SEANCE DU 15 NOVEMBRE 2002


M. le président. L'amendement n° 162, présenté par M. Bret, Mmes Borvo, Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mmes Luc et Mathon, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme Terrade, est ainsi libellé :
« Avant l'article 28, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Les articles 131-30, 213-2, 221-11, 222-48, 225-21, 311-15, 312-14, 321-11, 322-16, 324-8, 414-6, 422-4, 431-8, 431-12, 431-19, 434-46, 435-5, 441-11, 442-42, 443-7, 444-8 du code pénal sont abrogés.
« Les articles L. 362-5 et L. 364-9 du code du travail sont abrogés.
« L'article 8-1 de la loi n° 73-548 du 27 juin 1973 relative à l'hébergement collectif est abrogé.
« Le dernier alinéa de l'article 42-11 de la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives est abrogé.
« Le II de l'article 18 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité est abrogé. »
La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. En déposant cet amendement, les sénateurs communistes souhaitent soulever la question de la peine complémentaire d'interdiction du territoire, c'est-à-dire, en fait, celle de la « double peine », sur laquelle M. le ministre de l'intérieur a déclaré qu'il était ouvert à un éventuel adoucissement ; il l'a encore rappelé cette nuit, lorsque nous avons débattu de la prostitution.
La double peine est, je le rappelle, celle que subit une personne pour un même délit au motif qu'elle n'est pas française : une condamnation à une peine de prison suivie d'une interdiction du territoire prononcée par le juge judiciaire ou par l'autorité administrative.
Notre amendement a pour objet de supprimer la peine complémentaire dont peuvent être assortis certains délits.
Je tiens d'emblée à préciser, pour éviter tout quiproquo, que le délit de proxénétisme ne figure pas dans la liste des délits pour lesquels nous proposons de supprimer cette double peine.
Nous avons encore récemment défendu - hélas ! sans succès - une telle proposition, à l'occasion du débat sur les juges de proximité. On nous a opposé qu'il s'agissait d'un « cavalier ».
Il nous semble, d'après les déclarations de M. le ministre de l'intérieur, que, du côté de la droite, l'état d'esprit a un peu évolué. Nous proposons donc aujourd'hui de manifester clairement cette évolution en mettant fin à une punition tout à la fois inhumaine, injuste et discriminatoire.
La double peine est effectivement inhumaine en ce qu'elle sépare des époux de leur femme, des pères de leurs enfants, souvent français, d'ailleurs... Il en résulte des vies brisées, des familles éclatées.
Elle est aussi injuste par le fait même qu'elle condamne ainsi des enfants à vivre sans leur père, des femmes sans leur conjoint.
Elle est discriminatoire, enfin, puisque, pour un même délit, deux personnes, selon leur nationalité, ne subissent pas la même sanction : celle qui est française est libérée à la fin de sa peine ; celle qui est étrangère est expulsée à sa sortie de prison.
De plus, la double peine empêche la personne concernée de s'amender : en l'expulsant après qu'elle a payé sa dette envers la société, on lui refuse la possibilité d'y retrouver sa place, de s'y reclasser.
La double peine est, en outre, une peine perpétuelle et imprescriptible alors que le droit pénal institue la prescription des crimes après dix ans et des délits après trois ans. Il est pratiquement impossible d'obtenir l'abrogation d'un arrêté ministériel d'expulsion et le relèvement d'une interdiction de territoire français. Elle crée donc une catégorie de sans-droits.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes prêts à en débattre, à écouter vos observations, qui pourraient être transcrites dans des sous-amendements.
Afin que chacune et chacun d'entre nous prenne ses responsabilités sur cette question, je demanderai que le Sénat se prononce sur cet amendement, éventuellement sous-amendé, par scrutin public.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Le présent projet de loi ne nous paraît pas être le bon cadre pour traiter de cette question complexe qu'est celle de la double peine. Nous souhaitons que le débat ait lieu dans le cadre d'un autre projet de loi. La commission émet donc un avis défavorable.
Cela dit, on peut regretter, monsieur Bret, que les arguments que vous avez employés ne vous aient pas permis d'emporter la décision au cours des cinq dernières années !
M. Robert Bret. Nous le regrettons aussi, d'autant que nous avons déposé une proposition de loi sur ce sujet !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat. J'ai noté, monsieur Bret, le ton modéré que vous avez employé pour présenter votre amendement. Cela m'a changé de ce qui a été dit tout à l'heure ! Le moins que l'on puisse dire est en effet que j'ai été un peu attristé d'entendre mettre en cause la compétence du secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, qui avait tout de même veillé à suivre scrupuleusement ce dossier du vol des téléphones portables, sur lequel l'ensemble du Gouvernement se veut comptable, avec la représentation nationale, devant nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
De même, j'ai été choqué que, toujours sur le même dossier, l'un d'entre vous ait pu soupçonner le Gouvernement d'arrière-pensées visant à afficher de meilleures statistiques de la délinquance, alors que nous nous sommes clairement assigné une obligation de résultat, avec le souci de l'efficacité de l'action publique.
Voilà pourquoi j'estime devoir saluer la hauteur de vue qui a caractérisé l'intervention de M. Bret sur le sujet difficile de la double peine.
Cela étant, je suis d'accord avec M. le rapporteur. Il nous paraît évident qu'un sujet de cette importance ne peut pas être évoqué au détour d'un amendement sur un texte de loi relatif à la sécurité intérieure.
Ainsi que le ministre de l'intérieur l'a lui-même indiqué, il est indispensable d'ouvrir un débat public permettant de rendre notre dispositif plus adapté aux situations humaines, tout en sauvegardant la défense des intérêts de notre société. Le ministre de l'intérieur a d'ailleurs annoncé qu'une commission de praticiens allait se réunir afin de formuler des propositions adéquates et recevoir les personnes intéressées au ministère de l'intérieur, le garde des sceaux, Dominique Perben, ayant pour sa part indiqué qu'il allait faire procéder à une évaluation des pratiques judiciaires dans ce domaine.
Il semble donc que ces questions soient suffisamment importantes et complexes pour que les réponses à y apporter s'inscrivent dans un débat assumé et non pas à travers cet amendement. De ce point de vue, il y a lieu de rejeter cet amendement mais, compte tenu des indications que je viens de vous donner au nom du Gouvernement, les questions qu'il soulève feront l'objet d'un débat approfondi, le moment venu, devant la représentation nationale.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, pour explication de vote.
M. Louis Mermaz. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, défendant mercredi la motion sur la question préalable, j'ai dit à M. Sarkozy, devant le Sénat, que si la double peine devait être abolie - ce qui n'a pas été fait par ses prédécesseurs, nous en avons parfaitement conscience -, nous lui en donnerions immédiatement acte.
De la même manière, il serait vain de continuer à se faire mutuellement les mêmes reproches en disant : vous n'avez pas fait ceci ou cela. C'est un débat tout à fait secondaire.
Nous voterons donc l'amendement présenté par M. Bret et ses collègues du groupe CRC, qui présente l'intérêt d'ouvrir le débat sur la question, car il est grand temps d'en parler.
J'ai le souvenir de m'être rendu, dans le cadre de la commission des lois, au centre de rétention administrative d'Arenc, dans le port autonome de Marseille.
M. Robert Bret. Moi aussi !
M. Louis Mermaz. Oui, je sais, mon cher collègue, que vous vous y êtes également rendu.
Je me suis trouvé en présence d'une famille dont les trois enfants étaient français, le père, qui était sous le coup d'une menace d'expulsion, attendant, dans le centre de rétention administrative, les conditions propices à un embarquement : il avait été condamné pour trafic de cannabis. N'allez pas en déduire que nous approuvons les dealers - je n'ai moi-même jamais fumé de haschisch - et sachez que nous sommes tout à fait opposés au trafic de drogue, qu'il faut absolument combattre !
Il n'en reste pas moins que, lorsque quelqu'un a payé sa dette à la société et qu'il a suivi une formation lui permettant d'obtenir un contrat de travail dans une entreprise, toutes les conditions sont réunies pour qu'une disposition humaine soit appliquée.
Mme Nelly Olin. Il n'avait qu'à réfléchir avant !
M. Louis Mermaz. C'est pourquoi nous souhaitons, même si cela n'a pas été fait plus tôt - ce que je regrette comme d'autres -, que ce dossier soit ouvert et que l'on avance dans son examen.
M. le président. La parole est à Mme Borvo, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo. Nous avons beaucoup regretté que la double peine n'ait pas été supprimée plus tôt.
Vous savez, monsieur le secrétaire d'Etat, que même si le gouvernement précédent et celui auquel vous appartenez n'ont pas, jusqu'ici, traité cette question, le débat est ouvert depuis longtemps et que beaucoup de personnes, de tous horizons, se sont investies pour voir supprimer la double peine, véritable inégalité devant la justice puisque, en droit, seuls les actes sont punis.
C'est une véritable discrimination dans un pays où, chacun le sait, un nombre important de personnes vivent depuis longtemps sans avoir la nationalité française, pour des raisons d'ailleurs très souvent indépendantes de leur volonté.
Outre cet amendement, que nous avons déjà proposé à l'occasion d'autres débats ayant trait à des questions de justice, nous avons également, l'an dernier, présenté une proposition de loi sur le même sujet. Cela prouve que nous avons de la suite dans les idées ! Je suis d'ailleurs heureuse de constater que mon groupe et moi-même ne sommes pas les seuls à réclamer cette suppression de la double peine.
Je me demande néanmoins s'il faut entendre votre commentaire dans l'immédiat comme une réserve positive, monsieur le secrétaire d'Etat. Si tel est le cas, il est prometteur, puisqu'il laisse entendre que nous aurons sans doute ce débat. Mais ne tardons pas !
Vous nous répondez qu'on ne peut pas traiter à la va-vite un sujet aussi important, alors même que nous avons examiné à toute vitesse, en juillet dernier - et comme nous le faisons en ce moment -, des textes relatifs à la sécurité qui, pour le moins, posent tout de même de sérieux problèmes.
Votre réponse ne nous paraît donc pas tout à fait juste et je regrette qu'on ne saisisse pas l'occasion de l'examen de ce texte pour montrer effectivement de façon positive, si tout le monde en est d'accord, que nous sommes favorables à l'abolition de cette double peine injuste.
M. le président. La parole est M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat. Madame le sénateur, votre intervention, pardonnez-moi de le dire ainsi, renforce tout à fait la conviction qui est celle de la commission et du Gouvernement selon laquelle l'examen d'une question d'une telle importance et d'une telle complexité doit être reporté à un moment plus opportun. Elle doit être l'élément central du débat et non pas, je le répète, être examinée à la va-vite, à la faveur de la discussion de ce texte.
A travers votre propos et les termes mêmes que vous avez employés je mesure combien c'est important. Vous parlez, vous, de « suppression » de la double peine quand beaucoup d'entre nous emploient, à ce stade du débat, le terme d'« aménagement » de la double peine. Ce n'est pas la même chose !
Vous voyez bien, sans qu'il soit nécessaire d'entrer dans le détail, que cela renvoie à bien d'autres sujets essentiels, y compris en termes d'évolution de notre droit et de nos pratiques administratives.
Je pense en particulier à la réorganisation de notre dispositif en matière de droit d'asile. Il y a là un problème majeur, qui dépasse d'ailleurs le seul cadre législatif, puisqu'il concerne aussi l'efficacité du fonctionnement de notre administration. Vous savez comme moi qu'aujourd'hui le délai moyen pour obtenir une réponse administrative est supérieur à deux ans, ce qui est considérable et représente une source de problèmes très importante. Cela explique, hélas, les situations innombrables de non-droit dans lesquelles se trouvent un certain nombre de personnes présentes sur notre territoire.
Voilà un élément supplémentaire, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pour confirmer la position du Gouvernement : un sujet comme celui-là ne peut être traité à l'occasion de la discussion de ce texte ; il doit faire l'objet d'un débat plus important, selon les modalités que je viens d'évoquer. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En vérité, nous pensons que le fait d'abroger la double peine participera à la tranquillité publique parce que l'ordre public est troublé par ces cas nombreux qui interpellent tout le monde, y compris d'ores et déjà de nombreux membres de la majorité.
Les choses évoluent. Je me souviens que l'opinion n'était pas prête pour l'abolition de la peine de mort puis qu'elle a changé. L'avocat à la première heure ? Beaucoup n'en voulaient pas...
Mme Nelly Olin. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait à ce moment-là ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... et, finalement, on s'est mis d'accord.
Bien sûr, les évolutions ne vont pas toujours dans le même sens mais, tout de même, vient un moment où les esprits sont mûrs.
Mme Nelly Olin. Pourquoi n'avez-vous pas supprimé la double peine il y a six mois ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La discussion de l'amendement n° 1623 - dont je constate d'ailleurs qu'il n'émane pas du groupe CRC, contrairement à ce que j'avais cru par erreur, mais qu'il porte la signature de nos seuls collègues communistes - nous permet de dire que le groupe socialiste du Sénat avait demandé l'abolition de la double peine, voilà déjà un certain temps : c'était peu après 1997, et vous vous en souvenez (M. Michel Dreyfus-Schmidt se tourne vers les travées du groupe CRC), vous l'aviez votée avec nous. C'est dire que nous n'avons, quant à nous, aucun état d'âme !
Je me permets de dire à M. le garde des sceaux qu'il peut, s'il attend une évaluation, trouver aisément dans la bibliothèque de la chancellerie un rapport qui avait été demandé par Mme Lebranchu et qui conclut à l'abolition de la double peine.
C'est pourquoi, en ce qui nous concerne, nous n'avons aucun problème pour voter l'amendement qui nous est proposé par nos collègues communistes du groupe CRC.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 162.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 46:

Nombre de votants 309
Nombre de suffrages exprimés 309156108
Contre 201

Le Sénat n'a pas adopté.

Article 28