Constitution est déjà révisée, et ce uniquement pour tenir compte des problèmes spécifiques de la Corse, même si nous ne nions pas ces derniers.
Peut-être cette démarche de révision de la Constitution devra-t-elle être envisagée ? Mais elle devra alors l'être de façon plus cohérente et plus satisfaisante, pour retoucher l'architecture institutionnelle de notre République territoriale, pour traiter les problèmes de répartition de responsabilités entre l'Etat et les différents niveaux de collectivités territoriales. Oui, dans ce cadre, mes chers collègues, mais dans ce cadre seulement, ayons l'esprit ouvert et constructif pour faire évoluer l'organisation de notre République. Cette dernière peut-elle indéfiniment se payer tous ces niveaux de collectivités territoriales, tous ces niveaux de charges, tous ces budgets, toutes ces lourdeurs, toutes ces rigidités ? Nous ne sortirons d'une telle situation, nous le savons bien, qu'avec une vision ambitieuse des réformes, lesquelles, en matière d'organisation territoriale, nécessiteront une approche constitutionnelle. Alors, en effet, ayons la vision et le souci de l'avenir, et envisageons un jour de telles évolutions. Mais, tant qu'elles n'ont pas eu lieu, évitons, à partir de problèmes très particuliers, très circonstanciels, et pour des raisons largement gesticulatoires, de faire comme si une certaine révision de la Constitution était inéluctable pour aboutir au vote de dispositions de procédure à la vérité sans contenu et sans réalité.
Il est clair, mes chers collègues, que la position préconisée par la commission spéciale est la seule position qui soit conforme à notre volonté de voir évoluer progressivement l'organisation territoriale de l'ensemble de notre pays, et pas seulement de certaines collectivités.
Enfin, monsieur le ministre, je terminerai cette intervention en relevant la vision vraiment très manichéenne, en noir et blanc, dont vous avez fait état dans votre propos : il y aurait les bons et les méchants, les décentralisateurs et les centralisateurs... Certes, vous nous avez souvent habitués à ces simplifications très coupables du cours de l'histoire.
Pour ma part, je vous livrerai simplement mon témoignage. Ce sera bientôt le quatrième budget de l'Etat que je rapporterai. Chaque année l'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales se réduit ! Telle est la réalité ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.) Et chaque année, dans les transferts financiers de l'Etat aux collectivités territoriales, une part croissante est représentée par les compensations des impôts disparus, des impôts que l'Etat nous a confisqués pour faire face à ses charges et pour faire des cadeaux avec l'argent de nos contribuables ! (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Puisque plusieurs collègues estimables se sont exprimés d'ores et déjà sur l'amendement n° 4 et les amendements suivants, d'inspiration semblable, présentés par la commission, je ferai de même, ce qui me permettra de ne pas expliquer à nouveau mon vote au fur et à mesure des propositions de la commission.
Après ce que j'ai indiqué tout à l'heure au Sénat - je remercie d'ailleurs certains collègues d'avoir eu la gentillesse de le relever -, le débat devient un peu surréaliste, et c'est, en définitive, beaucoup de bruit pour rien !
C'est un texte de procédure - je l'ai dit tout à l'heure - et, à l'évidence, il n'est pas inconstitutionnel. C'est en effet une procédure qui autorise l'assemblée à émettre un certain nombre de voeux politiques.
Peut-on donner suite à ces voeux politiques au niveau du Premier ministre, au niveau du Parlement ? C'est un autre problème qui sera vu ensuite.
J'ai bien peur - une peur d'ailleurs très relative - que le Conseil constitutionnel, qui sera sans doute saisi de la loi, ne réponde comme il l'a fait dans sa décision de juillet 1982 portant sur une loi présentée par Michel Rocard, alors ministre du Plan, décision à mon avis la plus drôle de toute la jurisprudence du Palais-Royal et dont nous avons d'ailleurs parlé en commission - M. le rapporteur s'en souvient peut-être.
Dans un luxe de précautions, le Parlement avait écrit que, conformément au Plan, la loi ne pourrait pas faire ceci et cela, qu'elle pourrait faire ceci mais pas cela, etc. Bref, la loi avait posé un certain nombre de conditions à la loi.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. La loi fait ce qu'elle veut !
M. Michel Charasse. Le Conseil constitutionnel avait alors déclaré que le législateur ne peut se lier les mains et que la loi fait ce qu'elle veut :...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Exactement !
M. Michel Charasse. ... elle crée, elle abroge, elle modifie, elle supprime, etc. Il avait donc considéré le caractère inopérant de l'article de loi qui lui était soumis et ne s'était pas donné la peine de démontrer son inconstitutionnalité pour pouvoir l'annuler. Il ne l'avait donc pas annulé.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Il a eu tort !
M. Michel Charasse. Que va-t-il arriver sur l'article 1er, si ce texte, tel qu'il est rédigé, est soumis au Conseil constitutionnel ? Ce dernier va constater qu'il s'agit d'un texte de procédure inopérant, et il ne prendra pas même la peine de prononcer son annulation !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. On n'en sait rien !
M. Michel Charasse. En revanche, et, de ce point de vue-là, le débat sur l'article 1er n'est pas inutile, j'avoue avoir rarement vu dans ma vie - monsieur le ministre, vous ne me tiendrez pas rigueur de cette affirmation, car il s'agit non pas du projet de loi initial, mais du texte adopté par l'Assemblée nationale - sauf peut-être quelquefois en matière fiscale, après quatre lectures devant le Parlement, des textes normatifs aussi mal rédigés !
M. Philippe Marini. Oh !
M. Michel Charasse. Ce sont des textes ayant une portée politique majeure, laquelle l'emporte - on est pour, on est contre, c'est un autre problème ! - sur la rigueur du droit. On doit donc s'attendre, dans la décision du Conseil constitutionnel, à un nombre énorme d'interprétations !
S'il est précisé que l'Assemblée de Corse exercera une compétence réglementaire, le Conseil constitutionnel déclarera que ce sera naturellement dans le respect des lois et des règlements, c'est-à-dire pour les affaires qui lui sont propres, mais sans pouvoir modifier les lois et règlements nationaux.
S'il est dit que l'Assemblée de Corse arrêtera la carte scolaire, les formations professionnelles, les formations en général, le Conseil constitutionnel répondra : « Naturellement avec de l'argent public, dans le respect du principe de la laïcité de l'enseignement public ».
S'il est dit que l'Assemblée de Corse classera les hôtels de tourisme, les gîtes ruraux et les campings, il sera répondu : « Bien entendu, mais en appliquant les normes nationales ». (M. Hyest acquiesce.)
S'il est dit que tel office se substituera au Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles, le CNASEA, pour prendre les décisions à la place de ce dernier, et avec son argent, le Conseil constitutionnel déclarera alors que ce sera forcément en appliquant les règles du CNASEA.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Michel Charasse. Cela n'a pas été forcément dit au moment de la négociation des accords de Matignon, mes chers collègues !
C'est peut-être pour cette raison que cela ne figure pas dans le texte. Mais vous pouvez vous attendre à ce que le Conseil constitutionnel le dise.
Dans ces conditions, je me demande si cela vaut vraiment la peine de passer autant de temps sur un débat concernant une simple procédure, dont on peut dire, comme notre collègue Philippe Marini l'observait voilà un instant, qu'elle pourrait conduire à démontrer que, pour donner satisfaction aux demandes de l'Assemblée de Corse, il faudrait un jour modifier la Constitution.
La loi est l'expression de la volonté générale. Peut-elle être la volonté particulière d'un morceau du territoire ? Les normes édictées par le Premier ministre en matière réglementaire sont uniformes. Peut-il y avoir un pouvoir réglementaire particulier ? Bref, chers amis, peut-on réviser la République ? Pour ma part, je dis que, aux termes de l'article 89, avant-dernier alinéa de la Constitution, la réponse est : « Non » ! Mais on le verra à ce moment-là. Par conséquent, n'anticipons pas le débat et laissons venir l'Assemblée de Corse.
Sur l'article 26 de la loi Joxe, l'Assemblée de Corse a fait un certain nombre de propositions. On pourrait ironiser longuement : ces propositions n'étaient pas géniales, et on n'y a jamais donné suite car, généralement, il s'agissait de votes ayant pour objet principal de mettre d'accord diverses formations politiques de l'Assemblée de Corse qui se chamaillaient par ailleurs. Ces formations se mettaient donc d'accord sur ces propositions, mais le Gouvernement n'y a jamais donné suite, et pour cause ! On verra bien, demain, si l'Assemblée de Corse est capable de formuler d'autres propositions.
Ce qui serait peut-être le plus contestable pour la suite, ce serait non pas que l'Assemblée de Corse demande et obtienne du Gouvernement qu'il accepte la modification d'une loi - c'est en effet nous qui la modifierons ! -, mais qu'elle demande et obtienne la possibilité de légiférer à la place du Parlement ou de prendre des décrets à la place du Premier ministre. Mais on verra bien à ce moment-là !
Pour ma part, je n'ai qu'un seul souhait : que l'Assemblée de Corse soit suffisamment responsable pour émettre des voeux convenables qui ne placent pas les Républicains dans une situation de conscience absolument impossible. Mais, comme je l'ai dit tout à l'heure, le péché d'intention, moi, je ne sais pas ce que c'est !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4, repoussé par le Gouvernement.
M. Robert Bret. Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 5, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission spéciale, est ainsi libellé :
« Supprimer le II du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales. »
L'amendement n° 171, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :
« Dans le deuxième alinéa du II du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales, après les mots : « lorsqu'est en cause », insérer les mots : « la souveraineté nationale, ». »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 5.
M. Paul Girod, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer le paragraphe II du texte proposé par l'article 1er, pour l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales, ce qui n'étonnera personne compte tenu de ce qui s'est dit tout à l'heure.
Permettez-moi simplement d'apporter une toute petite précision, monsieur le ministre : le législateur ne peut pas se transformer en constituant et se faire répartiteur de pouvoirs normatifs entre plusieurs autorités. C'est pourtant ce qui est en filigrane dans le paragraphe II.
Pis, c'est peut-être l'explication - mais je voudrais bien que ce ne soit pas cela ! - de la fameuse idée des affaires de la Corse.
Il est prévu que l'Assemblée de Corse peut exercer son pouvoir de proposition et d'expérimentation, dans le respect de l'article 21 de la Constitution, « sauf lorsqu'est en cause l'exercice d'une liberté individuelle ou d'un droit fondamental ». Franchement, il ne manquerait plus que cela ! Mais cela veut-il dire que tout ce qui n'est pas exercice d'une liberté individuelle ou d'un droit fondamental peut faire l'objet d'une demande d'adaptation réglementaire par l'Assemblée de Corse ? Si c'est cela, on comprend mieux ! Mais là, permettez-moi de vous dire, avec toute l'amitié que je vous porte et le respect que j'ai pour votre habilité intellectuelle juridique, que l'on est au-delà d'un simple texte de procédure ! On est en effet en train de poser des principes sous-jacents, lesquels, compte tenu de surcroît de l'atmosphère régnant sur l'île, font partie des pétards à retardement qui, un jour ou l'autre, fragiliseront tout notre édifice institutionnel.
M. le président. La parole est à M. Charasse, pour défendre l'amendement n° 171.
M. Michel Charasse. Cet amendement ne tiendra la route, si je puis dire, que si l'amendement n° 5 de la commission n'était pas adopté. Mais à mon avis, il le sera !
Dans le texte du paragraphe II selon lequel « la collectivité territoriale de Corse peut demander à être habilitée par le législateur à fixer des règles adaptées aux spécificités de l'île, sauf lorsqu'est en cause l'exercice d'une liberté individuelle » - c'est la moindre des choses ! - « ou d'un droit fondamental » - c'est également la moindre des choses ! -, je propose d'ajouter les mots : « la souveraineté nationale ». Ce serait là aussi, à mon avis la moindre des choses ! En effet, on ne va tout de même pas laisser la Corse mener une politique étrangère, battre monnaie, que sais-je encore !
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 171 ?
M. Paul Girod, rapporteur. La commission propose la suppression du II du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales ; par conséquent, si elle s'incline avec sympathie devant les scrupules de notre collègue Michel Charasse, elle préférerait néanmoins que son amendement soit adopté.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 5 et 171 ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Défavorable sur l'amendement n° 5.
M. Michel Charasse. Et sur l'amendement n° 171 ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. On verra après.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Je veux bien suivre un moment le raisonnement de notre ami Michel Charasse, c'est-à-dire admettre que nous sommes en face d'un texte de procédure, que le Conseil constitutionnel saisi n'annulera pas ce texte, mais qu'il se livrera à des interprétations, dont il est spécialiste.
Je ne pense néanmoins pas qu'il puisse en aller ainsi !
D'abord, il y a une erreur de vocabulaire, dès le départ. On ne peut pas parler du « pouvoir réglementaire ». On pourrait dire : « le pouvoir d'administration locale » ou « le pouvoir normatif local ». En droit constitutionnel, le pouvoir réglementaire a une signification différente de celle qui est sous-entendue ici. En fait, l'Assemblée territoriale de Corse exerce les attributions administratives qui sont les siennes en vertu des délégations qui lui sont données ou des transferts qui sont opérés, mais pas le pouvoir réglementaire.
S'agissant du deuxième alinéa du paragraphe II, je veux bien admettre qu'il s'agit d'un texte de procédure, mais il souffre d'un vice initial. Il présuppose en effet que le pouvoir législatif puisse se dessaisir d'une partie de ses attributions. Or, à mon avis, ce n'est pas possible dans l'état actuel de notre droit constitutionnel, ce qui rend totalement inopérante cette partie du texte. En d'autres termes, ou bien c'est un voeu pieux, comme a pu l'être l'article 26 du régime de 1991...
M. Michel Charasse. Si cela leur fait plaisir !
M. Patrice Gélard. Mais nous ne sommes pas là pour faire des voeux pieux, des promesses, pour faire dans l'irréalisme, dans l'optatif ! Nous sommes là pour fixer les règles. Or, en l'occurrence, nous ne le faisons pas. En outre, comme l'a dit tout à l'heure M. Charasse avec beaucoup de pertinence, on fera ce qu'on voudra de ce texte : on pourra le mettre à la poubelle si on n'en veut plus.
Non, ce texte n'est pas de nature constitutionnelle. Il n'a donc pas la valeur qu'on voudrait lui attribuer. En réalité, il est là uniquement pour le coup politique, lequel n'a pas sa place ici.
C'est la raison pour laquelle je voterai l'amendement n° 5 tendant à supprimer le paragraphe II du texte proposé comme je voterai l'amendement suivant, qui vise le paragraphe III.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je ne peux pas laisser passer les propos qu'a tenus M. le ministre tout à l'heure selon lesquels on aurait pu, à un moment, être satisfait des actions de décentralisation menées par le Gouvernement.
Monsieur le ministre, j'avais effectivement demandé à être reçu par vous à la tête d'une délégation de l'Association des régions de France. Il faut dire que, le week-end précédent, vous aviez fait des déclarations d'ouverture très importantes sur la décentralisation, déclarations qui, comme un grand nombre d'autres, n'ont pas été suivies d'effet. Celles-ci ont même été contredites.
Vous aviez ainsi annoncé que vous étiez prêt à faire des avancées sur les universités, sur la culture, sur l'environnement. Nous avons attendu ; nous n'avons rien vu venir et nous attendons toujours !
Alors que vous voulez faire, comme le disait M. Marini tout à l'heure, du manichéisme entre les centralisateurs d'une part et les décentralisateurs d'autre part, puis-je vous dire que vous siégez au sein d'un Gouvernement extraordinairement centralisateur, maniant la plus perverse des centralisations, la centralisation financière : « Je garde le pouvoir et je transfère les déficits. »
Quand on voit les charges que supportent les communes de France aujourd'hui, pour régler les problèmes d'assainissement par exemple, quand on voit les charges que supportent les départements de France aujourd'hui, pour les personnes âgées notamment, quand on voit ce que supportent les régions de France, de droite et de gauche (murmures sur les travées socialistes.), quand on voit aussi que l'Etat se garde les bénéfices du TGV et que sont transférés les déficits du TER (protestations sur les mêmes travées), on se rend compte que l'on asphyxie les collectivités : c'est la pire des centralisations. Et si vous voulez vraiment faire un geste pour la Corse, donnez-lui au moins les mêmes moyens, les mêmes procédures budgétaires, les mêmes règles de droit commun qu'aux autres régions, ce qu'elle n'a pas encore à ce jour ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR).
M. Claude Estier. On est en campagne électorale !
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Nous n'avons pas proposé la suppression de ce paragraphe car nous avons estimé que le transfert de compétences en matière réglementaire était mieux encadré que celui qui concerne le domaine législatif.
Toutefois, nous émettons de fortes réserves et nous avons les mêmes préoccupations que celles que vient d'exprimer voilà un instant notre collègue M. Gélard.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous nous abstiendrons lors du vote de cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par le Gouvernement.
M. Robert Bret. Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 171 n'a plus d'objet.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 6 est présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission spéciale.
L'amendement n° 244, est présenté par M. Bret, Mmes Luc, Beaudeau, Beaufils, Bidard-Reydet et Borvo, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Mathon, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme Terrade.
Ces amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer le III du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 6.
M. Paul Girod, rapporteur. Cet amendement est la suite logique de l'amendement précédent.
M. le président. La parole est à M. Bret, pour défendre l'amendement n° 244.
M. Robert Bret. J'ai déjà exprimé mon inquiétude sur le transfert, même à titre expérimental, de pouvoirs législatifs à l'Assemblée territoriale de Corse.
Il s'agit d'une conception de la décentralisation qui peut mettre en cause la conception française, historique, de la République, et je ne veux faire ici de procès d'intention à personne, surtout pas à vous, monsieur le ministre, car je connais votre attachement aux valeurs républicaines.
Mais que peuvent en effet devenir des concepts comme celui de l'unicité et de l'égalité dans la République si des lois, parfois différentes et contradictoires, émergent de telle ou telle région, car on ne peut ignorer que la Corse sera considérée comme un laboratoire pour une extension future des pouvoirs régionaux sur le plan institutionnel.
Que les choses soient claires : nous acceptons et approuvons le fait régional, qui permet de compléter, de mieux cerner les besoins et les enjeux ; nous acceptons et nous approuvons, s'il ne s'agit pas d'une tentative larvée, l'engagement d'un grand débat public de mise en cause de la structure républicaine de la France.
Nous disons « oui » à de nouvelles compétences pour assurer le développement économique sous le contrôle des Corses eux-mêmes, mais nous disons « non » à la tentative de séduction de la mouvance nationaliste pour placer la Corse dans une situation d'extraconstitutionnalité.
En proposant la suppression du droit d'expérimentation législative accordé à l'Assemblée territoriale de Corse, nous voulons rappeler que seul le Parlement peut disposer du pouvoir de faire la loi.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Défavorable.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s 6 et 244, repoussés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 7 est présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission spéciale.
L'amendement n° 245 est présenté par M. Bret, Mmes Luc, Beaudeau, Beaufils, Bidard-Reydet et Borvo, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Mathon, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme Terrade.
Ces amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer le IV du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 7.
M. Paul Girod, rapporteur. Nous arrivons au bout de ce que la commission considère comme le toilettage indispensable des imprudences de l'article 1er.
Au fond, dans ce débat il y a trois thèses : la thèse du Gouvernement, approuvée je pense par les membres du groupe socialiste, du moins par certains d'entre eux, qui fait de ce texte un symbole ; la thèse de l'opposition, rejointe, au moins sur la délégation législative par le groupe communiste, qui considère que ce texte est horriblement dangereux et qu'il est probablement, voire sûrement inconstitutionnel ; enfin, il y a la thèse, défendue avec talent par notre collègue M. Charasse, selon laquelle ce texte n'a aucune valeur.
Il est possible que ce soit lui qui ait raison.
Plusieurs sénateurs du RPR. Oui, cela n'est pas exclu !
M. Paul Girod, rapporteur. En ce moment, monsieur le ministre, me vient à l'esprit une formule célèbre qu'a prononcée un procureur de la République au début d'un procès occasionné par un douloureux événement et dans lequel était poursuivi le patron d'un grand organe de presse - ce n'est pas d'aujourd'hui. A l'avocat qui lui demandait : « Mais enfin, monsieur le procureur, qu'est-ce qu'il y a dans le dossier ? », il répondit : « Du vent, du vent ! Mais beaucoup d'atmosphère. » (Sourires et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.). Je crains que la réponse du procureur ne qualifie un jour votre texte !
M. le président. La parole est à M. Bret, pour défendre l'amendement n° 245.
M. Robert Bret. Cet amendement a le même objectif que notre amendement précédent : conserver au Parlement le pouvoir de faire la loi.
M. Jacques Larché, président de la commission spéciale sur la Corse. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jacques Larché, président de la commission spéciale. Monsieur le président, je voudrais mettre en garde malgré tout contre une certaine dérive, car si au moins deux des trois thèses évoquées sont positives, où est l'inconstitutionnalité ? On peut se poser la question.
M. Paul Girod, rapporteur. Tout à fait !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Défavorable.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s 7 et 245, repoussés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission spéciale, est ainsi libellé :
« Dans la seconde phrase du dernier alinéa du V du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales, remplacer les mots : "le Premier ministre" par les mots : "le président du conseil exécutif au Premier ministre et". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Nous avons dit tout à l'heure que nous cherchions à rendre opérationnel l'article 26 du statut de 1991 : cet amendement de précision nous semble utile à cet égard.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Il serait souhaitable que le Gouvernement soit, comme dans le cas des projets de lois, informé de la teneur des avis de l'Assemblée de Corse avant que ceux-ci ne soient transmis aux présidents des assemblées.
En outre, il peut paraître curieux de consacrer dans la loi une liaison directe entre une collectivité territoriale et le Parlement au-delà même de ce que le Gouvernement a pu proposer.
Le Gouvernement s'en remettra donc à la sagesse du Sénat.
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Je tiens à signaler que nous avons accepté l'idée de l'Assemblée nationale de soumettre à la procédure les propositions de loi. Dans ces conditions, il me semble normal que les présidents des assemblées soient directement informés.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission spéciale, est ainsi libellé :
« A la fin du premier alinéa du VI du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales, remplacer les mots : "propositions, demandes et avis mentionnés aux I à IV" par les mots : "propositions mentionnées au I". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 10, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission spéciale, est ainsi libellé :
« Dans le VII du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales, remplacer les mots : "des I à IV" par les mots : "du I". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Il s'agit également d'un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 10, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
M. Robert Bret. Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2