SEANCE DU 20 NOVEMBRE 2001


M. le président. L'amendement n° 5, présenté par Mmes Pourtaud et Blandin, M. Weber et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
« Dans le premier alinéa du II du texte proposé par l'article 1er pour l'article L. 1431-4 du code général des collectivités territoriales, après le mot : "détermine", insérer les mots : ", sur proposition du directeur,". »
La parole est à Mme Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Notre amendement ancre dans la loi la place légitime et traditionnelle du directeur : celle de porteur du projet artistique.
La proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui en deuxième lecture s'inscrit dans la reconnaissance des efforts croissants des collectivités locales. Elle pose le principe d'une culture de qualité, accessible au plus grand nombre, plus diversifiée, nourrie des identités des cultures locales, et ce en oeuvrant pour un maillage plus clair des partenariats entre Etat, collectivités locales, associations culturelles, mais aussi citoyens et artistes.
Elle va dans le sens d'un renforcement des missions de service public en matière culturelle et artistique : la culture n'est pas une marchandise. Ces missions doivent s'inspirer des dynamiques locales, les conforter là où naissent les initiatives - ce qui ne correspond pas obligatoirement aux découpages administratifs ni aux rythmes des cofinanceurs.
Par la transparence et la rigueur, l'EPCC assurera les conditions nécessaires au bon épanouissement du secteur culturel. Dans la sérénité pourront s'exercer contrôle de légalité et contrôle financier. C'est un bon projet.
Il n'en demeure pas moins - et tel est le sens de l'amendement que je défends - qu'il n'est pas de la responsabilité des élus de définir le contenu des projets : leur rôle est de créer les conditions optimales pour que des formes d'expression artistique puissent naître sur le territoire. On ne peut pas oublier les exceptions, on ne peut pas oublier Châteauvallon ni ces municipalités rejetant, au nom d'une idéologie haineuse des expériences souvent innovantes. Souvenons-nous aussi de ces villes où les bibliothèques ont été vidées d'oeuvres fondamentales contribuant à l'éveil démocratique et à la solidarité interculturelle. Ne leur donnons aucun outil, fût-ce par omission !
Aussi, le projet artistique proposé par un directeur doit rester l'élément fédérateur du dispositif, et c'est à partir de ce projet que doit s'exercer la responsabilité de chacun. Renier ce principe, c'est prendre le risque d'une culture sans âme, enfermée plus qu'appuyée par des panoplies juridiques, comme si nous acceptions des coquilles vides, coupées de la rencontre féconde de l'artiste et du public.
Parce qu'un conseil d'administration n'a jamais fait rêver personne,...
M. Hilaire Flandre. Un directeur non plus !
Mme Marie-Christine Blondin. ... parce que nous connaissons aussi la bonne intention du législateur en la matière, nous vous proposons d'améliorer le projet par le modeste mais significatif ajout : « sur proposition du directeur ».
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Ivan Renar, rapporteur. Le texte, amendé par l'Assemblée nationale, que la commission a retenu prévoit que le conseil d'administration détermine la politique de l'établissement. Nous ne pouvons pas accepter un amendement dont la rédaction semble sous-entendre que le conseil d'administration ne peut qu'approuver les propositions du directeur : cela reviendrait alors à dire que c'est le directeur qui détermine la politique de l'établissement, comme le précise d'ailleurs clairement l'objet de l'amendement. Au demeurant, j'ai pris tout à l'heure la précaution - ce n'était pas pour rien - de saluer l'importance des artistes dirigeant des centres dramatiques ou des centres chorégraphiques.
Mais je m'étonne de cette méfiance persistante envers les membres des futurs conseils d'administration des EPCC et je pense en particulier aux représentants des collectivités locales et de l'Etat.
Nous avons déjà supprimé le conseil d'orientation, parce qu'il pouvait apparaître comme un comité de censure ou de programmation venant perturber le travail du directeur.
Je rappellerai aussi que les obstacles auxquels a pu se heurter la liberté de création ne sont pas liés à telle ou telle structure juridique. Ainsi, des difficultés comme celles du festival de Châteauvallon, que citait Mme Blandin, étaient liées à une situation particulière et à un rapport de forces. Et, quand de telles difficultés surviennent, le meilleur soutien des artistes, leur meilleur rempart, c'est le rapport qu'ils entretiennent avec leur public.
Je rappellerai également que les directeurs sont recrutés sur la base d'un contrat et d'un projet artistique qu'ils mettent ensuite en oeuvre. Je connais de nombreuses structures aux quatre coins de la France - notamment des associations, qu'il s'agisse d'orchestres ou de compagnies de théâtre - dans lesquelles le conseil d'administration vote sur le budget et non sur la programmation artistique. Et, pour bien marquer la nature différente de sa position vis-à-vis de ces deux compétences, c'est par des applaudissements qu'il se prononce sur la programmation !
Je dirai avec Albert Camus que le pire n'est pas certain ! A franchement parler, je ne comprends pas, sur le fond, ces inquiétudes qui naissent brusquement.
J'ajoute que nous proposons d'accepter le texte de l'Assemblée nationale pour l'article L. 1431-4 nouveau. Nous sommes en deuxième lecture ; le moment n'est donc pas le mieux choisi pour susciter de nouvelles divergences entre les deux assemblées. Si nous remettons en cause, au moment où nous en sommes, un texte sur lequel nous avons trouvé un accord avec l'Assemblée nationale, la proposition de loi pourra rester en navette jusqu'au mois de juin !
Bref, je demande le retrait de cet amendement.
Nous avons connu des directeurs nommés par le seul ministre. Aujourd'hui, ils sont conduits à construire aussi une relation avec le public, avec leurs collègues artistes, mais aussi avec les collectivités territoriales, car, je le redis, celles-ci ne sauraient être réduites au rôle du pourvoyeur d'argent : on appuie sur un bouton, le guichetier arrive avec sa casquette, sa blouse grise, et déverse la manne municipale, départementale ou régionale...
Je fais appel à la raison ! Personne, dans cette enceinte, ne menace la liberté de création. Mais il faut tenir compte des progrès de la décentralisation : les trois quarts du budget du ministère de la culture prennent la forme de crédits déconcentrés qui sont répartis en province, et les choses progressent dans le bon sens.
Je sais aussi que si l'Etat bégaie, les collectivités hésitent, et que les soustractions auxquelles on procède en haut encouragent les soustractions que l'on fait en bas. Mais, sur le principe, nous sommes tous d'accord : nous avons des débats sur les fonds, pas sur le fond. (Sourires.) Nous sommes tous là pour garantir la liberté de création.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat. Très sincèrement, je ne pensais pas que le texte adopté par l'Assemblée nationale pourrait être perçu comme une menace pour la création. Cela étant, j'ai bien entendu l'argumentation développée par Mme Blandin : puisqu'il s'agit de préciser le rôle du directeur dans la définition de la politique de l'EPCC sans pour autant retirer son pouvoir au conseil d'administration, elle me paraît tout à fait recevable. J'émets donc un avis favorable sur l'amendement n° 5.
M. le président. Madame Blandin, l'amendement n° 5 est-il maintenu ?
Mme Marie-Christine Blandin. Je me félicite que M. le secrétaire d'Etat ait très bien compris l'esprit qui sous-tend l'amendement : l'élu garde toute sa place, ne sombrons pas dans la caricature ! Je maintiens donc l'amendement n° 5.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5.
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je tiens surtout à exprimer mon étonnement, car je pensais qu'il allait de soi que M. le secrétaire d'Etat serait d'accord avec M. le rapporteur pour défendre le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale. Ce sont pourtant bien vos amis qui sont majoritaires à l'Assemblée nationale, monsieur le secrétaire d'Etat !
De plus, en l'occurrence, il y a accord ou perspective d'accord entre le Sénat et l'Assemblée nationale, et revenir sur une disposition au prétexte qu'un membre, fût-il éminent, de notre assemblée a déposé un amendement me paraît donc d'autant plus surprenant.
Tout cela traduit une sorte de faiblesse vis-à-vis d'un lobby que je trouve déshonorante pour le Sénat. Par conséquent, je voterai contre l'amendement. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Hilaire Flandre. Bravo !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par la commission et accepté par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix le texte proposé pour l'article L. 1431-4 du code général des collectivités territoriales.

(Ce texte est adopté.)

ARTICLE L. 1431-5 DU CODE GÉNÉRAL
DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES