SEANCE DU 14 FEVRIER 2002


M. le président. « Art. 12. - I. - Après l'article 225-12 du code pénal, il est inséré une section 2 bis ainsi rédigée :

« Section 2 bis

« Du recours à la prostitution d'un mineur

« Art. 225-12-1 . - Le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir, en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération, des relations de nature sexuelle de la part d'un mineur qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, est puni de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
« Art. 225-12-2 . - Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende :
« 1° Lorsqu'il s'agit d'un mineur de quinze ans ;
« 2° Lorsque l'infraction est commise de façon habituelle ou à l'égard de plusieurs mineurs ;
« 3° Lorsque le mineur a été mis en contact avec l'auteur des faits grâce à l'utilisation, pour la diffusion de messages à destination d'un public non déterminé, d'un réseau de communication ;
« 4° Lorsque les faits sont commis par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions.
« Art. 225-12-3 . - Dans le cas où les délits prévus par les articles 225-12-1 et 225-12-2 sont commis à l'étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation au deuxième alinéa de l'article 113-6 et les dispositions de la seconde phrase de l'article 113-8 ne sont pas applicables.
« Art. 225-12-4 . - Les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement dans les conditions prévues par l'article 121-2 des infractions prévues par la présente section.
« Les peines encourues par les personnes morales sont :
« 1° L'amende, suivant les modalités prévues par l'article 131-38 ;
« 2° Les peines mentionnées à l'article 131-39.
« L'interdiction mentionnée au 2° de l'article 131-39 porte sur l'activité dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise.
« II. - Non modifié.
« III. - Le 4° de l'article 227-26 du même code est abrogé et le 5° de cet article devient le 4°.
« Le dernier alinéa de l'article 227-28-1 du même code est supprimé.
« IV et V. - Non modifiés.
« VI. - Supprimé. »
L'amendement n° 26 rectifié ter, présenté par M. Badinter, Mme Michèle André, MM. Courrière, Debarge, Dreyfus-Schmidt, Frécon, Frimat, Charles Gautier, Mahéas, Peyronnet, Sueur et Sutour, est ainsi libellé :
« Avant le I de l'article 12, ajouter un paragraphe ainsi rédigé :
« ... La prostitution des mineurs est interdite sur tout le territoire de la République. »
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Nous entamons la discussion d'une série d'amendements concernant un sujet qui ne relève pas, c'est le moins que l'on puisse dire, du texte relatif à l'autorité parentale. Je dirai quelques mots à propos des conditions dans lesquelles nous avons été amenés à les élaborer puis à les déposer.
L'article 12 résulte d'un amendement présenté par le Gouvernement, qui a sans doute été introduit dans la présente proposition de loi au regard de considérations d'ordre international. De ce fait, nous n'avions pas pu, en première lecture, travailler sérieusement et déposer des amendements puisque l'amendement du Gouvernement avait été déposé mardi et examiné le mercredi soir, si j'ai bonne mémoire, en séance.
Lorsque la proposition de loi est revenue au Sénat après son examen par l'Assemblée nationale, nous y avons travaillé, comme c'est le devoir de tout parlementaire.
Sur ces questions très difficiles, j'ai eu à coeur de consulter des magistrats spécialisés, à la fois très qualifiés dans le domaine de la protection de la jeunesse et exerçant des fonctions judiciaires importantes, afin de voir comment améliorer ces textes. Les amendements qui vous sont soumis aujourd'hui ont tous - je puis le dire car ils m'y ont autorisé - reçu leur approbation.
Cela étant, les membres socialistes de la commission des lois ont élaboré avec moi les textes de ces amendements. C'est la raison pour laquelle ils figurent nommément tous en tête de chaque amendement.
L'amendement n° 26 rectifié ter est nécessaire. Il était d'ailleurs très demandé par les services de la protection judiciaire de la jeunesse. Il faut, en effet, que les choses soient clairement dites : l'amendement du Gouvernement visait à la pénalisation des relations sexuelles avec des mineurs, plus précisément avec des mineurs de quinze à dix-huit ans. C'est la prostitution des adolescents qui est au coeur de ce débat. J'évoquerai plus tard les problèmes beaucoup plus graves encore de la traite et des mineurs de moins de quinze ans.
S'agissant des mineurs de quinze à dix-huit ans, la position du droit français, aujourd'hui, est la suivante : tout d'abord, la prostitution en tant qu'activité est licite. Je ne parle pas des formes odieuses d'exploitation, d'incitation et de proxénétisme, mais du fait, pour un Français, de se livrer à la prostitution, si tel est son choix. La prostitution, en tant que telle, n'est pas aujourd'hui prohibée.
Quant à l'âge dit « de la majorité sexuelle » - il est ainsi dénommé depuis la suppression, en 1982, de ce que l'on appelait à tort le délit d'homosexualité et qui était en réalité une forme de discrimination à l'encontre des homosexuels - s'agissant de relations avec des mineurs de quinze à dix-huit ans, c'est-à-dire du droit de disposer librement de son corps, il est fixé à quinze ans.
Le texte adopté par le Sénat et l'Assemblée nationale nous fait entrer dans une dimension tout à fait différente : on ne peut, en effet, pas dire d'une activité qu'elle est licite ou autorisée si une personne s'adressant à celui ou à celle qui l'exerce encourt une peine d'emprisonnement ! Il y a là une contradiction dont j'avoue ne pas voir comment elle peut être résolue.
A partir de là, les choses doivent être dites clairement. En effet, il faut que l'introduction de cette disposition nouvelle dans notre droit soit connue et donc que cette dernière figure dans la loi. Il n'y a pas, à cet égard, d'équivoque possible ni d'ambiguité à entretenir. C'est pourquoi notre amendement n° 26 rectifié ter tend à affirmer que « la prostitution des mineurs est interdite sur tout le territoire de la République ».
Ce texte - j'y insiste - est nécessaire à des fins de clarté ; il est également indispensable à des fins de pédagogie : il faut que, sur le territoire français, tous sachent clairement que la prostitution des mineurs est interdite et que, par conséquent, celui qui y recourra se trouvera encourir des peines qui auront été fixées par la loi.
Cet amendement est également indispensable à des fins de pédagogie générale : je n'ose pas penser aux étrangers, mais il est bon que, à l'intérieur même des établissements d'éducation, on sache que toute forme de prostitution des mineurs est aujourd'hui interdite, y compris pour les mineurs âgés de quinze à dix-huit ans.
On m'objectera que cette mesure pourrait pénaliser en quelque sorte les mineurs prostitués. Mais l'amendement suivant, très important, répond à cette préoccupation.
Il faut donc que les choses soient sues et qu'elles soient dites.
J'ai été sensible à l'argument de notre excellent rapporteur selon lequel cette disposition doit être inscrite non pas dans le code pénal, mais simplement dans la loi. Ce point me préoccupait d'ailleurs pour des raisons juridiques. L'amendement n° 26 rectifié ter vise donc à ajouter, avant le I de l'article 12, un paragraphe ainsi rédigé : « La prostitution des mineurs est interdite sur tout le territoire de la République. » Il fait référence à « tout le territoire de la République », car la question est particulièrement importante s'agissant, m'a-t-on dit, des départements et territoires d'outre mer.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille, rapporteur. La commission, estimant qu'il convient d'affirmer clairement le principe de l'interdiction de la prostitution des mineurs, émet un avis favorable sur cet amendement.
En outre, l'inscription de cette disposition non plus dans le code pénal mais dans le texte de cette loi est conforme au souhait que j'avais émis, à titre personnel.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée. Nous abordons une série d'amendements relatifs à la prostitution des mineurs. Le Gouvernement les examinera dans un esprit d'ouverture, animé du souci d'aboutir à un accord permettant à la fois une avancée très importante en matière de protection des victimes de la prostitution, avec la création d'un délit nouveau inscrit dans le code pénal, et l'élaboration d'un texte acceptable pour les parlementaires de l'Assemblée nationale qui puisse faire l'objet d'un vote conforme.
J'observe avec grand plaisir que les modifications apportées par M. Badinter à ses amendements sont conformes aux souhaits de la commission des lois, et je forme donc le voeu que notre débat sur ce point donne satisfaction tant au Gouvernement qu'au Parlement. Nous abordons en effet là une situation qui dépasse les clivages politiques, que la société tout entière réprouve vraiment et qui appelle des mesures efficaces.
Si ce nouveau phénomène de société a, au demeurant sans doute, toujours existé, il prend cependant aujourd'hui sur notre territoire des dimensions tout à fait inacceptables.
J'ai déjà eu l'occasion de formuler un certain nombre d'observations lors de ma réponse dans la discussion générale. Je rappellerai donc simplement que les dispositions dont nous parlons à l'instant ont déjà fait l'objet d'une discussion au sein d'un conseil de sécurité intérieur qui s'est réuni voilà maintenant plus d'un an ; elles figuraient par ailleurs dans le rapport de Mme Lazerges sur l'esclavage moderne. En outre, elles ont été très profondément examinées et proposées par Mme la défenseure des enfants dans le rapport qu'elle a remis au Président de la République. Et le chef du Gouvernement, lorsqu'il s'est engagé sur cette question, en accord avec l'ensemble des sensibilités politiques, l'a fait lors des états généraux de protection de l'enfance en pensant que cette disposition était cohérente avec ce dont nous venons de parler, à savoir l'autorité parentale. Ces mineurs victimes de prostitution sont en effet des mineurs soustraits à l'autorité parentale : ils n'ont pas eu la chance d'être cadrés correctement dans leur famille. Il faut donc que la loi les protège.
J'observe avec satisfaction que l'amendement n° 26 rectifié ter vise désormais à insérer une disposition dans la loi elle-même, et non plus dans le code pénal. En effet, cette dernière solution aurait pu soulever quelques objections.
Tout d'abord, l'affirmation d'un principe qui n'est pas contestable - c'est pourquoi le Gouvernement le soutiendra - sous-entend, « en creux », autre chose. Dire, par exemple, que la prostitution des mineurs est interdite laisse penser que la prostitution des majeurs est autorisée. Or, une partie au moins de cette prostitution est interdite : celle qui est contrainte. Mais nous reviendrons sur ce débat lors de l'examen du projet de loi sur l'esclavage moderne, actuellement sur le bureau du Sénat, qui constituera une seconde étape. Voilà pourquoi nous pouvons d'ores et déjà affirmer dans le présent texte un certain nombre de choses importantes.
Par ailleurs, s'agissant de l'expression « sur tout le territoire de la République », des débats ont eu lieu au sein de la commission des lois pour lever toute ambiguïté. A partir du moment où le principe d'extraterritorialité en matière de protection des mineurs, en vigueur en France depuis l'adoption de la loi de 1998, n'est pas remis en cause et qu'il est également appliqué dans d'autres pays, tels l'Allemagne, la Belgique, l'Italie, le Danemark, l'Espagne et la Suisse, ce qui signifie que des délits commis sur le sol français ne peuvent devenir des non-délits sur le sol de ces pays, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 26 rectifié ter.
M. Jean-Pierre Fourcade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Je soutiens la proposition de M. Badinter. La ville que j'administre est l'objet, à l'heure actuelle, d'une très forte activité délictueuse de jeunes mineurs.
Le fait d'affirmer dans ce texte que la prostitution des mineurs est interdite présente à mon avis deux avantages.
En premier lieu, c'est un principe clair. Et, madame le ministre, je ne redoute pas le fait que, par opposition, on puisse penser que la prostitution des majeurs est autorisée. Nous constatons en effet dans nos villes que la prostitution fleurit. A Boulogne-Billancourt, j'ai la « chance », si vous me permettez l'expression, de voir coexister toutes les formes de prostitution : prostitution de transsexuels, de travestis, de jeunes gens et de mineurs.
En second lieu, il me paraît excellent que cette disposition figure dans une proposition de loi sur l'autorité parentale. Cela permet en effet d'expliquer à l'ensemble des familles et des responsables que des sommes d'argent arrivant sans raison apparente dans les foyers peuvent provenir de la prostitution ou de la drogue, et qu'il faut donc y prêter attention.
Par conséquent, le groupe du RDSE soutient cette série d'amendements.
Mais il y a deux conséquences à en tirer.
Premièrement, il faut que le garde des sceaux, dans le cadre des quelques prérogatives dont il dispose à l'égard des parquets, explique à tous les représentants de ces derniers que cette disposition est non pas voeu pieux, mais - je l'espère - une décision unanime du Parlement et du Gouvernement, et qu'il leur faut donc s'en occuper : il ne faut pas lancer des procédures, les interrompre en raison de moyens insuffisants pour essayer de faire autre chose ensuite. Il faut y mettre les moyens !
Deuxièmement - mais j'aborde déjà là les amendements suivants -, les tribunaux pour enfants sont surchargés. Par conséquent, faire appel, en cas de prostitution de mineurs, aux juges des enfants pour s'occuper de l'ensemble des mesures aboutira immédiatement à une insuffisance catastrophique de moyens. Les rôles des tribunaux pour enfants sont très encombrés ; les magistrats siègent déjà dans de nombreuses commissions et exercent beaucoup d'activités autres que les activités de protection des mineurs.
Par conséquent, mes chers collègues, le vote de ce texte, auquel tout le monde doit se rallier, doit inévitablement déboucher tant sur des instructions beaucoup plus fermes données aux parquets - et je les demande ! - pour éviter la dispersion de l'action publique que sur un renforcement des moyens et de l'organisation des tribunaux pour enfants. Je serais heureux, à cette occasion, que l'on mette davantage à contribution les tribunaux d'instance, composés de magistrats qui se demandent très souvent ce qu'ils font par rapport aux tribunaux pour enfants ou aux tribunaux de grande instance. C'est donc toute une mobilisation de notre organisation judiciaire qui sera nécessaire pour faire respecter ce principe auquel, je crois, nous adhérons tous. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Je tiens à dire d'emblée que le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra sur les amendements déposés par M. Badinter.
Je constate, d'ailleurs, qu'il y a une évolution dans sa réflexion, puisque M. Badinter renonce à ce que le texte de son premier amendement figure dans le code pénal.
Nous avions voté, des deux mains si je peux dire, l'article 12 tel qu'il résultait d'un amendement du Gouvernement, tout en considérant, bien entendu, qu'il ne saurait être question de renoncer à se lancer dans une lutte beaucoup plus globale contre la prostitution des mineurs. L'article ne pouvait en effet, à lui seul, résoudre le problème.
A la lecture du rapport de Mme Lazerges sur l'esclavage en France, nous avions dit combien il nous semblait essentiel de développer une véritable politique de lutte contre les trafics et de protection des victimes desdits trafics. Pour autant, il ne saurait être question de renoncer aux avancées de la lutte contre la prostitution des mineurs.
A cet égard, les amendements proposés par M. Badinter, dont je partage, comme je l'ai dit, les préoccupations, me semblent soulever autant de problèmes qu'ils prétendent en résoudre.
Ce premier amendement - je ne prendrai pas la parole sur les autres - est de ce point de vue symptomatique : l'intention est fort louable, mais, s'agissant d'une proclamation de principe, je me pose des questions sur son application. En effet, dans la mesure où il s'agit d'une disposition à insérer dans le code pénal, on peut se demander quelles en seront les conséquences juridiques. Tout d'abord, l'interdiction vise-t-elle à sanctionner le client ou le mineur ? On me répondra, bien sûr, que le mineur n'est pas susceptible d'être sanctionné ; il n'empêche que la rédaction peut prêter à interprétation et entretient un flou qui risquerait de pénaliser le mineur lui-même.
Par ailleurs, la prostitution des mineurs étant interdite, faut-il entendre a contrario - Mme la ministre a déjà soulevé ce problème - que la prostitution des majeurs est une activité commerciale normale, comme on le constate dans certains pays ? Je sais très bien que la prostitution des majeurs est licite. Il n'empêche que, au regard de ce qu'elle représente pour un grand nombre de personnes, au regard des réseaux de jeunes femmes venues de l'Est, d'Afrique ou d'Amérique latine, qui se livrent à la prostitution sous la contrainte, que cette contrainte soit d'ordre social, psychologique ou autre, on ne peut laisser penser que la prostitution serait un commerce comme un autre.
Enfin, si l'interdiction de la prostitution des mineurs se limite au territoire de la République, cela signifie-t-il qu'on admet celle des mineurs à l'étranger, qu'ils soient français ou étrangers ? Il me semble, là encore, que se pose un problème dans la mesure où, aujourd'hui, il est absolument nécessaire de lutter contre le tourisme sexuel.
Certes, je ne mets aucunement en doute les intentions sous-jacentes à ces amendements ; je sais bien que l'arrivée massive de très jeunes prostituées d'origine étrangère en France vous préoccupe, tout comme moi, mon cher collègue, comme elle préoccupe tous ceux qui sont attachés aux droits des mineurs, qu'ils soient enfants ou adolescents.
Mais il est indéniable que vos propositions risquent d'être sources de difficultés, dont certaines ont d'ailleurs été soulignées.
Ainsi, supprimer du champ d'application de la loi les mineurs de quinze ans au motif que la répression des relations sexuelles fait déjà l'objet d'une incrimination pénale conduirait à ne plus pouvoir réprimer la tentative, le fait de solliciter le mineur. Seules les relations sexuelles avérées pourraient l'être. Or on sait bien que la constatation de ces relations est extrêmement difficile à établir, d'autant que la brigade des mineurs est absolument exsangue et qu'elle manque cruellement de moyens.
Il faut donc, me semble-t-il, sanctionner également la sollicitation des mineurs.
Au demeurant, mon cher collègue, avec vos propositions, vous avez interpellé les pouvoirs publics et le Gouvernement sur les modalités de la lutte contre la prostitution des mineurs, et cela me paraît tout à fait positif. Mais elles mériteraient une réflexion plus approfondie et d'être accompagnées de textes plus explicites concernant l'engagement du Parlement et du Gouvernement dans la lutte contre les trafics de personnes. En l'état, elles me semblent à la fois trop limitées et trop imprécises, pouvant donner lieu à des interprétations diverses. C'est pourquoi, comme je l'ai déjà dit, nous préférons nous abstenir.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Les explications de Mme Borvo m'ont paru particulièrement embarrassées. Je dois dire que nous étions, nous aussi, embarrassés lors de l'examen du texte en première lecture, car nous nous rendions bien compte que le seul fait de créer une nouvelle incrimination pour permettre la poursuite des clients de la prostitution des mineurs ne résolvait pas le problème.
Bien entendu - on l'a dit à plusieurs reprises ; vous l'avez, vous-même, affirmé, madame la ministre - il y a avant tout une question de moyens. Quand on crée des incriminations, il faut que les moyens suivent. Or, nous connaissons la faiblesse des moyens accordés à la protection des mineurs, notamment aux services de police chargés de cette protection.
Dans les grandes agglomérations, comme Paris ou d'autres, parce que Paris n'a pas l'exclusivité de ces pratiques, du fait de l'ouverture des frontières, des déplacements de population, un grand nombre de jeunes, originaires, notamment, d'Afrique ou des pays de l'Est, sont lancés sur le pavé ; ils sont d'ailleurs quelquefois recyclés puisqu'il semblerait, d'après mes informations, que ceux qui étaient « chargés » des parcmètres sont aujourd'hui renvoyés vers d'autres activités plus lucratives. Tout cela est abominable ! (Mme le ministre acquiesce.)
Bien entendu, nous avions voté la disposition proposée par le Gouvernement, parce que nous ne pouvions pas envisager de ne pas prendre des mesures extrêmement fermes pour tenter d'arrêter cette forme d'esclavage, qui est encore plus grave quand il s'agit de jeunes.
Mais parler d'esclavage c'est, en tout état de cause, reconnaître qu'il n'y a pas de prostitution sans proxénétisme, surtout s'agissant de mineurs. Il est évident que l'on doit principalement s'attacher à combattre les réseaux et les proxénètes.
Nous nous félicitions, l'autre jour, de ce que plusieurs pays veuillent accéder à l'Union européenne. C'est très bien, en effet, mais je crois qu'il faudrait signifier à certains d'entre eux que nous ne pourrons accepter que, sur leur territoire, des jeunes - ou des adultes d'ailleurs - puissent être transportés pour être ensuite amenés dans les pays d'Europe de l'Ouest afin de nourrir divers trafics, notamment la prostitution.
Par ailleurs, je rappelle qu'en dehors du code pénal il existe déjà divers textes qui interdisent certains comportements à l'égard des mineurs. Il en est ainsi des mesures contre l'alcoolisme figurant dans le code des débits de boisson. De même, les publications à caractère pornographique sont réglementées. Si quelqu'un reçoit des mineurs dans certains établissements, il est passible d'une sanction. Dans tous les cas, ce ne sont pas les jeunes qui sont condamnés : ce sont les adultes qui les entraînent.
Ces exemples s'apparentent, toutes choses égales, au sujet qui nous occupe. Les majeurs sont condamnés, certes, mais l'accent doit être mis ensuite sur la protection des mineurs, car ce sont des victimes. C'est un principe qu'il est indispensable d'affirmer pour assurer l'équilibre du texte.
Dans le même temps, madame la ministre, il faut rappeler que l'efficacité, c'est aussi une question de moyens. Nous le savons bien, hélas ! En matière de justice, la répression n'est utile qu'à condition d'être efficace.
Dans les prochains mois, nous allons d'ailleurs travailler sur la justice des mineurs, sur la prévention et sur la protection, celle-ci devant primer.
Je crois que le présent texte contribuera à cette protection, à condition, bien sûr, qu'il garde toute son ampleur.
M. Badinter nous a permis de progresser dans cette réflexion, qui n'est évidemment pas terminée, puisqu'il faut y intégrer tout l'aspect de l'esclavage moderne. Or les mineurs sont souvent concernés par ces formes d'esclavage même dans nos beaux pays, où l'on pense toujours que l'esclavage ne peut être qu'ailleurs.
M. Jean-Pierre Sueur. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. La prostitution des mineurs est une forme particulièrement odieuse de l'esclavage moderne, et nous devons vous être reconnaissants, madame la ministre, d'avoir choisi d'aborder clairement cette question et de formuler une proposition.
Notre collègue Robert Badinter a déposé un certain nombre d'amendements, cosignés par les membres socialistes de la commission des lois. Je me réjouis pour ma part des travaux très approfondis qui ont eu lieu au sein de ladite commission, en concertation avec le Gouvernement. Ainsi, nous devrions parvenir, comme vous l'avez souhaité, madame la ministre, à une solution non seulement satisfaisante sur le plan juridique mais aussi efficace dans la lutte contre ce grave fléau.
Je dirai, après d'autres, que l'amendement n° 26 rectifié ter a le grand avantage de mettre en oeuvre une logique.
Mes chers collègues, d'abord, dès lors qu'on choisit de pénaliser les relations sexuelles contre rémunération entre un majeur et un mineur se livrant à la prostitution, il est clair que la conséquence logique est d'inscrire dans la loi l'interdiction de la prostitution des mineurs.
Ensuite, il est très important, s'il y a - et il y aura - pénalisation du client, qu'il y ait aussi pénalisation du proxénète dans des proportions appropriées. (M. Hyest fait un signe d'approbation.) Certes, elle existe déjà, mais il faut que chacun réponde de ses actes à la mesure de leur gravité.
Par ailleurs, il est essentiel d'indiquer, comme le suggère l'un des amendements de notre collègue Robert Badinter, que ces mineurs relèvent de la protection du juge des enfants au titre de la procédure d'assistance éducative. Evidemment, madame la ministre, cela suppose les moyens nécessaires pour assurer assistance, éducation et insertion ; nous connaissons l'ampleur de la tâche.
Il est vrai aussi qu'il faudra des moyens suffisants en termes de police.
Enfin, je veux insister sur un point qui vient d'être évoqué par l'une de nos collègues : le tourisme sexuel.
Le tourisme sexuel qui se traduit par l'exploitation de mineurs est odieux, et il serait tout à fait erroné de considérer, si peu que ce soit, les dispositions qui nous sont ici présentées comme un consentement à la prostitution des mineurs à l'étranger.
A la suite d'un débat important qui a eu lieu au sein de la commission des lois, Robert Badinter a d'ailleurs accepté de renoncer à l'un de ses amendements, de manière qu'il ne puisse pas y avoir la moindre ambiguïté sur ce point : si nous légiférons, évidemment pour le territoire de la République, il est clair que ce qui est odieux sur ce territoire l'est tout autant hors de ce territoire.
M. Christian Cointat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Cointat.
M. Christian Cointat. De la présentation qu'en a faite M. Badinter, je retiens que cet amendement a essentiellement deux vertus : une vertu pédagogique en ce qu'il permet d'inscrire au fronton de la loi que « la prostitution des mineurs est interdite », et cela me paraît fondamental ; une vertu de cohérence juridique entre l'interdiction de la pratique et la condamnation du client qui en résulte.
Ces deux éléments sont suffisamment importants pour justifier le vote de cet amendement.
Cela étant, comme l'ont souligné certains de nos collègues, il faut des moyens et surtout une volonté car, lorsqu'on a la volonté, on trouve les moyens. Mais, madame le ministre, avez-vous la volonté ?
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée. Oui !
M. Christian Cointat. Alors, j'aimerais que vous le prouviez !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 26 rectifié ter, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 30 rectifié, présenté par M. Badinter, Mme André, MM. Courrière, Debarge, Dreyfus-Schmidt, Frécon, Gautier, Mahéas, Peyronnet, Sueur et Sutour, est ainsi libellé :
« Avant le I de l'article 12, ajouter un paragraphe ainsi rédigé :
« ... Tout mineur qui se livre à la prostitution, même occasionnellement, est réputé en danger et relève de la protection du juge des enfants au titre de la procédure d'assistance éducative. »
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Cet amendement est destiné à bien prendre en compte la condition, non seulement pitoyable mais plus encore tragique, des mineures, étrangères notamment - ce sont les plus nombreuses -, qui se livrent à la prostitution.
J'aurai tout à l'heure l'occasion de dire à quel point il est urgent que les pouvoirs publics, dans la totalité de l'Europe, car c'est un problème international, mesurent ce qui est en train d'advenir : depuis les pays de l'Est, depuis les terres africaines - et l'on voit bien que tout cela tient à la misère sévissant dans ces régions du monde - des organisations criminelles, des réseaux de proxénètes introduisent sur le territoire de l'Union européenne, notamment à travers les Balkans, des jeunes femmes, dont des mineures, qui « tournent » ensuite à travers les différents pays. C'est là un véritable fléau.
Mais j'en reviens à l'amendement n° 30 rectifié.
Nous avons décidé de pénaliser la relation du client avec une mineure. Se pose alors une question, qui a été formulée par les magistrats avec lesquels je me suis entretenu : que va faire celle-ci, sans papiers, sans possibilité de travail ?
Si la notion de mineur en danger a un sens - et je laisse de côté l'ombre du proxénétisme qui pèse sur ces jeunes filles à tout moment - c'est bien là !
Or, pour des raisons sur lesquelles nous devons, me semble-t-il, nous pencher de la façon la plus précise et la plus pressante, il se trouve que ces adolescentes ne sont pratiquement jamais présentées au juge chargé de la protection de la jeunesse. Des chiffres très significatifs m'ont été fournis par des associations dont je veux ici saluer expressément la généreuse, la constante, l'admirable action pour lutter contre la prostitution des mineures et qui, elles, assument réellement le fardeau que les pouvoirs publics, à mon sens, n'assument pas comme il convient.
Je pose donc simplement cette question : que peuvent faire ces malheureuses ? Se livrer au trafic de stupéfiants ? Entrer dans des réseaux de vol organisé ?
La notion de mineur en danger existe déjà, et il est indispensable que, dès lors que sera mis en oeuvre le texte pénal s'agissant de telle ou telle victime prostituée, cette dernière bénéficie systématiquement des mesures prévues pour la protection de l'enfance et de l'adolescence en péril.
Tel est exactement l'objet de cet amendement, qui prévoit, je le souligne, l'application de la procédure d'assistance éducative et non de sanctions. Chacun en conviendra ; des mesures de protection sont, en l'occurrence, nécessaires - ô combien ! - et les dispositions bien connues de l'article 375 du code civil trouvent ici tout particulièrement à s'appliquer.
Tout récemment, une personnalité très importante qui mène une action au sein d'une association indiquait devant moi que, sur 280 jeunes femmes interpellées, 279 étaient majeures et une seule était mineure, si tant est que l'on puisse savoir quel est exactement l'âge de certaines. Comment ne pas s'étonner d'une si faible proportion de mineures ? Il suffit de s'approcher, le soir, à Paris, du boulevard périphérique pour voir tant et tant de malheureuses petites africaines. Il ne fait aucun doute que la notion de mineur en danger s'impose !
Cela étant, c'est vrai, rien ne peut se faire sans une volonté politique affirmée et constante, sans des moyens appropriés. Il est clair que, à la suite de l'admirable rapport de Mme Lazerges, le Parlement devra se préoccuper au premier chef, dès l'ouverture de la prochaine législature, quelle que soit l'issue des élections à venir, de ce problème fondamental pour notre société.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement.
Il est vrai que l'existence de l'article 375 du code civil aurait dû nous dispenser de l'adoption de cette mesure car il est tout à fait patent que la santé, la sécurité et la moralité de ces mineures sont en danger. Si les juges pour enfants avaient appliqué ce texte, nous n'en serions pas là.
Il est effectivement nécessaire de ne pas se contenter de sanctionner le client et de prendre en charge ces mineures pour pouvoir les protéger, de manière à apporter une solution à une situation extrêmement grave, insupportable même.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée. Le Gouvernement est tout à fait favorable à cet amendement, qui a le mérite de clarifier l'amendement précédent, de lui donner toute sa portée, et qui éclaire parfaitement le sens de notre démarche puisqu'il n'y a pas de confusion entre la mineure victime, le client et le proxénète.
Je vous remercie, monsieur Badinter, d'avoir déposé cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 30 rectifié.
M. Jean-Louis Lorrain. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Sur le texte proposé par cet amendement, je n'ai aucune remarque particulière à formuler, m'inclinant devant le travail qu'ont accompli les juristes pour aboutir à ces propositions.
Cela dit, la loi a aussi besoin, pour s'appliquer, de relais.
Les travaux que nous menions encore en début de semaine au sein de l'Institut des hautes études de la sécurité intérieure ont bien mis en lumière la nécessité d'une sensibilisation à la protection de la jeunesse. A cet égard, les juges des enfants et les responsables de ce secteur au sein de l'administration de la justice disent clairement que le problème ne tient pas tant aux moyens en termes quantitatifs - certains reconnaissent d'ailleurs que des efforts ont été réalisés dans ce domaine - qu'à des questions d'organisation.
Nous avons encore vu, hélas ! une illustration du caractère extrêmement délicat des situations qui sont évoquées ce matin, quand on a découvert, la semaine dernière, dans ma région, que des collégiennes avaient forcé une de leurs condisciples à se prostituer.
Mais je reviens à l'aspect organisationnel du problème.
En effet, il ne suffit pas de voter des lignes budgétaires ou de décider la création de postes. Il faut aussi savoir quels personnels nous allons employer, quel statut nous allons leur donner, comment nous allons les recruter. Aurons-nous le temps de créer de véritables structures d'accueil ? Quel travail social sera effectué à l'intérieur de ces structures ? Pour le moment aucune réponse n'a été apportée à ces questions, et cela concerne aussi, nous le savons, d'autres établissements d'accueil. Il nous faut donc avant tout travailler à la définition d'une véritable politique en la matière.
La mise en place d'observatoires locaux ainsi qu'un travail en réseau sur le plan local, avec l'ensemble des forces vives, avec les services de police, les municipalités et les travailleurs sociaux, deviennent indispensables.
Si nous sommes sensibles au principe posé par la loi, nous souhaitons, en tant qu'acteurs de terrain, que des réponses soient apportées sur les questions que je viens d'évoquer.
M. Christian Cointat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Cointat.
M. Christian Cointat. C'est évident, nous ne pouvons qu'appuyer cet amendement. Il soulève toutefois un certain nombre de problèmes, qui ont d'ailleurs été abordés brièvement par M. Badinter.
Je rappelle que le texte que nous discutons est relatif à l'autorité parentale. Les jeunes qui sont placés sous la protection du juge devraient ensuite être replacés sous l'autorité parentale. Un certain nombre d'entre eux, pour ne pas dire la plupart d'entre eux, seraient sans papiers et donc illégalement sur le sol de la République française. Il ne faudrait pas que l'on puisse détourner ce texte de son objet en laissant entendre que, à partir du moment où ils sont placés sous la protection du juge, ils sont reconnus comme résidant légalement sur notre territoire.
Des mesures devront donc être prises pour que ces mineurs se retrouvent dans le cadre légal, même s'il est impératif de les protéger, car ce sont bien des victimes.
M. Robert Badinter. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Permettez-moi juste une observation après ce qu'a dit notre excellent rapporteur : le progrès réalisé ici, c'est que, dans l'actuel article 375 du code civil, il s'agit d'une possibilité, alors que nous en faisons - ce que les magistrats de la jeunesse souhaitaient - une obligation. Le mineur est en danger, ô combien ! et il relève de la protection. Le changement est, on le mesurera, important !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 30 rectifié, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l'unanimité.

ARTICLE 225-12-1 DU CODE PÉNAL