SEANCE DU 3 AOUT 2002


M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je donne la parole à M. Claude Estier, pour explication de vote.
M. Claude Estier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le thème de l'insécurité ayant été martelé pendant toute la campagne électorale, il était prévisible que nous serions rapidement saisis de projets de loi tant dans le domaine de la justice que dans celui de la sécurité.
Toutefois, on pouvait espérer que la nouvelle majorité, qui est élue pour cinq ans, prendrait le temps de la consultation et de la réflexion. Or, c'est dans la précipitation d'une session extraordinaire que le Gouvernement nous a soumis ce projet de loi dans lequel on trouve une loi de programmation pour renforcer les moyens de la justice, la création d'un nouvel ordre juridictionnel composé de magistrats non professionnels, une remise en cause de l'esprit et de nombreuses dispositions de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, laquelle avait pourtant été votée à l'unanimité par le Parlement, après des heures de travail constructif.
On trouve également dans le projet de loi des modifications importantes de l'ordonnance de 1945 et la création de centres éducatifs fermés pour mineurs, ainsi que des dispositions tendant à construire à la hâte des établissements pénitentiaires et à en déléguer la gestion à des personnes privées.
Par ailleurs, se faisant l'écho de l'affirmation par lePrésident de la République, le 14 juillet dernier, de sa volonté de lutter contre l'insécurité routière, l'Assemblée nationale a adopté, là aussi sans la moindre concertation, une procédure simplifiée pour juger les délits prévus par le code de la route, qui aurait sans doute mérité, même si la préoccupation qu'elle traduit est légitime, un examen plus approfondi par le Sénat.
Ce projet de loi soulève l'hostilité, et parfois même l'indignation, des professionnels - magistrats, avocats, spécialistes de l'enfance délinquante - ainsi que de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Nous partageons leur sentiment, et c'est la raison pour laquelle le groupe socialiste ne votera pas le texte. En outre, j'annonce dès maintenant qu'il formera un recours devant le Conseil constitutionnel.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à rappeler, à cet instant, l'opposition des sénateurs communistes à ce texte, qu'il s'agisse de la méthode retenue ou du fond.
En ce qui concerne la méthode, nous avons été sommés de travailler très rapidement sur un texte important qui vise à modifier notre organisation judiciaire. Cette précipitation n'était pas de mise, comme l'ont démontré le débat sur la justice de proximité et l'imprécision des éléments dont nous disposions sur ce sujet.
En ce qui concerne le fond, je voudrais indiquer que, contrairement à ce qui a été affirmé, ce texte n'a finalement retenu que très peu de chose des conclusions de la commission d'enquête sénatoriale : les sanctions pénales dites « éducatives », ce qui constitue une remise en cause de grande portée de tout ce qui faisait la spécificité de l'ordonnance de 1945 ; les centres éducatifs fermés, dont nous refusons le principe, car, à l'instar des professionnels, nous considérons qu'il seront inefficaces et auront plutôt des effets criminogènes et négatifs ; la détention provisoire pour les jeunes âgés de treize à seize ans, mesure qui aurait mérité elle aussi une réflexion plus approfondie.
Nous nous élevons en outre contre l'adoption de l'amendement de M. Estrosi, qui prévoit la suspension des allocations familiales pour les familles dont un enfant est placé dans un centre éducatif fermé. A cet égard, une réflexion plus poussée sur la responsabilisation des parents aurait pu être menée.
S'agissant des juges de proximité, nous avions demandé le renvoi à l'automne de l'examen des dispositions en cause. Nous regrettons fortement, par ailleurs, la remise en question de la loi relative au renforcement de la protection de la présomption d'innocence et des droits des victimes. Apparemment, le nouvel humanisme prôné par le Premier ministre ne concerne pas la présomption d'innocence ! Nous aurons l'occasion, à l'automne, de revenir sur ces différents points en combattant - en débattant, voulais-je dire -...
M. Josselin de Rohan. Le lapsus est significatif !
Mme Nicole Borvo. ... les textes annoncés par le ministère de la justice et par le ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. On peut penser que, à moins que les vacances ne portent conseil, ils s'inscriront dans la même ligne sécuritaire.
Bien entendu, nous considérons la sécurité des personnes et des biens comme un droit essentiel, mais nous estimons qu'il ne peut y avoir de réponse durable et satisfaisante, en matière de lutte conte l'insécurité, sans un réexamen des politiques créatrices d'inégalités et destructrices du lien social et sans une mobilisation de tous les acteurs de la société. Cela n'apparaît pas au travers de ce projet de loi !
Monsieur le garde des sceaux, je le dis une nouvelle fois, recourir au « tout répressif » n'a pas de fin. On compte, en France, 84 personnes en prison pour 100 000 habitants, contre 699 aux Etats-Unis. Ceux-ci sont-ils l'exemple à suivre ? On dénombre 930 jeunes détenus dans notre pays, contre 3 500 en Grande-Bretagne. Les sociétés anglo-saxonnes sont-elles moins violentes, plus justes, plus solidaires ? Bien au contraire, pensons-nous.
Nous confirmons donc que nous voterons contre le texte élaboré par la commission mixte paritaire.
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je formulerai trois réflexions, davantage à titre personnel et au nom de mon groupe qu'en qualité de rapporteur, puisque seules des modifications rédactionnelles tout à fait fondées sont intervenues en commission mixte paritaire.
Par ma première réflexion, je rappellerai à nos collègues de l'opposition que nous avions organisé, voilà deux ans déjà, les ateliers parlementaires de l'alternance. Nous avions commencé notre travail par des réunions mixtes regroupant députés et sénateurs en vue d'étudier les problèmes de la justice et nous avions posé, en préambule, l'idée qu'il fallait créer une justice de proximité, dotée d'un personnel spécialement adapté.
A l'époque, j'avais d'ailleurs travaillé sur ce sujet avec M. Warsmann, qui est devenu le rapporteur du projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice à l'Assemblée nationale. Il est très réconfortant de constater qu'une opposition qui avait annoncé ses projets deux ans avant de parvenir au pouvoir les concrétise aujourd'hui dans un délai remarquablement bref. Certes, les modalités techniques du texte devront être précisées, nous en sommes conscients, mais les mises au point nécessaires ne pouvaient pas être arrêtées dès maintenant. En attendant, il était important de donner un signal et d'ouvrir la voie à l'institution d'une véritable justice de proximité. Nous pouvons donc être satisfaits, me semble-t-il, et remercier le Gouvernement d'avoir entrepris cette démarche, étant entendu que le projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure revêtait un caractère d'urgence encore plus évident.
Ma deuxième réflexion portera sur le fait qu'il conviendra probablement de trouver une articulation entre justice de proximité et tribunaux d'instance. La solution est d'ailleurs déjà présente en germe dans votre texte, monsieur le ministre, puisque celui-ci prévoit que les greffes, c'est-à-dire l'intendance, seront communs.
A cet égard, les opposants au projet de loi ont affirmé qu'ils auraient approuvé la création d'une justice de proximité fondée sur un développement des tribunaux d'instance : peut-être pourrait-on les prendre au mot et réfléchir à cette suggestion ! Je pense qu'il serait possible de la mettre en oeuvre - nous avons évoqué cette éventualité - de manière d'abord expérimentale pour quelques tribunaux d'instance, après modification de la Constitution, semble-t-il nécessaire. Cette expérimentation pourrait s'étendre sur quelques années et être suivie, si elle se révèle convaincante et positive, d'une généralisation. Il s'agirait là d'une démarche pertinente, sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir.
Ma troisième et dernière réflexion s'adressera à la presse et à certains intervenants de cette assemblée.
Il n'est ni sérieux ni intellectuellement honnête de caricaturer comme ils l'ont fait les juges à titre temporaire. Ce sont d'ailleurs les mêmes qui, parfois dans les colonnes du même journal, critiquent également les juges professionnels ! Que faire, dans ces conditions ? Faut-il renoncer purement et simplement à rendre la justice ? Les juges professionnels font ce qu'ils peuvent, mais ils ne sont tout de même pas infaillibles, il faut le reconnaître.
De surcroît, ceux qui rejettent le recours à des juges non professionnels trouvent très bien que l'on renvoie des affaires pour médiation ou composition à des délégués du procureur ou, mieux encore, à des conciliateurs ; et si on les renvoie à des associations pour médiation, c'est parfait ! On ne s'interroge pas sur la qualification de ces associations ni sur l'identité de leurs responsables ! S'agit-il de permanents ou d'élus ? Dans la seconde hypothèse, par qui et comment ces personnes sont-elles élues ? Quels sont les contrôles exercés sur ces associations ? J'ai beaucoup de respect pour le milieu associatif, je milite moi-même dans différentes associations, mais peut-on leur confier sans précautions des affaires, fût-ce dans le cadre de la médiation ? En effet, il ne faut pas négliger les influences que subissent les parties, même si la médiation n'est pas obligatoire.
Quoi qu'il en soit, pourquoi l'intervention d'une association serait-elle a priori plus acceptable que celle d'une personne qui a fait ses preuves au cours de décennies de vie professionnelle ? Défendre une telle position n'est ni sérieux ni très honnête.
Bien entendu, la question est de procéder dans de bonnes conditions au recrutement de ces personnes. Nous avons déjà débattu de l'ampleur de leur formation juridique ; ce qui est capital, c'est leur expérience de la vie réelle, de la vie concrète. Cela étant, le Sénat avait prévu qu'elles devraient justifier à la fois d'une formation juridique théorique et d'une pratique professionnelle. L'Assemblée nationale, quant à elle, a décidé que l'une ou l'autre suffirait, c'est-à-dire qu'elle a estimé qu'une expérience professionnelle pourrait dispenser de formation théorique : je crois que c'est la sagesse.
Rencontrerons-nous sur ce point des difficultés avec le Conseil constitutionnel ? Ce n'est pas impossible, nous verrons bien, mais, dans ce genre de contentieux de masse, de contentieux de proximité dont le traitement exige du temps, de la psychologie et du bon sens, l'expérience de la vie est probablement la meilleure des écoles.
Pour conclure, je reprendrai un article publié par l'excellent quotidien Libération, dans lequel, sous la plume de Mme Jacqueline Coignard, sont recensés un certain nombre de cas et est esquissé le portrait du juge de proximité. Cet article rapporte les propos d'un général à la retraite devenu juge d'instance bénévole à Metz :
« A cinquante-huit ans, dit-il, je me trouvais trop jeune pour me consacrer uniquement à des loisirs. L'approche particulière de l'associatif ne me convenait pas, j'ai besoin d'un cadre plus contraignant. J'ai la même jurisprudence que les deux jeunes magistrats qui m'ont formé. Dans le délibéré, je donne d'ailleurs des explications qui, la plupart du temps, sont favorables au prévenu. »
En effet, cet homme, qui traite des affaires relevant du tribunal de police, est de plus assesseur dans une chambre correctionnelle spécialisée dans la justice militaire. Voilà non pas un portrait complet, mais, comme le disait Saint-Simon, une sorte de « crayon » du juge à titre temporaire, qui me conduit à me fier à ce genre de recrutement. Si le dispositif est convenablement mis en place, de telles personnes pourront rendre de très grands services à la justice de notre pays. C'est dans cet esprit que le groupe de l'Union centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.
M. Laurent Béteille. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lors de l'élection présidentielle, un événement important est survenu, que l'on a eu quelque peu tendance à oublier au fil du débat sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice. Pourtant, le 21 avril dernier, les Français ont exprimé un sentiment d'impatience et d'exaspération devant les problèmes d'insécurité.
Mme Nicole Borvo. Ah bon !
M. Laurent Béteille. Cela ne signifie pas, toutefois, que 20 % des Français se sont découverts des inclinations pour les formations antidémocratiques ; ils ont simplement exprimé, notamment dans les quartiers les plus populaires de nos villes, leur irritation.
En effet, les pompiers ne peuvent plus pénétrer dans ces quartiers sans que leurs véhicules soient lapidés. Un certain nombre de faits divers ont ému l'opinion publique, et la société française devait réagir et se donner les moyens de lutter contre la considérable montée de la délinquance constatée ces dernières années.
Au cours de la campagne électorale, et même bien avant - M. Fauchon rappelait à l'instant la création des ateliers parlementaires de l'alternance -, une réflexion a été menée. Ce texte ne sort pas du néant ; il est le résultat d'un travail approfondi. Il fallait effectivement envoyer un message aux Français, leur indiquer tout d'abord qu'ils avaient été compris et que les problèmes auxquels ils étaient confrontés dans leur vie quotidienne allaient être pris en compte.
Il fallait aussi montrer, et il en allait de l'honneur de la politique, que les promesses étaient tenues. La situation imposait que des mesures soient prises d'urgence, le Parlement devrait être consulté rapidement sur ces problèmes qui préoccupent les Français.
Dans cette optique, monsieur le garde des sceaux, vous nous avez proposé un texte qui vise à remédier à un certain nombre de dysfonctionnements de notre justice. Permettez à l'avocat que je suis, qui a exercé pendant trente ans devant les tribunaux, de vous dire que les besoins étaient manifestes et que votre projet de loi permet d'apporter une réponse aux difficultés.
C'est vrai que la justice est lente. C'est vrai qu'elle manque cruellement de moyens. Dans notre assemblée, tous les parlementaires, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, ont rappelé ce manque de moyens, qu'il s'agisse des moyens financiers, des moyens en personnels et des moyens en matériels.
Ils ont également rappelé que l'augmentation du nombre de procédures et de la délinquance n'avait pas été prise en compte. Pour répondre à une délinquance qui augmente de 40 %, il faut des juges et des moyens.
Par ailleurs, il a été fait état de certains événements, notamment de remises en liberté, qui ont particulièrement choqué l'opinion car, là aussi, les moyens n'existaient pas et la procédure comportait un certain nombre de failles auxquelles il fallait remédier.
C'est ce qui a été fait dans le texte qui nous a été proposé. Cela a été fait avec mesure et comme il convenait. En ce qui concerne la justice des mineurs, notamment, il était nécessaire de disposer d'autres moyens. Il ne s'agit pas de faire du tout-répressif, loin de là. Il ne s'agit pas non plus, bien sûr, de mettre en prison l'ensemble des mineurs qui auront commis une infraction. Il s'agit, dans les cas les plus difficiles, de se donner les moyens d'avoir une réponse, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent.
Les dispositions du projet de loi ont été examinées. L'Assemblée nationale a apporté certaines modifications, le Sénat également. Le texte élaboré par la commission mixte paritaire répond à l'attente des Français et permet à la classe politique de tenir ses engagements. C'est la raison pour laquelle mes collègues du groupe du RPR et moi-même voterons, avec confiance et détermination, l'excellent texte qui nous est soumis aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte proposé par la commission mixte paritaire.

(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous sommes arrivés au terme de nos travaux, le Sénat ayant achevé, pour la part qui lui revient, l'examen des textes inscrits à l'ordre du jour de la présente session extraordinaire.
Il est exceptionnel que le Parlement siège encore au début du mois d'août, en pleine touffeur estivale ; heureusement, à la satisfaction générale, notre hémicycle est désormais climatisé.
Une telle situation, liée au calendrier électoral, ne s'était pas constatée depuis 1986.
Au cours des cinq semaines de la session extraordinaire, le Sénat a beaucoup travaillé : cinq projets de loi d'importance majeure ont été examinés sur des sujets aussi fondamentaux que la justice, la sécurité, la baisse des impôts ou encore les contrats-jeunes. Nous avons également examiné dix-sept conventions internationales.
Certes, le Sénat a travaillé vite, mais non à la va-vite, contrairement à ce qui a pu être affirmé ici et là. Durant 65 heures de séance, majorité et opposition ont pu débattre sereinement de manière approfondie. En témoigne l'affluence des sénateurs en séance publique, remarquable en cette période estivale : 115 d'entre nous ont tenu à intervenir dans le cadre des discussions générales. En témoigne également le nombre des amendements déposés : 396 au total.
Au nom de M. le président du Sénat, je tiens à rendre hommage à l'ensemble des commissions et des groupes de la majorité comme de l'opposition pour la très grande qualité du travail accompli, dans des délais certes raccourcis par l'urgence inhérente à la session extraordinaire. Fort heureusement, nous avons pu, comme cela a été évoqué voilà quelques instants, nous appuyer sur les nombreuses réflexions menées antérieurement, notamment à l'occasion de commissions d'enquête ou de missions d'information.
Mes remerciements, au nom de M. le président du Sénat, vont également à tous les ministres qui ont participé à nos débats, ainsi qu'à leurs éminents collaborateurs.
Il y a le temps de la réflexion, le temps de la délibération et de la décision parlementaires.
Pour l'heure, il me paraît urgent et de circonstance de penser au temps de la détente.
Voilà pourquoi je vous souhaite à tous, du fond du coeur, d'excellentes vacances et un repos bien mérité pour vous préparer à affronter l'ordre du jour de la rentrée, dont on peut penser qu'il sera chargé,... comme d'habitude. (Applaudissements.)

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