SEANCE DU 18 DECEMBRE 2001


M. le président. Je suis saisi par M. Marini, au nom de la commission des finances, d'une motion n° 3, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement du Sénat ;
« Considérant que ce budget repose à la base sur une prévision de croissance initiale pour 2002 peu fiable depuis la révision à la baisse de son estimation par l'ensemble des instituts de conjoncture ;
« Considérant que la politique budgétaire suivie par le Gouvernement cumule les handicaps ;
« Considérant en effet que le Gouvernement recourt à des expédients, les recettes non fiscales qui culminent à un niveau jamais atteint, pour « boucler » la loi de finances ;
« Considérant également qu'il renonce, de fait, à l'objectif de maîtrise de la dépense publique en procédant à des créations massives d'emplois publics aux dépens de l'investissement militaire ;
« Considérant ainsi que les engagements pris dans le cadre de la programmation militaire continuent de ne pas être tenus ;
« Considérant aussi qu'il convient de dénoncer l'augmentation du montant du déficit budgétaire pour 2002 qui accroîtra d'autant notre endettement, c'est-à-dire les impôts de demain ;
« Considérant que le Gouvernement s'obstine à appliquer une législation sur les 35 heures aux effets économiques aussi incertains que précaires et au coût budgétaire « pharaonique » ;
« Considérant que les dispositions du projet de loi de finances portent à nouveau atteinte à l'autonomie fiscale des collectivités locales et traduisent une conception purement budgétaire des relations financières entre celles-ci et l'Etat ;
« Considérant que ce budget n'est pas compatible avec les engagements européens souscrits par la France qui prévoient un retour à l'équilibre de nos finances publiques dès 2004 ;
« Considérant, par ailleurs, que malgré quelques améliorations trop limitées, notamment en matière fiscale, l'Assemblée nationale est revenue en nouvelle lecture pour l'essentiel à son texte de première lecture ;
« Considérant notamment que la rédaction retenue par l'Assemblée nationale pour l'article 77 portant réforme des fonds spéciaux emporte de graves conséquences pour la conduite des opérations n'est pas conforme à nos traditions républicaines et s'éloigne dangereusement de l'esprit des institutions de la Ve République ;
« Le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2002, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture (n° 147). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'exédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur général, auteur de la motion, motion qu'il vient déjà, je pense, de très bien défendre à l'instant.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le président, vous me coupez mes effets, car j'allais précisément vous demander d'accepter de considérer que la motion avait été défendue au travers de mon intervention dans la discussion générale.
M. le président. M. le rapporteur général, vous allez au-devant de mon désir, et je vous en suis profondément reconnaissant.
La parole est à M. Miquel, contre la motion.
M. Gérard Miquel. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2002 se traduit, cette année encore, par la discussion d'une question préalable déposée par la droite sénatoriale. Si cette motion est adoptée, et cela ne fait aucun doute compte tenu du déséquilibre des forces politiques au sein de la Haute Assemblée, le texte issu de l'Assemblée nationale sera rejeté en bloc, sans autre formalité.
En conséquence, l'issue de cette question préalable étant par avance connue, je serai bref et j'expliquerai seulement pourquoi les griefs de la majorité sénatoriale à l'encontre du projet de loi de finances pour 2002 ne sont pas fondés à mes yeux.
Depuis 1997, le Gouvernement a tout fait pour favoriser la croissance, et il a réussi statistiques à l'appui, mes chers collègues. A l'issue de cette législature, chacun est en mesure de constater que, depuis bien longtemps, la France n'avait pas bénéficié d'une économie aussi prospère, pendant une période aussi longue de surcroît. La performance économique française réalisée de 1997 à 2001 place notre pays dans le peloton de tête des pays occidentaux, juste derrière les Etats-Unis, et, cette année encore, avec une progression d'environ 2 % du PIB, nous ferons mieux que la moyenne des pays de la zone euro.
Sans le passage aux 35 heures et les emplois-jeunes, la baisse du nombre de chômeurs n'aurait pas été de 950 000 depuis 1997. En conséquence, nous aurions aujourd'hui moins de consommation, moins de croissance et plus de dépenses pour l'Etat. Et quand je pense que la droite veut rayer tout cela d'un trait de plume !
Ensuite, nous avons fait tout notre possible pour que ce surplus de richesse soit le mieux réparti possible. Le pouvoir d'achat des ménages a vivement progressé. La preuve en est qu'à l'heure du ralentissement économique, c'est la consommation des ménages qui soutient le plus la croissance.
Nous avons bien vu, à l'occasion de la discussion de ce projet de loi de finances, ce que pouvaient avoir de détestable certaines propositions de la majorité sénatoriale pour ceux qui défendent les principes de justice sociale et de solidarité. A ce rythme-là, sous prétexte de promouvoir l'attractivité de notre économie, il faudra bientôt supprimer l'impôt de solidarité sur la fortune ! Mais, mes chers collègues, vous vous y êtes déjà essayés !
M. Jacques Blanc. On va y revenir !
M. Gérard Miquel. Enfin, nous nous sommes employés à réduire les déficits publics. En cinq ans, le déficit de l'Etat aura diminué de 100 milliards de francs. Dois-je vous rappeler que, lorsque nous avons repris l'héritage de MM. Juppé et Chirac, celui-ci était de plus de 300 milliards de francs ?
M. Henri de Raincourt. Et la dette ?
M. Gérard Miquel. L'amélioration des comptes publics n'a jamais été l'alpha et l'oméga de notre programme politique ; pourtant, nous avons obtenu, en ce domaine aussi, des résultats tout à fait honorables. De 1998 à 2001, le poids des dépenses publiques a baissé de 2,5 points, contre seulement 0,2 point de 1993 à 1997, période que je sais chère à la majorité sénatoriale !
Pour 2002, ce projet de loi de finances confirme ces priorités. La prévision de croissance retenue de 2,25 % est peut-être volontariste, mais en aucun cas irréaliste, illusoire ou insincère. J'entends dire par tout le monde, sauf par la majorité sénatoriale, semble-t-il, que le retour à une croissance forte est prévu pour le deuxième semestre 2002. Dans ces conditions, pourquoi, en 2002, la croissance ne serait-elle pas un peu supérieure à celle de 2001 ?
En outre, la poursuite de la baisse des impôts - 200 milliards de francs depuis 1997, mes chers collègues - ou le doublement de la prime pour l'emploi, qui allie efficacité économique et justice sociale, sont, parmi tant d'autres, les gages d'une croissance forte en 2002.
Ce projet de loi de finances a été aussi l'occasion de nombreuses avancées fiscales en faveur des associations, du logement social, des modalités de déclaration et de paiement des impôts, de l'innovation et des investissements ; je pense, entre autres, aux réformes du PEA et des fonds communs de placement, de la protection de l'environnement. La liste n'est évidemment pas exhaustive, car je ne souhaite pas prolonger exagérément mon intervention.
Les collectivités locales, quant à elles, bénéficieront en 2002 d'une progression de la DGF de plus de 4 %. Le contrat de croissance et de solidarité pèse sur les recettes de l'Etat, mais il est la conséquence de notre engagement en faveur de la décentralisation, et nous en sommes fiers.
Ce budget prévoit pour 2002 une nouvelle réduction du déficit par rapport au budget précédemment exécuté. Il répond donc à notre ambition d'équilibre à moyen terme. La progression des dépenses de seulement 0,5 % en volume est le gage de cette ambition et satisfait, par ailleurs, à nos engagements européens en la matière.
Ce budget a, certes, recours à des recettes non fiscales, mais n'est-ce pas légitime alors que l'Etat y a souvent renoncé ces dernières années et que les caisses de nombreuses structures sont remplies par cinq années de forte croissance ?
Au final, nous nous trouvons avec un budget équilibré qui, une nouvelle fois, stimule la croissance, finance nos priorités - emploi, sécurité, justice, éducation, environnement - et prévoit une réduction du déficit, afin que nos enfants ne payent pas demain nos dépenses d'aujourd'hui.
Notre objectif est toujours de construire une société plus riche et plus juste, et ce projet de loi de finances pour 2002 y contribue.
En fait, monsieur le rapporteur général, vous nous proposez des recettes que vous avez déjà mises en oeuvre et qui ont échoué. Les Français ne veulent pas du libéralisme que vous défendez. Même si vous le faites avec talent, vous ne parvenez pas à nous convaincre.
En conséquence, le groupe socialiste votera sans hésiter contre cette motion tendant à opposer la question préalable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 3, tendant à opposer la question préalable.
M. Denis Badré. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. L'heure est au constat des divergences, avez-vous dit, madame le secrétaire d'Etat. L'heure est donc au regret, puisque, comme le soulignait M. le rapporteur général, les divergences sont nombreuses.
Le regret concerne d'abord la première partie du projet de loi de finances. Un dialogue réel s'était engagé entre le Sénat et le Gouvernement sur l'évolution indispensable et inéluctable de notre fiscalité. Ainsi avons-nous largement débattu de la taxe sur les salaires, un impôt qui est, tout le monde le reconnaît, totalement archaïque. Ce n'est pas tout de le dire : il faudra un jour le réformer, voire le supprimer.
Il est un autre sujet d'importance : l'application du taux réduit de TVA à certains secteurs très porteurs d'emplois. Vous le savez, madame le secrétaire d'Etat ; je veux parler de la restauration, mais d'autres services sont également concernés, telles les prestations des avocats.
Nous avons également travaillé sur l'ensemble des réformes à même de renforcer la compétitivité de notre pays dans le contexte de la mondialisation ; vous ne l'ignorez pas, car nous avons longuement insisté sur ce point.
Ces débats, particulièrement denses et intéressants, s'appuyaient sur une réflexion préalable du Sénat, sur des rapports de sa commission des finances ou de sa mission d'information sur l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises. Certaines de nos propositions ne devaient pas être si sottes, puisqu'elles ont été assez largement reprise dans le rapport Charzat !
Or que constate-t-on à l'issue de l'examen en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale ? Que reste-t-il de nos longues heures de travail, demandait à l'instant M. le rapporteur général. « Presque rien » aurait pu répondre en choeur la Haute Assemblée. Rares, en effet, sont les amendements d'origine sénatoriale qui ont finalement été retenus.
Certes, nos remarques sur les rémunérations des dirigeants d'associations ont été partiellement prises en compte par les députés. C'était important dans le principe, car il y va de l'avenir de la vie associative et du bénévolat dans notre pays, mais cela reste de portée limitée.
Et ce ne sont pas les mesures fiscales du collectif budgétaire pour 2001, dites de « consolidation de la croissance », qui changent quoi que ce soit à notre appréciation : en cette fin de législature, madame le secrétaire d'Etat, le Gouvernement laisse filer la dépense publique et le déficit, tout en faisant preuve d'une frilosité, de saison sans doute, en matière de prélèvements.
Le débat sur les dépenses a été totalement tronqué. Le déficit pour cette année est déjà dépassé de plus de 25 milliards de francs. Les prévisions de croissance pour 2002 sont déjà à la baisse avant même l'adoption définitive du projet de budget. Le Gouvernement continue de prétendre que les dépenses de l'année prochaine seront financées grâce à des redéploiements ! Bien sûr, nous le souhaitons avec vous. Mais, à la veille des élections, vous ne donnez pas beaucoup de précisions sur le contenu exact de ces redéploiements. Qui paiera ? Il est plus facile d'ironiser sur un certain nombre de propositions du Sénat qui vont dans le sens des redéploiements ! Il faudra bien dire sur quoi portera la rigueur et quels seront les domaines privilégiés, sachant que nous demanderons toujours, vous le savez, que soient favorisées les missions régaliennes de l'Etat.
Pour l'ensemble de ces raisons et compte tenu du flou dans lequel baigne finalement ce texte, même à la fin de son examen, les sénateurs de l'Union centriste voteront la motion tendant à opposer la question préalable proposée par la commission des finances et présentée à l'instant par le rapporteur général.
Je conclus en saluant à nouveau la qualité des analyses du président et du rapporteur général de la commission des finances et, bien sûr, l'esprit d'écoute que l'un comme l'autre ont toujours manifesté tout au long de ce débat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Paul Loridant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme l'on pouvait évidemment s'y attendre, la commission mixte paritaire destinée à tenter de trouver un texte commun entre celui qui a été voté par l'Assemblée nationale et celui qui a été adopté par le Sénat a échoué.
Dans ce contexte, c'est donc un projet reprenant largement ce qui avait été voté par l'Assemblée nationale en première lecture qui nous est aujourd'hui proposé. Cette situation n'est que la conséquence logique des rapports de forces politiques entre nos deux assemblées.
Cependant, là n'est pas l'essentiel. Au gré des très nombreux articles du projet de loi, ce sont bel et bien deux conceptions différentes de la fiscalité et du sens donné à l'intervention publique qui ont été mises en évidence dans ce débat.
C'est en effet sans trop de surprise que la majorité sénatoriale a modifié la législation sur l'impôt sur le revenu dans le sens d'une plus grande souplesse en faveur des plus hauts revenus ou qu'elle a procédé à une réduction sensible du produit de l'impôt de solidarité sur la fortune.
La même observation vaut évidemment pour ce qui est de la dépense publique. Vous avez, chers collègues de la majorité, rejeté pour l'essentiel les propositions d'ouverture de crédits présentées dans le cadre de la seconde partie du projet de loi de finances.
Mesurons sur quelques points ce que signifie cette position.
Vous vous êtes opposés, en particulier, à la création d'emplois de postes d'enseignant dans les lycées et collèges des quartiers urbains comme des campagnes.
Vous vous êtes opposés à la création d'emplois de policiers en tenue dans les directions départementales de la police urbaine, ainsi qu'à la création d'emplois dans les casernes de gendarmerie.
Vous vous êtes encore opposés à la création d'emplois dans les services de l'équipement ou au sein des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement.
Vous vous êtes enfin opposés avec force à la déprécarisation de plusieurs milliers de postes, pourtant rendue nécessaires pour améliorer la qualité du service public et son efficacité pour nos concitoyens.
Evidemment, vous pourrez toujours vous alarmer, ensuite, de l'insuffisante réponse apportée aux questions d'insécurité, ou des limites de notre système de formation. Mais le rejet des crédits de ces ministères essentiels, que vous avez voté, il vous faudra bien, le moment venu, en tenir compte, à moins que vous ne soyez conduits à appliquer à la lettre ce que vous avez préconisé dans cette Haute Assemblée. Ce serait alors inquiétant pour l'avenir !
Le rapporteur général, sans doute parce qu'il estime qu'aucun accord n'est décidément possible sur un texte commun, nous propose de rejeter sans examen le présent projet de loi de finances pour 2002. Nous en tirerons les conclusions qui s'imposent.
Nous nous sommes attachés, tout au long de ce débat budgétaire, à proposer un certain nombre d'inflexions au texte voté par l'Assemblée nationale, afin de faire de cette loi de finances un outil participant plus activement encore à la relance de l'activité économique.
Malgré la faible marge laissée au législateur, malgré les limites posées par certains de nos engagements européens, une place existe pour promouvoir des mesures destinées à répondre aux besoins sociaux et aux attentes du plus grand nombre ; nos amendements en portent témoignage.
Certaines de ces propositions ont d'ailleurs été introduites dans le texte voté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale, et nous nous en félicitons. Il en est ainsi de la baisse de la TVA sur les appareillages destinés aux handicapés ou encore de l'exemption de la taxe de séjour pour les travailleurs saisonniers.
En tout état de cause, nous ne pourrons donc, même si le texte pouvait faire preuve d'une plus grande audace encore, que voter sans la moindre équivoque contre la motion tendant à opposer la question préalable présentée par la rapporteur général. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 3, repoussée par le Gouvernement. Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi de finances pour 2002.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 39:

Nombre de votants 313
Nombre de suffrages exprimés 312
Majorité absolue des suffrages 157
Pour l'adoption 199
Contre 113

En conséquence, le projet de loi de finances pour 2002 est rejeté.

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