SEANCE DU 21 FEVRIER 2002
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M.
Sueur pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur.
Nous nous réjouissons d'abord que, grâce à vous, madame la garde des sceaux,
qui avait présenté ce projet de loi, et à vous, monsieur le rapporteur, qui y
avez beaucoup travaillé, nous parvenions au terme de son examen, ce soir, au
Sénat.
Toutefois, le groupe socialiste ne pourra voter le texte issu de nos travaux,
et cela pour des raisons que je veux exposer.
Première raison, nous avons le profond regret de constater que la majorité du
Sénat n'a pas respecté la cohérence profonde des trois volets de la réforme des
procédures commerciales, en opposant la question préalable à la fois sur le
projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce et sur le projet de loi
organique modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi
organique relative au statut de la magistrature et instituant le recrutement de
conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
C'est en effet dommage.
M. Jean-Pierre Sueur.
Il faudra inévitablement reprendre la discussion sur l'ensemble de ces trois
textes.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Peut-être, mais sur des bases saines !
M. Jean-Pierre Sueur.
La deuxième raison expliquant notre vote apparaît dans le débat qui vient
d'avoir lieu sur les articles 2 et 16 : notre assemblée refuse d'ouvrir
véritablement à la concurrence les professions d'administrateurs judiciaires et
de mandataires de justice.
Le projet de loi initial n'avait pas pour objet de banaliser le recours à des
personnes extérieures, il tendait seulement, et légitimement, à mettre un terme
à des situations de monopole de fait.
La possibilité pour les juridictions de désigner des personnes non inscrites
sur les listes des professions concernées aurait permis d'ouvrir ce secteur à
la concurrence, et, dans le projet de loi initial, cette ouverture reposait sur
des contreparties offrant toutes garanties.
L'ouverture à la concurrence externe représente pour nous le gage d'une
meilleure efficacité du rendu de la justice commerciale. Elle répond aussi à
une nécessité dans l'intérêt de ces professions elles-mêmes, comme la
commission d'enquête parlementaire l'a d'ailleurs souligné.
Comme vous le savez, le recours à des administrateurs hors liste n'est pas une
procédure nouvelle. Il existe déjà dans le droit en vigueur, puisque le
tribunal est autorisé à désigner une personne extérieure, mais les conditions
qui entourent actuellement ce dispositif - en particulier son caractère
exceptionnel - n'incitent pas les juges à y recourir fréquemment.
C'est pourquoi notre groupe approuvait pleinement, sur l'article 2, le
sous-amendement n° 151 du Gouvernement à l'amendement n° 5 de la commission et,
sur l'article 16, le sous-amendement n° 154 du Gouvernement à l'amendement n°
40 de la commission, puisqu'ils visaient à retenir des critères relatifs à la
nature de l'affaire, sans référence au caractère exceptionnel de la
procédure.
Dès lors, la crainte de voir la profession se vider de ses éléments les plus
dynamiques aurait dû être apaisée.
Nous regrettons donc qu'il n'y ait une véritable ouverture des professions
visées. En quelque sorte, nous avons fait du sur-place. Nous espérons que les
débats ultérieurs nous permettront d'avancer, car, tout en préservant ce qui
donne à ces professions leurs compétences propres, il faut les ouvrir sur
l'extérieur - en maintenant, bien sûr, les garanties nécessaires de nature à
éviter la banalisation du recours à des personnes hors liste - pour permettre
leur rénovation. C'est le moyen de les adapter à l'évolution économique que
nous connaissons, dans l'intérêt et de nos entreprises et des justiciables.
Nous souhaitons, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, que l'on
parvienne, dans les temps futurs, à un accord sur la base du travail qui vient
d'être accompli par l'Assemblée nationale et par le Sénat !
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Le texte que nous nous apprêtons à adopter a le mérite de satisfaire les
professionnels auxquels il s'adresse tout en permettant de moderniser leurs
professions.
Notre estimé collègue Jean-Pierre Sueur a exposé comme l'une des raisons
expliquant le vote de son groupe le fait que nous n'avons pas examiné dans les
mêmes conditions la réforme des tribunaux de commerce et le projet de loi
organique instaurant le recrutement de conseillers de cour d'appel exerçant à
titre temporaire.
Je dois dire qu'il y a, entre ces deux textes et celui que nous avons examiné
ce soir, une différence profonde. Ainsi, la réforme des tribunaux de commerce
est loin de faire l'unanimité chez les juges consulaires et elle aurait des
conséquences que nous n'avons pas suffisamment étudiées. Il était donc
prématuré - d'autant que ce texte n'aurait pas été applicable avant plusieurs
mois - de discuter au fond de la réforme des tribunaux de commerce, et les
mêmes considérations valent pour le projet de loi organique.
En revanche, le présent projet de loi touche à un domaine où le consensus est
possible. Certes, nous pouvons encore l'améliorer dans le cadre de la navette
pour tenir compte des observations de Mme le ministre, notamment sur les
dispositions de caractère réglementaire qu'il contient et qui devront
disparaître.
Pour le reste, une réflexion s'impose, mais nous arrivons à la veille d'une
interruption de la session parlementaire, à la fin d'une législature ; nous ne
savons pas ce que décidera le futur gouvernement, et nous ignorons quand ces
textes nous seront à nouveau soumis.
Par ailleurs, il est sans doute dommage que certaines réformes, et notamment
celle des procédures collectives, n'aient pas eu le temps de voir le jour, mais
il faut avouer, madame le ministre, que depuis le mois de janvier la commission
des lois travaille à un rythme absolument infernal. Elle a tenu jusqu'à quatre
réunions par semaine, sans compter les commissions mixtes paritaires. Depuis le
mois de janvier, il n'y a pas eu une semaine où la commission des lois n'a pas
siégé en séance de nuit, reprenant le lendemain matin les débats, en ayant à
peine le temps d'examiner les amendements de l'extérieur.
Cette surcharge de travail à la veille d'une longue interruption de la session
parlementaire a peut-être eu pour effet l'adoption à la va-vite de certains
textes qui auraient mérité d'être davantage approfondis. Ce n'est pas le cas du
projet de loi que nous examinons aujourd'hui, et je tiens à rendre hommage à
notre rapporteur, qui a su accomplir un travail d'autant plus remarquable qu'il
s'est attaché à le codifier.
Faire oeuvre de codification lors de l'adoption de chaque loi est un travail
auquel le Conseil constitutionnel invite le législateur et nous devons tous
nous y appliquer.
Telles sont les quelques remarques que je voulais faire, à propos du présent
projet de loi et alors que nous ne siégerons plus jusqu'au mois de juin
prochain.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Il est vrai que discuter d'un texte alors que l'on sait fort
bien qu'il ne pourra pas faire l'objet, dans l'immédiat, d'un vote définitif du
Parlement peut paraître quelque peu surréaliste. Mais nous en avons pris
l'habitude depuis quelques jours !
En tout état de cause, je suis convaincu que le projet de loi que le Sénat va
- j'en suis sûr - adopter ce soir permettra aux professions concernées
d'évoluer et je rappelle d'ailleurs à M. Sueur que nous avons proposé plusieurs
dispositions conformes au projet de loi initial. Nous divergeons peut-être sur
certains points mais nos positions ne sont pas si éloignées !
En revanche, je crois que le Sénat a été très avisé de ne pas adopter les
dispositions votées par l'Assemblée nationale qui ouvraient sans limite, avec
tous les risques que cela comporte, les professions d'administrateur et de
mandataire à n'importe qui. On ne peut pas donner en permanence des leçons de
morale à ces professions et les ouvrir inconsidérément à tous, d'autant qu'il
s'agit de professions sous mandat de justice.
Les professions d'administrateur et de mandataire devaient être réformées sur
le plan tant des conditions d'accès à la profession que de la concurrence entre
professionnels ou des garanties déontologiques et financières ; c'est ce à quoi
nous parvenons ce soir.
Je souhaite, bien sûr, que le présent projet de loi puisse être définitivement
adopté. Je souhaite aussi que la réforme d'ensemble de la justice commerciale
soit reprise. C'est important. Les lois de 1984 et 1985 notamment doivent être
« revisitées », Robert Badinter le disait lui-même l'autre jour.
Le Sénat devra poursuivre le travail engagé. Il est apte à le faire parce
qu'il a le temps pour lui et qu'il n'est pas en permanence soumis à la pression
médiatique.
Je conclurai en disant qu'il est en définitive heureux que nous n'ayons pas à
siéger en commission mixte paritaire dans les jours qui suivent, car, bien que
je ne sois pas rancunier, je ne souhaite pas rencontrer dans l'immédiat des
collègues qui sont allés jusqu'à nous insulter, moi-même, M. Paul Girod, M. le
président du Sénat et le Sénat tout entier.
Enfin, je veux associer aux remerciements qu'adresse M. Gélard au rapporteur
pour avoir rempli sa mission de codificateur les administrateurs de la
commission des lois, qui accomplissent dans la discrétion un travail
remarquable.
M. le président.
La présidence se joint à vos remerciements.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
C'est en effet le dernier texte inscrit à l'ordre du
jour et, à titre personnel comme en tant que membre de ce Gouvernement, je veux
- parce qu'il est possible que je ne revienne plus parmi vous à l'avenir -
remercier l'ensemble des sénateurs de la qualité du travail qu'ils
accomplissent. Les différences parfois profondes d'opinions qui souvent nous
opposent provoquent des affrontements auxquels la dignité des propos et le
respect des uns envers les autres donnent une valeur républicaine. J'y suis
très attachée.
J'ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec vous, même si vous m'avez
souvent gentiment renvoyée dans les cordes. J'ai constaté que les sénateurs
accomplissent leur tâche avec passion.
J'associe bien sûr à mes remerciements les collaborateurs de la commission des
lois ainsi que tous les personnels de la Haute Assemblée qui nous bien
accueillis et accompagnés.
Le Sénat est effectivement une maison de sérénité, et, même si je sais ne pas
partager les opinions politiques de sa majorité, j'aurais regret à ne pas y
revenir. C'est pourquoi je ferai tous les efforts possibles pour être à nouveau
parmi vous un jour, peut-être pas en qualité de sénateur mais, qui sait, en
tant que membre du Gouvernement...
En tout cas, merci à tous, et merci à la présidence, car le travail a été «
rondement » mené !
Je remercie la commission des lois et tous ceux qui ont suivi nos travaux ces
trois dernières semaines, car il s'agissait vraiment d'un travail difficile.
Je reconnais, avec M. Jean-Jack Queyranne, qui en parlait avec vous dans les
couloirs hier, monsieur le président, que vous auriez effectivement pu
protester contre cet ordre du jour. Vous l'avez peu fait et vous avez beaucoup
travaillé.
(Applaudissements.)
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