SEANCE DU 21 FEVRIER 2002


RÉFORME DU DIVORCE

Discussion d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 17, 2001-2002), adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme du divorce. [Rapport n° 252 (2001-2002) et rapport d'information n° 183 (2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous examinez aujourd'hui la proposition de loi portant réforme du divorce, adoptée par l'Assemblée nationale le 10 octobre dernier, et dont votre commission des lois, au terme de sa réflexion, vous propose une mouture sensiblement différente.
Le Gouvernement a voulu, sur un sujet aussi sensible, engager une large consultation et mener une réflexion approfondie avec l'ensemble des acteurs et les grandes familles de pensée. J'ai, moi-même, lors des rencontres régionales organisées au printemps dernier dans quatre grandes villes, pris le temps d'échanger avec tous ceux qui se sentent très directement et personnellement concernés par ces questions.
En effet, les enjeux de la réforme sont importants. Le divorce touche, de nos jours, un couple sur trois, et même un sur deux à Paris.
Une procédure en divorce est souvent, pour nos concitoyens, l'unique occasion d'approcher la justice et d'y être confronté.
Au cours de la procédure, il faut donc préparer l'avenir de telle sorte que les époux ne perdent ni leur dignité d'homme ou de femme ni leur place de père ou de mère, et que chacun puisse se reconstruire, tandis que seront préservés les liens de parentalité, tellement essentiels.
Enfin, la question a une dimension symbolique : la famille est plus que jamais une valeur fondamentale ; elle est le lieu de transmission de la vie, de construction et d'expression des liens affectifs, de mise en oeuvre des solidarités, d'acquisition du lien social.
Le droit du divorce, du « démariage », témoigne donc de l'état d'une société et des principes qui la fondent.
La réforme du divorce est nécessaire.
Notre législation en la matière n'est plus adaptée en raison des évolutions fondamentales qui sont intervenues dans les rapports de couple, qu'il s'agisse de l'autorité parentale ou des régimes matrimoniaux, et de la reconnaissance de la diversité des modèles familiaux.
En effet, 40 % des enfants naissent hors mariage, et celui-ci n'est plus, dans de nombreux cas, la condition obligée d'une vie à deux ni même l'acte fondateur d'une famille. La décision de se marier procède d'un choix déterminé et réfléchi, fruit d'une volonté libre et réciproque qui constitue non seulement le socle de l'union mais également la condition de son maintien.
Dès lors, le divorce est de moins en moins considéré comme la sanction d'une faute, mais plutôt comme le résultat de l'échec du couple, ou tout simplement, et c'est de plus en plus souvent le cas, comme la fin d'une vie conjugale qui ne convient plus.
La séparation est souvent ressentie comme un événement pénible, parfois comme un drame personnel, mais l'idée de voir perdurer un mariage qui n'est plus qu'apparence est de plus en plus contestée.
Alors, comment admettre aujourd'hui que, par la volonté unilatérale d'un seul époux, on maintienne un lien marital fictif, vide de sens et d'avenir, et dont seule la bataille du divorce pour faute permettrait de se défaire éventuellement, ajoutant ainsi à la souffrance de la séparation l'agressivité d'une procédure, peut-être vaine de surcroît ?
Si la nécessité de réformer le droit du divorce dans le sens d'une simplification, d'une humanisation et d'une pacification des procédures fait aujourd'hui l'unanimité, c'est également en considération d'un bilan fortement contrasté de la loi de 1975, qui a échoué à dédramatiser le divorce, lequel reste, dans près de la moitié des cas, prononcé pour faute. Mais ne nous y trompons pas : cette donnée purement statistique ne reflète pas la volonté des couples de s'orienter à tout prix vers une voie conflictuelle.
Il faut également prendre la juste mesure des effets dévastateurs, largement dénoncés, de ces procédures sur les relations parents-enfants, irrémédiablement marquées des stigmates d'un conflit parental, voire familial, exacerbé par la recherche et la preuve des griefs.
C'est en considération de tous ces éléments que la démarche entreprise par l'Assemblée nationale a reçu le soutien du Gouvernement. Cette position obéit à deux raisons essentielles.
D'abord, le texte se décline, comme les autres aspects de la réforme de la famille, autour de deux grands principes : la liberté et la responsabilité.
Il se fonde sur la liberté, car le droit du xxie siècle doit être respectueux des choix et des parcours individuels, savoir les reconnaître dans leur diversité et offrir à nos concitoyens les réponses et les repères qu'ils attendent.
Le texte s'appuie également sur le principe de la responsabilité, car celle qui concerne les relations parents-enfants doit être assumée au-delà même des aléas de la séparation, et respectée par chacun, père et mère, pour tendre vers cette coparentalité nécessaire à l'épanouissement de l'enfant.
Ensuite, la proposition de loi s'inspire de cette conception nouvelle, que je crois essentielle, d'une justice familiale plus humaine, plus accessible, plus participative, plus soucieuse de l'accompagnement des personnes et de leur devenir.
Votre commission des lois a prévu un dispositif qui ne peut emporter mon adhésion.
Certes, il vous est proposé, à côté d'un divorce par consentement mutuel simplifié, un nouveau cas de séparation : pour altération irrémédiable des relations conjugales. Mais, parallèlement, le divorce pour faute est maintenu et le devoir de secours trouve encore à s'appliquer dans certaines situations.
Mes observations s'articuleront autour de ce clivage.
Mais je veux d'abord rappeler les points d'accord, qui sont essentiels.
S'agissant du divorce par consentement mutuel, la commission des lois se rallie à sa simplification en y apportant des adaptations techniques qui n'appellent pas de remarque particulière de ma part à ce stade des débats.
En ce qui concerne le nouveau cas de divorce objectif proposé par votre commission, il repose sur une « altération irrémédiable des relations conjugales rendant intolérable le maintien de la vie commune ».
Cette communauté d'approche avec le texte de l'Assemblée nationale est le signe que le temps est bien venu de reconnaître dans la loi un véritable droit au divorce. Il s'agit sans doute là de l'avancée la plus fondamentale de la réforme, qui devrait, à long terme, définitivement dédramatiser les relations entre des époux qui se séparent.
Bien évidemment, vous avez eu, comme l'Assemblée nationale, le souci de faire en sorte que ce droit ne soit pas discrétionnaire, que la liberté ainsi reconnue soit strictement encadrée, accompagnée et respectueuse tant des droits que des devoirs de chacun.
Votre commission a d'ailleurs conservé sa nature judiciaire à la procédure. Il convient en effet de ne pas banaliser le prononcé du divorce ; que celui-ci soit ou non le fruit d'un choix commun des époux, il constitue une décision grave aux plans individuel, familial mais aussi social. Il ne faut pas non plus méconnaître les situations de profonde inégalité qui existent au sein de certains couples du fait d'une réelle domination d'un conjoint sur l'autre.
Tout comme l'Assemblée nationale, votre commission considère que la procédure doit être un outil d'accompagnement des parties au cours de cette phrase difficile de leur vie. Elle doit ainsi s'adapter à la diversité des situations, en donnant aux époux les moyens de la réflexion et du dialogue et en prenant pleinement en compte leurs accords.
S'agissant de la diversité des situations, que les débats portent uniquement sur l'organisation des conséquences du divorce ou que le principe même de la rupture ne soit pas acquis, la procédure sera, pour certains couples, un temps privilégié de maturation des choix et des décisions, particulièrement utile quand un des conjoints s'opposera à la procédure de divorce.
A cet égard, l'analyse de votre commission des lois diverge de celle de l'Assemblée nationale.
Votre commission propose un délai impératif de dix-huit mois entre l'ordonnance de non-conciliation et la délivrance de l'assignation dès lors que l'époux défendeur refuse le principe du divorce et que la rupture de la vie commune ne remonte pas à plus de deux ans.
Je préfère laisser au magistrat le soin de juger, à la lumière des débats et des demandes concrètes des parties, de la durée nécessaire de la procédure en fonction des situations et demandes particulières de chaque couple. Il serait particulièrement désastreux de contraindre un époux à accepter le principe du divorce, en violation de sa conscience, dans le seul but d'échapper à la rigueur d'un délai incompressible.
Enfin, une période de latence ne risque-t-elle pas de créer des tensions entre les conjoints engagés dans une procédure de divorce et d'aller à l'encontre de la pacification recherchée à travers cette réforme ?
C'est pourquoi j'approuve le mécanisme proposé par l'Assemblée nationale, qui donne, dans la souplesse, toute son importance à la phase de conciliation en ménageant aux époux le temps dont ils ont besoin pour réfléchir avant qu'intervienne éventuellement une réconciliation ou, au contraire, que s'engage un « travail de deuil » du mariage, et en leur offrant les moyens d'une préparation sereine et responsable de l'avenir.
Cette période sera d'autant plus fructueuse qu'il y a un accord sur le recours à la médiation familiale. Fondée sur la responsabilité des personnes, la médiation familiale fait des époux les acteurs de leur propre devenir, en favorisant l'écoute mutuelle et l'expression des vraies attentes de chacun.
Il appartient donc au législateur de consacrer ce moyen privilégié d'humanisation et de pacification des procédures, et aux pouvoirs publics de l'organiser pour mieux répondre aux besoins des familles.
Grâce à ce dispositif pourront émerger plus facilement des accords entre époux.
Ainsi sera consacrée une nouvelle philosophie de la procédure de divorce, résolument tournée vers le règlement de l'avenir et la préservation des liens essentiels de parentalité.
J'en viens aux principaux points de désaccords.
J'avoue mal comprendre que votre commission des lois souhaite maintenir le divorce pour faute, tout comme je comprends mal qu'un certain nombre d'avocats continuent à demander le divorce pour faute, ce qui pourrait d'ailleurs conduire à leur prêter des intentions qu'ils n'ont sûrement pas.
Il s'agit pour moi d'un point fondamental.
Certes, est proposé un tronc commun de la conciliation dans les procédures contentieuses à requête initiale en divorce n'indiquant pas de grief et n'imputant pas de torts. L'autonomie de chaque procédure n'apparaît qu'au moment de l'assignation, qui doit préciser le cas de divorce invoqué.
Cependant, malgré l'existence de ce tronc commun, la persistance du divorce pour faute se heurte à des obstacles dirimants.
Le maintien d'un système de contrôle sur les « causes de la séparation » ne saurait coexister avec la reconnaissance fondamentale d'un droit au divorce qui exclut dorénavant toute appréciation du juge sur le bien-fondé d'une telle demande. Il y va de la lisibilité et de la cohérence de l'ensemble de la réforme.
Comment tolérer plus longtemps que la procédure de divorce aggrave les conflits et les divisions entre deux êtres qui ont, un temps du moins, partagé un idéal commun, qu'elle implique l'entourage familial et qu'elle compromette dangereusement l'équilibre des enfants ? Nous avons tous rencontré de ces situations où le divorce est aussi celui des enfants, de la famille, de l'école, voire des employeurs.
J'entends bien, cependant, votre préoccupation à l'égard de certains conjoints pour lesquels le divorce est une rupture difficile, parfois brutale, souvent injuste. Mais je pense que l'on peut répondre à ces situations par d'autres voies.
L'article 1382 du code civil autorise d'ores et déjà un époux à solliciter des dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel ou moral qu'il a subi en raison du comportement fautif de son conjoint. Si point n'est besoin, juridiquement, de le préciser expressément dans la loi, l'Assemblée nationale a néanmoins, dans un souci de clarté, inscrit ce principe général de responsabilité civile dans le texte qu'elle a adopté.
A côté de ce droit à indemnisation, qui doit être maintenu, le dispositif voulu par l'Assemblée nationale, qui permet au juge de constater, indépendamment de toute demande d'indemnisation, l'existence de faits d'une particulière gravité, recueille ma totale adhésion. Il répond en effet aux souhaits légitimes de ceux et celles qui ont été gravement victimes de l'attitude de leur conjoint et attendent de la justice la reconnaissance, symbolique mais essentielle pour leur reconstruction, de leur souffrance.
Il me semble que la grande force du texte soumis à votre examen est là : réaliser une modernisation radicale de notre droit du divorce mais ne pas méconnaître la dimension humaine et psychologique des situations qu'il a vocation à traiter.
Ainsi, ne sera pas occulté le drame que constitue le phénomène des violences conjugales, dont les dernières enquêtes ont révélé l'ampleur. Il le sera d'autant moins que votre commission approuve, tout en le complétant, le dispositif préventif destiné à répondre à ces situations. Il ouvre, en effet, la possibilité de solliciter du juge, avant toute demande en divorce, l'organisation de la résidence séparée des époux, notamment l'exclusion du conjoint violent du domicile conjugal.
De même, il prévoit que les décisions nécessaires concernant les enfants et les modalités d'exercice de l'autorité parentale pourront être prises à cette occasion.
Enfin, je crois que le maintien du divorce pour faute risque d'aboutir à des situations paradoxales. On ne peut exclure la possibilité d'un rejet de la demande, faute de preuve, de la part des juges du fond, dont l'appréciation est souveraine. Or, précisément, l'objet de la réforme est de faire en sorte que, comme le demandent nos concitoyens, la procédure ne devienne pas une arme contre eux.
Reste un dernier point de désaccord important à mes yeux : votre commission propose de maintenir le devoir de secours entre les époux dans les cas où le divorce aurait des conséquences d'une exceptionnelle dureté. Cela va à l'encontre de toute la philisophie de la réforme. La dissolution du mariage doit mettre un terme définitif aux obligations entre époux, sauf à faire perdurer un contentieux stérile, vain et douloureux.
Certes, il faut prendre en compte les graves difficultés matérielles dans lesquelles le prononcé du divorce peut plonger certains époux particulièrement démunis. Toutefois, en application de la loi du 30 juin 2000 relative à la prestation compensatoire, le juge peut fixer une prestation compensatoire sous forme d'une rente viagère en raison de l'âge ou de l'état de santé du créancier.
Je rappelle en outre que le texte voté par l'Assemblée nationale prévoit une indemnisation spécifique pour le cas où les conséquences du divorce seraient exceptionnellement pénibles pour un époux non demandeur au divorce.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les observations que je souhaitais formuler à ce stade de la discussion.
Je remercie votre commission des lois, qui a beaucoup travaillé ces dernières semaines.
M. Jean-Jacques Hyest. Comme toujours !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je remercie particulièrement son rapporteur, Patrice Gélard, de son travail scrupuleux et de la qualité de sa réflexion.
La calendrier parlementaire ne permettra pas de voir aboutir cette proposition de loi, mais le débat qui va s'ouvrir, ne sera - j'en suis convaincue - ni perdu ni vain. L'évolution des mentalités est telle que réformer le droit du divorce est une ardente obligation. Aussi, je ne doute pas que, lors de la nouvelle législature, cette importante réforme aboutira et que les échanges que nous allons avoir aujourd'hui seront déterminants.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame le garde des sceaux, avant d'aborder la présentation orale de mon rapport, permettez-moi de vous livrer une réflexion.
En cette époque de jeux Olympiques, la commission est contrainte à un véritable marathon ! (Sourires.)
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. La ministre aussi !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Depuis le mois de janvier, elle se réunit trois ou quatre fois par semaine, et nous ne comptons plus les nuits où nous avons dû siéger en séance publique. En ce qui me concerne, j'ai dépassé depuis hier soir les 35 heures légales de travail hebdomadaire !
M. Jean-Jacques Hyest. Stop ! (Sourires.)
M. Patrice Gélard, rapporteur. Heureusement, les membres de la commission jouissent d'une remarquable capacité d'endurance sportive. A défaut, je ne vois pas comment nous pourrions supporter trois séances consécutives de quinze heures chacune !
Cette remarque étant faite, j'en viens au texte qui nous occupe ce matin.
Madame le garde des sceaux, lorsque la proposition de loi du député Colcombet nous a été transmise, je me suis demandé si, compte tenu du peu de temps qui restait avant l'interruption des travaux parlementaires, il convenait de l'étudier promptement ou s'il n'était pas préférable d'attendre les échéances électorales pour que nous puissions l'examiner en toute sérénité. Nous aurions très bien pu, en effet, choisir d'y opposer aujourd'hui la question préalable. Mais nous aurions alors esquivé le problème et nous n'aurions pas réglé la question de fond qui nous est aujourd'hui posée et que vous avez évoquée tout à l'heure, madame le garde des sceaux.
Une remarque me paraît s'imposer à ce stade. Nous sommes en train de refondre profondément le droit de la famille, mais nous le faisons par petits morceaux. Nous avons ainsi successivement, en moins d'un an, adopté la loi sur l'autorité parentale, la loi sur les droits du conjoint survivant, la loi sur la prestation compensatoire et, hier soir, en attendant la suite que l'Assemblée nationale lui donnera, nous avons examiné la proposition de loi relative au nom patronymique.
La plupart du temps, ces modifications résultaient d'une proposition de loi et non d'un projet de loi - qui aurait été alors préalablement soumis à l'avis du Conseil d'Etat -, ce qui donne, finalement, une vision quelque peu décousue, un peu en patchwork, de la réforme du droit de la famille.
Toutefois, ces révisions successives, la proposition de loi portant réforme du divorce s'ajoutant aux quatre textes précédemment adoptés ou en cours d'examen, comportent un grand absent, le mariage : on tourne autour, on l'effleure, mais il n'en est pas question ; on ne veut pas remettre en cause cette institution, car on craint de mettre le feu aux poudres. En d'autres termes, on modifie, on transforme, on réforme, les bastions avancés tombent, mais on ne touche pas au château fort. Dans ces conditions, nos révisions successives sont parfois peu cohérentes les unes par rapport aux autres et nous obligent, à chaque fois, à réexaminer et à réviser, à adapter des dispositions adoptées quelque temps auparavant.
Si le mariage est une institution, il comprend cependant des aspects contractuels, même si ce n'est pas un simple contrat dont la dénonciation pourrait être prononcée par le juge pour faute. Y sont pris des engagements particuliers, que tout officier d'état civil connaît parfaitement pour les répéter en donnant lecture des articles 212 et suivants du code civil à chaque mariage.
J'ai l'impression que, par moments, on oublie ce qu'est véritablement le mariage. On pense que tous nos concitoyens ont l'intention de se marier, mais il ne faut pas oublier qu'à côté du mariage, institution et contrat, il existe d'autres possibilités de mener une vie commune, comme le Pacs ou le concubinage, dont le statut juridique ne suppose pas le passage devant l'officier d'état civil car il n'y a pas les mêmes engagements que dans le mariage.
Ces préalables posés, venons-en à la réforme qui nous est aujourd'hui proposée avec la proposition de loi Colcombet, qui a été adoptée le 10 octobre 2001 à l'Assemblée nationale.
Je tiens à préciser d'emblée que cette proposition de loi doit être rapprochée d'une autre proposition de loi, déposée en 1999 par l'un de nos estimés collègues, le président About, et tendant à établir le divorce pour cause objective. Ce texte avait suscité un intérêt réel au sein de la commission des lois, qui avait organisé, en avril 2000, une série d'auditions télévisées réunissant un nombre important de participants.
Nous nous sommes donc toujours intéressés à cette question et nous reconnaissons que la proposition Colcombet établit un vrai constat : le divorce est un drame, et la procédure de divorce est pénalisante pour les conjoints car elle est trop longue, trop difficile, trop fastidieuse, et naturellement conflictuelle.
La volonté que traduit la proposition de loi est donc parfaitement compréhensible : comment apaiser, pacifier les divorces ? Je crains cependant que cette ambition ne soit, en réalité, qu'une forme d'angélisme. En effet, ce n'est pas parce que l'on modifiera les règles du divorce que les conflits s'en trouveront pacifiés. Les conflits se manifesteront de la même façon, parce que divorcer, c'est mener un combat, même s'il est partiellement réglé, heureusement ! par la loi sur l'autorité parentale.
Toutefois, au-delà du combat sur les enfants, il y a un deuxième combat, sous-jacent, qui est le combat patrimonial : combien les intéressés vont-ils gagner ? Et, dans cette affaire, se profile la vengeance, parce que l'un des deux protagonistes se sent toujours floué ou trompé et souhaite que le tribunal reconnaisse qu'il - ou elle - a raison pour obtenir la compensation de ce qu'il - ou elle - estime être une violation de l'engagement solennel pris lors du mariage.
A l'occasion de l'examen de cette proposition de loi, la commission des lois a auditionné plusieurs dizaines de personnes - vous trouverez le compte rendu de ces auditions dans le rapport écrit - et j'ai personnellement entendu de mon côté un certain nombre de personnalités.
Pratiquement tous nos interlocuteurs ont insisté sur la nécessité absolue de maintenir le divorce pour faute, sur l'impossibilité de passer définitivement l'éponge. En effet, si nous abandonnions le divorce pour faute, cela entraînerait des conséquences dramatiques pour les conjoints qui n'ont pas voulu divorcer, et le système que nous propose M. Colcombet s'apparenterait alors, pour beaucoup, à la répudiation.
En France, 117 494 divorces ont été prononcés en 1999, auxquels il convient d'ajouter 2 055 divorces par transformation de séparation de corps depuis plus de trois ans. On aboutit donc à trois divorces pour dix mariages, c'est-à-dire à environ un divorce pour trois mariages. Voilà la réalité, une réalité à propos de laquelle de nombreux interlocuteurs, au cours de nos auditions, nous ont dit que la loi de 1975 méritait non pas forcément d'être brutalement transformée, mais simplement adaptée.
Mais j'en reviens aux chiffres : en 1999, 42,8 % des divorces prononcés, soit près de la moitié, l'ont été pour faute, 55,6 % l'ont été par consentement mutuel et seulement 1,7 % l'ont été après rupture de la vie commune. En d'autres termes, si problème il y a, il provient de l'échec quasi total du divorce pour rupture de la vie commune.
Madame le ministre, vous avez évoqué des situations difficiles et pénibles et, parfois, l'existence de rapports d'autorité dans un couple qui se sépare. Je vous suis tout à fait sur ce point. En effet, beaucoup de divorces par consentement mutuel sont de faux divorces par consentement mutuel : l'un des époux contraint l'autre, par pression, par chantage, par négociation, à accepter le consentement mutuel qu'en réalité, au fond de lui-même, il réfute.
Vous nous avez par ailleurs laissé entendre que beaucoup de divorces pour faute étaient artificiels. Tout le monde a entendu parler de ces lettres d'injures échangées, des témoignages extorqués d'amis et de parents pour tenter de démontrer que tel conjoint a commis plus de fautes que l'autre.
S'il existe de faux divorces pour faute, c'est bien parce que le système est incomplet et qu'il faut l'améliorer, le rendre plus adapté aux réalités modernes, plus cohérent.
La proposition Colcombet, que vous soutenez, madame le ministre, vise à supprimer le divorce pour faute. En réalité, cependant, même si le divorce pour faute est supprimé officiellement, il revient quand même par la fenêtre, puisque des dommages et intérêts - ceux de l'article 1382 du code civil, mais aussi une autre forme d'indemnisation, prévue par la proposition Colcombet - doivent intervenir dans la procédure. On fait ainsi réapparaître, sous une forme déguisée, la faute. Dans ces conditions, autant maintenir le divorce pour faute puisque la faute, existe, en réalité, dans la proposition de loi.
Il me semble cependant que nous devons nous interroger sur l'échec de la procédure pour rupture de la vie commune.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Il est, en effet, anormal de prononcer dans ce cas le divorce au bout de six ans - n'est-ce pas très long ? -, privant ainsi celui qui le voudrait de la possibilité de refaire sa vie dans des conditions normales.
Il est également anormal que celui qui demande le divorce pour rupture de la vie commune n'ait en aucun cas droit à la prestation compensatoire et prenne en réalité à sa charge la totalité des torts. Il y avait là des éléments à réformer, à modifier. Il fallait notamment réduire le délai de six ans, car on ne peut pas, quelles que soient les convictions qui sont les nôtres, forcer les gens qui ne veulent plus vivre ensemble à le faire. C'est donc là un élément positif de la proposition de loi Colcombet, comme de celle de notre collègue Nicolas About.
J'en viens aux conclusions de la commission des lois.
Nous avons retenu une grande partie des éléments de la proposition de loi Colcombet. Sur les améliorations procédurales proposées, nous sommes même allés plus loin encore pour tenir compte des auditions que nous avons pu mener avec vos services, madame le ministre, avec les magistrats, les avocats et les notaires, qui nous ont tous dit ce qu'il fallait penser de l'actuelle procédure de divorce.
Nous sommes tous d'accord pour renforcer les pouvoirs du juge. Nous sommes tous favorables aussi à la médiation, car le médiateur peut aider les conjoints qui veulent se séparer. Nous estimons cependant que cette médiation doit être « familiale » et, si d'aucuns auraient souhaité exclure la médiation familiale en cas de violences conjugales, nous avons estimé qu'une médiation pouvait être utile même dans ce cas, et l'avenir nous dira si nous avons eu raison.
Le juge pourra donc proposer une médiation familiale et les époux pourront l'accepter ou la refuser, car, comme vous l'avez rappelé, madame le garde des sceaux, cette procédure est de nature à atténuer considérablement les conflits entre les époux qui se séparent.
Nous proposons par ailleurs le maintien du divorce pour faute en tant que sanction du non-respect des obligations de l'institution du mariage. Certes, nous souhaitons qu'une fois la réforme progressivement mise en place le divorce pour faute disparaisse jusqu'à devenir l'exception, mais nous en sommes loin : comme vous l'avez souligné vous-même, madame le ministre, 42,8 % des divorces sont aujourd'hui prononcés pour faute.
Nous espérons qu'ainsi le divorce pour faute ou pour pseudo-faute sera délaissé au profit de la nouvelle forme de divorce que nous proposons, à savoir le divorce pour altération irrémédiable des relations conjugales.
Nous proposons trois formes de divorce avec un tronc commun puis des passerelles permettant à tout moment de passer de l'un à l'autre en faisant en sorte que chacun des époux puisse à tout moment revenir au divorce par consentement mutuel, ou passer du divorce pour faute au divorce pour altération irrémédiable des relations conjugales.
Nous supprimons aussi un certain nombre d'éléments qui permettraient des détournements de procédure.
Vous avez insisté, madame le garde des sceaux, dans votre exposé sur l'importance de la procédure du divorce. Nous partageons votre préoccupation sur ce point.
A partir de là, nous pensons que le système que nous proposons est équilibré. Le divorce par consentement mutuel doit permettre aux époux de se mettre d'accord à l'avance de façon dépassionnée avec le concours éventuellement d'un médiateur, avec un rôle renforcé du juge, avec une incitation forte pour que tous les problèmes matériels soient réglés avant le prononcé du divorce, notamment par l'intervention, si nécessaire, d'un notaire.
Nous avons également mis en place un système qui a pour objet, tout en renforçant le pouvoir du juge, la médiation, la liaison entre le prononcé du divorce et la liquidation des biens, de faire en sorte que la préoccupation fondamentale de M. Colcombet soit respectée, c'est-à-dire apaiser et pacifier les procédures de divorce.
Néanmoins, je pense que nous en sommes à une étape. C'est la raison pour laquelle le débat d'aujourd'hui est nécessaire. Nous n'avons pas eu le temps de mener à terme notre réflexion, nous n'aurons pas le temps de le faire avant la fin de cette législature. Il faudra donc soit reprendre le texte à zéro, soit continuer la navette entre l'Assemblée nationale et le Sénat, sans la procédure d'urgence parce que l'urgence en matière de divorce, de famille, de mariage, de prestation compensatoire est une mauvaise chose.
Il s'agit d'un vrai problème de société qui touche au droit, à la morale, à l'éthique et aussi à des sentiments beaucoup plus profonds comme l'amour et la disparition. On ne peut pas les traiter à la va-vite. On ne peut pas non plus brusquer sur ce point les sentiments de nos concitoyens.
Nous ne pouvons pas changer la loi parce que nous le voulons si nos concitoyens ne nous suivent pas dans ce domaine. Si nous allions trop vite dans le domaine du droit de la famille et du droit du mariage, nous risquerions de porter atteinte au fondement même de notre société.
Nous pouvons ouvrir des voies nouvelles, pour faire proposer des solutions nouvelles, pour faire en sorte que ce qui est intolérable ne le soit plus. C'est la raison pour laquelle je pense que le texte de la commission des lois est un texte équilibré, qui ouvre des perspectives nouvelles sans pour autant bouleverser la situation actuelle. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud, au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a examiné la proposition de loi portant réforme du divorce selon le point de vue spécifique qui est le sien, en concentrant son attention sur la manière dont cette loi pouvait contribuer à l'égalité entre les sexes.
Cette démarche peut paraître restreinte par rapport à celle de la commission saisie au fond, mais son champ de vision est, en réalité, assez large. Dès que l'on examine les situations de fait, on est amené à sortir d'une vision purement juridique, et on constate tout de suite, dans le divorce, que tout s'entremêle : le drame humain, les symboles... sans oublier la fiscalité.
Pour mettre le sujet en perspective, j'évoquerai simplement une évolution majeure, évidente en elle-même, mais qui fait vaciller toute la logique traditionnelle du droit de la famille en général, du divorce en particulier.
Pour la résumer en une phrase, je dirai que, sans la montée de l'autonomie des femmes, c'est-à-dire principalement de leur taux d'activité, la question du divorce ne se poserait pas dans les mêmes termes. J'ajoute que ce n'est pas un hasard si le consentement mutuel a été introduit par la loi du 11 juillet 1975, c'est-à-dire à une période où l'on ne pouvait plus ignorer les transformations qui se sont manifestées dans notre société à partir de 1968. Aujourd'hui, le moment est sans doute venu de franchir une nouvelle étape.
Cependant, nous ne pouvons pas nous contenter de retracer les grandes évolutions de notre société, nous devons aussi, nous, délégation aux droits des femmes, soulever des problèmes, en quelque sorte un peu tabou, qui remettent singulièrement en question les certitudes juridiques acquises.
En particulier, examinant la pratique du divorce par consentement mutuel, la délégation ne s'est pas limitée à un raisonnement quelque peu hâtif qui consisterait à dire : c'est une voie choisie dans 52 % des cas, donc cela fonctionne correctement.
Il faut écouter, comme nous l'avons fait, les associations de victimes de violences conjugales et lire les estimations, imprécises peut-être, mais impressionnantes tout de même, d'un phénomène de violence qui concernerait une femme sur dix. On se demande alors, si, dans certains cas, le consentement réputé « mutuel » n'est pas plutôt extorqué, au moins sur les modalités du divorce. J'ai d'ailleurs constaté à l'instant, que le rapporteur de la commission des lois partageait ce sentiment.
Alors, que faire ? L'Assemblée nationale, sur certains points, a beaucoup hésité et réfléchi parce qu'il faut, en même temps, veiller à ne pas compliquer la procédure de consentement mutuel, pour les neuf dixièmes des couples au sein desquels il n'y a pas de violence conjugale. Mes chers collègues, c'est tout le problème du principe de précaution qu'il faut l'appliquer avec mesure, sans quoi on crée de nouveaux blocages et d'inutiles complications.
Sur ce point, la délégation aux droits des femmes, pour sa part, a adopté deux recommandations - que je qualifierai d'accompagnement - pour favoriser la prévention et la détection de ces brutalités physiques ou morales.
Elle préconise le lancement de campagnes de communication efficaces sur l'ampleur et la gravité des violences conjugales. L'objectif est de rompre le sentiment d'isolement et le silence des femmes - ou des maris - battus. Il faut, par tous moyens, les inciter à enclencher des démarches auprès des institutions et des associations qui sont d'ores et déjà prêtes à se mobiliser.
Par ailleurs, la délégation a constaté que, nulle part dans l'analyse statistique des jugements de divorce publiée par le ministère de la justice ne sont mentionnés les faits de violences conjugales, alors que cette étude comporte quatre-ving-neuf pages et que la violence conjugale concerne tout de même environ une épouse sur dix. La délégation recommande donc, non pas d'instaurer une sorte de « casier conjugal » mais d'adapter l'observation statistique du divorce au recensement et à la détection des faits constitutifs de violences conjugales.
Je précise que ces deux recommandations s'appliquent aussi bien aux cas de consentement mutuel qu'au divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal. Cependant, j'attire l'attention sur le volet « détection » du dispositif. L'idée de la délégation, c'est de procéder à un chiffrage du nombre de cas dans lesquels le juge repère une anomalie, en s'entretenant séparément avec l'épouse ou avec l'époux. L'entretien séparé est prévu par le droit en vigueur et par le texte adopté par l'Assemblée nationale : il est important d'en mesurer l'efficacité.
Il faudrait également prévoir le recensement des cas dans lesquels le juge ne prononce pas le divorce par consentement mutuel parce qu'il n'a pas « acquis la conviction que chacun des époux a donné un consentement libre et éclairé ». Cette latitude d'appréciation du juge figure dans le texte prévu pour l'article 232 du code civil.
Telles sont les recommandations que nous préconisons pour orienter les moyens médiatiques et statistiques vers la dissuasion de la violence conjugale.
S'agissant de l'introduction du divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal, la délégation s'est fondée sur la progression de l'égalité des sexes pour approuver le principe d'un divorce plus responsable et mieux géré entre époux.
Certains semblent vouloir donner le sentiment qu'en supprimant le divorce pour faute on pousserait à la facilité. Or, à notre avis, c'est très exactement l'inverse. La facilité, c'est de se laisser entraîner par la zizanie, nous le savons bien. La facilité, c'est aussi, pour décider de l'essentiel - la garde des enfants, l'affectation du logement, la répartition des biens - de s'en remettre à la décision du juge.
Le courage, et même la grandeur d'âme, comme l'ont rappelé certaines sénatrices de la délégation, c'est plutôt de faire le point, de faire des concessions, soit pour se réconcilier, soit pour organiser convenablement la séparation. Pour les époux et surtout pour les enfants, divorcer, c'est aussi prévoir la suite.
Telle est, à nos yeux, la signification profonde de cette réforme.
Parmi les opinions que nous avons recueillies, personne n'a mis en doute le fait que ce texte devrait être neutre du point de vue juridique. Je pense également que, par sa nature, il contient les germes d'un rééquilibrage du divorce, avec une gestion moins conflictuelle et plus paritaire. Encore faut-il - c'est essentiel - mettre en place une médiation de qualité. Dans la pratique, la médiation sera le pilier de la réussite du nouveau système. Il s'agit là d'une disposition d'ordre réglementaire, dont notre délégation a décidé de suivre avec attention les développements.
Ces développements ont d'ailleurs commencé puisque, au cours du débat à l'Assemblée nationale, est paru un arrêté du 8 octobre 2001 portant création du Conseil national consultatif de la médiation familiale.
Ce conseil est chargé de proposer aux ministres toutes mesures utiles pour favoriser l'organisation de la médiation familiale et promouvoir son développement.
Par ailleurs, Mme la ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées a annoncé la création d'un diplôme de médiateur familial pour lequel seront prévus non seulement une formation juridique théorique, mais aussi une formation pratique sur le terrain.
Encore faut-il également bien vérifier que les conditions préalables à la médiation sont remplies. Il faut, en effet, proscrire la négociation quand le comportement de l'un des époux relève de la sanction. La délégation aux droits des femmes est sur ce point en total désaccord avec la commission des lois et nous regrettons de n'avoir pas été entendus. Pour nous, ici plus qu'ailleurs, la loi doit jouer pleinement son rôle en protégeant le plus faible.
Dans ce domaine, notre délégation aux droits des femmes s'est félicitée des garanties introduites dans le texte à l'Assemblée nationale et qui visent à combattre la violence conjugale à tous les stades de la procédure. Ces garanties, dont je ne détaillerai pas les modalités, sont la prévention avant le prononcé du divorce, la stigmatisation dans le jugement du divorce et la sanction des fautes civiles et pénales.
Notre délégation a constaté que, pour l'essentiel, cette panoplie protégeait le faible contre le fort.
Sur un point particulier, nous recommandons que soit donné le pouvoir au juge de porter de trois à six mois la durée de la résidence séparée qu'il peut prescrire en cas de mise en danger de la sécurité du conjoint ou des enfants - c'est l'article 220-1 du code civil introduit par l'article 13 de la proposition de loi. Ce dispositif se situe en amont, et donc en dehors de la procédure de divorce. Son but est de permettre l'allongement des délais lorsque les victimes de violences ont besoin de « reprendre leur souffle », de se retrouver.
La délégation a également voulu que soit prise en compte une réalité : celle de la « dualisation » de la condition féminine. Elle souhaite ainsi attirer l'attention sur le cas des femmes qui, confrontées au divorce après de longues années de mariage pendant lesquelles elles se sont exclusivement consacrées à leur mari et à leurs enfants, sont sans ressources personnelles et ont besoin d'être défendues. La délégation estime impératif d'assurer, au moment de la médiation ou du jugement, l'équilibre économique du divorce. Il s'agit là non pas d'introduire une disposition spécifique, mais plutôt de bien faire comprendre l'esprit de nos travaux.
Enfin, la délégation s'est notamment intéressée aux mésaventures qu'a connues la procédure du divorce par demande acceptée, qui, par certains aspects, préfigure le divorce pour rupture irrémédiable : si elle avait fait l'objet d'une meilleure information, la demande acceptée, qui figurait en bonne place dans la loi, aurait peut-être eu plus de succès en pratique.
La délégation suggère donc de perfectionner l'information du justiciable en rappelant qu'un schéma bien conçu renseigne souvent mieux que de longs discours.
Telles sont les principales recommandations que la délégation aux droits des femmes, dans sa majorité, a approuvées.
J'ajoute, à titre personnel, que, contrairement à ce que nous avons entendu et à ce que nous allons sans doute entendre ici ou là, les obligations du mariage ne sont pas menacées de décadence, loin de là. Aujourd'hui, il faut prouver la faute, et cela n'est pas toujours possible ni particulièrement agréable - je pense au fameux constat d'adultère. Désormais, il suffira d'invoquer le non-respect de ces obligations. Il sera donc plus facile, à l'évidence, de le sanctionner. C'est là une incitation à de nouvelles formes de respect mutuel dans le mariage, et je souhaite, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, que ce texte puisse un jour être définitivement adopté par nos deux assemblées. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l'institution du mariage civil en France trouve son fondement dans une volonté d'affranchissement par rapport à une conception religieuse dont le propre était d'articuler, dans un souci d'unité, la relation entre époux, entre parents et enfants, entre famille et communauté religieuse, selon une perspective surnaturelle d'alliance entre la volonté divine et la volonté humaine.
L'histoire de cet affranchissement se déroule selon un scénario de dissolution de l'institution au profit d'une approche exclusivement contractuelle. Ce phénomène rejoint d'ailleurs bien d'autres évolutions sociales contemporaines qui substituent une conception privatisée des liens aux perspectives statutaires, traditionnellement caractéristiques des institutions et du droit public. On peut même penser que, si le mariage civil n'existait pas dans le code civil, on serait aujourd'hui incapable de l'inventer, puisqu'on n'est plus capable de le penser, ni même d'en parler. Je rejoins sur ce point les observations qu'a exposées il y a quelques minutes, à cette tribune, M. le rapporteur, et je souhaite saluer la qualité de son rapport et de son intervention.
Le lien conjugal rejoint progressivement la théorie générale des contrats de nature civile. Dans cette perspective, l'institution du Pacs a constitué une avant-première. Je me rappelle à cet égard les propos de l'un de nos collègues d'alors nous annonçant que, à ses yeux, l'étape suivante serait celle des fratries, c'est-à-dire la banalisation totale du contrat d'union civile.
Selon ce constructivisme libertaire, il est évident que le souci du législateur ne peut actuellement que prendre une double orientation : d'une part, celle de la tentative de dédramatisation des situations et, d'autre part, celle de la réparation des préjudices.
Telle est bien la philosophie première qui me semble se dégager de la proposition de loi sur la réforme du divorce. Comment pourrait-il en être autrement, dès lors que la notion d'obligation s'estompe progressivement jusqu'à disparaître ?
Après la désacralisation du mariage, nous observons aujourd'hui sa désinstitutionnalisation progressive, avant de devoir constater un jour, peut-être, sa disparition. Il y a d'ailleurs bien longtemps que les études sociologiques montrent cette évolution. L'engouement pour le concubinage est une réalité ; le nombre des naissances hors mariage paraît en être aussi un revélateur puissant.
Le législateur peut donc se croire contraint d'accompagner une évolution constatée. Mais il doit le faire avec prudence, car il faut s'entendre sur le constat. Or les avocats, qui sont au coeur de la pathologie du lien conjugal, portent des jugements qu'il faut savoir écouter. Lorsqu'ils disent que la proposition de loi émanant du vote de l'Assemblée nationale ne répond pas au problème posé et qu'elle peut même se révéler pire que le mal, il faut les entendre. Je pense notamment au travail fourni par les avocats du barreau de Lille, que corroborent bien des observations émanant d'autres barreaux.
Méfions-nous de l'inspiration exclusivement sociologique des projets de réforme juridiques : elle peut ne pas avoir pris la véritable mesure de la misère des enfants et des femmes, victimes majoritaires de la dégradation de la solidité de l'institution matrimoniale. Ce sont les acteurs de terrain, ceux qui écoutent les souffrances et en sont les premiers confidents, qu'il faut interroger. Je reconnais, sur ce point la préoccupation de M. le rapporteur, et nombre d'amendements déposés par le Sénat répondront à ce souci de vérité.
Pour conclure, je sortirai du cadre strict de la proposition de loi pour évoquer quelques questions très largement oubliées au sujet du mariage.
Si toutes les religions traitent de la sexualité, de la naissance et de la mort, ce n'est pas par une invention arbitraire, c'est bien qu'il s'agit de questions préalables et incontournables pour l'humanité, c'est-à-dire de questions qu'elle ne peut pas éluder sans se condamner à l'aventure ni courir le risque de la barbarie. Ce sont des questions non pas purement privées, mais liées à la condition humaine dans sa double dimension personnelle - singulière - et universelle - communautaire. Le grand risque de la privatisation totale et purement contractuelle du lien civil est d'évacuer toute analyse philosophique de l'humanité organisée en société.
Le lien de confiance est inséparable de tout effort de civilisation. Il comporte une réciprocité de droits et d'obligations, lesquelles sont non seulement contractuelles, mais aussi métajuridiques dans leur fondement.
La notion d'indissolubilité du mariage a partie liée avec celle, mal identifiée à ce jour, d'indissolubilité du lien social. La pathologie de l'un est inséparable de celle de l'autre. Comment nous étonner de rencontrer tant de difficultés aujourd'hui à propos de la cohésion sociale, de l'exclusion, si nous sommes sceptiques sur les moyens de refonder le lien social ? Une observation plus fine nous permettrait de constater que nombre de nos innovations sont des déconstructions du lien social, au premier rang desquelles on trouve la dévalorisation du lien conjugal, dont nous ne percevons pas la nature fondatrice.
Cette réalité est un secret qui échappe au pouvoir de l'homme. Sa liberté lui permet de penser qu'il peut l'oublier, mais il n'a pas le pouvoir d'écarter les méfaits de sa négligence. Heureux les initiés de cette réalité, mais malheureux sont-ils s'ils sont peu nombreux à la reconnaître et à la partager, car personne n'échappe à l'indissolubilité du lien d'humanité !
Le problème est de même nature. C'est pourquoi nous ne saurons jamais, fort heureusement, dédramatiser les guerres ni institutionnaliser pacifiquement les replis identitaires et les apartheids. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous avons déjà mené de nombreux débats importants sur le droit de la famille ; voilà quelques jours à peine nous traitions de l'autorité parentale.
Bien entendu, comme l'a expliqué M. le rapporteur, nous pouvons regretter le caractère morcelé que revêt la discussion de cet ensemble que constitue le droit de la famille. Peut-être sommes-nous devenus incapables d'élaborer de grandes lois - ce qui ne veut pas dire que nous ne votions pas de longues lois !
Nous sommes invités aujourd'hui, en toute fin de législature, à débattre de la réforme du divorce. Depuis longtemps, la commission des lois du Sénat s'y était préparée - elle a organisé de nombreuses auditions sur l'ensemble du droit de la famille - comme, d'ailleurs, le Gouvernement lui-même : je rappellerai le rapport Théry, qui ne plut pas vraiment, non plus que le second, le rapport Dekeuwer-Défossez.
C'est peut-être pour cette raison que le Gouvernement a renoncé à s'engager en déposant un projet de loi sur ce sujet. Notre débat, qui doit aboutir à une réforme fondamentale, a donc pour support une proposition de loi adoptée en catastrophe par l'Assemblée nationale.
Comme l'ont noté nombre de spécialistes, ainsi que plusieurs collègues à l'instant, la réforme du divorce nous conduit de toute évidence à nous interroger sur le mariage.
Malgré l'existence d'autres formes d'union - le concubinage, le Pacs -, le mariage reste à la fois un contrat et une institution dont l'universalité, quelles que soient les cultures et les époques, ne saurait être dévaluée. Il est fondé sur les devoirs réciproques entre les époux - et vous avez tous en tête le merveilleux article 212 du code civil, qui, dans une formule simple, dispose que « les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance ».
La proposition de loi qui nous est soumise aurait pour objet de prendre un pari - la délégation le mentionne dans son rapport -, celui d'apaiser le climat du divorce sans affaiblir ni le mariage ni la sanction des fautes. On ne peut, bien entendu, qu'approuver un tel objectif. Il est néanmoins nécessaire de s'interroger sur les conséquences réelles de la suppression du divorce pour faute qui est proposée. Au demeurant, l'Assemblée nationale a bien été obligée de reconnaître que dans certains cas graves, lorsque l'un des époux, pendant de nombreuses années, est la victime souvent muette de son conjoint et de ses violences, non seulement physiques mais aussi morales, il convenait de maintenir la faute dans le jugement de divorce et d'en tirer les conséquences en matière de sanction.
Il faut, avec M. le rapporteur, admettre que la loi de 1975 était une grande loi. Nous devons cependant essayer de comprendre pourquoi les formes de séparation que sont le divorce par consentement mutuel, dans lequel la demande peut être formulée par un époux et acceptée par l'autre, et surtout le divorce pour rupture de la vie commune n'ont reçu qu'un effet très limité, conduisant le divorce pour faute à représenter encore près de 43 % des procédures.
Sans aller, comme cela a été envisagé, jusqu'à supprimer l'intervention du juge dans le divorce par consentement mutuel, rien ne s'oppose - c'est même tout à fait souhaitable - à une simplification des procédures et à la valorisation des accords entre époux.
Toutefois, un accord semble se dégager sur le fait que le contrôle du juge est indispensable pour que ne se produisent pas des « ruptures léonines », comme on parle de « contrats léonins » : il faut veiller à ne pas léser le plus faible. M. le rapporteur le reconnaissait fort bien tout à l'heure, il existe aussi des divorces par consentement mutuel imposés ! Cependant, il faut également éviter le chantage. Madame le garde des sceaux, cela me rappelle le débat sur la prestation compensatoire : certains considèrent qu'ils paient le prix de la liberté, mais l'oublient au bout de quelques années, réclamant que l'on annule ce qu'ils ont eu à payer.
Par ailleurs, l'incitation à la médiation familiale ne peut qu'être encouragée, ainsi que la liaison entre le prononcé du divorce et la liquidation afin de ne pas retarder le prononcé du divorce. Il faut absolument simplifier les procédures ! Nous sommes tous surpris - nous en voyons des exemples tous les jours - par la lenteur des procédures, même lorsqu'il s'agit de divorces par consentement mutuel.
Venons-en au coeur du sujet, à savoir la création d'un droit unilatéral au divorce - car tel est bien l'objet de notre débat.
Nous pouvons nous interroger sur le maigre succès du divorce pour rupture de la vie commune, que j'évoquais, et les professions judiciaires ont certainement une part de responsabilité dans la situation actuelle -, l'on nous fait quelquefois la leçon, nous avons, nous aussi, le droit d'en remontrer ! -, où cette forme de divorce n'est pas valorisée.
La suppression du divorce pour faute serait-elle réellement de nature à pacifier la séparation des époux ? C'est une banalité, mais on n'a jamais fait tomber la fièvre en cassant le thermomètre !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. La preuve !
M. Jean-Jacques Hyest. La crise grave du couple que révèle le divorce ne saurait disparaître par un simple changement de procédure. Aujourd'hui, rappelons-le, c'est celui qui est victime des fautes qui demande le divorce.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Pas toujours !
M. Jean-Jacques Hyest. Certes, il y a des demandes reconventionnelles, et la question est quelque peu délicate. Mais les trois quarts des divorces pour faute sont demandés par les femmes !
Le dispositif proposé tend à instaurer un véritable droit au divorce en supprimant la faute et la rupture de vie commune. La notion de divorce aux torts exclusifs et partagés disparaîtrait donc, avec toutes ses conséquences en matière financière, qu'il ne faut pas oublier.
En fait, et quoi qu'en pensent certains, à la limite, l'époux qui n'aurait pas respecté de manière grave et renouvelée les engagements du mariage pourrait désormais demander et obtenir le divorce sans conséquence de sa décision. Croit-on vraiment que cela puisse apaiser les effets de la séparation, notamment vis-à-vis des enfants ? Les griefs ne sont pas pour autant abandonnés et resurgiront immanquablement à un autre stade de la procédure.
De ce point de vue, le divorce par rupture de la vie commune ou la séparation de corps, même si, tout le monde en convient, les délais doivent être réduits, pourrait sans doute être de nature à constater, dans le temps, l'échec au mariage, ce qui pourrait être suffisant.
Face à cette situation, et en conservant le divorce pour faute, tout en souhaitant, bien entendu, que le nombre de divorce de ce type diminue progressivement et que cette formule ne soit pas encouragée - la médiation pourrait y contribuer - la commission des lois propose d'instaurer un divorce pour « altération irrémédiable des relations conjugales ». La formule est pertinente, mais je ne suis pas certain qu'elles soit compréhensible pour le commun des mortels. Il faudra donc apporter des précisions à cet égard.
En fait, ce divorce s'apparente largement au divorce pour rupture de la vie commune : c'est une rupture de la communauté de vie avec un délai raccourci. Sans être tout à fait convaincu, mais en étant conscient qu'il serait vain de vouloir maintenir le lien conjugal contre la volonté d'un des époux, cette hypothèse peut être retenue.
En effet, la diversité des situations, notamment la complexité de certaines d'entre elles, ne saurait forcément entraîner la simplification à tout prix des procédures, et cela n'encouragerait pas l'apaisement, qui est posé comme un dogme.
Nous ne saurions accepter que la liberté de chacun puisse, sans contrepartie, conduire à nier les obligations du mariage. Le vieil adage : nemo auditur propriam turpitudinem allegans conserve encore sans doute toute sa valeur dans ce domaine.
Entre le maintien impossible du lien conjugal et ce qui s'apparente à une possibilité de répudiation, veillons à ne pas écraser un peu plus le plus faible, qui est la victime. Car il y a des salauds ! Je pourrais vous citer des cas ! Et il ne s'agit pas seulement de violences conjugales. Certaines fautes graves et répétées justifient des sanctions.
Contrairement à ce que de bons esprits voudraient imposer, après tout, le mariage est un engagement - il n'est pas obligatoire ; il y a d'autres formes d'unions - que la grande majorité de nos concitoyens considère comme la fondation de la famille, susceptible certes d'échecs comme toute relation humaine, mais également porteuse d'un idéal pour nos concitoyens.
En voulant sans cesse dévaloriser la responsabilité que les époux prennent lorsqu'ils s'engagent dans le mariage, sommes-nous bien sûr de rendre service à la société ? Les officiers de l'état civil ne se livreraient-ils pas à autre chose qu'à une cérémonie désuète de conclusion d'un Pacs amélioré ? Pourquoi, à terme, pour être provocateur, ne pas supprimer le mariage s'il ne comporte plus aucun engagement dans la durée ? Je suis sûr que ce n'est pas le projet de nos collègues qui ont déposé cette proposition de loi, mais la loi, il s'agit là d'une interrogation permanente - si elle doit accompagner les évolutions de la société, ne doit-elle pas aussi constituer un repère pour nos citoyens ? C'est toute la question qui nous est posée aujourd'hui, et nous ne pouvons nous y soustraire. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à Mme Gautier.
Mme Gisèle Gautier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi en préambule de vous dire combien je rejoins les propos tenus par le rapporteur de la commission des lois.
La présente proposition de loi portant réforme du divorce présente-t-elle une urgence telle que nous soyons tenus de l'examiner en quelques heures à peine ?
Pour ma part, je n'adhère pas à la méthode et je ne suis pas favorable à l'adoption d'une réforme, proposée à la va-vite, juste avant des échéances électorales majeures pour notre pays. C'est une réforme de circonstance.
Est-il opportun, mes chers collègues, de discuter en fin de législature d'une réforme du droit du divorce, alors que nous attendions une grande réforme du droit de la famille, adaptée aux familles d'aujourd'hui et de demain, réforme annoncée solennellement au Sénat en 1998 par le Gouvernement et qui appelle un large débat de société ?
On l'a dit, le divorce touche un mariage sur deux en région parisienne, un sur trois en province, et 46 % des 170 000 divorcés annuels ont recours au divorce pour faute. Un nouveau divorce, sans faute, tel est l'objet de la proposition de loi que nous étudions aujourd'hui. L'idée apparaît simple, mais la réforme est majeure.
Dans le dispositif proposé, la notion de divorce pour faute est remplacée par celle de « rupture irrémédiable du lien conjugal », notion pour le moins assez floue, tout en admettant que l'époux qui s'estime lésé puisse demander au juge de reconnaître son statut de victime, en cas de fait d'une « particulière gravité », notamment pour des violences physiques ou morales, ou bien encore des dommages et intérêts, puisqu'il n'a pas pris l'initiative du divorce, lorsque la dissolution du mariage a pour lui des conséquences d'une extrême gravité.
La loi, si elle est votée, créera le « droit à divorcer », comme vous l'avez récemment affirmé, madame la ministre.
Les objectifs qui sous-tendent cette proposition de loi sont assez consensuels, j'en conviens : simplifier le divorce et l'apaiser. Chacun de nous ne peut qu'en être d'accord, car nous connaissons tous les ravages des divorces conflictuels sur les époux, mais surtout leurs effets destructeurs sur les enfants - on n'en parle pas suffisamment - qui assistent, impuissants, aux conflits qui opposent leurs parents.
Je rappelle qu'un travail approfondi avait été entrepris à la demande de votre prédécesseur par la commission présidée par Mme Dekeuwer-Défossez, qui a récemment présenté ses travaux devant la Délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, dont je suis membre.
Cette commission n'avait pas trouvé de raison qui justifie de modifier la définition de la faute comme cause du divorce et avait proposé de conserver le divorce pour faute tel que défini par l'actuel article 242 du code civil, dont je rappelle la teneur : « Le divorce peut être demandé par un époux pour des faits imputables à l'autre lorsque ces faits constituent une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage et rendent intolérable le maintien de la vie commune. »
Cette commission avait par ailleurs formulé une série de propositions visant à mettre en place une procédure unifiée, peut-être moins contentieuse, permettant l'apaisement, en réservant le divorce pour faute aux cas véritablement graves.
Pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas suivi ces recommandations ?
Vous supprimez la faute dans la procédure de divorce, mais vous la réintroduisez d'une certaine manière en maintenant le droit de demander des dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du code civil qui pourra, de facto, entraîner les mêmes déchirements dans la recherche de la faute.
Les divorces sont de plus en plus nombreux ; je reconnais que la procédure les concernant n'est pas forcément adaptée et qu'elle doit être humanisée, mais je ne suis pas certaine que vos propositions répondent aux attentes de nos concitoyens. Je redoute, au contraire, qu'elles ne freinent pas suffisamment la tendance à transformer en rupture définitive les difficultés passagères du couple.
Réformer le divorce, c'est aussi remettre en cause l'institution du mariage.
Votre réforme suscite de nombreuses interrogations : que veut-on faire du mariage dans notre société ? C'est une question fondamentale ! Le contrat de mariage deviendra-t-il une simple convention dénonçable par l'une des parties ?
Nombreux ici sont ceux qui, comme moi, ont un mandat de maire et, samedi prochain, ils auront à marier des couples. Au travers des articles 212, 213, 214 et 215 du code civil, ils leur rappelleront que les époux se doivent mutuellement fidélité, secours et assistance. Ils leur rappelleront également qu'ils assument ensemble la direction morale et matérielle de la famille, qu'ils pourvoient à l'éducation des enfants, qu'ils préparent leur avenir, etc.
Le code civil aura-t-il encore un sens après votre réforme ? On risque de faire du mariage l'équivalent du Pacs. Comme l'a récemment souligné le juriste François Terré : « On n'est plus très loin d'imaginer un mariage temporaire sous forme de bail qui se renouvelle par tacite reconduction. »
Le seul point qui m'apparaît positif parmi vos propositions est la mise en place d'une médiation, et la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes suivra, bien sûr avec attention, le dispositif réglementaire arrêté par le Gouvernement.
Cette médiation - au travers du rôle des médiateurs familiaux agréés - peut permettre d'apaiser les situations et d'aider, dans l'intérêt des enfants, à la réorganisation de la cellule familiale. A ce titre, pouvez-vous, madame la ministre, nous indiquer les moyens prévus par le Gouvernement pour son bon fonctionnement ?
Certains journalistes ont dit que cette réforme s'était arrêtée à mi-chemin et je partage leur sentiment. Le texte prévoit une sorte de compromis, mais son objectif reste bien de supprimer purement et simplement le divorce pour faute.
Le divorce renvoie au mariage, qui n'est pas qu'un simple contrat, prévoyant des devoirs et des obligations, dont vous voulez supprimer toute sanction en cas de non-respect.
Votre texte fragilise le mariage, si essentiel à l'épanouissement des personnes et au lien familial.
Une réforme est certes souhaitable, mais pas en empruntant cette voie. On entre vraiment dans la logique du contrat : prestations contre prestations ; contrat pas respecté, donc indemnités ! Nous sommes loin du don mutuel !
Notre excellent rapporteur de la commission des lois, Patrice Gérard, propose une réforme bien mieux adaptée par la mise en place de trois procédures de divorce : le divorce par consentement mutuel, le divorce pour faute et le divorce pour altération irrémédiable des relations conjugales. Encore faut-il, je l'admets, préciser le sens de cette dernière expression.
Il a largement développé les dispositions de ces procédures, sur lesquelles je ne reviendrai donc pas mais auxquelles je souscris totalement, notamment lorsqu'il s'agit d'accorder une protection suffisante à l'autre époux par la mise en oeuvre d'un délai de réflexion lui permettant d'entamer le « deuil du couple », pour reprendre l'expression de la commission, et de maintenir le devoir de secours dans des cas d'exceptionnel gravité.
Je tiens à le féliciter de son excellent travail et je voterai la proposition de loi telle qu'elle a été amendée par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Lardeux.
M. André Lardeux. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, ne nous y trompons pas, cette proposition de loi n'a rien d'anodin et ne constitue nullement un toilettage partiel de quelques dispositions du code de la famille.
Une vue rapide des choses pourrait laisser croire à l'absence, dans cette affaire, de réflexion globale. Je ne ferai pas aux auteurs de la proposition de loi l'injure de penser qu'il en est ainsi. En effet, bien au contraire, dans le dossier transmis par le ministère de la justice, on affirme qu'il s'agit d'une démarche planifiée même si celle-ci s'appuie sur des enquêtes tronquées ou biaisées puisque, si l'on en croit toujours le même dossier, on s'est gardé d'interroger les personnes sondées sur le divorce pour faute en lui-même. Demander aux gens s'ils sont pour une simplification garantit forcément une réponse positive même si, dans la réalité, leurs exigences devraient conduire à une analyse d'une plus grande complexité.
En fait, par touches successives, le Gouvernement, à visage découvert ou masqué selon les opportunités, met en avant une lecture politique et idéologique du droit de la famille. Il s'agit d'une nouvelle attaque délibérée contre la famille, d'une déconsidération supplémentaire du mariage, ce que l'on a vu en d'autres temps et sous d'autres cieux avec les conséquences dramatiques que l'on sait.
Les auteurs de la proposition de loi lui assignent trois objectifs. Il s'agit, d'abord, de faire disparaître le divorce pour faute. Cette disposition dans notre contexte sociologique est assez paradoxale. En effet, alors que partout on essaie de généraliser les mises en cause, de rendre responsable tout un chacun - souvent abusivement, on l'a vu récemment - et même d'incriminer d'un fait quelqu'un qui n'en est pas l'auteur, il y aurait un domaine où l'on voudrait, au contraire, faire disparaître cette responsabilité, la rupture du lien conjugal.
Autre paradoxe, les auteurs de la proposition de loi insistent sur le fait que ce type de divorce est resté, même après la réforme de 1975 instaurant le divorce par consentement mutuel, quantitativement très important. Ils en tirent la conclusion que la loi de 1975, qui avait pour objectif de dédramatiser le divorce, a été un échec. Une telle affirmation n'est pas conforme à la réalité et relève de la pétition de principe selon laquelle « qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ».
D'une part, la loi de 1975 a eu pour objet de faire disparaître non le divorce pour faute, mais seulement les faux divorces pour faute prononcés entre des époux d'accord pour divorcer et auxquels la loi Naquet de 1884 n'offrait aucune voie pour rompre.
D'autre part, la loi de 1985 a, malgré tout, en grande partie, répondu à son objectif puisque le nombre de divorces prononcés sur requête conjointe est au moins égal à celui des divorces pour faute, ce qui montre assurément son succès.
Il ne me paraît pas justifiable de vouloir nier une réalité, certes douloureuse mais avérée, en lui retirant toute existence juridique. Si les divorces pour faute représentent encore aujourd'hui près de la moitié des divorces prononcés, c'est, hélas, qu'ils correspondent à une situation qu'il est criminel de nier ; je pense en particulier au conjoint victime du comportement de l'autre qui, par définition, a rendu intolérable le maintien de la vie commune. L'expérience des services sociaux départementaux le confirme malheureusement souvent.
Cela me paraît également mal venu au moment où une enquête de l'Union européenne montre qu'une Européenne sur cinq subit, au cours de sa vie, des violences infligées par son mari ou par son compagnon.
Les auteurs de la proposition de loi, pour stigmatiser ce type de divorce, objectent que la recherche des preuves des fautes commises peut avoir des conséquences humaines désastreuses. Je ne le nie pas, mais cela revient à confondre les causes et les conséquences du drame humain que constitue tout divorce, et particulièrement le divorce pour faute. Le drame n'est pas la conséquence de la procédure, mais tient son origine première du comportement du conjoint fautif. On tente de faire croire que le mal est la procédure de divorce pour faute en elle-même, passant sous silence la faute à l'origine du divorce.
Les remèdes aux fautes commises par l'un des conjoints étant estimés mauvais par les auteurs, ces derniers proposent de se passer de remèdes plutôt que de les améliorer. Mais ce n'est pas en cassant le thermomètre que l'on fait disparaître la fièvre et en refusant de traiter la maladie qu'on la soigne.
De plus, refuser de sanctionner le comportement du conjoint fautif a pour conséquence de vider le mariage de tout contenu, et l'on peut craindre que ce ne soit là le véritable objectif des auteurs de la proposition de loi.
Faire disparaître le divorce pour faute revient, en effet, peu ou prou, à proposer d'abroger les articles 212 et suivants du code civil.
Mme Danièle Pourtaud, au nom de la Délégation aux droits des femmes. N'importe quoi !
M. André Lardeux. Dans ces conditions, faut-il s'engager devant le maire ? Les mariés n'étant plus tenus d'aucune obligation - sauf l'obligation de ne pas porter atteinte à l'intégrité physique de l'autre, qui ne découle pas, d'ailleurs, des liens conjugaux - ont moins d'engagements l'un envers l'autre que les « pacsés » eux-êmes, ainsi que l'a précisé le Conseil constitutionnel.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh bien ! Ils se marieront en plus grand nombre !
M. André Lardeux. Les auteurs affirment péremptoirement que les divorces pour faute seraient des comédies judiciaires, mais ils ne disent pas pourquoi de telles comédies seraient jouées, à moins que ce ne soit par masochisme.
Bien entendu, il est possible à l'un des époux d'utiliser cette procédure plus pour assouvir sa rancoeur envers son conjoint que pour sanctionner des fautes réellement commises. Cependant, on ne condamne pas une institution au prétexte que certains la détournent de son objet. Pourquoi en priver ceux qui en ont vraiment besoin parce qu'ils sont victimes du comportement inadmissible de l'autre ? Il n'est pas intellectuellement honnête de condamner le divorce pour faute en affirmant qu'il est utilisé systématiquement de manière abusive.
Le divorce pour faute n'est pas prévu, en effet, pour favoriser la recherche de fautes qui n'existent pas ; il est le plus souvent la conséquence de la survenue de fautes bien réelles.
Les auteurs cherchent donc à opérer une confusion dans les esprits en inversant le principe du divorce pour faute, conséquence du comportement insupportable de l'un des époux, et l'exception, le divorce pour faute, instrument de la rancoeur des époux.
Le deuxième objectif de la proposition de loi est de faciliter le divorce en cas d'échec du mariage.
Les auteurs veulent empêcher que le conjoint qui ne souhaite pas divorcer ne contraigne l'autre époux à rester dans les liens du mariage, alors qu'il ne le souhaite pas. Ils veulent donc éviter les situtions de blocage.
Cet état du droit aboutit parfois à des situations inextricables dans lesquelles un conjoint, en pratique plus souvent l'épouse, oppose un refus constant au divorce qui, en l'absence de faute, ne peut être prononcé, à moins que celui qui veut se libérer des liens d'un mariage ayant perdu toute réalité n'accepte des sacrifices considérables, parfois iniques, notamment dans le domaine patrimonial.
Que l'on veuille réduire la durée des procédures ou les simplifier se comprend et s'approuve, mais il faut veiller à garantir les droits de chacun. En effet, mettre en place une procédure qui permet à l'un des époux de faire prononcer un divorce refusé par l'autre peut conduire à admettre dans notre droit la répudiation au sens de rupture unilatérale du lien conjugal. De quoi effrayer, car cela renvoie à un autre droit fondé sur des principes peu compatibles avec ceux de la République française.
Il faut probablement reconnaître la nécessité de permettre à un conjoint de mettre fin à un mariage devenu vide de sens. Cependant, cette rupture, unilatérale, doit être accompagnée des plus grandes garanties pour le conjoint qui la subit, pour bien marquer la spécificité de notre droit. Les droits et intérêts de l'époux qui ne souhaite pas mettre fin au mariage ne peuvent être garantis que dans le cadre d'une procédure judiciaire : c'est le seul moyen d'éviter que ne s'applique la loi du plus fort au détriment des faibles, le plus souvent les femmes, que la loi a pour obligation de protéger.
Diminuer le contentieux de l'après-divorce est le troisième objectif des auteurs de cette proposition de loi.
A cet effet, on propose de « ramasser » le règlement de toutes les conséquences du divorce au moment de son prononcé. Il est vrai qu'il existe un décalage regrettable entre le prononcé du divorce et le règlement de certaines de ses conséquences pécuniaires, notamment la prestation compensatoire et le partage de la communauté. Or cela n'est pas très logique, car le juge ne peut statuer de manière équitable sur le montant de la prestation compensatoire sans connaître les conséquences de la dissolution du régime matrimonial. De plus, le partage lui-même est souvent l'objet de conflits entre les deux époux et source de nouvelles procédures le cas échéant.
En définitive, cette proposition de loi n'est pas acceptable en l'état. Outre le fait qu'elle répond à des motivations plus vastes que son seul objet, elle a le défaut majeur d'entretenir la confusion entre ses deux premières ambitions. Selon ses auteurs, le deuxième objectif, favoriser la rupture des mariages ayant définitivement échoué, exigerait la disparition du divorce pour faute. Or tel n'est pas du tout le cas.
Si l'on doit, en effet, favoriser les procédures de divorce qui ont pour seul objet de mettre fin à un mariage qui a échoué sans qu'une quelconque faute puisse être reprochée à l'un ou l'autre conjoint, cela n'a rien à voir avec l'existence de la procédure de divorce pour faute. Celle-ci demeure nécessaire, sauf à considérer que l'ensemble, ou, à tout le moins, la majorité des divorces pour faute, n'auraient pour cause que l'impossibilité de mettre fin à un mariage dans le cadre de la procédure de divorce par consentement mutuel. Or la réalité montre qu'il n'en est pas ainsi.
Des fautes sont commises dans le cadre du mariage, et elles doivent être sanctionnées dans le cadre spécifique du divorce. On ne peut pas accepter, comme le Gouvernement, que des faits, notamment de violence, puissent être sanctionnés par la seule constatation symbolique de leur existence s'ils sont particulièrement graves ! Cela ne me semble absolument pas suffisant.
Toute solution qui ne prévoirait pas la sanction des fautes aurait pour conséquence de nier au mariage sa spécificité par rapport à un contrat de droit commun. Le mariage n'est pas une simple union patrimoniale, il a un aspect personnel qui engage fortement les époux vis-à-vis l'un de l'autre.
Pour terminer, et en élargissant le débat, il nous faut réfléchir aux moyens de réhabiliter le mariage et de le rendre plus stable, dans l'intérêt des époux et de leurs enfants. En effet, quand on dénombre les maux qui rongent notre société, la violence et la précarité particulièrement, il n'est pas besoin d'être grand clerc pour constater que l'affaiblissement de la famille y contribue. Cela n'empêchera pas ceux-là mêmes qui s'ingénient à la déstabiliser de verser des larmes de crocodile sur la montée de la délinquance ou sur la déliquescence des liens sociaux qu'ils se sont appliqués par leur action à méthodiquement développer.
Dans ce contexte, je me range aux analyses remarquables de M. le rapporteur, que je félicite pour la clarté de son rapport et pour le caractère mesuré et sage des orientations qu'il propose. (Applaudissements sur les travées du RPR et du l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi Naquet de 1884 n'a admis le divorce que pour faute, cette dernière constituant un manquement aux obligations conjugales et rendant intolérable le maintien du lien conjugal. Le divorce par consentement mutuel était exclu de notre droit positif ainsi que, a fortiori, le divorce par décision unilatérale. Les conséquences du divorce étaient également dominées par l'idée de sanction : le divorce était prononcé contre l'époux qui avait commis les fautes justifiant ce prononcé.
Cette conception avait un double inconvénient dont l'importance s'est révélée de plus en plus grave avec le temps : elle exacerbait les hostilités entre les époux et laissait en dehors du champ d'application de la loi un grand nombre d'hypothèses dans lesquelles, pourtant, le maintien de la vie commune et du mariage ne paraissait pas nécessairement souhaitable.
Au fur et à mesure que le divorce entrait dans les moeurs et que le nombre des divorces augmentait, les limites apportées par la loi à la possibilité de divorcer apparaissaient de plus en plus en contradiction avec l'état sociologique de la population française. Ainsi, les tribunaux, dans leur pratique, ont été progressivement amenés à se « séparer des textes ».
Le phénomène d'accroissement du divorce s'étant considérablement accéléré au cours de la IVe République et dès les premières années de la Ve République, le décalage entre les textes de 1884 et l'état sociologique est apparu si criant que la nécessité d'une réforme est devenue évidente.
Au divorce-sanction, qui, prononcé sur la faute de l'un des époux, a été maintenu parce qu'il répondait à une demande sociologique indéniable de l'époque - c'était, en effet, il y a plus de vingt-cinq ans -, la loi de 1975 a ajouté deux autres possibilités de divorce : le divorce par consentement mutuel, qui regroupe les divorces sur requête conjointe et les divorces sur demande acceptée, et le divorce pour rupture de la vie commune, qui correspond aux hypothèses de séparation de fait des époux et d'altération des facultés mentales du conjoint depuis six ans.
Elle avait également pour ambition de favoriser la conclusion d'accords entre époux en cours de procédure en ce qui concerne les enfants ainsi que la liquidation et le partage de la communauté et visait à regrouper, dans un moment le plus rapproché possible de celui du prononcé du divorce, le règlement définitif de tous les rapports entre époux.
La loi du 11 juillet 1975 n'a que partiellement atteint les objectifs qui lui étaient assignés. En effet, le législateur, dans son souci de dédramatiser le divorce, a échoué. La progression des divorces par consentement mutuel n'a pas marginalisé le divorce pour faute ; ainsi, le droit du divorce paraît de moins en moins adapté, en 2002, à la réalité des situations vécues par les couples. Dans une grande majorité des cas, le juge statue en partageant les torts. En l'absence d'alternative procédurale, l'époux qui souhaite sortir du mariage sans le consentement de l'autre se voit dans l'obligation de lui opposer des fautes, réelles ou fictives, qui auront des conséquences sur l'après-divorce.
Dans la législation actuelle, le divorce peut être demandé soit par un époux pour rupture de la vie commune ou pour des faits imputables à l'autre, lorsque ces faits constituent une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage et rendent intolérable le maintien de la vie commune, soit sur demande de l'un des époux acceptée par l'autre.
La présente proposition de loi supprime ces deux formes de divorce et institue le divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal.
Je me félicite de la suppression du divorce pour faute, destructeur et archaïque, et de l'institution d'un divorce constat d'échec, articulé avec un temps de réflexion et un espace de dialogue représenté par la médiation.
Le divorce pour faute doit être supprimé sous peine de voir les époux continuer à s'engouffrer dans des procédures destructrices. En effet, la procédure de divorce pour faute conduit à des échanges haineux, à des déballages indécents de la vie privée et à la multiplication d'attestations, à la véracité souvent contestable, fournies par l'entourage.
Chaque époux sort meurtri de ces échanges, ce qui compromet gravement l'exercice de la coparentabilité. On peut déplorer cette situation, mais c'est une réalité de notre temps. Plutôt que de gaspiller son énergie à stigmatiser l'autre époux, il est plus judicieux de construire l'avenir dans l'intérêt de tous, et surtout des enfants.
De plus, l'intervention du juge est illusoire, ce dernier n'étant pas en mesure de porter un jugement sur des faits intervenus dans l'intimité du couple et rapportés par des témoignages souvent partiaux. C'est la raison pour laquelle, comme nous venons de le voir, les divorces sont le plus souvent prononcés aux torts partagés.
Le divorce pour rupture irrémédiable du lien conjugal peut être demandé par l'un des époux ou par les deux. Le juge n'a pas à apprécier le caractère irrémédiable ou non de la rupture du lien conjugal, mais il est tenu de prononcer le divorce et de statuer sur ses conséquences dès lors que le demandeur persiste dans son intention de divorcer. Ainsi, la présente proposition de loi crée un véritable droit au divorce.
L'innovation essentielle réside dans la possibilité pour l'un des époux de demander le divorce dans des conditions moins discriminatoires que celles qui résulte du divorce pour rupture de la vie commune ou sans être contraint d'établir la culpabilité de son conjoint, comme c'est actuellement le cas dans le divorce pour faute.
Cette proposition de loi reflète une conception moderne et réaliste du mariage, ainsi que du rôle que la justice doit avoir dans les conflits entre époux.
Mme Danièle Pourtaud, au nom de la Délégation aux droits des femmes. Très bien !
M. Simon Sutour. Si ce texte supprime le divorce pour faute, il permet toutefois au juge de constater dans le jugement de divorce, à la demande d'un conjoint, que des faits d'une particulière gravité sont imputables à l'un des époux.
Par ailleurs, la proposition de loi prévoit que l'action en dommages et intérêts exercée sur le fondement de l'article 1382 du code civil est ouverte aux parties et confiée au juge aux affaires familiales à l'occasion de la procédure de divorce. Ainsi, les comportements répréhensibles sont stigmatisés, ce qui permettra au conjoint bafoué de se reconstruire plus facilement.
S'agissant du divorce par consentement mutuel, la présente proposition de loi favorise les accords entre époux. L'objectif est en effet de se fonder sur l'accord des époux, tant sur le principe du divorce que sur ses conséquences ou sur les mesures provisoires à prendre jusqu'à ce que le jugement passe en force de chose jugée.
Je me félicite de ce que le texte prévoie la suppression de la seconde comparution personnelle des époux.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Simon Sutour. Ainsi, le juge pourra prononcer le divorce et homologuer la convention définitive qui lui sera soumise par les parties dès la première comparution s'il s'est assuré de la qualité du consentement des époux...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Simon Sutour. ... et si les intérêts de chacun des époux et des enfants lui paraissent suffisamment préservés.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Simon Sutour. La proposition de loi fait aussi une plus grande place à la recherche d'accords entre époux au sein du divorce contentieux.
Le juge doit prendre en compte les accords auxquels parviennent les parties lors du prononcé du divorce et doit demander un projet de règlement des effets de leur divorce lorsque la procédure préalable à l'assignation touche à sa fin. Ces accords sont ensuite homologués lors du prononcé du divorce.
Par ailleurs, la proposition de loi fait une large place à la médiation, qui figurera parmi les mesures provisoires pouvant être prescrites par le juge. La médiation constituera un espace de dialogue très approprié pour soigner les souffrances des époux.
La pratique de la médiation familiale s'est beaucoup développée ces dernières années. Elle permet d'accompagner les couples dans leurs difficultés familiales et de favoriser la réflexion avec l'aide d'un tiers spécialisé.
De la qualité de cette médiation dépendra la qualité des accords retenus par les conjoints pour le règlement du divorce.
La médiation peut contribuer à humaniser le divorce, voire à l'éviter, aspect sur lequel Mme Pourtaud, au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, a beaucoup insisté.
Aujourd'hui, de nombreuses associations offrent un service sérieux et professionnel aux familles. Toutefois, la médiation reste peu ou pas encadrée. Il est donc nécessaire de l'organiser, de fixer des conditions de diplômes...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il y a des équivalences.
M. Simon Sutour. ... et, surtout, de mettre en place une formation dans le domaine tant psychologique que juridique. Je souhaiterais connaître, madame la ministre, vos intentions en la matière.
La commission des lois, dans sa majorité, a quant à elle choisi de maintenir le divorce par consentement mutuel et le divorce pour faute, tout en instaurant un divorce pour altération irrémédiable des relations conjugales.
Elle aboutit ainsi - et je me demande, si nos collègues ont bien écouté M. le rapporteur ! - à une conception qui n'est en fait pas très éloignée de celle qu'a retenue l'Assemblée nationale, mais, comme elle maintient le divorce pour faute, nous préférons - je le regrette, monsieur le rapporteur ! - l'original à votre mauvaise copie. (M. le rapporteur sourit.) Si les amendements de la commission étaient retenus par notre assemblée, le groupe socialiste ne pourrait donc voter le présent texte. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Rozier.
Mme Janine Rozier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, après avoir débattu de l'autorité parentale, nous avons maintenant à discuter - que dis-je, à survoler - la réforme du divorce.
Cette fois encore, j'insiste sur le fait qu'il est indispensable d'aborder dans son ensemble, avec du temps, avec de la réflexion et surtout avec du coeur, les problèmes de la famille : on ne saurait traiter de façon désordonnée et morcelée la cellule familiale, qui est la base de notre civilisation depuis des millénaires.
Or, la réforme du droit de la famille qui nous est proposée dans divers textes rédigés et examinés dans la précipitation - textes présentés non par la Chancellerie mais par le ministère délégué à la famille - traduit une volonté politique de déjudiciarisation du droit de la famille qui inquiète, bien sûr, les magistrats et les avocats, mais aussi les associations familiales.
La proposition qui nous est aujourd'hui soumise vise à réformer la procédure de divorce en supprimant la notion de « faute », alors que, actuellement, si 52 % des divorces ont lieu par consentement mutuel, 42 % - et même 42,8 %, a précisé M. Gélard - sont prononcés pour faute.
Pourquoi, dans ces conditions, supprimer une telle procédure ? Le Gouvernement justifie devant nous la suppression du divorce pour faute par des arguments qui ne sont pas des plus convaincants.
On nous dit qu'il s'agit de dédramatiser le divorce, car prouver la faute de l'autre envenime les conflits et exacerbe les ressentiments.
On soutient ensuite que les procédures seront simplifiées.
On essaie ainsi de nous proposer un divorce rapide, lénifié et lénifiant, un divorce rose. Celui-ci serait une issue pour ceux qui pensent que dénoncer les fautes est une atteinte à la liberté individuelle. De plus, il instituerait un « droit au divorce » qui comblerait d'aise ceux qui revendiquent beaucoup de droits et ne se reconnaissent aucun devoir. Enfin, il abolirait le droit de refuser le divorce.
Cette réforme soulève deux questions, lapidaires mais légitimes : comment divorcer et à quel prix ? On pourra en effet, si on en a les moyens, racheter sa liberté ou répudier son conjoint ?
Nous n'en sommes pas dupes, cette réforme conduit tout doucement à la prépondérance du médiateur, « nouveau censeur, nouveau pasteur ». Or, nous le savons, la médiation est bien souvent perçue comme une violence par l'époux qui ne veut pas divorcer.
On ne nous dit pas dans quels délais le médiateur devra accomplir sa mission, et qui paiera la médiation.
De plus, les modalités techniques prévues dans le texte qui nous est proposé ne sont ni claires ni précises. Quelques exemples - non exhaustifs - l'illustreront.
Tout d'abord, le texte proposé pour l'article 262-1 du code civil prévoit le report des effets du jugement. Mais ce report est-il de droit ? Dans quelles conditions s'applique-t-il ?
De même, le texte proposé par l'article 11 pour l'article 265 du code civil prévoit que la convention relative à la liquidation et au partage des intérêts patrimoniaux doit préserver suffisamment les intérêts de chacun des époux ainsi que ceux des enfants. Quelle interprétation le juge donnera-t-il à cet adverbe « suffisamment » ?
Enfin, le point le moins précis concerne les libéralités, et c'est inquiétant lorsqu'on sait que les donations entre concubins sont irrévocables alors que les donations entre époux, hors contrat de mariage, sont révocables à tout moment.
Le moins que l'on puisse dire est que le texte proposé par le Gouvernement à la hâte, à la veille de l'interruption de la session parlementaire, n'a pas pris en compte les conséquences sociales qui risquent d'en découler.
En effet, il est à craindre que cette réforme ne facilite le divorce et n'aille dans le sens de l'aggravation d'un certain climat de laxisme. Je souligne, pour ma part, le mérite de ceux qui parviennent à maintenir la stabilité de leur couple et de leur engagement initial, en dépit de tous les écueils de la vie conjugale.
En matière de divorce, les femmes sont certes demanderesses dans 70 % des cas, mais qu'adviendra-t-il de la femme faisant partie des 30 % restant qui aura consacré trente ans de sa vie à son mari et à ses enfants et qui se retrouvera, à cinquante ans, sans emploi et sans ressources ?
Il est en effet nécessaire de préserver les intérêts des femmes qui, s'étant consacrées à leur famille et n'ayant ni emploi ni qualification professionnelle, pourraient subir un préjudice particulièrement important du fait de la rupture du lien conjugal sur l'initiative de leur mari.
La présente proposition de loi prévoit dans son texte actuel de supprimer le « devoir de secours » pour le remplacer par la prestation compensatoire, sur laquelle nous pourrions débattre longtemps avant de trouver un texte adéquat qui ne lèse personne !
Je rejoins mon collègue Patrice Gélard dans l'analyse pointue et complète qu'il a faite comme la commission des lois dans sa proposition de maintenir le divorce pour faute, et je les suivrai.
Dans sa philosophie, la proposition de loi dite « Colcombet » vise à faciliter le divorce au gré d'un seul époux en créant un droit au divorce. Faut-il donc considérer le mariage comme un simple contrat bilatéral qui peut être rompu à tout moment ?
Plusieurs de mes collègues l'ont dit avant moi, légiférer sur le divorce, c'est s'interroger sur le mariage. Le mariage est un contrat dans lequel, à notre époque, on s'engage sciemment et sans contrainte. On y ajoute, dans quasiment tous les cas, des sentiments forts. On envisage, la plupart du temps, d'avoir des enfants et de créér une famille, cellule de base de notre société, creuset où se modèlent les hommes et les femmes de demain. Cela engage et conditionne des vies entières.
En matière de contrat, il faut insister sur le respect de la parole donnée, et cela s'applique en matière de mariage. Réussir un mariage est difficile mais c'est justement pourquoi cela mérite que l'on s'y attache.
Le divorce est destructeur de la famille et, quelles que soient ses modalités et quoi qu'on en dise, il entérine un échec et il est toujours une blessure pour les enfants. Et c'est par là que devrait commencer notre réflexion. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, mes chers collègues, madame le ministre, il nous revient d'examiner aujourd'hui un texte d'une grande importance pour la vie de nos concitoyens - la réforme du divorce - dans des conditions déplorables, indignes de la conception que se fait habituellement le Sénat du travail parlementaire.
Nous sommes en effet à la veille de l'interruption de la session parlementaire et nous discutons d'une proposition de loi dont les conditions d'inscription à l'ordre du jour étaient incertaines il y a très peu de temps encore.
Le rapport de notre éminent collègue Patrice Gélard vient de nous parvenir et nous avons dû préparer les amendements que nous souhaitions défendre dans la précipitation, sans avoir une connaissance précise des positions qui seraient défendues par la commission des lois.
Un texte d'une telle importance méritait mieux qu'un examen à la sauvette, mais le Gouvernement a démontré ces derniers jours, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, qu'il faisait finalement assez peu de cas des conditions du travail parlementaire.
Au-delà de ces remarques de forme - précision qui ne retire rien à leur importance -, il faut dénoncer le caractère impressionniste des réformes proposées et, surtout, leur caractère morcelé.
Au cours de la législature qui s'achève, le Parlement aurait dû être saisi d'une grande loi visant à réformer le droit de la famille. Nous en avions les moyens : des propositions intéressantes ont été faites, notamment dans le rapport Dekeuwer-Défossez intitulé « Rénover le droit de la famille », propositions sur lesquelles nous aurions probablement pu trouver des points de convergence entre nos assemblées, en concertation avec les praticiens du droit.
Au lieu de cela, nous avons à examiner une proposition de loi rédigée sans concertation véritable avec les professionnels, ou plutôt dans le cadre d'une pseudo-concertation qui a d'ailleurs suscité la réprobation de nombre d'entre eux.
Les avocats du barreau de Lille se sont ainsi mobilisés, avec beaucoup de dynamisme, pour rédiger un document critique sur le présent texte qui comporte toute une série de propositions tentant d'apporter des réponses aux problèmes soulevés par les dispositions juridiques relatives au divorce.
Ce document a été approuvé à l'unanimité par les avocats du barreau de Lille, qui se sont réunis en assemblée générale extraordinaire au mois de décembre dernier, et reçu le soutien de nombre de leurs confrères de la France entière et de magistrats. Ils auraient souhaité être entendus par le Gouvernement, comme ils ont pu l'être par les parlementaires de notre département, toutes tendances confondues.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je les ai reçus.
M. Jean-René Lecerf. Sur le fond, nous souhaitons le maintien du divorce pour faute, parce que les arguments avancés pour justifier sa suppression nous semblent très largement infondés et parce que la disparition de ce mode de divorce entraînerait des inconvénients très supérieurs aux avantages apparents que lui confèrent les auteurs de la proposition de loi.
Contrairement à ce que l'on tente de nous faire croire, l'analyse approfondie des statistiques publiées par la Chancellerie démontre que, dans 80 % des procédures engagées, le juge n'a pas à statuer sur la répartition des torts ou se contente de l'enregistrer : en effet, 41 % des divorces sont prononcés sur requête conjointe, 14 % sur mémoire, 13 % par défaut et 12 % sur le fondement de l'article 248-1 du code civil.
Si l'on exclut ainsi toutes les hypothèses où le recours à la notion de faute n'est nécessaire que pour les besoins de la procédure, on constate que seuls 20 % des divorces prononcés contraignent le juge à statuer sur les torts et les parties à prouver la réalité des griefs invoqués.
Mais en ce qui concerne les véritables divorces pour faute, le juge ne procède au partage des torts que dans 18 % des cas. Contrairement à une autre idée reçue, qui a d'ailleurs été de nouveau développée par M. Sutour voilà quelques instants, les époux ne sont donc réellement considérés comme coartisans de l'échec conjugal que dans moins d'un cinquième des divorces pour faute.
Parallèlement, la référence au droit comparé ne justifie pas davantage la réforme. Dans les pays d'Europe les plus proches du nôtre, la consécration du divorce pour cause objective s'est accompagnée de la protection systématique de l'époux dépendant par le maintien du devoir de secours et l'affirmation de la responsabilité matérielle du conjoint qui entend reprendre sa liberté.
Quant aux conséquences de la suppression du divorce pour faute, elles seraient à la fois traumatisantes pour l'un des époux, attentatoires à la substance même du mariage et sans effet sur le caractère destructeur, pour tout l'entourage familial, des griefs liés à la faute.
Sans qu'il soit besoin de faire référence à quelque notion de moralité que ce soit, il n'en reste pas moins que de nombreux conjoints qui n'ont pas concrètement manqué aux devoirs et obligations du mariage ne se reconnaissent en rien comme coresponsables de l'échec du couple. Le maintien du divorce pour faute permettra au conjoint victime de mieux se reconstruire, d'apaiser sa souffrance, de faire en quelque sorte le deuil de son passé.
En outre, mes chers collègues, nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à célébrer ou à avoir célébré, à d'innombrables reprises, des mariages en qualité d'officiers d'état civil. Nous avons donc, ceints de nos écharpes tricolores, rappelé les devoirs réciproques des époux - fidélité, secours, assistance, communauté de vie - avant de prendre acte de l'échange des consentements. Si ce contrat, particulièrement solennel, n'entraîne plus davantage de conséquences que le concubinage, pourquoi associer encore le maire et les élus municipaux à ce qui ne serait plus qu'une représentation théâtrale, au mieux prétexte à une réunion de famille ou à l'attribution de quelques jours de congés supplémentaires non comptabilisés au titre de l'ARTT ? (Murmures sur les travées socialistes.) Si un contrat reste un contrat, celui qui n'en respecte plus les clauses doit logiquement assumer ses responsabilités, à plus forte raison si le mariage, au-delà de son caractère contractuel, demeure une institution fondamentale de notre société.
Certes, on ne peut passer sous silence la guérilla des preuves et des attestations. Mais qui ne voit que, en sortant par la porte de la suppression du divorce pour faute, elle rentre immédiatement par la fenêtre dans le cadre de l'action en dommages et intérêts, dont l'enjeu financier s'avère pourtant extrêmement limité et qui n'est pas susceptible d'assurer à l'époux demandeur l'indépendance économique à laquelle nous pensons qu'il a droit ?
Sans nier les aspects positifs que recèle aussi la proposition de loi qui nous est soumise, nous pensons qu'il serait beaucoup plus opportun que le Parlement puisse discuter dans la sérénité d'une vaste réforme tant du divorce que de la prestation compensatoire ou, surtout, de la médiation familiale. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les conditions de cette sérénité ne sont pas aujourd'hui réunies. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Desmarescaux.
Mme Sylvie Desmarescaux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après plusieurs réformes ponctuelles du droit de la famille, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture, les 9 et 10 octobre derniers, une proposition de loi portant réforme du divorce. Une réforme aussi fondamentale que celle du droit du divorce ne peut être adoptée sans que soit engagé un véritable débat de société. Légiférer sur le droit du divorce, c'est remettre en cause la notion même de mariage. Or vous avez préféré agir au coup par coup, madame la ministre, morcelant le droit de la famille, au détriment d'une refonte globale.
La proposition de réforme que nous examinons aujourd'hui consacre un véritable « droit de répudiation », en laissant aux époux le droit d'user de leur liberté individuelle de divorcer, et cela sans motif ni délai. De plus, ce texte sous-entend que les époux sont toujours coresponsables de l'échec conjugal, or il est des cas où la faute existe et doit être sanctionnée comme telle.
Le mariage est un contrat dont la rupture unilatérale sans motif ne devrait pas être permise. En tant que maire, j'ai à plusieurs reprises eu l'occasion de constater que les époux acceptent sans contrainte les obligations découlant du code civil, à savoir fidélité, secours, assistance et communauté de vie. Par leur « consentement libre et éclairé », ils acceptent de se soumettre à ces obligations, sachant qu'elles sont la contrepartie de leurs droits matrimoniaux.
La proposition de loi dite « Colcombet » rejette la faute mais donne au juge aux affaires familiales la possibilité de constater, dans le prononcé du divorce, que des « faits d'une particulière gravité » ont été commis et de prononcer une condamnation en dommages et intérêts. Sont en particulier visées les violences physiques et morales que certains conjoints font subir à leur épouse. Sans vouloir faire preuve d'un trop grand féminisme, j'indique que Nicole Péry, dans une enquête nationale sur les violences envers les femmes réalisée en 2000, a montré que 10 % d'entre elles avaient subi des violences conjugales physiques, mais aussi psychologiques, au cours des douze derniers mois. La suppression de la procédure de divorce pour faute procurerait un sentiment d'impunité au conjoint ayant un comportement gravement fautif. Je suis bien consciente que beaucoup de femmes battues ou moralement harcelées n'osent pas porter plainte contre leur agresseur et que celles qui s'y décident voient trop souvent leur plainte classée sans suite. La procédure de divorce pour faute leur permet d'obtenir la reconnaissance de leur souffrance, reconnaissance qu'elles n'ont pu obtenir au pénal. Par l'intermédiaire du juge, c'est ainsi toute la société qui reconnaît leur statut de victime.
Je me dois cependant de souligner les avancées que comporte cette proposition de loi en matière de médiation familiale. En effet, cette démarche permet aux époux d'expliquer les motifs de leur rupture et, le cas échéant, de régler les effets du divorce. Surtout, elle leur permet de renouer le dialogue lorsque leurs relations se sont dégradées. Toutefois, est-il nécessaire de préciser que nous - légiférons sans connaître les conclusions du Conseil national consultatif de la médiation familiale, chargé de vous proposer, madame le garde des sceaux ainsi qu'au ministre délégué à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées - toutes mesures utiles pour favoriser l'organisation de la médiation familiale et promouvoir son développement ? Ce conseil a été créé par l'arrêté du 8 octobre 2001, et les questions de diplôme et de formation, de statut et d'homologation des associations relèvent de sa compétence. Toutes les interrogations restent donc ouvertes, alors que bon nombre d'associations travaillant dans ce domaine revendiquent depuis longtemps que l'Etat reconnaisse officiellement les cycles de formation qu'elles ont mis en place.
Il est important que tous les professionnels concernés soient initiés à la médiation, or, madame la ministre, vous avez déjà exclu du conseil consultatif les avocats médiateurs, qui ont pourtant fait leurs preuves. Je citerai à cet égard les avocats médiateurs du barreau de Lille, qui se sont fédérés en une association, Nord Médiation. Professionnels du droit de la famille, ils connaissent les tenants et les aboutissants de chaque procédure et peuvent conseiller au mieux les époux sur les conséquences de leurs choix. La formation de médiateur qu'ils ont suivie leur permet de développer leur capacité d'écoute, conformément à leur statut de médiateur, de tierce personne neutre.
Je regrette sincèrement qu'une telle réforme n'ait pu être étudiée de manière plus approfondie, faute de temps. Les conditions dans lesquelles le Gouvernement nous demande de travailler sont inadmissibles.
Je conclurai mon intervention en remerciant et en félicitant M. Patrice Gélard de la qualité de son rapport. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Mathon.
Mme Josiane Mathon. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, tout divorce constitue une épreuve, nous le savons tous.
Il en est ainsi non seulement des divorces qui se passent mal, mais aussi de ceux qui semblent pourtant se dérouler dans les meilleures conditions possibles, les époux dépassant leurs conflits pour régler au mieux leur séparation. En effet, les divorces par consentement mutuel, sur demande conjointe ou sur demande acceptée, qui représentent 55,6 % des cas, cachent inévitablement une souffrance que l'on mettra parfois des années à surmonter.
A cet égard, il ne faut pas se leurrer : ni la réforme de 1975, qui a permis la libéralisation du divorce en instaurant la possibilité du « démariage » à l'amiable, ni la multiplication des couples vivant en dehors des relations conjugales, en union libre ou après avoir signé un Pacs, n'ont rendu plus facile, sur le plan psychologique, la rupture du couple. Peut-être même la rendent-elles plus difficile dans une certaine mesure : le mariage étant librement consenti, voulu dans la très grande majorité des cas, sauf lorsque s'exercent des pressions socioculturelles ou religieuses, son échec, que sanctionne le divorce, est ressenti de façon très douloureuse.
Le grand mérite de la proposition de loi qui nous vient de l'Assemblée nationale est de viser à ce qu'à l'épreuve de la séparation ne s'ajoute pas celle de la procédure.
Dans cette perspective, ses auteurs ont choisi de simplifier la procédure de divorce par consentement mutuel, rejoints en cela par la commission des lois, en proposant que le divorce puisse être prononcé dès la première comparution devant le juge. Cette disposition évitera des procédures coûteuses et inutilement longues, tant pour la justice que pour le justiciable. Il est clair cependant que cette simplification doit être assortie des garanties nécessaires pour que soit attestée la liberté du consentement au divorce et que ne naisse pas un contentieux postérieur à celui-ci. Le contrôle des conventions par le juge doit être, de ce point de vue, réel.
Au-delà, c'est à la « pacification » du divorce qu'a choisi de s'atteler l'Assemblée nationale, par une remise en cause résolue du divorce pour faute, tant il est vrai que les « dommages collatéraux » sont souvent démesurés au regard du conflit conjugal lui-même : le divorce pour faute, parce qu'il implique que les époux apportent la preuve de cette faute, envenime les conflits et traumatise l'ensemble de la cellule familiale, prise à partie sinon mise à contribution ; il focalise la discussion sur les comptes du passé plutôt que sur la préparation de l'avenir et l'aménagement de l'après-divorce.
Cette situation engendre des effets très dommageables pour les individus, au premier chef pour les enfants, en rendant plus difficile encore la reconstruction ultérieure.
En effet, beaucoup l'ont déjà souligné, les enfants sont, à terme, les principales victimes des conflits parentaux. Comme nous l'a rappelé Mme Ségolène Royal lors de la discussion du texte relatif à l'autorité parentale, les adultes doivent avoir à coeur de mettre, autant que possible, les enfants à l'abri de ces conflits qui ruinent leur confiance dans leurs parents et, au-delà, dans les adultes.
C'est pourquoi il convient d'encourager toutes les démarches qui contribuent à canaliser et à atténuer le conflit, notamment les mesures de médiation. Néanmoins, je voudrais redire ici combien il nous paraît urgent que, préalablement à l'entrée en vigueur des textes qui la renforcent, soit enfin mis en place un véritable statut de la médiation ; il doit également être réaffirmé que le médiateur intervient dans un champ différent de celui de l'institution judiciaire et que cette procédure ne doit en aucun cas être stigmatisante pour ceux qui ne parviennent pas à s'entendre.
De la même façon, il convient d'éviter tout ce qui est de nature à exacerber le conflit entre les parents.
Or, nul ne conteste aujourd'hui que, en l'état actuel des procédures de divorce, le divorce pour faute constitue la seule solution à laquelle peuvent recourir les époux dès lors que l'un d'eux est hostile au principe même du divorce : la très faible part que représente le divorce pour rupture de la vie commune - à peine 1,5 % des divorces - nous le prouve. De même, il convient de noter que, si les divorces pour faute restent la cause principale de divorce, nombre d'entre eux sont en réalité prononcés sur le fondement de l'article 248-1 du code civil - 32 % environ -, c'est-à-dire sans énonciation des fautes, tandis que 27,5 % le sont par défaut, en l'absence de défendeur. Si l'on suppose qu'une partie des divorces aux torts partagés aurait pu se régler par le biais d'une autre procédure, on aboutit à un nombre réel de divorces pour faute bien en deçà des chiffres.
Cette observation doit nous conforter dans l'idée que les procédures ne sont plus adaptées au phénomène social qui fait qu'un mariage sur trois se finit par un divorce. Il faut admettre que, datant de 1975, le régime du divorce ne correspond plus aux évolutions sociologiques et que nous devons en tenir compte dans notre travail de législateurs.
Ces évolutions sociologiques doivent tendre - j'en suis intimement persuadée - à la reconnaissance d'un droit au divorce.
Reconnaître le droit au divorce, c'est admettre le droit pour toute personne à se libérer de liens conjugaux qui ne sont plus voulus, et dont, on le sait, le maintien forcé est une catastrophe pour toute la structure familiale, et, là encore, d'abord pour les enfants. C'est rejeter l'idée même de « culpabilité » dans la dissolution du lien conjugal, que continue de véhiculer tant la procédure actuelle du divorce pour faute que les conditions très pénalisantes du divorce pour rupture de la vie commune. Dans notre esprit, cela ne signifie pas, je le dis tout de suite, que celui qui se réclame de ce droit ne doive pas respecter un certain nombre de droits, de devoirs et d'obligations.
Nous ne voulons pas, nous communistes, d'un droit de la famille moralisant, qui « colore » en fin de compte le rapport de la commission. Derrière l'option choisie, on sent bien les réticences bien françaises face au divorce. Rappelons qu'il a fallu attendre 1975 pour que soit reconnu le divorce par consentement mutuel.
Ce n'est pas à l'Etat de dire quel doit être le bon modèle familial. Cette conception paternaliste du droit de la famille apparaît aujourd'hui fort heureusement dépassée, au profit de la reconnaissance aux individus du libre choix des modalités de leur relation de couple et de famille.
Cela implique non pas un recul de l'Etat sur le terrain de la politique familiale, mais une redéfinition de son rôle : permettre l'épanouissement de toutes les familles. A l'heure où l'égalité juridique entre les familles tend à disparaître, c'est en effet à l'inégalité économique qu'il convient de s'attaquer. C'est la force du Gouvernement actuel d'en avoir pris la mesure, et je salue particulièrement son action volontaire en faveur des familles qui connaissent une situation de précarité.
On sait en effet combien les situations de précarité, notamment économiques, sont déstructurantes pour la famille. Elles fragilisent par ricochet la famille elle-même : la délégation aux droits des femmes a ainsi pu souligner combien le chômage augmente directement les risques de rupture du mariage. En même temps, elles rendent plus difficile encore la gestion des ruptures et de leurs suites : comme l'a montré Irène Théry, plus la famille est fragile, plus les relations avec l'enfant risquent de se distendre.
Nous l'avions dit lors du débat sur l'autorité parentale, il convient de veiller à se donner les moyens de concrétiser dans les faits, pour l'ensemble des familles, les principes que nous consacrons, telle la résidence alternée, dont on connaît le coût parfois difficilement supportable.
Allié à la volonté de dédramatisation des divorces, ce rejet du préjugé moral passe-t-il par la suppression du divorce fondé sur la faute ?
La question fait débat, comme le montrent les divergences de la doctrine, que l'on retrouve parfaitement dans les options prises, d'un côté, par la proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale, que rejoint la proposition de notre collègue M. About, et, de l'autre, par la position retenue par la majorité de la commission des lois du Sénat.
En réalité, cette question nous renvoie inéluctablement à la question du statut actuel du mariage : les droits et obligations définis par le code civil sont-ils des éléments constitutifs du mariage au point que leur seule violation constitue, en soi, une cause objective de rupture du mariage ?
A mon sens, elle ne doit pas être abordée sous l'angle des violences conjugales, sous peine de brouiller le débat. En effet, ces violences vont bien au-delà d'un comportement conjugal fautif, elles constituent des comportements socialement, voire pénalement, répréhensibles, même s'il nous semble fondamental de reconnaître le caractère spécifique de ces violences produites, sinon « permises », par la relation conjugale. Au moment où l'on tend à reconnaître la particularité des violences exercées sur le lieu de travail - harcèlement moral ou sexuel -, il serait tout de même étonnant que l'on revienne sur celles qui s'exercent dans le cadre marital, d'autant que l'enquête nationale sur les violences envers les femmes a révélé à quel point elles étaient en réalité répandues puisque près d'une femme sur dix reconnaît avoir été victime de violences physiques ou morales au cours des douze derniers mois.
Nous sommes, de ce point de vue, particulièrement satisfaits que le juge ait la possibilité de faire mention de ces comportements inadmissibles dans l'acte même du jugement de divorce, tant la reconnaissance sociale est nécessaire à la « reconstruction » des victimes de violences. Les associations de femmes battues le disent continuellement.
De la même façon, il nous semble indispensable que les dommages et intérêts alloués sur ce fondement le soient directement par le juge du divorce plutôt que, selon une procédure particulière, par le juge de la responsabilité.
Enfin, il était nécessaire de prévoir des mesures urgentes en cas de danger pour « la sécurité du conjoint ou des enfants », et notamment la résidence séparée. Associées à l'information du juge sur les procédures civiles et pénales en cours, toutes ces dispositions offrent des garanties absolument indispensables à ces femmes ou à ces hommes.
Reste donc la question suivante : les manquements aux obligations du mariage, notamment au devoir de fidélité et au devoir de secours et d'assistance, doivent-ils être conçus comme les fondements mêmes et intrinsèques du mariage ?
La commission des lois du Sénat considère que tel doit être le cas. Elle a opté pour le maintien du divorce pour faute, car, à ses yeux, « le divorce doit pouvoir continuer à être reconnu socialement comme une sanction du non-respect des obligations du mariage ».
L'Assemblée nationale, pour sa part, n'a pas retenu cette interprétation et a considéré que le mariage était une histoire que l'on faisait à deux. Elle postule l'égalité entre les époux, considérant en fait que l'inégalité qui subsiste est de nature économique, laquelle doit être réparée par les conséquences du divorce et non au niveau des cas d'ouverture : tel est l'objet de la prestation compensatoire ou de l'article 266, qui prévoit une possibilité de dommages et intérêts pour celui qui, n'ayant pas fait le choix du divorce, subit du fait de la dissolution du mariage, des « conséquences d'une exceptionnelle gravité ».
Cela semble une solution raisonnable.
Certes, et c'est certainement l'argument le plus solide, l'égalité des époux apparaît, à bien des égards, fictive, et certains avocats font valoir combien les indemnités accordées au titre des dommages et intérêts sont faibles. Ainsi, la disparité des situations au sein du couple que creuse, sinon que crée, le mariage sera aggravée par la suppression du divorce pour faute.
La question mérite réflexion, et nous avons eu, dans notre groupe, des discussions sur le sujet. Néanmoins, il nous a finalement semblé que le maintien de cette notion de faute risquait de cristalliser cette inégalité, plutôt que de l'atténuer.
Quoi qu'il en soit, je constate que cet argument n'a pas été au coeur de la réflexion de la majorité de la commission des lois. Selon nous, elle en reste très largement à la logique actuelle, qui voit encore dans le divorce une faute morale vis-à-vis des obligations du mariage.
Ainsi, au-delà même du maintien du divorce pour faute, le nouveau cas de divorce « pour altération irrémédiable des relations conjugales » reste empreint de cette notion de faute.
Le débat est loin d'être achevé et aurait mérité de plus amples discussions.
En tout état de cause, la réforme ne sera pas achevée avant la fin de la session. Les sénateurs communistes peuvent espérer que la réflexion se poursuivra sur une réforme aussi importante que le droit au divorce, qui, après plus de vingt-cinq ans, mérite d'être retouché. Pour l'heure, ils ne voteront pas le texte proposé par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur plusieurs travées socialistes.)
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je comprends les termes de ce débat. Je ne m'attendais d'ailleurs pas à autre chose ; je savais que la notion de faute serait au coeur des interventions, entre ceux qui acceptent de voir disparaître le divorce pour faute et ceux qui ne l'acceptent pas. La démarche était difficile.
Contrairement au barreau de Lille, mon ministère n'a pas les moyens d'éditer une brochure, de la distribuer et d'engager des personnes pour assurer la communication. Mais j'aurais bien voulu pouvoir répondre à cette brochure très surprenante.
Au départ, il avait été prévu de supprimer totalement le divorce pour faute. Je fais partie de celles et de ceux qui considèrent que ce n'est pas parce qu'il y a mariage qu'il y a autorisation de faute, en particulier lorsqu'il s'agit de violences physiques, de violences morales graves ou de comportements humiliants. Il semblait important d'inciter les hommes ou les femmes victimes de ce type de comportements à porter plainte devant une juridiction pénale. En effet, à trop recourir au divorce pour faute, on dissimule derrière une procédure civile, que certains voudraient peut-être plus discrète, des comportements qui relèvent d'une procédure pénale.
Il est des violences que certains ne veulent pas voir dénoncer devant un tribunal car ils souhaitent protéger l'image de leur conjoint aux yeux de leurs enfants, et c'est tout à leur honneur. Une procédure pénale étant bien sûr publique, les faits évoqués pourraient effectivement être largement portés à la connaissance de la population du quartier ou du village où réside l'intéressé. J'ai entendu cette demande et je comprends que certaines ou certains refusent de porter plainte, même s'il faut malgré tout les inciter encore à le faire.
Par ailleurs, après la clôture d'un procès civil, il est difficile d'engager un procès pénal, d'ester de nouveau en justice. Raconter son histoire une deuxième fois, avec des mots différents car on n'adopte pas le même comportement au pénal et au civil, c'est trop difficile. La plupart du temps, ce sont les personnes qui ont subi les violences physiques ou morales les plus graves qui n'auront pas le courage d'engager une nouvelle procédure et qui rentreront, seules ou avec leurs enfants, à la maison avec le poids de ce qu'elles ont vécu. C'est pour cette raison, et uniquement pour celle-ci, que je me suis rangée à l'idée que cette faute devait être stigmatisée dans le cadre du procès civil et que seul le juge pouvait, de manière très solennelle, dire la faute lorsque elle est grave et évidente.
Les violences physiques sont malheureusement simples à constater. Pour les violences morales, c'est beaucoup plus difficile ; il en est de même de l'humiliation. Nous avons tous présents à l'esprit, en tant qu'élus locaux, pour avoir tenu des permanences dans nos collectivités respectives, des cas de violences ou d'humiliation. Je n'en dirai pas davantage, chacun voit de quoi il s'agit.
Le fait que le juge stigmatise la faute peut effectivement permettre à la victime de trouver moralement le courage de se « reconstruire ». C'est donc important. Cela permet de mieux s'en sortir qu'avec des procédures plus lourdes.
Selon moi, nous n'avons pas pour autant cassé la logique du mariage à partir de cette proposition de loi. En effet, il y aura moyen de parler de la faute et de la réparation financière, même si je fais partie de celles et ceux qui ont du mal à accepter la notion de réparation financière pour des violences conjugales. C'est en effet toujours difficile à admettre. Mais nous avons maintenu cette possibilité, après avoir entendu beaucoup d'associations de femmes victimes de violences en particulier. Cette solution me paraissait sage pour ces femmes et ces hommes, sachant que, et c'est important pour nous désormais, la pluralité de cultures présentes sur notre territoire nous conduit à être vigilants à cet égard. Si nous nous enrichissons des diversités culturelles, nous héritons aussi de quelques problèmes, je pense notamment à la répudiation. Nous devons donc être vigilants. C'est pourquoi je m'étais très rapidement rangée au divorce devant le juge, après avoir effleuré un temps l'idée d'un divorce sans juge pour deux personnes n'ayant ni enfant ni patrimoine et parfaitement conscientes de leur situation. Mais il faut tout prendre en compte.
La solution à laquelle nous sommes parvenus permet d'écarter ce qui a généré cette proposition de loi : la recherche de la faute, et donc la recherche de preuves de la faute. En effet, si l'on maintient le divorce pour faute comme tel, il faut alors maintenir la preuve de la faute ; et la recherche de cette dernière aboutit pratiquement toujours au déchirement des couples, au déchirement de la famille, avec le camp de la mère, le camp du père - le camp de l'homme et le camp de la femme, en l'absence d'enfant -, au déchirement entre les amis, au sein d'un quartier, voire au sein d'une entreprise, puisqu'il faut obtenir des témoignages. Par conséquent, alors qu'on voudrait que le divorce se passe aussi bien que possible, notamment pour préserver les enfants, on crée des déchirements ; or, c'est justement ce que nous voulions éviter.
J'avoue ne pas comprendre les avocats qui préconisent de rechercher la faute et les preuves de la faute. Ce n'est pas bien ! En effet, qui sait ce qui se passe à ce moment-là ? On considère que, l'affaire étant portée devant la juridiction civile et non devant la juridiction pénale, la faute n'est pas connue des enfants. Il n'empêche qu'il faut rechercher des témoignages : que les grands-parents ne se rencontrent plus, se déchirent - les parents de l'homme ne parlant plus aux parents de la femme - et que l'enfant n'a plus aucune chance de voir tous ses grands-parents réunis dans une même maison. On n'a donc pas le droit de dire qu'il s'agit d'une bonne solution.
En revanche, il faut aider effectivement à stigmatiser les fautes graves.
En ce qui concerne l'évolution de l'aide judiciaire, par exemple, j'ai peut-être commis une grande erreur. Effectivement, les aides judiciaires accordées en cas de divorce pour faute sont beaucoup plus élevées que celles qui sont allouées pour les divorces plus simples et qui sont estimées insuffisantes par certains. Je m'engage donc à aligner les aides judiciaires du divorce sans faute sur celles du divorce pour faute afin que la tentation de rechercher la faute soit évitée. Nous devons avoir le courage d'affirmer que les avocats doivent être mieux rémunérés pour des divorces sans faute, ces derniers étant toujours complexes et nécessitant du temps et du travail. C'est en ce sens que nous devons travailler.
De la même manière, j'avais repoussé l'idée qu'il fallait deux avocats de façon obligatoire. Si les deux partenaires d'un couple s'accordent à reconnaître que la vie commune devient infernale, à quoi bon aller chercher deux avocats, à quoi bon essayer de s'opposer à tout prix, alors qu'on peut éviter les déchirements ?
J'ai entendu que nous allions faciliter le divorce. Non ! Mais, de grâce ! faisons un effort pour l'apaiser, pour le rendre plus serein ! Il est absolument impossible d'aller chercher des preuves pour faute sans créer des dégâts tout autour. Personne n'y est jamais parvenu. La recherche de la faute est toujours destructrice pour les enfants. Il n'en a jamais été autrement.
Reconnaissons que les enfants doivent être épargnés, stigmatisons les fautes graves, mais, surtout, ne cachons pas derrière la volonté de réparation ce qui est en fait beaucoup plus complexe.
Je plaide vraiment pour que les enfants ne souffrent pas autant du divorce que c'est le cas aujourd'hui ; je plaide pour la médiation.
Les avocats sont représentés au conseil de la médiation. Ils sont au nombre de deux : un es-qualité du Conseil national des barreaux, l'autre désigné en tant que personnalité qualifiée - c'est actuellement M. Bénichou. Les avocats médiateurs sont largement reconnus. La seule chose qu'on leur demande - c'est sur ce point que le débat a porté, à Toulouse plus qu'à Lille -, c'est de ne pas être partie dans la même affaire, ni dans une affaire qui la touche de près, parce que telle est la déontologie d'un avocat.
Pourront avoir accès à ce rôle de médiateur les avocats, bien évidemment, mais aussi ceux qui ont déjà été médiateur.
En ce qui concerne la formation - grande préoccupation du Sénat, qui l'honore - il faut s'occuper de la validation des acquis de ceux qui ont déjà pratiqué excellemment la médiation familiale. Il faudra peut-être imaginer une formation par unités de valeur. Un juriste a besoin d'une formation psychologique, et un psychologue d'une formation en droit. Telles sont les pistes de travail du conseil qui est actuellement saisi du dossier.
La médiation sera, à mon avis, de qualité ; elle sera prise en charge par l'aide juridictionnelle. Actuellement, elle est liée au financement des associations. Le budget a certes été augmenté, mais c'est encore insuffisant. Par conséquent, il faudra encore continuer dans cette voie.
Le terme « médiation » me paraissait judicieux dans la mesure où il existe déjà une médiation familiale, et qu'une médiation conjugale aurait donc pu être prévue lorsqu'un couple n'a pas d'enfant. En effet, on a toujours considéré que le couple sans enfant ne constitue pas encore une famille ; c'est simplement un couple. C'était la raison de la présence du mot « médiation » ; mais peu importe.
Je considère que réformer le divorce n'aboutit pas à dévaloriser le mariage. Simplement, lorsque le mariage n'est plus possible, il faut permettre sa dissolution sans drames excessifs, et surtout en pensant aux autres familles. J'ai été frappée, lors des débats régionaux, de l'importance des interventions des grands-parents : ils vivent mal ces séparations conflictuelles, en raison notamment de l'impossibilité pour eux d'obtenir des gardes. Nous disposons donc de témoignages suffisants pour faire preuve d'humilité.
Pour ma part, je ne suis pas certaine de détenir la vérité, et j'admire ceux qui croient la posséder, écrivant même des brochures sur le sujet. La seule certitude que l'on ait en matière de divorce, c'est que, aujourd'hui, ceux qui paient le plus cher les divorces pour faute et les procès difficiles, ce sont les enfants ! On parlait de délinquance tout à l'heure. Mais il faut songer que vivre pendant un, deux ou trois ans un conflit de cette violence et en entendre parler chez les grands-parents, à l'école, par les oncles, les tantes et quelquefois dans le quartier, porte gravement préjudice. Nous devons être conscients que nos débats d'adultes ne sont parfois pas ceux des enfants ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard. Madame le garde des sceaux, j'ai beaucoup apprécié votre intervention, et j'ai eu l'impression que nous nous retrouvions sur bien des points.
Nous en sommes à la première lecture d'une proposition de loi particulièrement importante où la navette doit prendre toute sa dimension et où il est bien évident qu'il n'est pas possible de se lancer dans une réforme sans s'écouter les uns les autres et sans reconnaître que nous ne détenons, ni vous ni nous, la vérité.
J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt, madame le garde des sceaux, ce qui était, en définitive, une défense du maintien de la faute. En effet, en disant que certaines choses étaient impardonnables et devaient être sanctionnées par le juge, vous avez défendu le maintien de la faute. C'est là où nous devons pouvoir, en fin de compte, trouver un terrain d'entente.
Par ailleurs - et là je suis d'accord avec vous -, comme je l'ai indiqué tant dans mon rapport écrit que dans mon intervention orale, nous ne pouvons pas obliger ceux qui ne le veulent plus à continuer de vivre ensemble. On a voulu évacuer la notion de faute, mais elle est revenue sous un autre aspect.
Nous espérons que la navette permettra de trouver une solution qui, tout en conservant toute la valeur de l'institution du mariage, tienne compte de ces deux éléments que vous et moi avons développés. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La présidence se félicite, comme vous tous, mes chers collègues, de la qualité du débat de ce matin. Certes, il n'est pas terminé ! Il a été tout à l'heure question d'exploit sportif ; mais l'exploit, que je salue, est aussi - je tiens à le dire - intellectuel.

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