SEANCE DU 15 NOVEMBRE 2001


M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 74, présenté par Mme Beaudeau, M. Fischer, Mme Demessine, M. Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 21, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« A la fin du quatrième alinéa de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, les mots : "et au moins égal à un pourcentage déterminé" sont supprimés. »
L'amendement n° 108, présenté par M. Joly, est ainsi libellé :
« Après l'article 19 quater, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - A la fin du quatrième alinéa de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale sont supprimés les mots : "et au moins égal à un pourcentage déterminé".
« II. - Les pertes de recettes pour l'Etat résultant du I sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à Mme Beaudeau, pour présenter l'amendement n° 74.
Mme Marie-Claude Beaudeau. L'article 7 de la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993, dans son premier alinéa, est venu ajouter au système des tableaux de maladies professionnelles un système complémentaire de reconnaissance des maladies d'origine professionnelle. Il ouvre droit à la reconnaissance dans deux cas de figure, notamment, comme cela est précisé au quatrième alinéa de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, lorsque la maladie n'est prévue dans aucun tableau mais qu'il « est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente », incapacité dont le taux est fixé à 66,66 % par l'article R. 461-8 du même code.
Dans la mesure où l'objet essentiel de cette disposition est l'établissement de la preuve du lien direct et essentiel entre le travail et la maladie ou le décès, il paraît tout à fait injuste, vous en conviendrez, mes chers collègues, d'y adjoindre la clause restrictive d'un seuil de gravité ouvrant droit à réparation. En effet, ce seuil de 66,66 % vide de son sens le dispositif dans lequel il s'inscrit et le rend quasiment ineffectif.
J'ai relevé que Mme Elisabeth Guigou avait déclaré, à l'occasion de la discussion du présent projet de loi à l'Assemblée nationale, que le Gouvernement entendait modifier l'article R. 461-8 pour abaisser à 25 % d'incapacité permanente le seuil ouvrant droit à réparation.
Je crois toutefois absolument nécessaire de supprimer totalement cet effet de seuil particulièrement discriminatoire, qui est source d'inégalité et entraîne une mauvaise réparation des pathologies d'origine professionnelle et des préjudices subis par celles et ceux qui en sont les victimes.
Il suffit, pour se convaincre de cette nécessité, d'observer les statistiques diffusées en juillet 2001 par la CNAMTS pour 1999. Le total des maladies professionnelles reconnues au titre du quatrième alinéa de l'article L. 461-1 est de treize, soit un nombre tout à fait insignifiant et irréaliste. Cela prouve, si besoin était, que la rédaction de cette disposition législative est inopérante parce qu'elle est bien trop restrictive.
De même, le rapport sur l'amiante qu'a rendu le professeur Claude Got en 1998 a confirmé le caractère arbitraire et injuste de ce seuil, qu'il présente à juste titre comme un frein au bon fonctionnement du système complémentaire. Celui-ci, je me permets de le rappeler, visait initialement à permettre l'amélioration de la prise en compte des pathologies liées au travail non prises en compte dans les tableaux de maladies professionnelles.
Maintenir un seuil d'accès au système complémentaire - même abaissé à 25 %, comme vous envisagez de le faire, madame la secrétaire d'Etat - pénalise plus fortement encore les victimes concernées, qui doivent alors démontrer que leur affection est « essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne » l'incapacité permanente. Cette charge de la preuve les écarte, vous l'avez compris, mes chers collègues, du bénéfice de la présomption d'imputabilité.
L'existence d'un seuil d'accès vient aggraver cette première et importante discrimination. Son abaissement à 25 % ne réglerait donc pas la question de l'inégalité et de l'injustice, situation que vivent un nombre important de victimes du travail.
Je n'évoque même pas ici le fait que, outre qu'elles rencontrent des obstacles particulièrement importants, les victimes n'obtiendront en fin de compte qu'une indemnisation forfaitaire et non intégrale des préjudices subis. C'est d'ailleurs le cas pour toutes les autres victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, à l'exception, compte tenu des dispositions qui ont été prises, des victimes de l'amiante.
Il me paraît dès lors particulièrement important de supprimer, dans le cadre du dispositif dont nous débattons, toute référence à un seuil d'accès.
Tel est l'objet de l'amendement n° 74.
M. le président. La parole est à M. Joly, pour présenter l'amendement n° 108.
M. Bernard Joly. Cet amendement repose sur la même argumentation, très complète, que vient de présenter ma collègue Mme Beaudeau, et il a le même objet.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. L'amendement de Mme Beaudeau et celui de M. Joly visent tous deux à supprimer le seuil de référence, qui est celui des deux tiers.
Comme Mme Beaudeau l'a évoqué, le Gouvernement envisage de prendre prochainement un décret tendant à abaisser ce seuil, probablement, d'après les informations dont dispose la commission, à 25 %. J'imagine, madame la secrétaire d'Etat, que vous pourrez nous confirmer ce taux.
Il faut l'admettre, l'abaissement du seuil des deux tiers au quart représentera un progrès important qui nous semble en mesure de répondre aux attentes fortes de ceux qui, malheureusement, sont victimes de maladies professionnelles.
C'est la raison pour laquelle il nous apparaîtrait plus judicieux que les deux amendements soient retirés, si les informations que voudra bien nous donner le Gouvernement et les engagements qu'il est prêt à prendre devant la représentation nationale répondent aux attentes de leurs auteurs.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?
Mme Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d'Etat. Si le Gouvernement est favorable à cette mesure dans son principe, il reste attaché à la notion de seuil : on ne peut pas supprimer la condition de taux d'invalidité sans une réflexion préalable sur, d'une part, les moyens des commissions chargées d'examiner les dossiers des demandeurs et, d'autre part, l'articulation d'une telle mesure avec les évolutions plus générales que devra connaître le régime d'indemnisation des maladies professionnelles.
Toutefois, le Gouvernement n'entend pas rester inactif. Dès cette année, il avance dans la direction souhaitée par les auteurs de ces amendements.
La commission présidée par Mme Lévy-Rosenwald suggérait d'abaisser le seuil de ce dispositif de 66,66 % à 25 %, comme l'a annoncé Mme Elisabeth Guigou devant la commission des comptes de la sécurité sociale en septembre dernier.
Le Gouvernement souscrit à cette proposition. Mme Elisabeth Guigou a donc saisi de cette modification la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui s'est prononcée le 26 septembre dernier. Le décret doit être examiné prochainement par le Conseil d'Etat. Il pourra donc s'appliquer très bientôt.
Au bénéfice de ces explications, je vous demande de retirer ces amendements.
M. le président. Madame Beaudeau, l'amendement est-il maintenu ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Nous nous réjouissons de la décision d'abaisser ce seuil à 25 %, mesure qui fera prochainement l'objet - vous venez de nous l'annoncer, madame le secrétaire d'Etat - de la publication d'un décret. C'est bien dans le prolongement de la mission qui avait été confiée à M. Roland Masse que le Gouvernement s'est engagé à examiner toutes ces améliorations.
Cependant, je crois devoir le rappeler, certains de mes collègues, au nom de leurs formations politiques, se sont engagés, lors d'une table ronde de la Fédération nationale des accidentés du travail et handicapés, la FNATH, qui s'est tenue à Tulle, en Corrèze, il y a environ un mois, à présenter des amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour que disparaisse le seuil.
Compte tenu de ces engagements, que la FNATH, l'ANDEVA - l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante - et les syndicats ont rappelés, je ne me sens pas le courage de retirer mon amendement. Je le maintiens donc et invite mes collègues à le voter.
M. le président. Monsieur Joly, maintenez-vous l'amendement n° 108 ?
M. Bernard Joly. Les engagements de Mme le secrétaire d'Etat sont importants, et un pas a été franchi. Je retire donc volontiers mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 108 est retiré.
Mme Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d'Etat. Madame Beaudeau, le décret est actuellement devant le Conseil d'Etat et devrait pouvoir être appliqué très rapidement : ce sont des éléments importants que je tenais à porter à votre connaissance.
Il nous faut être réalistes et prendre le temps d'observer les effets de la diminution de ce seuil, qui apportera peut-être une amélioration importante.
Néanmoins, j'entends bien que vous avez pris des engagements, et je comprends la situation qui est la vôtre.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 74, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 19 quinquies