SEANCE DU 26 NOVEMBRE 2001


M. le président. « Art. 10. - I. - Le début du b du 1° du 4 de l'article 298 du code général des impôts est ainsi rédigé : " b . Dans la limite de 20 % de son montant, les... (le reste sans changement) ."
« II. - Les dispositions du I s'appliquent à compter du 1er juin 2001. »
L'amendement n° I-23, présenté par M. Marini, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
« Compléter l'article 10 par trois paragraphes ainsi rédigés :
« III. - Le d du 2 du tableau B du I de l'article 265 du code des douanes est abrogé.
« IV. - Le V de l'article 12 de la loi de finances pour 2001 (n° 2000-1352 du 30 décembre 2000) est abrogé.
« V. - La perte de recettes résultant pour l'Etat de la suppression du dispositif de modulation de la TIPP est compensée par la création à due concurrence d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. L'année dernière, monsieur le ministre, le Gouvernement a préconisé un dispositif assez compliqué, que je ne suis pas certain d'être en mesure de décrire à cette heure-ci et qui a été qualifié de « TIPP flottante ».
Ce dispositif de modulation a été appliqué l'année dernière pour atténuer les effets de la hausse des cours pétroliers. Si on l'avait mis en oeuvre cette année, on aurait dû le faire jouer en sens inverse ; or, pour différentes raisons que l'on peut comprendre, on y a renoncé. La commission des finances du Sénat s'est beaucoup interrogée à ce sujet.
Rappelons, mes chers collègues, que, lorsque le cours moyen du pétrole « brent daté » est redevenu inférieur au cours moyen du mois de janvier 2000, le mécanisme de modulation, le « bonus » de TIPP accordé l'an dernier, aurait dû cesser de s'appliquer. Or ces conditions ont été réunies à plusieurs reprises en 2001 et elles le sont toujours à l'heure actuelle.
Par conséquent, le Gouvernement n'applique pas la loi qu'il a lui-même demandé au Parlement de voter. De ce fait, monsieur le ministre, à un moment où la mise en oeuvre de ce dispositif pourrait être très précieuse, le Gouvernement renonce volontairement à plusieurs milliards de francs de recettes fiscales. Tout à l'heure, nous avons donc manqué de présence d'esprit : quand vous nous avez demandé où prendre l'argent, nous aurions dû vous répondre d'appliquer la loi et de moduler la TIPP, comme la loi vous permettait de le faire et même, me semble-t-il, comme vous auriez dû le faire.
Nous observons qu'il n'en a pas été ainsi, parce que, bien entendu, vous jugiez peut-être que prélever quelques milliards de francs supplémentaires au titre de la fiscalité pétrolière pourrait poser, par les temps qui courent, quelques petits problèmes vis-à-vis de certaines catégories de l'opinion publique...
C'est ce que nous avons compris : avec notre sensibilité d'élus locaux proches du terrain, nous avons pensé que c'était pour cette raison que le mécanisme, fait pour être réversible, n'avait joué que dans le sens agréable et non pas dans le sens désagréable.
Cependant, nous sommes désireux de ne voir subsister dans la loi que des dispositifs opérationnels ; une loi inutile, une loi que l'on n'applique pas, mieux vaut la supprimer ! C'est ce à quoi tend l'amendement n° I-23 : il s'agit, monsieur le ministre, d'abroger une mesure votée voilà un an dans la précipitation pour tenir compte de demandes émanant alors de l'opinion publique et que l'on semble avoir oublié depuis.
Au demeurant, la crédibilité des engagements pris par le Gouvernement en matière d'écologie me semble en avoir « pris un coup », car le plan de rattrapage à sept ans de la TIPP sur le gazole et le programme national de lutte contre l'effet de serre ont été remis en cause par des mesures contradictoires peu de temps après avoir été annoncés, alors que tout cela n'en était encore qu'au stade du démarrage.
En conclusion, monsieur le ministre, considérant que l'on ne doit maintenir dans la loi que des dispositions utiles et opérationnelles, nous estimons qu'il y a lieu de supprimer purement et simplement le dispositif de modulation de la TIPP.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je ne partage pas l'opinion de M. le rapporteur général.
En effet, comme l'a souligné implicitement M. Marini, supprimer le dispositif en question entraînerait tout d'abord un relèvement de vingt centimes par litre de la TIPP pour l'ensemble des consommateurs. Si c'est ce que souhaite la majorité sénatoriale, il faut le dire ouvertement, mais telle n'est pas l'optique du Gouvernement !
Par ailleurs, je ne crois pas que l'on puisse affirmer qu'aucun effort n'est consenti en faveur de l'environnement. Je pourrais au contraire dresser la liste de toutes les dispositions fiscales favorables à la protection de l'environnement qui ont été prises au cours de ces dernières années et qui trouvent d'ailleurs confirmation dans le projet de budget dont le Sénat est saisi.
Je préconise donc le rejet de cet amendement.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Le dépôt de cet amendement visait à susciter un débat : la commission des finances s'est étonnée qu'une règle adoptée dans un contexte économique donné et dont l'application devait pouvoir intervenir dans un contexte économique différent soit oubliée dès lors que sa mise en oeuvre risquait de devenir quelque peu désagréable...
Au demeurant, monsieur le ministre, vous ne nous avez pas apporté, par votre réponse, d'éléments de nature à nous rassurer. Je ne sais pas s'il est tout à fait opportun de voter l'amendement n° I-23, et peut-être la commission des finances sera-t-elle en mesure, en fonction du débat qui va s'instaurer maintenant dans l'hémicycle, de décider si elle le maintient ou non.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-23.
M. Bernard Angels. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Je voudrais formuler une remarque à l'adresse de M. le rapporteur général.
Vous avez, monsieur Marini, excellemment illustré, par votre amendement, le rôle du politique. En effet, vous avez pris un exemple, intéressant au demeurant, relatif au travail législatif que nous avons accompli ensemble, mais vous avez montré par là même que nous devons le replacer dans un contexte économique donné.
A cet égard, il est bien évident que, si la France connaît actuellement un taux d'inflation inférieur à la moyenne européenne, c'est aussi parce que ses gouvernants ont su adapter nos lois à la conjoncture économique. Le système de la « TIPP flottante » a ainsi permis de passer un cap difficile, et c'est heureux. Nous devons accompagner l'économie, en évitant les à-coups et le relèvement du prix de certains produits.
Vous nous avez donc finalement présenté, monsieur le rapporteur général, un exemple de gestion politique de l'économie. Pour ma part, je crois que la politique conduite par le Gouvernement doit être adaptée, avec doigté, à la conjoncture économique.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je crois que la démonstration est suffisante : le Sénat ne souhaite pas la suppression immédiate du « bonus » de TIPP de vingt centimes par litre.
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Le stabilisateur et le « bonus » sont deux choses différentes !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Effectivement, monsieur le ministre !
Quoi qu'il en soit, nous ne souhaitons pas, en cet instant, la suppression de ce « bonus » ni celle du stabilisateur, dont pâtiraient l'ensemble des personnes redevables de la TIPP. Nous n'allons pas, naturellement, leur infliger cette hausse, mais je voulais faire remarquer que le dispositif légal de l'an dernier a été voté un peu rapidement, qu'il n'est plus appliqué aujourd'hui et que le Gouvernement n'a pas l'intention de faire jouer les règles qu'il a lui-même fait voter. C'est tout ce que je voulais souligner : la démonstration me semble suffisante !
Cela étant, on a la mémoire très fugace, dans notre pays ! Une image en chasse une autre, c'est le zapping politique incessant. L'an dernier, la « TIPP flottante » constituait en effet une réponse politique à une situation délicate. Pour l'instituer, on a rédigé un texte censé s'appliquer selon des modalités qui auraient dû conduire, en fonction des cours mondiaux du pétrole, à faire jouer le mécanisme soit dans un sens, soit dans l'autre.
Reconnaissons tout simplement que l'on s'est trompé. On a répondu à une circonstance déterminée par une loi que l'on n'a plus l'intention d'appliquer dès lors que cette circonstance n'existe plus et que le rapport des chiffres est inversé.
Monsieur le ministre, c'est simplement pour faire cette petite démonstration que la commission a présenté cet amendement.
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le rapporteur général, je ne pense pas que l'on puisse dire que l'« on » s'est trompé. D'ailleurs, en grec, quand on sait très bien de qui il s'agit mais que l'on dit que c'est « on », on utilise le mot i~is . En l'occurrence, si c'est du Gouvernement qu'il s'agit, « on » ne s'est pas trompé.
Rappelez-vous quelle était la situation l'an dernier. La situation économique n'était pas mauvaise, mais elle n'était pas non plus flamboyante ; puis le prix du pétrole a considérablement augmenté. Nous avons alors pris nos responsabilités. Parce que la répercussion de cette hausse aurait constitué un choc trop fort pour nos concitoyens d'un point de vue social et comme, selon nous, la consommation est le soutien de la croissance, nous avons dit : nous ne voulons pas que ce choc intervienne. Aussi, conformément à nos règles constitutionnelles, nous avons soumis un texte au Parlement. A partir du moment où nous avons fait cela, il y a eu effectivement un allégement de la charge pour nos concitoyens.
Toutes les institutions internationales reconnaissent que c'est en grande partie grâce à la politique d'allégements fiscaux qui a été conduite dans notre pays que nous avons, en 2001, une croissance qui, sans être flamboyante, est tout de même nettement plus importante que celle de la plupart de nos concurrents. Ce résultat a été obtenu grâce à la politique de pouvoir d'achat et d'allégements fiscaux qui a été choisie. Donc, ce n'est pas une erreur ; c'est un choix qui a été fait et qui est assumé par le Gouvernement comme tel.
Cette gentille mise au point étant faite, je me tourne vers vous, monsieur le rapporteur général. Nous avons eu un débat ; c'est intéressant. Mais si vous maintenez le texte que vous avez déposé, cela signifie que vous demandez que les Français payent vingt-quatre centimes de plus par litre. Si vous le retirez, évidemment, la question ne se posera pas. Si vous le maintenez, il sera intéressant que le Sénat se prononce par un scrutin public.
M. le président. Monsieur le ministre, il est agréable, dans cet hémicycle, d'entendre un peu de grec, si peu que ce soit.
M. Alain Gournac. Bravo !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Démonstration ayant été faite, l'amendement peut bien sûr être retiré. En toute rigueur et selon la loi, le Gouvernement aurait été en devoir d'infliger cette pénalité supplémentaire aux redevables de la TIPP. C'est ce qui était envisagé l'an dernier. On ne l'envisage plus aujourd'hui. Simplement, tirons en peut-être les conséquences et, à l'avenir, évitons de faire approuver au Parlement des dispositifs de circonstance, qui n'ont pas vocation à s'appliquer indépendamment précisément des circonstances qui les ont vus naître.
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Non, monsieur le rapporteur général, parce qu'une faculté, ce n'est pas une obligation. Le Gouvernement aurait pu ou aurait pu ne pas. Il a décidé de ne pas. Voilà !
M. le président. Cet échange très riche étant arrivé à son terme, l'amendement n° I-23 est-il maintenu, monsieur le rapporteur général ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Non, monsieur le président, je le retire. Nous n'allons pas faire un tel cadeau au Gouvernement.
M. le président. L'amendement n° I-23 est retiré.
Je mets aux voix l'article 10.

(L'article 10 est adopté.)

Article 11