SEANCE DU 18 DECEMBRE 2001


RESSOURCES PROPRES
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Adoption d'un projet de loi

M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 132, 2001-2002), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la décision du Conseil de l'Union européenne du 29 novembre 2000 relative au système des ressources propres des communautés européennes. [Rapport n° 146 (2001-2002).]

Madame le secrétaire d'Etat, avant de vous donner la parole, je tiens à vous remercier d'avoir bien voulu représenter le Gouvernement pour l'examen de ce texte, évitant ainsi au Sénat une nouvelle séance de nuit.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée est aujourd'hui appelée à autoriser l'approbation de la décision du Conseil de l'Union européenne relative au système des ressources propres des Communautés européennes, adoptée à Bruxelles le 29 septembre 2000.
Le texte est désormais soumis à l'approbation des quinze parlements nationaux des Etats membres afin qu'il puisse entrer en vigueur dès l'exercice 2002 du budget communautaire.
Il s'agit, vous le savez, de l'aboutissement d'un long processus, puisque la décision qui vous est soumise est la dernière étape de la mise en forme juridique des décisions arrêtées par les chefs d'Etat et de gouvernement, lors du sommet de Berlin de mars 1999, au terme de très longues négociations qui ont permis l'adoption de ce que l'on appelle les « perspectives financières » de l'Union européenne pour la période 2000-2006.
Les finances européennes sont encadrées pour sept ans par des plafonds de dépenses et par le plafond global des ressources. La décision « ressources propres » est une pièce majeure du dispositif d'encadrement du budget communautaire pour cette durée, puisqu'elle fixe à la fois le plafond des ressources mobilisables en pourcentage du PIB et les modalités de financement du budget communautaire. Elle constitue donc le volet « recettes » du cadre financier de l'Union, les plafonds de dépenses, appelés « perspectives financières », ayant été arrêtés dans le cadre de l'accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission.
Ce système de financement apporte des garanties contre tout dérapage global du budget européen. En assurant une maîtrise pluriannuelle du plafond des ressources propres, il permet un contrôle effectif sur le niveau des recettes comme sur celui des dépenses, puisque le budget européen ne peut être voté ni exécuté en déficit.
Le texte qui vous est soumis pour approbation est le résultat de négociations difficiles, conclues au Conseil européen de Berlin.
Comme vous le savez, la première ligne de partage a opposé les partisans d'une plus grande équité dans la répartition du fardeau budgétaire - les pays qui affichent des soldes nets importants, comme l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Autriche et la Suède - aux pays riches de l'Union affichant des soldes nets moins élevés, à l'image de la France, de l'Italie, du Danemark, de la Finlande, du Luxembourg et de la Belgique. L'enjeu de la discussion entre ces Etats membres portait sur la généralisation d'un mécanisme d'écrêtement des soldes nets s'inspirant de la compensation britannique.
Une deuxième ligne de partage a divisé partisans et adversaires de la stabilisation des dépenses financées par le budget communautaire.
Enfin, certaines oppositions se sont cristallisées sur l'ampleur des réformes internes qu'il est nécessaire d'entreprendre dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne et des négociations commerciales à l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC.
Finalement, le Conseil européen de Berlin a rendu possible l'adoption d'un paquet financier pour 2000-2006 permettant le financement de l'élargissement et des réformes internes, en particulier de la réforme de la politique agricole commune, la PAC.
Il a également appelé à une réforme à la marge du système des ressources propres afin de le rendre plus équitable, plus transparent, plus simple aussi. Les conclusions du Conseil européen précisent que le système doit être fondé sur des critères qui traduisent au mieux la capacité contributive de chaque Etat membre.
Sur ces bases, les chefs d'Etat ou de gouvernement ont demandé que la décision relative aux ressources propres soit modifiée de telle manière que le processus de ratification puisse être achevé et que la décision entre en vigueur au début de 2002.
La nouvelle décision « ressources propres » a été adoptée par le Conseil européen le 29 septembre 2000, sous présidence française, et s'inscrit dans la continuité du paquet précédent, notamment en ce qu'elle ne crée pas de nouvelles ressources.
Ainsi, le plafond des ressources propres communautaires est maintenu à 1,27 % du PNB communautaire, comme c'était le cas, pour la période 1995-2000, du paquet « Delors II ». Ce montant, nécessaire pour financer les grandes priorités du budget communautaire, reste donc modéré.
Le premier changement apporté par la décision soumise à votre approbation concerne les règles relatives à la ressource TVA, qui représente actuellement 42 % des recettes du budget communautaire : son taux d'appel baissera progressivement, de 1 % aujourd'hui à 0,75 % en 2002 et à 0,5 % à partir de 2004. Cette ressource ne devrait plus financer que 20 % du budget communautaire à partir de 2004, alors qu'elle en constituait 65 % en 1992.
Les frais de perception sur les ressources propres traditionnelles, qui sont restitués aux Etats membres, passeront en 2001 de 10 % à 25 %, ce qui entraînera la diminution du montant des ressources propres traditionnelles inscrites en partie « recettes » du budget communautaire et se traduira par un appel supplémentaire à la ressource PNB.
Cette mesure profitera essentiellement aux « petits » Etats, dont la contribution au budget communautaire est constituée en grande partie par les ressources propres traditionnelles ; il en va ainsi de la Belgique et des Pays-Bas, dotés d'installations portuaires très importantes. Les gains retirés de l'augmentation des frais de perception étant compensés par l'augmentation de la contribution au titre du PNB, ce sont principalement les grands Etats, dont la part dans le PNB communautaire est la plus élevée, qui financeront l'augmentation des frais de perception.
De ce fait, le nouvel équilibre entre les différents types de ressources fait de la ressource PNB la principale recette du budget communautaire : son poids devrait passer de 48 % actuellement à près de 70 % à l'horizon de 2004. Le recours croissant à la ressource PNB contribue à simplifier et à rendre plus équitable le système des ressources propres, car la définition de son assiette et de son taux d'appel est nettement plus simple que la détermination de l'assiette TVA ; en outre, le PNB reflète plus fidèlement la capacité contributive des Etats membres que ne le faisaient la TVA ou les ressources propres traditionnelles.
Enfin, la décision qui vous est soumise modifie la répartition du financement de la contribution britannique.
Je rappelle que la correction britannique, instaurée par le Conseil européen de Fontainebleau en 1984, consiste en un financement des deux tiers du solde net négatif du Royaume-Uni par les autres Etats membres. La nouvelle décision « ressources propres » institue, conformément aux conclusions de Berlin, des dérogations dans le financement de la contribution britannique : l'Allemagne, la Suède, l'Autriche et les Pays-Bas ne paieront qu'un quart de la contribution normalement due. Cet allégement portera mécaniquement le taux de financement de la correction britannique par la France de 23,5 % dans le système actuel à environ 31 % à partir de 2002.
Les conclusions du Conseil européen de Berlin prévoient également de neutraliser l'impact sur la correction britannique des modifications affectant le montant des contributions nationales : le montant de la correction doit rester inchangé par rapport à celui qui résulterait de l'application des règles de calcul définies initialement, lors de la création de la correction britannique. Le Conseil européen de Berlin a ainsi prévu de compenser l'effet sur la contribution britannique de l'augmentation des frais de perception sur les ressources propres traditionnelles ; il prévoit également qu'à chaque élargissement le montant des dépenses de pré-adhésion des pays candidats devenus Etats membres soit déduit de la base de calcul de la correction britannique.
Enfin, l'article 16 du texte prévoit que la Commission remettra, avant le 1er janvier 2006, un rapport sur le fonctionnement du système des ressources propres, compte tenu en particulier des effets de l'élargissement sur le financement du budget de l'Union européenne, y compris un réexamen de la compensation britannique.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales remarques que je souhaitais faire au sujet du projet de loi aujourd'hui soumis à votre approbation. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Denis Badré, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nos débats sur le budget européen se déroulent habituellement en présence du ministre chargé des affaires européennes, ce qui montre bien que ce budget est européen avant que d'être budget.
Je le déplore chaque année, insistant sur le fait qu'un budget dont les dépenses sont votées par le Parlement européen avant que les recettes nécessaires pour les couvrir soient elles-mêmes adoptées par d'autres instances, en l'occurrence les parlements nationaux, ne peut avoir de budget que le nom.
Aujourd'hui, nous débattons avec Mme le secrétaire d'Etat chargé du budget. Nous y voyons d'abord un geste de courtoisie de sa part, et je veux la remercier d'avoir accepté de remplacer « au pied levé » son collègue M. Pierre Moscovici.
J'aimerais aussi pouvoir y déceler le signe qu'enfin nous allons être en mesure d'aborder les vraies questions, au moment où l'Europe a manifestement besoin d'un véritable budget.
Dans l'examen auquel je procéderai du projet de loi qui nous est soumis, j'essaierai de mettre en évidence un certain nombre de vraies questions pour que les enseignements que nous en tirerons puissent, un jour, permettre à l'Europe de disposer d'un véritable budget.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Denis Badré, rapporteur. L'accord de Berlin du 29 septembre 2000, comme tout compromis, était global, et donc fait de pièces et de morceaux.
J'évoquerai tout d'abord une pièce de choix : la politique agricole commune, qu'il convenait de sauvegarder dans l'intérêt même de la France. C'est pourquoi l'accord a rejeté le cofinancement de la PAC, ce début de renationalisation de la politique agricole commune, et c'est une bonne chose.
Je rappelle que, si la PAC était renationalisée, nous ferions, certes, une économie de l'ordre de 40 milliards de francs dans le prélèvement opéré sur notre budget en faveur du budget européen, mais que, la politique agricole commune rapportant à la France environ 60 milliards de francs, notre solde net - dont je dénoncerai le principe tout à l'heure, mais que je cite, une fois n'est pas coutume, pour marquer l'importance de cette politique pour notre pays - est de 20 milliards de francs.
M. Jacques Blanc. Méfiez-vous de tels calculs ! Ils sont dangereux !
M. Denis Badré, rapporteur. Nous avons donc sauvegardé une « pièce » de choix, la PAC ; mais nous la payons assez cher, puisque, en contrepartie, nous avons dû accepter des « morceaux » budgétaires qui coûtent cher à la France et représentent une régression pour le budget européen, dont je rappelais à l'instant qu'il ne mérite que de très loin cette dénomination.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui concerne le seul volet budgétaire. Puisqu'il représente la monnaie d'échange de ce que nous avons obtenu à propos de la PAC, il est mauvais en soi. En outre, nous l'examinons isolé du reste de l'accord de Berlin, ce qui est quelque peu gênant. Enfin, il est compliqué. Nous essaierons néanmoins d'en faire une analyse aussi simple que possible, mais cependant attentive, afin d'en tirer tous les enseignements.
Cet accord est coûteux pour la France : notre contribution au budget des Communautés européennes, je le rappelais le 28 novembre dernier en présentant l'article 26 du projet de loi de finances pour 2002, augmentera l'année prochaine de 11,2 %, sachant que 1 milliard d'euros est lié à la seule mise en oeuvre de l'accord de Berlin, et 300 ou 400 millions d'euros au caractère inflationniste du budget européen lui-même - mais nous n'évoquerons pas cet aspect aujourd'hui, car ce n'est pas le sujet.
Le 28 novembre, nous avons voté l'article 26 du projet de loi de finances pour 2002 avant qu'ait été ratifié l'accord de Berlin. Nous marchions sur la tête, et nous avons travaillé dans le désordre.
M. Hubert Haenel. Ce n'est pas nouveau !
M. Denis Badré, rapporteur. L'article 26 a donc été adopté bien trop tôt, d'abord pour une raison de logique, puisque nous ne nous étions pas prononcés sur l'accord de Berlin, ensuite parce que les autorités communautaires, constatant qu'un certain nombre d'Etats n'avaient pas procédé à la ratification de cet accord, ont décidé d'en différer la mise en oeuvre, qui aurait dû intervenir le 1er janvier.
Mes chers collègues, nous avons voté avant de ratifier et, maintenant, on nous dit que nous avons eu tort de voter ! Nous sommes, là aussi, dans le désordre total. Toutefois, à quelque chose malheur est bon : si la ratification est différée d'un an, par exemple, nous dégagerons une « cagnotte » ou, en tout cas, une marge de manoeuvre de 7 milliards de francs, ce qui n'est pas négligeable, dans le budget de 2002, avant même qu'il ait commencé à être exécuté.
L'accord coûte néanmoins cher à la France. Par ailleurs, je le disais en préambule, il est antieuropéen. Il est en effet question de « ressources propres » des Communautés européennes. Or je considère que cette dénomination est impropre, car, de ressources propres, il n'en demeure que très peu dans le budget européen ! Les seules ressources propres qui restent - et, si elles étaient essentielles au départ, elles se sont depuis réduites comme peau de chagrin - ce sont les droits de douane, les cotisations « sucre » et les prélèvements agricoles.
Ainsi, les droits de douane, démantèlement des frontières oblige, se sont réduits d'année en année jusqu'à ne représenter plus aujourd'hui que 15 % des ressources de l'Union européenne.
Les ressources dites « propres » de l'Union ne représentent donc plus que 15 % de son budget, les 85 % restants étant en fait assurés par les cotisations des Etats membres de l'Union.
Le fait que le poids des cotisations des Etats membres dans le budget augmente sans cesse fait rebondir - sans cesse également - le débat pervers sur les soldes nets. Je suis moi-même « tombé dans le panneau » tout à l'heure, mais c'est pour mieux souligner maintenant à quel point ce débat est détestable.
Il est également absurde.En effet, d'une part les ressources du budget ne sont pas affectées en totalité aux Etats puisqu'une partie finance la politique extérieure et qu'une autre sert à couvrir les frais administratifs. D'autre part, les crédits affectés dans un Etat ne servent pas que cet Etat. Des crédits de cohésion destinés, par exemple, au Portugal peuvent être mis en oeuvre par des entreprises françaises.
Pour toute une série de raisons que je ne développerai pas plus avant ici, ce débat est donc absurde. Il est par ailleurs antieuropéen ; le « I want my money back » de Mme Thatcher suffit à le rappeler.
J'en viens au contenu de l'accord.
Premier point, les droits de douane, seule véritable ressource propre qui reste à l'Union, sont mis en cause par l'accord de Berlin.
Les Néerlandais et les Britanniques se plaignaient que leur contribution pesait trop lourd dans leur budget ; on a voulu leur donner satisfaction, et, pour ce faire, ayant constaté que le commerce européen transitait par Rotterdam pour la plus grande part et par la Grande-Bretagne pour les produits venant du Commonwealth - effet Rotterdam, effet Commonwealth - on n'a rien trouvé de mieux que de se servir au passage sur les droits de douanes !
On a ainsi décidé de faire passer à 25 % les frais de perception des droits de douane à Rotterdam ou à l'entrée en Grande-Bretagne. Nous apportons donc une compensation aux Pays-Bas et à la Grande-Bretagne en réduisant encore les droits de douane, c'est-à-dire en portant atteinte aux seules ressources propres qui donnaient une réalité au budget européen.
C'est détestable, et cela ne sert pas l'Europe. C'est un accord de circonstance destiné à apaiser les revendications de certains Etats membres.
Deuxième point, vous l'avez souligné et je suis d'accord avec vous : s'agissant du rééquilibrage des cotisations qui, jusqu'à présent, étaient, pour le principal, assises sur la TVA et dont l'assiette, progressivement, devient le PNB, il faut savoir si l'on entend faire payer les Etats dans lesquels on consomme beaucoup ou les Etats qui produisent beaucoup.
Pour la France, le prélèvement sur la TVA vaut un peu mieux, mais pas beaucoup, car nous consommons beaucoup et nous produisons beaucoup. Mais, au moins, personne ne peut dire que l'accroissement de la ressource PNB est inéquitable ! Cela va dans le bon sens. Dès lors que l'on accepte que le budget européen soit financé par les cotisations des Etats membres, personne ne peut s'opposer à ce que ces cotisations soient réparties équitablement en fonction de la richesse de ces derniers. Je n'y vois donc pas d'inconvénient.
Le troisième point, en revanche, est, comme le premier, détestable. Je veux parler du « chèque » britannique. Non seulement celui-ci est pérennisé, mais, de plus, comme il faut bien couvrir les dépenses, dès lors que le Royaume-Uni est exonéré d'une partie de sa contribution, il faut répercuter le manque à gagner sur les autres Etats membres. Et comme certains protestent parce qu'ils considèrent aussi qu'ils paient trop, on charge encore plus la barque de ceux qui ne se sont pas plaints !
On retrouve ainsi le clivage entre les Etats qui souhaitaient voir leur contribution réduite - le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l'Allemagne, ainsi que la Suède et l'Autriche, dans une moindre mesure - et les autres, à savoir la France, l'Italie et, dans une moindre mesure, l'Espagne.
Il est d'ailleurs assez naturel de retrouver, parmi les Etats qui ont ratifié rapidement cet accord, essentiellement ceux qui en bénéficient et, parmi ceux qui traînent un peu les pieds, ceux qui n'en bénéficient pas ! Cela me paraît assez naturel, mais c'est tout de même fâcheux pour l'esprit communautaire, les retards pour ratifier un tel accord n'étant pas la marque d'un grand empressement à accorder la priorité, dans chacun de nos Etats, aux sujets européens. Cela me paraît inquiétant.
Dans ce contexte, je considère, qu'à l'heure où l'euro fiduciaire fait son apparition dans les poches de tous les ressortissants des onze Etats qui ont accepté d'entrer dans l'Union économique et monétaire, et où, treize pays candidats frappent à la porte de l'Union européenne, cette dernière mérite mieux que cet accord résultant d'un marchandage et d'un rafistolage : l'Europe a besoin qu'on lui redonne espoir.
Je souhaite donc que la France demande à la convention que présidera M. Valéry Giscard d'Estaing de se saisir des questions budgétaires, en vue de donner à l'Europe un budget lisible, démocratiquement construit, démocratiquement contrôlé, bref, qui soit digne d'elle.
C'est important, et si le débat d'aujourd'hui sert au moins à tirer solennellement, pour la dernière fois, le signal d'alarme et nous encourage à aller en ce sens, nous aurons fait oeuvre utile.
La cuisine à quinze est indigeste, la cuisine à vingt-cinq serait immangeable ! Cet accord, c'est de la cuisine : nous n'en voulons plus ! Nous voulons écarter tout ce qui n'est pas communautaire, et tous les « tripatouillages », car nous voulons que l'Europe progresse dans la transparence et dans la dignité vers des objectifs clairs.
La vigueur avec laquelle je le demande est l'expression du sentiment très européen qui m'anime : c'est parce que j'aime l'Europe que je me bats pour qu'elle dispose d'un vrai budget ; c'est parce que j'aime l'Europe que je m'oppose aux eurosceptiques, à ceux qui, parce que l'Europe ne « marche » pas, en concluent qu'il faut y mettre un terme. Moi, je dis que, si l'Europe ne marche pas, eh bien, il faut la faire marcher !
L'enjeu est tellement important qu'il faut tout faire pour y parvenir. C'est pourquoi je mets tant de passion à dire tout le mal que je pense de cet accord !
Néanmoins, pour ne pas ouvrir une crise européenne, nous sommes obligés de le ratifier, d'autant que nous l'avons déjà mis en oeuvre en votant l'article 26 du projet de loi de finances pour 2002.
J'espère cependant que c'est la dernière fois que j'aurai à dire tout le mal que je pense de l'ensemble de notre système budgétaire. Organisons, enfin, un vrai débat budgétaire européen donnant à l'Europe un budget lisible et compréhensible par tous nos concitoyens de l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Le Gouvernement nous demande aujourd'hui de ratifier la décision relative au système des ressources propres des Communautés européennes, qui a été adoptée le 29 septembre 2000. Cette décision met en oeuvre l'un des points de l'accord financier issu du Conseil européen qui s'est tenu à Berlin, les 24 et 25 mars 1999.
La ratification d'un accord intergouvernemental européen est une figure de style : la marge de manoeuvre du Parlement national est des plus réduites, puisque nous ne pouvons qu'accepter ou refuser en bloc l'accord.
Je ne vais pas laisser planer le suspens plus longtemps et, d'emblée, je vous confie que je me prononcerai en faveur de la ratification, mais cela ne m'empêche pas d'être critique sur la manière dont celle-ci nous est demandée.
Sur le fond, cette décision me paraît être une solution de compromis acceptable, bien qu'elle ait pour conséquence d'alourdir la contribution de la France au budget de l'Union européenne.
Elle n'entraîne pas de bouleversement de la structure des ressources propres. Comme vient de nous l'exposer avec fougue M. Badré, les modifications proposées consistent dans une hausse des frais de perception des ressources propres traditionnelles, une baisse de la ressource TVA et une hausse concomitante de la ressource PNB, enfin, dans un rééquilibrage du financement de la compensation britannique au profit des principaux contributeurs nets.
La question d'une refonte plus ambitieuse du système des ressources propres est renvoyée à l'issue de la période des perspectives financières en cours, c'est-à-dire à 2006.
A Berlin, il s'agissait d'abord de faire face dans l'urgence à une remise en cause radicale des bases mêmes du financement de l'Union européenne. Emmenés par l'Allemagne, les principaux pays contributeurs nets exigeaient un écrêtement généralisé de leurs contributions.
Le compromis finalement retenu consiste à limiter l'écrêtement au financement de la compensation britannique, qui n'est plus pris en compte qu'à hauteur de 25 % pour l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas et la Suède. La différence est prise en charge par les autres Etats membres, au premier rang desquels l'Italie et la France.
Cette solution de fortune a permis de « boucler » les difficiles négociations du Conseil de Berlin, mais elle présente l'inconvénient de consolider la compensation britannique, qui est un ver dans le fruit de la solidarité européenne. De proche en proche, chaque Etat membre risque d'être tenté de revendiquer un strict retour de sa contribution aux dépenses communes. C'est là un bien mauvais exemple d'égoïsme insulaire, à un moment où l'Union européenne s'apprête à faire preuve de générosité en accueillant de nouveaux Etats membres aux capacités contributives limitées.
M. Denis Badré, rapporteur. Ce n'est pas de la générosité !
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Je crois, madame le secrétaire d'Etat, qu'il ne faut pas hésiter à poser la question du devenir de la compensation britannique. Elle m'apparaît comme l'héritage d'une époque révolue de la construction européenne et ne pas avoir vocation à être pérennisée.
Sur la forme, ce projet de loi de ratification arrive bien tard. Il nous est présenté, comme l'a souligné M. le rapporteur, après le vote en loi de finances du montant de la contribution de la France au budget des Communautés européennes. Le montant de cette contribution inclut les effets de la décision relative au système des ressources propres, qui a été appliqué par anticipation au budget pour 2002. Si nous ne voulons pas nous déjuger, nous n'avons pas d'autre choix que d'en voter aujourd'hui la ratification.
Cette méthode me semble peu respectueuse des droits du Parlement. La décision ayant été adoptée dès le 29 septembre 2000, il aurait pourtant été facile de nous demander de nous prononcer dans un ordre plus logique, d'abord sur la décision, ensuite sur la contribution française au budget communautaire.
Que l'on n'invoque pas les contraintes d'un ordre du jour parlementaire encombré ! Une fois encore, je constate à regret que le Gouvernement a négligé la transposition en droit interne ou, en l'occurrence, la ratification d'une norme communautaire.
La solution que je propose, madame le secrétaire d'Etat, est celle de la proposition de loi constitutionnelle que le Sénat a adoptée le 14 juin dernier sur l'initiative de M. Aymeri de Montesquiou. Il s'agirait de réserver une séance par mois à la transposition des directives communautaires et à l'autorisation de ratification ou d'approbation des conventions internationales. Cette règle de procédure simple nous permettrait d'éviter d'accumuler les retards.
Dans le cas présent, elle aurait évité à la France de se sentir visée par le paragraphe des conclusions du Conseil européen de Laeken, dans lequel on peut lire que « le Conseil européen a pris connaissance avec préoccupation du fait que dans quelques Etats membres la nouvelle décision sur les ressources propres n'a pas encore été ratifiée ».
Pourtant, même en ratifiant seulement in extremis la décision relative aux ressources propres, la France fait mieux que certains de ses partenaires européens. D'autres Etats membres s'y sont pris encore plus tardivement et ne seront pas en mesure de ratifier le texte avant la fin de cette année. C'est le cas de l'Italie, de l'Espagne, de la Belgique et du Luxembourg.
De ce fait, la décision ne pourra pas entrer en vigueur au 1er janvier 2002 comme prévu. La Commission européenne a dû présenter en urgence, le 6 décembre dernier, une lettre rectificative au projet de budget communautaire qui rétablit provisoirement les bases de financement antérieures.
Evidemment, les Etats membres qui devaient réaliser des économies grâce à la nouvelle décision relative aux ressources propres sont extrêmement mécontents. C'est en particulier le cas de l'Allemagne, qui, en année pleine, devra verser 717 millions d'euros de plus que si la décision était entrée normalement en vigueur. Dans les faits, ce dépassement ne devrait porter que sur les premiers mois de l'année, jusqu'à l'achèvement du processus de ratification, et le trop-versé devrait être ensuite rétrocédé. Ces mouvements de fonds confus n'en dénotent pas moins un manque de sérieux étonnant de la part des Etats membres « fautifs ».
Telles sont, monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les trois observations que je souhaitais faire sur ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants. - Jacques Blanc et Philippe Nogrix applaudissent.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. - Est autorisée l'approbation de la décision du Conseil de l'Union européenne relative au système des ressources propres des Communautés européennes, adoptée à Bruxelles le 29 septembre 2000, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Je vais mettre aux voix l'article unique du projet de loi.
M. Gérard Miquel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Miquel.
M. Gérard Miquel. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Conseil européen de Laeken s'est inquiété, il y a trois jours, du retard pris dans la transposition de la nouvelle décision sur les ressources propres des Communautés européennes.
Le Sénat examine aujourd'hui le projet de loi de ratification de la décision visant à réformer le système des ressources propres, prise lors du Conseil européen de Berlin en mars 1999 et approuvée par le Conseil le 29 septembre 2000.
Les contributions des Etats membres pour le budget communautaire 2002 ont été ajustées en fonction de la nouvelle répartition qu'implique ce système, mais il semble qu'en raison du retard pris dans la transposition de cette décision par les différents parlements nationaux ce système n'entrera pas en vigueur au 1er janvier 2002.
Le principe de substitution de la ressource PNB à la ressource TVA nous paraît plus équitable, puisqu'il permet, en particulier, d'améliorer le pourcentage de restitution des frais de perception aux Etats membres.
Ce nouveau système est toujours fondé sur l'engagement des Etats membres à maintenir la correction britannique, ristourne obtenue en 1984 par Mme Thatcher et dont le financement est modifié et réparti différemment entre les Etats membres. Ainsi, la France contribue désormais à hauteur de 31 % à ce financement et voit, par conséquent, sa contribution au budget communautaire augmenter de 11,7 %, cette évolution étant relativisée par la restitution des frais de perception.
Comme l'a rappelé mon collègue Bernard Angels lors de l'examen de l'article 26 du projet de loi de finances pour 2002, nous ne devons pas oublier que l'augmentation de la contribution française est le fruit d'un compromis arraché au Conseil de l'Union européenne, dans le cadre de l'accord global sur les perspectives financières pour la période 2000-2006. Ce compromis a permis de préserver la structure de financement de la politique agricole commune, dont bénéficie très largement la France : c'était pour nous essentiel.
Si nous ne pouvons que nous féliciter du résultat d'un compromis politique visant à assurer le financement des actions de l'Union européenne, nous nous interrogeons néanmoins sur la prise en compte de l'élargissement de l'Union et sur les conséquences de celui-ci pour ce système de ressources propres, somme toute complexe.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Ça, c'est sûr !
M. Gérard Miquel. Il est prévu que ce système sera réexaminé avant le 1er janvier 2006, mais nous estimons qu'il sera rapidement indispensable d'entamer une réflexion globale sur le financement futur d'une Union élargie, qui s'annonce difficile. Il est illusoire de penser que l'élargissement pourra s'effectuer dans de bonnes conditions sans que soit modifié le plafond des ressources propres, maintenu à 1,27 % du PNB. Le problème est de concilier le financement des politiques de l'Union, l'aide aux nouveaux et aux futurs pays candidats et le respect du principe de solidarité qui fonde l'Union.
La période de réflexion collective qui s'engage aujourd'hui sur l'avenir de l'Union devra, sur le plan politique, permettre d'envisager des solutions, y compris, à mon avis, la mise en place progressive d'un budget européen.
Dans cette perspective, le rôle des parlements nationaux doit être considéré comme essentiel.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Très bien !
M. Gérard Miquel. Comment ne pas déplorer, à cet égard, le manque d'association des parlements nationaux à l'élaboration du budget communautaire ? Ceux-ci, en raison du calendrier budgétaire européen, n'examinent que les dépenses, et ce en fin de parcours.
Nous souhaitons vivement que la convention chargée de la réforme des institutions européennes puis la future conférence intergouvernementale s'interrogent à propos d'une meilleure participation des parlements nationaux au choix des options budgétaires, plus particulièrement en amont.
Nous attendons beaucoup de ce nouveau chapitre qui s'ouvre ; il devrait être riche en débats et permettre de redonner corps et force au projet européen. En attendant, le groupe socialiste votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jacques Blanc. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Le groupe des Républicains et Indépendants votera lui aussi l'article unique de ce projet de loi, en regrettant toutefois, au lendemain du sommet de Laeken, d'être amené à le faire sans véritable enthousiasme.
En effet, nous devrions pouvoir exprimer, à l'instar de M. le rapporteur, une grande espérance : l'analyse de la situation faite par M. Haenel le permettrait.
Réjouissons-nous tout d'abord que M. Valéry Giscard d'Estaing ait été nommé président de la convention sur l'avenir de l'Europe à l'occasion du sommet de Laeken. C'est là incontestablement un bon choix pour l'Europe, car il s'agit d'un homme d'expérience, ayant marqué de son empreinte la construction européenne. Je rappellerai à cet égard qu'il a créé le serpent monétaire européen, premier système du genre, et su, dans des situations parfois difficiles, garder foi en l'Europe. Son action au service exclusif de l'avenir nous permettra de nous dégager d' a priori et de problèmes internes, et de donner un souffle et un élan nouveaux à l'Europe.
Dans cette marche en avant, méfions-nous des mots, auxquels on donne souvent des définitions différentes. Ainsi, ne parlons pas à la légère de constitution, de structure fédérale, car nous risquons de nous opposer inutilement.
Quoi qu'il en soit, espérons que le problème budgétaire sera traité autrement qu'au détour de l'examen d'une autre question, et que le Parlement français, comme les autres parlements nationaux et le Parlement européen, pourra donner à ce débat une dimension positive, sans se fermer sur lui-même.
A ce propos, que l'on me permette de rêver, par exemple, à une meilleure association du comité des régions de l'Union européenne au processus. En effet, il existe un manque très net en matière de communication européenne.
Peut-être contribuons-nous d'ailleurs nous aussi, ce soir, à jeter davantage encore le doute sur la construction européenne par nos réticences à voter ce projet de loi. Nous adopterons celui-ci pour éviter une rupture, en espérant néanmoins que, demain, dans ce monde qui nous effraie, mais qui s'impose à nous - on peut ouvrir tous les débats que l'on veut sur la mondialisation, mais elle est une réalité - l'Europe sera capable, même à vingt-cinq Etats membres, de créer une dynamique très forte autour de nos valeurs fondamentales. Il s'agit d'un débat de fond : notre société a besoin d'un supplément d'âme, et l'Europe peut le lui apporter. La jeunesse de ce pays doit avoir conscience des perspectives qui s'offrent à elle.
Bien entendu, mon propos peut paraître décalé au regard de la modicité des crédits prévus, qui atteignent quelque 10 milliards de francs.
M. Denis Badré, rapporteur. Ce n'est déjà pas mal !
M. Jacques Blanc. Certes, mais cessons de compter et considérons la réalité des chances de l'Europe.
M. le rapporteur a évoqué une éventuelle renationalisation de la politique agricole commune. J'espère que cela ne se produira pas : l'Europe - il nous appartiendra d'insister sur ce point - aura besoin de ressources supplémentaires pour réussir l'élargissement, et il ne s'agit pas de remettre en cause des politiques auxquelles nous tenons. Si la PAC doit certes évoluer, il conviendra de sauvegarder les atouts de notre agriculture, sauf à pouvoir instaurer - ce que je souhaite - des prix permettant de rémunérer vraiment le travail des agriculteurs.
L'Europe devra, en outre, continuer à promouvoir les zones rurales par le biais de l'objectif 2, l'objectif 5 b ayant été, hélas ! supprimé.
Dégager des ressources sera nécessaire pour poursuivre l'application des politiques déjà mises en oeuvres et répondre aux attentes des futurs Etats membres de l'Union européenne.
Les enjeux sont très élevés. Espérons que la Convention sera à leur hauteur : à cet égard, je remercie M. le Président de la République française de s'être battu pour que M. Valéry Giscard d'Estaing préside cette dernière. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.