SEANCE DU 10 JUILLET 2002


ACCORDS AVEC LA GRANDE-BRETAGNE
ET L'IRLANDE DU NORD RELATIFS
À LA DÉLIMITATION MARITIME
ENTRE LA FRANCE ET JERSEY
ET LA PÊCHE DANS LA BAIE DE GRANVILLE

Adoption de deux projets de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion :
- du projet de loi (n° 135, 2001-2002) autorisant la ratification d'un accord entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à l'établissement d'une ligne de délimitation maritime entre la France et Jersey [Rapport n° 300 (2001-2002)] et du projet de loi (n° 136, 2001-2002) autorisant la ratification de l'accord relatif à la pêche dans la baie de Granville entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (ensemble quatre échanges de notes) [Rapport n° 300, (2001-2002)].
La conférence des présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l'objet d'une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Renaud Muselier secrétaire d'Etat aux affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de soumettre à votre approbation les projets de loi autorisant la ratification de deux accords relatifs, l'un, à la pêche dans la baie de Granville, l'autre, à la délimitation maritime entre la France et Jersey, accords signés entre la France et la Grande-Bretagne le 4 juillet 2000.
Ces instruments ont pour objectif de moderniser le régime de la pêche dans la baie de Granville, qui reposait jusqu'à présent sur des textes fort anciens - certains remontent à 1839 et à 1843 -, au contenu fort incertain et qui ne correspondaient plus à l'évolution du droit international de la mer.
Le droit de la mer contemporain se traduit par la reconnaissance de droits exclusifs au profit de l'Etat côtier dans la gestion et l'exploitation des ressources halieutiques situées dans sa juridiction. Il pourrait ainsi donner aux autorités britanniques ou jersiaises la faculté de dénoncer unilatéralement le régime de la pêche observé jusqu'à présent dans la baie de Granville, largement favorable aux pêcheurs français, qui fréquentent beaucoup plus les eaux de Jersey que leurs collègues de Jersey ne fréquentent nos eaux.
Cet accord, caractérisé par le souci des autorités des deux pays de maintenir des relations de bon voisinage dans le domaine des pêcheries locales, fournit une base conventionnelle claire et précise qui, moyennant quelques concessions inévitables et limitées, devrait garantir pour une longue période l'accès des pêcheurs français à une bonne partie des eaux territoriales relevant de Jersey.
A ce titre, il convient de se féliciter que l'accord définisse un large secteur dans la baie de Granville, à cheval sur les eaux territoriales de la France et sur celles de Jersey, secteur auquel les pêcheurs des deux pays ont accès de manière égale. De même, il prévoit le maintien des droits de pêche français sur le plateau des Ecrehous, au nord-est de Jersey, et sur le plateau des Minquiers.
Le régime de la pêche est désormais clair : chaque partie délivre à ses ressortissants des permis de pêche ou d'accès, y compris pour l'exercice de la pêche dans les eaux territoriales de l'autre partie. De même, est prévue l'adoption d'un commun accord des règlements de pêche et la création d'une commission administrative et d'un comité consultatif mixtes chargés de gérer la ressource halieutique. Des mécanismes d'urgence et de règlement des litiges sont également mis en place.
L'accord est accompagné de plusieurs échanges de lettres destinées à éviter que l'abrogation des textes antérieurs ne porte atteinte aux droits traditionnels détenus par les pêcheurs français dans les eaux sous juridiction de Guernesey ou de l'île de Man.
Il a donc pour effet de perpétuer très largement un régime dont les pêcheurs français sont les principaux bénéficiaires et qui est sans précédent, tant il déroge aux principales tendances du droit de la mer contemporain. En effet, avec quatre cents bateaux et 38 000 tonnes de captures, les pêcheurs français réalisent l'essentiel de la pêche dans la zone considérée. Pour leur part, les Jersiais pêchent 3 000 tonnes avec vingt-cinq unités.
Il est apparu nécessaire d'accompagner ce texte d'un accord relatif à l'établissement d'une ligne de délimitation maritime, dans la mesure où il n'existait pas de limite d'Etat entre les eaux des deux pays dans la baie de Granville. La sécurité juridique des particuliers devrait être confortée par cet accord définissant la souveraineté et la juridiction chargée de contrôler les droits exercés.
La ligne de délimitation retenue repose sur le principe de l'équidistance. Le calcul a cependant été rendu difficile par la présence d'un certain nombre de récifs, d'îles et d'îlots auxquels la France et la Grande-Bretagne n'entendaient pas donner la même valeur pour la fixation de la frontière. La solution retenue en définitive est tout à fait satisfaisante pour la France.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales dispositions de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à l'établissement d'une ligne de délimitation maritime entre la France et Jersey, ainsi que de l'accord relatif à la pêche dans la baie de Granville entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, qui font l'objet des projets de loi aujourd'hui soumis à votre approbation.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Guy Branger, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les deux accords soumis aujourd'hui à notre examen visent à mettre un terme à une situation marquée par l'incertitude juridique et par les conflits qu'elle a engendrés entre pêcheurs des îles anglo-normandes et pêcheurs français.
Je vous rappelle que ces îles anglo-normandes - Jersey, Guernesey et Sercq - sont une curiosité géopolitique, car, bien que situées à quinze kilomètres des côtes françaises, face à la presqu'île du Cotentin, et à quatre-vingts kilomètres des côtes anglaises, elles constituent une enclave britannique au sein des eaux françaises, et particulièrement de notre zone économique exclusive.
Cette particularité découle de leur histoire, qui en fait, non pas des parties intégrantes du Royaume-Uni, mais des dépendances directes de la Couronne britannique, non incluses dans l'Union européenne.
Cette spécificité a d'importantes conséquences concrètes, notamment la possibilité pour les Etats de Jersey et de Guernesey de réglementer la pêche dans leurs eaux territoriales, auxquelles la réglementation communautaire n'est pas applicable.
Ces spécificités historiques et juridiques suscitent une grande complexité dans les rapports concrets entre la France et ses îles anglo-normandes. D'une part, en effet, les limites d'Etat n'ont jamais été fixées avec exactitude ; d'autre part, les limites de pêche n'ont été précisées qu'en 1992, par un échange de notes entre la France et le Royaume-Uni, mais au bénéfice trop marqué de Guernesey, selon les pêcheurs français, ce qui a ultérieurement suscité plusieurs incidents entre pêcheurs français et guernesiais, nous nous en souvenons tous.
Les deux accords que nous examinons aujourd'hui visent donc à établir sur des bases juridiques claires et modernes une ligne de délimitation maritime entre la France et Jersey, ainsi qu'à clarifier les modalités de la pêche dans la baie de Granville.
La ligne de délimitation maritime retenue repose sur le principe de l'équidistance, communément utilisé en matière de délimitation des eaux territoriales entre Etats dont les côtes se font face. Ce principe a dû être modulé pour tenir compte de la présence, autour de l'île de Jersey, de plusieurs archipels ou îlots pour lesquels il a fallu trouver un compromis. L'accord qui en est issu fixe quatorze points géodésiques déterminant la ligne formant une boucle autour de Jersey.
Du point de vue pratique, c'est l'accord entre la France et le Royaume-Uni relatif à la pêche dans la baie de Granville qui est le plus important. Cet accord a été conclu dans un contexte de tensions entre la France et Guernesey.
En 1992, les autorités de l'île avaient en effet commencé à exercer des contrôles techniques sur les activités de pêche au sein d'une zone de 12 milles nautiques à partir de ses côtes. Ces contrôles lésaient les pratiques coutumières des pêcheurs français, qui exerçaient leurs activités dans cette zone depuis de très nombreuses années.
Les incidents répétés qui en ont découlé entre pêcheurs français et guernesiais ont conduit la France et le Royaume-Uni à un accord amiable, le 16 août 1994. Cependant, le Royaume-Uni, en 1996, puis les autorités de Guernesey, en 1998, décidèrent d'en suspendre l'application.
Il était donc nécessaire, pour préserver les pratiques des pêcheurs français, de conclure un accord complémentaire.
C'est l'objet de la « déclaration française », rédigée à Saint-Hélier, le 4 juillet 2000, sur le maintien des droits de pêche dans les limites des zones de pêche britanniques. Vous trouverez dans mon rapport écrit, mes chers collègues, les principaux éléments de cet accord, qui préserve globalement les droits de nos pêcheurs.
En conclusion, on peut estimer que ces deux accords sont positifs pour la clarification de notre frontière maritime avec les îles anglo-normandes, et qu'ils préservent au mieux le droit coutumier de nos pêcheurs dans une zone où ils exercent traditionnellement leurs activités.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous propose donc de les adopter.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avant de rappeler un certain nombre de points, je tiens à vous dire que le parlementaire de la Manche que je suis ne peut que se réjouir de l'examen aujourd'hui, par notre assemblée, de ces deux projets de lois autorisant la ratification de deux accords conclus le 4 juillet 2000 entre la France et le Royaume-Uni, relatifs, le premier, à la ligne de délimitation entre Jersey et la France, le second, à la pêche dans la baie de Granville.
Comme vous le rappeliez justement, monsieur le rapporteur, les îles anglo-normandes - Jersey, Guernesey et leurs dépendances - sont une curiosité géographique : situées à quinze kilomètres seulement des côtes du Cotentin, elles constituent une enclave britannique dans les eaux territoriales françaises.
Elles sont également une curiosité juridique : appartenant en bien propre à la Couronne britannique depuis 1214, depuis Jean sans Terre, donc, ces deux bailliages ne relèvent pas de la législation du Royaume-Uni et ne sont donc pas engagés par son adhésion à l'Union européenne, ce que l'on peut regretter, et pas simplement en matière de pêche.
La baie de Granville est, par ailleurs, une réserve halieutique majeure et, par conséquent, une importante zone de pêche. Pêcheurs bretons et normands, d'un côté, jersiais et guernesiais, de l'autre, s'y sont opposés dans des conflits parfois violents depuis plus de deux siècles.
Plusieurs accords entre les Etats français et britannique ont été conclus au cours de ces deux siècles - 1839, 1964, 1992, et 1994, pour ne citer que les plus importants - mais aucun n'a permis jusqu'à présent de trouver une solution concrète réellement satisfaisante. Malgré la définition d'une zone de pêche exclusive pour chaque partie et d'une mer commune entre les deux, les incidents entre bateaux de pêche, qui relèvent de la flibuste ou de la bataille navale avec les gardes-côtes britanniques, alimentent régulièrement la rubrique des faits divers et se sont multipliés. Il en est ainsi, par exemple, de l'arraisonnement, dans des conditions rocambolesques, en août 1998, d'un bateau granvillais, la Confiance II , prétendument dans la limite des 12 milles de Guernesey. La flotte de pêche française mit alors le cap vers les îles anglo-normandes. Pour un peu, c'était l'invasion ! (Sourires.) Cet incident donna lieu à des heurts violents.
Il convient par ailleurs de souligner, et c'est encore une curiosité, que, lorsqu'un de nos pêcheurs est traduit en justice dans les îles anglo-normandes, il ne peut faire appel à un avocat français !
Il est difficile aujourd'hui de connaître le nombre exact de bateaux concernés par ces accords. Vous avez cité le chiffre de 400 du coté français. Les données dont je dispose font état de chiffres supérieurs aux vôtres pour la partie anglo-normande. La pêche dans cette zone est importante : 50 000 tonnes de poissons pêchés en 2001, dont les neuf dixièmes par des pêcheurs français.
Ces deux accords sont donc extrêmement importants. La France comme Jersey ont tout intérêt à régler ce contentieux en mettant en oeuvre des mesures de protection de la ressource halieutique - par l'élaboration d'une commission mixte chargée de la gestion de la ressource halieutique pour une exploitation prudente et concertée - ainsi qu'une harmonisation de leurs réglementations, le cadre juridique clair et précis mis en place préservant les droits traditionnels des pêcheurs français.
La ligne de délimitation entre l'île de Jersey et la France ainsi élaborée selon le principe de l'équidistance - un peu plus difficile à respecter en raison de l'existence des îlots des Ecrehous et des Minquiers qui ne sont pas concernés par l'accord - est une solution satisfaisante pour la France.
Quant à l'accord de pêche conclu, il synthétise et clarifie l'ensemble des textes antérieurs qui régissaient la pêche dans la baie. Il permet ainsi de pérenniser les pratiques coutumières des pêcheurs dans cette zone tout en les incluant dans un cadre général commun et une zone précisément délimitée. La sécurité juridique des professionnels est ainsi assurée. Un point reste en suspens. La zone D, au sud de Jersey, n'a pas été recalculée entièrement mais, selon les professionnels des deux bords, une solution peut être trouvée, car un accord conclu peut toujours être amendé.
Par ailleurs, les accords que nous nous apprêtons à ratifier aujourd'hui ne concernent pas l'île de Guernesey, où le problème se pose dans les mêmes termes. C'est l'occasion pour moi, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous demander si vous envisagez d'éventuelles négociations sur ce sujet, car le contentieux avec Jersey est récurrent. Depuis la rupture du modus vivendi, il n'y a plus aucun contact et les professionnels français et anglo-normands souhaitent une relance des discussions dans les meilleurs délais.
Enfin, cet accord intervient à un moment où le projet de réforme de la Commission européenne de la politique commune de la pêche inquiète gravement la profession. Nous aurons à nouveau l'occasion, je suppose, d'en débattre.
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. Monsieur le sénateur, les choses, c'est vrai, évoluent et vous avez d'ailleurs évoqué les résultats déjà obtenus. Le texte qui vous est proposé constitue une nette avancée qui nous permettra de remédier à des difficultés permanentes et croissantes.
Le monde de la pêche est un monde dur, les pêcheurs vivent dans des conditions difficiles. Ils font un beau métier, qu'ils exercent avec une très grande passion, mais ce sont des hommes qui défendent chèrement leur histoire et, bien entendu, leur travail.
Monsieur le sénateur, un accord a effectivement été signé en juillet 1992 avec Guernesey, mais son application a soulevé des difficultés d'interprétation majeures.
En 1994, un modus vivendi a été établi par une série d'échanges de notes, mais de nombreux incidents entre pêcheurs ont eu lieu et les autorités britanniques ont décidé, le 12 novembre 1996, de ne pas le renouveler.
Les conversations se sont cependant poursuivies, compte tenu de la volonté d'aboutir, afin de redéfinir un régime de pêche procurant des avantages équivalents. Elles ont été interrompues du fait de Guernesey au début de l'été 1998. Il convient de relever que l'accord relatif à la baie de Granville est également accompagné d'un échange de notes relatives à Guernesey. Ces accords visent avant tout à préserver le statu quo et à préparer l'avenir ou, en tout cas, à le ménager.
Ce point essentiel pour les professionnels français de la pêche a été l'un des plus difficiles à négocier et n'a pu être définitivement réglé que dans les jours précédant la signature de l'accord.
La signature puis l'entrée en vigueur de l'accord conclu avec Jersey pourraient cependant conduire Guernesey à reprendre les négociations, et je ne doute pas que le bon sens finira par l'emporter.
M. Jean Chérioux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Jean Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je veux souligner le caractère très intéressant de ce débat au cours duquel a été évoqué le statut absolument extraordinaire des îles Anglo-Normandes.
J'ai entendu M. le rapporteur et notre collègue normand Jean-Pierre Godefroy dire que les îles Anglo-Normandes, qui sont soumises à un régime féodal, appartenaient à la Couronne britannique. Ce n'est pas tout à fait juste. Ce n'est pas en tant que reine d'Angleterre que celle-ci a un pouvoir dans les îles Anglo-Normandes mais parce qu'elle y est duchesse de Normandie. Peut-être notre collègue M. Godefroy ne voulait pas le souligner, car il était gêné de constater l'existence d'une autorité normande autre que la sienne dans cette région. (Sourires.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.

PROJET DE LOI N° 135

M. le président. Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 135.
« Article unique. - Est autorisée la ratification de l'accord entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à l'établissement d'une ligne de délimitation maritime entre la France et Jersey, signé à Saint-Hélier le 4 juillet 2000, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité.

PROJET DE LOI N° 136

M. le président. Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 136.
« Article unique. - Est autorisée la ratification de l'accord relatif à la pêche dans la baie de Granville entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (ensemble quatre échanges de notes), signé à Saint-Hélier le 4 juillet 2000, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité.

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