SEANCE DU 18 DECEMBRE 2001


M. le président. « Art. 37. - L'Etat peut prélever un dividende annuel sur le résultat des établissements publics placés sous sa tutelle qui figurent sur une liste arrêtée par décret en Conseil d'Etat. Seuls peuvent être inscrits sur cette liste les établissements publics dont l'activité présente à titre principal un caractère industriel et commercial.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent article et notamment :
« - les conditions dans lesquelles des établissements publics peuvent être assimilés à des sociétés commerciales pour la définition du capital et du bénéfice distribuable, sur lequel le dividende est prélevé ;
« - les conditions dans lesquelles des acomptes sur dividendes peuvent être versés ;
« - et les modalités de prélèvement sur les réserves disponibles. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 44, présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Supprimer l'article 37. »
L'amendement n° 23 rectifié, présenté par M. Marini, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit l'article 37 :
« I. - L'Etat peut percevoir un dividende annuel sur le résultat des établissements publics placés sous sa tutelle dont l'activité présente à titre principal un caractère industriel, commercial ou financier.
« II. - Le dividende est prélevé sur le bénéfice distribuable, constitué du bénéfice de l'exercice, après dotations aux amortissements et provisions, diminué des pertes antérieures ainsi que des sommes à porter en réserves, et augmenté du report bénéficiaire.
« Le dividende constitue le mode exclusif de rémunération de l'Etat actionnaire.
« Tout établissement public qui verse un dividende à l'Etat ne peut rémunérer les dotations en capital qu'il reçoit.
« III. - Après examen de la situation financière de l'établissement public et constatation de l'existence de sommes distribuables, sur le rapport du conseil d'administration, du conseil de surveillance ou de l'organe délibérant en tenant lieu, le ministre chargé de l'économie, le ministre chargé du budget et les ministres chargés d'exercer la tutelle de l'Etat déterminent par arrêté le montant du dividende versé à l'Etat.
« IV. - Le rapport du conseil d'administration, du conseil de surveillance ou de l'organe délibérant en tenant lieu de l'établissement public qui verse un dividende est transmis pour information au président et au rapporteur général des commissions des finances du Parlement, avant l'examen de la plus prochaine loi de finances.
« V. - Les modalités d'application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. »
La parole est à M. Foucaud, pour présenter l'amendement n° 44.
M. Thierry Foucaud. Inséré entre deux articles relatifs respectivement au statut de la Direction des constructions navales et au déclassement de propriété des canalisations de transport de gaz, l'article 37 prévoit la mise en place d'un dispositif permanent de rémunération de l'Etat par les établissements publics à caractère industriel et commercial.
Depuis plus de vingt ans, les contrats de plan passés entre les entités concernées et la puissance publique participent d'une même logique : recherche du renforcement de la capacité brute d'autofinancement, et ce par tous les moyens imaginables, et absence totale de financement direct des investissements par le budget général de l'Etat.
Dans les faits, les grands établissements publics concernés se sont donc, dans le cadre de l'accomplissement de leurs missions d'intérêt général, attachés à mettre en oeuvre une vaste politique de maîtrise de leurs coûts de production, fondée notamment sur les gains de productivité apparente du travail, mais aussi à recourir assez massivement à l'emprunt pour financer ce qui ne pouvait l'être par la seule mobilisation de la marge d'autofinancement.
Dans le même temps, il n'a guère été, au cours de cette période, de loi de finances rectificative ou de loi de finances initiale qui n'ait comporté une disposition concrète visant au versement plus ou moins spontané à l'Etat d'un dividende par les établissements publics à caractère industriel et commercial. Cette procédure a permis de réduire, parfois de manière non négligeable, les déficits comptables du budget.
En pratique, cela signifie que les usagers d'EDF et de GDF ou les passagers transitant par les aéroports de Roissy ou d'Orly ont, sans en avoir eu conscience, comblé une partie du déficit budgétaire de l'Etat, en acquittant ici leurs factures et là les taxes d'aéroport. Nous sommes donc confrontés à une situation dans laquelle de grands établissements publics, investis de missions d'intérêt général et assurant, pour le compte de l'Etat, le financement de très importantes infrastructures, se trouvent finalement appelés à la rescousse par ce dernier.
L'article 37 tend en quelque sorte à instaurer un cadre pour les relations unissant l'Etat aux établissements publics considérés. En réalité, il ne fait qu'entériner une situation de fait, à savoir le financement permanent du budget par « siphonnage » de produits d'exploitation.
Il ne s'agit donc pas, comme pourraient le laisser penser l'exposé des motifs ou le rapport de M. Marini, de normaliser les relations entre l'Etat et les EPIC, mais bien plutôt de les banaliser, alors même que le cadre défini par les textes est tout à fait précis.
En effet, mettre en demeure EDF et GDF de verser régulièrement un dividende à l'Etat est contraire à l'esprit et à la lettre de la loi de nationalisation, et n'apparaît finalement que comme la traduction d'une volonté masquée de faire passer en catimini une disposition contenue dans un projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, dont l'examen est d'ailleurs plus qu'hypothétique.
Nous devons, au contraire, laisser à ces établissements publics, parmi lesquels Aéroports de Paris, directement visé dans la liste arrêtée par décret, la pleine possession de leurs moyens financiers, pour qu'ils puissent mener à bien les missions de service public qui font leur spécifité.
Pour l'ensemble de ces raisons, nous ne pouvons que demander au Sénat de supprimer l'article 37.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, pour défendre l'amendement n° 23 rectifié et donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 44.
M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission émet un avis tout à fait défavorable sur l'amendement n° 44. Elle estime en effet que la démarche de clarification présentée à l'article 37 est bonne.
En l'occurrence, il s'agit des établissements publics de l'Etat ayant, pour l'essentiel, une activité industrielle et commerciale. Ces établissements publics, qui sont assez divers, je pense notamment à Aéroports de Paris, à la Banque de France, aux ports autonomes, à l'Office national des forêts et à La Poste - vous en trouverez la liste complète dans mon rapport écrit -, peuvent constater des résultats d'exploitation, et l'Etat qui les possède est tout à fait fondé à demander le versement d'un quasi-dividende, c'est-à-dire la distribution à son profit d'une partie desdits résultats.
Par ailleurs, et indépendamment, l'Etat, détenteur des actifs patrimoniaux dont il s'agit, est naturellement en mesure de réduire, si la situation financière de ces établissements le permet, les fonds propres de ces établissements pour faire remonter à son propre niveau les flux financiers correspondants.
Cependant, il s'agit de deux opérations de nature différente.
Dans le premier cas de figure, c'est un quasi-dividende, car nous ne pouvons pas appliquer automatiquement le droit des sociétés commerciales. Il n'y a pas d'assemblée générale, il n'y a pas de capital au sens où le prévoit la loi sur les sociétés commerciales, il n'y a donc pas d'actionnaires au sens de cette même loi. Malgré tout, la logique économique est la même : il s'agit, pour le détenteur exclusif de l'établissement public, l'Etat, de prélever, dans le cadre d'une politique de distribution du résultat, une quote-part de celui-ci.
Dans le second cas de figure, l'Etat, détenteur d'un actif patrimonial, fait un arbitrage entre ce qu'il laisse au niveau de l'établissement public pour permettre à celui-ci de financer ses activités et ce qu'il fait remonter à son propre niveau pour entrer dans le circuit du budget général.
Il n'y a aucun mal à cela, c'est parfaitement légitime, dès lors que les choix sont clairs et que les concepts sont bien appliqués.
Madame le secrétaire d'Etat, l'article nous permettrait de nous diriger vers des notions qui, à mon avis, seraient de nature à réduire l'arbitraire qui, parfois, quel qu'ait été le gouvernement en place, a pu être ressenti par les dirigeants des établissements publics. Mieux vaut qu'il y ait une règle du jeu et que vis-à-vis des établissements publics dont il s'agit, donc ceux qui n'ont pas une existence purement administrative mais qui produisent des biens ou des services, l'Etat se comporte en quasi-actionnaire rationnel, qu'il explicite ses choix, qu'il les fasse partager, qu'il les prépare et qu'il en tire toutes les conséquences.
Voilà quel est à la fois le sens de l'article et de l'amendement, qui est, en réalité, un amendement de précision pour mieux définir le dividende annuel sur le résultat des établissements publics, pour préciser ce que l'on appelle dividende, un prélèvement sur le bénéfice distribuable, constitué du bénéfice de l'exercice, après dotations aux amortissements et provisions, diminué des pertes antérieures ainsi que des sommes à porter en réserves, et augmenté du report bénéficiaire pour préciser également que le dividende est la seule rémunération de l'Etat actionnaire et pour préciser, enfin, la procédure mettant en jeu les fonctions de l'organe délibérant de l'établissement public, afin de bien indiquer que la décision en la matière appartient à l'Etat, incarné par les ministres qui, après avoir entendu les uns et les autres, déterminent, par arrêté, le montant du dividende qui doit lui être versé.
Nous proposons, en outre, une disposition sur l'information du Parlement, puisque l'Etat, c'est vous, mais aussi les chambres du Parlement, l'information de ces dernières semblant donc légitime.
A cet égard, je modifie cet amendement, monsieur le président, en proposant pour le IV la rédaction suivante : « Les comptes annuels de l'établissement public qui verse un dividende comportent une annexe financière détaillée relative à la politique de distribution de dividende par l'établissement. », afin d'apporter plus de clarté aux partenaires de cet établissement, et notamment au Parlement, qui doit pouvoir suivre régulièrement toutes ces informations.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 23 rectifié bis , présenté par M. Marini, au nom de la commission, et ainsi libellé :
« Rédiger comme suit l'article 37 :
« I. - L'Etat peut percevoir un dividende annuel sur le résultat des établissements publics placés sous sa tutelle dont l'activité présente à titre principal un caractère industriel, commercial ou financier.
« II. - Le dividende est prélevé sur le bénéfice distribuable, constitué du bénéfice de l'exercice, après dotations aux amortissements et provisions, diminué des pertes antérieures ainsi que des sommes à porter en réserves, et augmenté du report bénéficiaire.
« Le dividende constitue le mode exclusif de rémunération de l'Etat actionnaire.
« Tout établissement public qui verse un dividende à l'Etat ne peut rémunérer les dotations en capital qu'il reçoit.
« III. - Après examen de la situation financière de l'établissement public et constatation de l'existence de sommes distribuables, sur le rapport du conseil d'administration, du conseil de surveillance ou de l'organe délibérant en tenant lieu, le ministre chargé de l'économie, le ministre chargé du budget et les ministres chargés d'exercer la tutelle de l'Etat déterminent par arrêté le montant du dividende versé à l'Etat.
« IV. - Les comptes annuels de l'établissement public qui verse un dividende comportent une annexe financière détaillée relative à la politique de distribution de dividende par l'établissement.
« V. - Les modalités d'application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. »
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 44 et 23 rectifié bis ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. En ce qui concerne l'amendement n° 44, le Gouvernement émet un avis défavorable.
S'agissant de l'amendement n° 23 rectifié bis , M. le rapporteur général a très bien expliqué les raisons qui avaient conduit le Gouvernement à proposer une modification non pas des règles, puisqu'elles n'existaient pas, mais des pratiques, en instaurant une règle du jeu entre l'Etat actionnaire et ces établissements publics.
La rédaction de cet article a fait l'objet de très nombreux échanges entre nos services, ce dont témoigne d'ailleurs l'amendement que vous avez rédigé, rectifié, puis à nouveau rectifié à l'instant. Je veux d'ailleurs saluer la qualité de cette dernière rédaction, qui nous convient et dont je vous remercie.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Merci, madame le secrétaire d'Etat.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 44, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 23 rectifié bis, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 37 est ainsi rédigé.

Article 37 bis