SEANCE DU 15 NOVEMBRE 2002


M. le président. « Art. 28. - L'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France est ainsi modifiée :
« I. - Le dernier alinéa de l'article 12 est complété par la phrase suivante :
« La carte de séjour temporaire peut être retirée à l'étranger ayant commis des faits justiciables de poursuites pénales sur le fondement des articles 225-5 à 225-11, 225-12-5, 225-12-6 et 312-12-1 du code pénal.
« II. - Le 2° de l'article 22 est complété par les mots suivants :
« ou si, pendant la durée de validité de son visa ou pendant la période de trois mois précitée, son comportement a constitué une menace pour l'ordre public. »
La parole est M. Louis Mermaz, sur l'article.
M. Louis Mermaz. L'article 28 prévoit de compléter l'article 12 relatif au titre de séjour provisoire délivré en vertu de l'ordonnance de 1945 fixant les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France.
L'article 12 de cette ordonnance énumère les différents titres de séjour temporaires : visiteur, étudiant, scientifique, profession artistique et culturelle, travailleur. Il prévoit, in fine , que la carte de séjour temporaire peut être retirée à tout employeur titulaire de cette carte en infraction avec l'article L. 341-6 du code du travail relatif à l'emploi de travailleurs étrangers non munis d'un titre les autorisant à exercer une activité salariée.
Alors que le Gouvernement s'engage à reconsidérer les conditions d'application de la « double peine », l'article 28 du projet de loi prévoit que la carte de séjour temporaire - c'est le point essentiel - peut être également retirée à l'étranger justiciable de poursuites pénales sur le fondement des articles 225-5 à 225-11, qui concernent le proxénétisme, 225-12-5 et 225-12-6, qui concernent l'exploitation de la mendicité, et 312-12-1, qui concerne la demande de fonds sous contrainte.
Toutes ces actions tombent sous le coup de la loi, nous en sommes d'accord. Nous ne sommes pas favorables à ce type d'infraction. Il est parfois bon, au cours du débat, de le préciser, car certains ont l'impression que nous serions plus laxistes que d'autres lorsque nous demandons que les formes de la liberté et du droit soient respectées.
Comme il est dit très explicitement dans l'exposé des motifs du projet de loi, il s'agit pour le Gouvernement de donner à la police, avant toute intervention d'un magistrat et avant tout jugement définitif, les moyens de retirer le titre de séjour temporaire d'un étranger soupçonné de proxénétisme, de racolage, d'exploitation de la mendicité ou de demande de fonds sous contrainte, et de l'expulser. Si les fait sont avérés, ils sont bien évidemment répréhensibles et condamnables. Mais il peut y avoir des erreurs et la présomption d'innocence existe. Nous pensons donc que l'intervention du magistrat est fondamentale et nécessaire dans un Etat de droit.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo. Je ne prolongerai pas le débat, mais à quel problème sommes-nous confrontés ?
Il s'agit de savoir si une personne étrangère condamnée pour proxénétisme doit ou non rester sur le territoire français. Là est le problème, sinon je ne comprends plus ! On n'est plus dans le cadre du droit ! On a suffisamment débattu hier soir de la lutte contre l'esclavage et contre la traite des êtres humains pour pouvoir dire que la sanction doit être exemplaire - tout le monde est d'accord sur ce sujet ! Je le précise pour éviter que l'on ne nous réponde le contraire.
M. Roger Karoutchi. Il ne suffit pas de le dire !
Mme Nicole Borvo. M. Mermaz vient de le dire, le code pénal le prévoit déjà. Nous ne proposons justement pas que cela fasse l'objet de la suppression de la double peine.
De surcroît, vous n'avez pas voté cette suppression. Le problème ne se pose pas. Je ne comprends pas cette surenchère pénale pour une sanction qui existe déjà !
M. le président. Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Tous trois sont présentés par M. Dreyfus-Schmidt, Mmes M. André et Blandin, MM. Badinter, Frimat, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur et les membres du groupe socialiste et apparenté.
L'amendement n° 221 est ainsi libellé :
« Supprimer cet article. »
L'amendement n° 222 est ainsi libellé :
« Dans le texte proposé par le I de cet article pour compléter l'article 12 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, remplacer les références : "225-5 à 225-11" par les références : "225-5 à 225-10, 225-11". »
L'amendement n° 223 est ainsi libellé :
« Dans le texte proposé par le I de cet article pour compléter l'article 12 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, supprimer les mots : "et 312-12-1". »
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le changement qui interviendrait, une fois de plus, dans cette malheureuse ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers tend uniquement à pouvoir reconduire à la frontière, en raison de leur comportement - ce n'est plus la présence qui constitue un trouble à l'ordre public, c'est le comportement -, les victimes que sont les prostituées - tout le monde en est d'accord - lorsqu'elles sont étrangères, et les mendiants agressifs avec chien lorsqu'ils sont étrangers.
J'ai posé la question de savoir s'il y avait beaucoup d'étrangers. Je n'ai pas obtenu de réponse. C'est formidable ! En général, les personnes visées ont été condamnées. C'est précisément la double peine.
En l'espèce, on me rétorquera : « De quoi vous plaignez-vous ? On supprime la double peine. On n'attend pas que les intéressés soient condamnés. On les reconduit à la frontière. » C'est ce que j'ai dit, c'était une ouverture. C'est pourquoi j'avais cru que vous alliez vous y engouffrer et voter l'amendement qui nous était proposé tout à l'heure par nos collègues communistes. Tel ne fut pas le cas.
Nous avons l'air de plaisanter, mais nous aimerions au moins que le Gouvernement ait la franchise de reconnaître que c'est pour cela qu'il a proposé un texte spécial sur, d'une part, le racolage et, d'autre part, l'extorsion de fonds baptisée autrement, c'est-à-dire en réunion.
Un amendement qui n'a pas été soutenu - et donc pas examiné - tendait à ce que la mendicité agressive soit sanctionnée, même quand elle est faite par quelqu'un qui est seul. En l'espèce sont visées les personnes qui s'y livrent en réunion. Ce n'est pas possible !
Vous dites qu'aucune procédure ne permettait de retirer le titre de séjour. Si ! malheureusement, les préfets ont parfaitement le pouvoir, lorsque la présence de l'intéressé constitue un trouble à l'ordre public, sous réserve de l'appréciation des tribunaux, de reconduire les gens à la frontière. Et le recours n'est d'ailleurs pas suspensif.
Nous avons toujours combattu ces dispositions, et nous les combattons d'autant plus lorsqu'elles s'appliquent à des cas qui ne sont pas d'une gravité extraordinaire. Les gens ont le droit d'être jugés ; pourquoi supprimer ce droit ? Encore une fois, c'est pour en arriver là que vous avez créé ces articles particuliers qui n'étaient aucunement nécessaires dans le code pénal. Nous y sommes absolument défavorables et ce que je viens de dire vaut pour l'ensemble de nos amendements sur ce point.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Sur l'amendement n° 221, qui aboutit à supprimer les dispositions relatives au retrait des titres de séjour des étrangers ayant commis certaines infractions, il est évident que la commission a émis un avis défavorable.
La commission est également défavorable à l'amendement n° 222, qui concerne certaines infractions, notamment le racolage, et qui nous paraît tout à fait négatif, puisque la menace d'un retrait du titre de séjour peut avoir un effet dissuasif particulièrement utile.
Nous sommes également défavorables à l'amendement n° 223, qui vise à exclure des dispositions de l'article la demande de fonds sous contrainte, car, à notre avis, cette disposition peut avoir un effet particulièrement dissuasif.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat. Je suis dans le même état d'esprit que M. le rapporteur. Nous parlons d'infractions qui ont été commises par un étranger ou plusieurs étrangers disposant d'un titre de séjour inférieur à un an et qui constituent un trouble à l'ordre public : le proxénétisme, le racolage, l'exploitation de la mendicité ou la demande de fonds sous contrainte. Il s'agit bien là de délits et il me semble qu'il n'y a rien d'excessif ni de déraisonnable, dans ces conditions, à pouvoir procéder - ce sont des mesures administratives -, premièrement, au retrait du titre de séjour et, deuxièmement, à la reconduite à la frontière.
Le système, tel qu'il existe aujourd'hui, constitue en fait une sorte de droit au séjour en attendant le jugement. Il s'agit donc d'une situation tout à fait particulière. Par conséquent, la décision prise par le Gouvernement afin de lutter avec efficacité contre certaines formes d'insécurité pour lesquelles nos concitoyens nous ont exprimé leur ras-le-bol n'a rien de choquant. Il ne me paraît pas complètement démesuré d'intéger dans le projet de loi le retrait du titre de séjour pour des étrangers ayant commis certaines infractions.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement demande le rejet de ces trois amendements.
Pour ce qui concerne l'amendement n° 221, la position du Gouverement, que je viens de présenter, rejoint celle de la commission. Il nous faut, à l'évidence, faire cesser le trouble à l'ordre public lorsque celui-ci est constaté. Cela aura naturellement un effet fort, efficace et dissuasif à l'encontre des réseaux mafieux.
En ce qui concerne l'amendement n° 222, la possibilité de retirer le titre temporaire de séjour à l'étranger qui a commis le délit de racolage permettra évidement de faire cesser de manière rapide des activités qui constituent un trouble manifeste à l'ordre public et qui sont le fait de personnes en possession de visas touristiques, bénéficiant d'une exemption de visa pendant trois mois ou qui sont en possession d'une carte de séjour temporaire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est faux !
M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat. Monsieur le sénateur, comme vous le savez d'ailleurs, 60 % des personnes prostituées sont d'origine étrangère. Parmi elles, 60 % sont en situation régulière, sous couvert de visa ou de titre de séjour.
Il y a donc quelque logique à mettre en application les dispositions de cet article si l'on a le souci de tenir compte, de manière concrète, des réalités de l'insécurité aujourd'hui.
S'agissant de l'amendement n° 223, l'éloignement du territoire français des personnes impliquées dans les réseaux et auteurs de ce nouveau délit est un moyen essentiel pour faire cesser le trouble à l'ordre public tout en constituant une dissuasion efficace à l'encontre des réseaux mafieux exploitant la mendicité. Je ne veux pas croire, monsieur le sénateur, que, sur ce point, vous ne rejoigniez pas le Gouvernement, compte tenu de la réalité du terrain aujourd'hui !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 221.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur l'amendement n° 222.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voudrais répondre à M. le secrétaire d'Etat et le remercier de la clarté de ses explications.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous sommes parfaitement d'accord sur votre objectif, mais pas sur votre manière de faire, car vous mélangez tout !
D'ores et déjà, il est possible à un préfet, à un ministre et à un gouvernement de faire reconduire à la frontière un étranger, quelle que soit sa situation, qu'il soit en France depuis deux mois, qu'il ait des papiers, qu'il ait ou non un titre de séjour, lorsque sa présence constitue un danger pour l'ordre public. Les textes existent déjà, vous n'apportez rien de nouveau.
Autrement, les gens sont jugés avant d'être expulsés, ce qui constitue la double peine. Dans les cas graves, ils sont condamnés sévèrement, et c'est seulement à leur sortie de prison que sont pris des arrêtés de reconduite à la frontière.
Précisément, il ne faut pas tout mélanger. Le racolage est certes gênant, mais il ne constitue pas une grave infraction, au surplus s'agissant de filles qui y sont obligées et qui sont des victimes. Or vous en faites un délit pour pouvoir les garder à vue, éventuellement les condamner. Mais ce qui vous intéresse surtout - vous avez beau jeu de le dire qu'elles risquent six mois de prison alors qu'elles risquaient jusque-là une amende de 5e classe et seulement pour le racolage actif -, ce n'est pas de les condamner, et donc de remplir encore un peu plus les prisons, c'est de les expulser ! Au lieu d'apporter la protection que nos engagements internationaux nous obligent à prendre vis-à-vis de ces victimes, vous les traitez en délinquantes et vous les reconduisez à la frontière sans même qu'elles aient été jugées.
Notre amendement n° 222 tend seulement à extraire de la liste des articles énumérés celui qui, précisément, concerne le nouveau délit de racolage. De même, je le dis d'ailleurs tout de suite pour que les choses soient claires et que je n'ai, pas à les répéter, l'amendement n° 223 exclut seulement le nouveau délit, que vous créez, de demande de fonds sous la contrainte, c'est-à-dire d'extorsion de fonds par des mendiants agressifs avec des chiens et en réunion, alors que, s'ils sont seuls, ils auront le droit de continuer et ne pourront être reconduits à la frontière, je le note.
Voilà l'esprit de nos amendements, qui distinguent ce que vous confondez. Pour les cas graves, la reconduite à la frontière est d'ores et déjà possible quels que soient les textes. Vous y ajoutez des infractions mineures pour traiter surtout le cas de mendiants en réunion, agressifs, qui sont étrangers et dont, je le répète, je ne sais toujours pas combien ils sont.
M. Philippe Nogrix. Mais arrêtez de parler des mendiants !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas moi qui parle de mendiants, c'est le secrétaire d'Etat.
M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat. Non !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous l'avons dit tout à l'heure avant que vous n'arriviez, c'est dans le projet de loi ! (Protestations sur les travées du RPR.)
Le terme « mendicité » figure à la fois dans l'exposé des motifs du projet de loi et dans le rapport de la commission. Ne me reprochez pas de parler de mendicité alors que c'est vous qui faites allusion à la mendicité agressive !
Mme Nelly Olin. Que vous êtes agressif !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est vous qui me rendez agressif - vous m'en excuserez -, mais je n'ai pas de chien ! (Sourires.)
M. Jean Chérioux. Heureusement ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 222.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 223.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 28.

(L'article 28 est adopté).

Article 29