SEANCE DU 25 NOVEMBRE 2002


M. le président. Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers amendements sont identiques.
L'amendement n° I-19 est présenté par MM. Masson, Longuet, Leroy et Besse, Mme Brisepierre, MM. Cleach, Del Picchia, Deneux, J.-L. Dupont, Fournier, François, Poncet et Gérard, Mme Henneron, MM. Joly, Karoutchi, Laufoaulu, Leclerc, Mathieu, Mouly, Murat, Natali, Peyrat, Richert, Rispat, Vasselle et Virapoullé.
L'amendement n° I-71 est présenté par M. Masseret, Mme Printz et M. Todeschini.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
« Après l'article 9, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Après l'article 273 septies A du code général des impôts, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. 273 septies A bis. - La taxe sur la valeur ajoutée afférente aux achats, importations, acquisitions intracommunautaires, livraisons et services effectués à compter du 1er janvier 2003 cesse d'être exclue du droit à déduction en ce qui concerne les véhicules de deux places et de moins de trois mètres. »
« II. - La perte de recettes résultant du I est compensée, à due concurrence, par la création, au profit de l'Etat, d'une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
L'amendement n° I-24, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
« Après l'article 9, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Après le premier alinéa du 2 de l'article 273 du code général des impôts sont insérées les dispositions suivantes :
« Toutefois, ces exclusions ne concernent pas :
« - les voitures ou les triporteurs affectés de façon exclusive aux activités de l'entreprise et dont la longueur est inférieure à trois mètres ;
« - les voitures ou les triporteurs affectés de façon exclusive aux activités de l'entreprise et qui fonctionnent à l'électricité. »
« II. - Les pertes de recettes résultant du I sont compensées à due concurrence par une augmentation de la taxe intérieure sur les produits pétroliers. »
La parole est à M. Jean-Louis Masson, pour présenter l'amendement n° I-19.
M. Jean-Louis Masson. L'an dernier, j'avais déposé un amendement qui avait exactement le même objet, mais M. le rapporteur général m'avait fait remarquer, à juste titre d'ailleurs, que, sur le fond, les mesures proposées étaient intéressantes, mais que leur rédaction devait être améliorée. Un certain nombre d'entre nous ont donc travaillé sur la question et, cette année, je présente de nouveau ces dispositions. D'ailleurs, de nombreux collègues se sont associés à cette démarche en étant cosignataires de l'amendement, notamment M. Longuet. Et nos collègues socialistes ont présenté un amendement identique.
De quoi s'agit-il ? Jusqu'à présent, seuls sont considérés comme ouvrant droit à récupération de la TVA les véhicules d'entreprise à deux places qui ont un coffre d'au moins un mètre de long. Cette règle est logique pour les véhicules habituels et, comme l'avait d'ailleurs souligné le rapporteur général l'an dernier, elle a pour objet d'éviter que les voitures de sport à deux places ne puissent être considérées comme des voitures d'entreprise.
Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2002, j'avais déjà présenté, je le répète, un amendement dans ce sens, en soulignant que le cas des petites voitures était spécifique. En effet, on ne peut pas demander à un petit véhicule de moins de trois mètres, voire parfois de deux mètres cinquante, d'avoir un coffre d'un mètre de long. Bien évidemment, c'est impossible ! Sinon, il n'y aurait de place ni pour le conducteur ni pour le moteur !
Par conséquent, pour que les petites voitures puissent être admises comme des véhicules d'entreprise, on leur impose des règles que, manifestement, elles ne peuvent pas respecter. Il convient donc de considérer comme véhicule d'entreprise soit les véhicules de deux places qui ont un coffre de plus d'un mètre de long, ce qui est le cas jusqu'à présent, soit les très petits véhicules de deux places dont la longueur est inférieure à trois mètres.
J'insiste sur ce point, monsieur le ministre, car l'incidence fiscale de cette mesure est insignifiante.
Certes, le groupe Dassault prévoit de construire une voiture de ce type-là d'ici à deux ou trois ans - il s'agira d'ailleurs d'une voiture électrique - mais, sur le présent budget, l'incidence fiscale de cette disposition est très faible, je le répète.
Il y a donc lieu, en l'espèce, de donner un signal fort de notre volonté de soutenir le développement durable.
J'ajoute que M. le Premier ministre vient d'annoncer qu'il réunirait jeudi prochain plusieurs de ses ministres à Matignon pour réfléchir aux mesures concrètes à adopter au titre du développement durable. Précisément, cet amendement est l'exemple même d'une mesure concrète, peu coûteuse, pratique et facile à mettre en oeuvre, susceptible d'améliorer la qualité de la vie en réduisant la pollution. N'oublions pas, en effet, qu'à Paris, par exemple, les statistiques et les études montrent que les conducteurs passent un tiers de leur temps à chercher une place de stationnement. Autrement dit, s'il n'y avait pas ces problèmes de stationnement, la circulation des voitures serait réduite d'un tiers dans Paris ! C'est la logique de la petite voiture.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Masseret, pour présenter l'amendement n° I-71.
M. Jean-Pierre Masseret. Comme l'a rappelé notre collègue Jean-Louis Masson, la législation actuelle ne permet la récupération de la TVA que s'agissant des voitures à deux places dont le coffre est long de plus d'un mètre.
Pourquoi cette législation ? Il s'agissait, à l'époque, d'interdire la récupération de la TVA sur les voitures de sport, donc sur les véhicules qui n'avaient un caractère ni utilitaire ni pratique pour les entreprises. Depuis, un certain nombre de voitures ont été conçues et mises sur le marché qui, bien que ne répondant pas à la définition fiscale précitée, sont utiles pour les entreprises comme voitures de société, pratiques pour se déplacer dans les grandes villes - on en voit de plus en plus à Paris -, pratiques pour stationner et, enfin, peu consommatrices de carburant.
M. Michel Charasse. Elles peuvent même être électriques !
M. Jean-Pierre Masseret. Tout à fait !
M. Roland du Luart. Mais, à ce moment-là, on ne récupère plus la TVA sur la TIPP !
M. Jean-Pierre Masseret. Il n'y a donc aucune raison objective d'exclure de la récupération de la TVA ces véhicules qui ont pour eux un certain nombre de qualités.
Telles sont les raisons pour lesquelles mes collègues M. Todeschini et Mme Printz se sont associés à moi pour déposer cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Masson, pour défendre l'amendement n° I-24.
M. Jean-Louis Masson. Cet amendement a été déposé parce que, lorsque ces problèmes ont été évoqués à l'Assemblée nationale, certains ont fait valoir qu'il fallait peut-être englober tous les véhicules électriques. Cela étant, si M. le ministre et M. le rapporteur général estiment que l'amendement n° I-19 suffit, je m'en contenterai amplement !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ces amendements nous viennent de tous les horizons politiques de la Lorraine et, plus particulièrement, du département de la Moselle. (Sourires.)
M. Gérard Longuet. Pas seulement !
M. Philippe Marini, rapporteur général. J'ai bien parlé de la Lorraine, mon cher collègue.
M. Gérard Longuet. Mais également de la Réunion : M. Virapoullé est cosignataire de notre amendement !
M. Philippe Marini, rapporteur général. J'ai même recueilli des marques d'intérêt amical de la part d'un grand élu de Lorraine, mais d'un autre département, qui préside au devenir de notre institution.
M. Gérard Longuet. Très bien ! C'est le consensus.
M. Philippe Marini, rapporteur général. La préoccupation que traduisent ces amendements est donc largement partagée.
L'amendement n° I-19, qui a été présenté par M. Jean-Louis Masson et cosigné, notamment, par MM. Gérard Longuet et Philippe Leroy, suscite de ma part quelques commentaires, les mêmes, au demeurant, que ceux que suscite l'amendement présenté par Jean-Pierre Masseret et cosigné par ses deux colistiers du beau département de la Moselle.
Ces amendements visent à ne plus exclure du droit à déduction prévu pour les véhicules utilitaires de société ceux de ces véhicules qui ont moins de trois mètres de long.
Il convient de rappeler que bénéficient du droit à déduction les véhicules de transport de matériels et non conçus comme véhicules de transport de personnes ou à usage mixte, c'est-à-dire, concrètement, ceux qui ont deux places et dont le coffre est long d'au moins un mètre.
En juin 2002, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, a prouvé que les véhicules de moins de trois mètres étaient parmi les modèles les moins polluants, ce qui est éminemment sympathique aux yeux de notre assemblée.
M. Roland du Luart. C'est normal, ils n'ont pas de gros moteur !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Par ailleurs, il semble que bon nombre de sociétés, notamment des petites et moyennes, n'ont pas besoin de véhicules à grand coffre. Dans ces conditions, pourquoi ne pas leur offrir le bénéfice des mêmes avantages fiscaux que ceux qui sont conférés à un véhicule utilitaire plus classique ou, en tout cas, non produit par une usine mosellane ? (Sourires.) Telle est la délicate question qui nous est posée ici.
J'avoue avoir un peu de peine à me déterminer, faute de disposer d'une évaluation du coût budgétaire qu'impliquerait une telle avancée de la législation. Dans ces conditions, la commission des finances souhaite entendre l'avis du Gouvernement sur ce délicat sujet.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. Ces questions ayant fait l'objet d'une décision de la Cour de justice des Communautés européennes, je me dois de vous donner des informations aussi précises que possibles car le droit que nous élaborons ici est plein de toute sa rigueur.
S'agissant de la déduction, elle est afférente, entendons-nous bien, aux véhicules de deux places et de moins de trois mètres. L'annexe II du code général des impôts exclut du droit à déduction la taxe qui grève les véhicules conçus pour le transport de personnes ou à usage mixte. L'exclusion s'apprécie au regard des caractéristiques intrinsèques du véhicule et non au regard de l'utilisation qui en est faite. Le critère déterminant est donc l'usage pour lequel le véhicule a été conçu et non son utilisation effective.
Tout à l'heure, il a été fait état de la dimension des coffres. J'indique que cette indication ne constitue pas un critère pour l'application de l'exclusion du droit à déduction. Cette mesure d'exclusion, dont la validité a été confirmée en 1998 par la Cour de justice des Communautés européennes, est justifiée pour ces véhicules. Ouvrir le droit à déduction pour les véhicules visés dans les amendements serait incompatible avec cet objectif, dès lors qu'ils sont précisément par nature conçus pour le transport de personnes, sauf à considérer que le véhicule en question n'a pas été conçu à l'origine comme étant destiné au transport de personnes.
J'ajoute que l'ouverture éventuelle d'un droit à déduction pour ces véhicules devrait, pour des raisons d'équité, profiter demain à d'autres catégories de véhicules dont l'utilisation serait également une alternative crédible pour désengorger les axes urbains. Il en résulterait, mesdames, messieurs les sénateurs, un coût important pour les finances publiques.
En d'autres termes, la question qui nous est posée aujourd'hui est de savoir si nous voulons légiférer pour un véhicule d'une certaine catégorie et qui est aujourd'hui sur le marché, sachant, comme vous vous en doutez bien, que tous les constructeurs, dès lors que le régime fiscal changera, s'engouffreront dans cette brèche. Si tel était le cas, le coût de la mesure, monsieur le rapporteur général, serait de deux milliards d'euros !
Soyons conscients, les uns et les autres, de ce que nous faisons. Je veux bien que nous marquions notre préoccupation pour les unités de fabrication de ces véhicules situées dans l'est de la France, mais j'indique à ceux qui se situent ailleurs sur le territoire qu'ils risquent d'entendre des points de vue différents de la part d'autres constructeurs. Je le dis avec tout le calme nécessaire, mesdames, messieurs les sénateurs, mais c'est une information que je souhaitais livrer au débat.
Je considère, au nom du Gouvernement, que si nous allions dans le sens proposé, vous seriez très rapidement saisis de demandes de même nature émanant d'autres constructeurs. Ou alors, autant tout de suite ouvrir le droit à déduction à la quasi-totalité des véhicules de la même catégorie.
Sauf erreur de ma part, à quelques dizaines de centimètres près, un autre véhicule - je ne veux pas faire de publicité - serait susceptible de bénéficier du même dispositif. Je crois que chacun doit, en conscience, bien mesurer la responsabilité qu'il prendra en votant ces amendements. En tout cas, monsieur le président, le Gouvernement ne peut qu'y être défavorable.
M. Roland du Luart. C'est comme pour la bûche !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. M. le ministre vient de nous donner un certain nombre d'explications ; il a exprimé ses préoccupations au regard du rendement de la TVA. Je voudrais, pour ma part, et quelle que soit la sympathie que l'on puisse avoir pour l'initiative de nos collègues, souligner qu'il y a là un risque que la situation présente des finances publiques permet difficilement d'assumer. C'est d'ailleurs la réponse que j'ai déjà eu l'occasion de formuler lors de l'examen de bien des amendements sympathiques, utiles, bien articulés et pertinents.
A mon grand regret, donc, je suis conduit à suivre M. le ministre, fort des indications qu'il nous a données et qui sont beaucoup plus précises et détaillées que celles qui figurent dans le compte rendu des travaux de l'Assemblée nationale. L'analyse est beaucoup plus fouillée, développée, concrète, notamment en ce qui concerne le risque budgétaire. Pour toutes ces raisons, il me paraît nécessaire que les auteurs des amendements veuillent bien les retirer, faute de quoi la commission ne pourrait pas y être favorable.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote sur les amendements n°s I-19 et I-71.
M. Gérard Longuet. Monsieur le ministre, une fois n'est pas coutume, je ne partage ni votre sentiment ni votre analyse, à commencer par le coût budgétaire de ces amendements : en réalité, il est nul !
De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'étendre la possiblité de déduction de TVA à une catégorie de véhicules qui, pour des raisons techniques, en est aujourd'hui exclue. Que se passera-t-il ? Il y aura simplement un déplacement dans les achats de véhicules ; les entreprises n'en achèteront pas plus ; simplement, elles répartiront différemment leurs achats annuels et passeront de catégories qui prennent de la place - M. Masson l'a dit avec raison - et qui consomment beaucoup de carburant à des catégories de véhicules qui prennent moins de place et consomment moins de carburant. Le nombre de véhicules achetés sera exactement le même !
Evidemment, ceux qui ne fabriquent pas le genre de véhicules dont il est question peuvent craindre de perdre des parts de marché, alors que ceux qui en fabriquent en gagneront, mais le nombre de véhicules sera exactement le même, et l'Etat ne perdra pas d'argent dans l'opération. Je tenais à apporter cette précision.
C'est la raison pour laquelle je soutiens les amendements n° I-19 et I-71, car, avec une incidence budgétaire parfaitement nulle, ils élargissent simplement l'offre des entreprises et leur permettent, pour le même nombre de véhicules achetés, d'arbitrer en faveur de véhicules plus petits, moins polluants et plus urbains.
M. le président. La parole est à M. Roland du Luart, pour explication de vote.
M. Roland du Luart. J'ai été très intéressé par cette discussion, mais j'avoue ne pas en comprendre tous les aspects, monsieur le ministre. En effet, vous avez évalué, à la demande du rapporteur général, le coût de cette mesure à deux milliards d'euros. Or je crois savoir qu'il se produit, dans notre pays, 100 000 véhicules de ce type chaque année, dont 30 000 sont vendus en France ; quant au parc locatif, il représente 10 000 voitures de cette catégorie. Dès lors, comment, sur 10 000 voitures valant 10 000 euros, pouvez-vous arriver à un montant de 2 milliards d'euros ? C'est ce que je n'arrive pas à comprendre.
Tout cela me rappelle une discussion un peu ubuesque que nous avons eue, voilà quelques années, dans cette même assemblée, du temps de notre regretté collègue Geoffroy de Montalembert, alors que M. Charasse était ministre délégué au budget : il s'agissait de la longueur de la bûche de bois. Selon la longueur, en effet, la TVA sur la bûche était à 19,6 % ou à 5,5 %. Tout cela est un peu ridicule ! Ne pourrait-on pas faire une avancée et permettre la déductibilité de la TVA s'agissant des voitures en location, afin de diminuer la pollution et de permettre une occupation plus harmonieuse de l'espace urbain ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Faisons des voitures en bois ! (Sourires.)
M. Roland du Luart. La seule objection recevable concernerait la TIPP, car les voitures qui consomment plus de carburant rapportent davantage. Mais je ne comprends toujours pas cette perte estimée à 2 milliards d'euros.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Oudin, pour explication de vote.
M. Jacques Oudin. Le débat qui vient de s'ouvrir prouve la nécessité de mener une réflexion plus approfondie sur ce qu'on appelle la fiscalité écologique. Souvenez-vous des discussions complexes qu'avait suscitées la taxe générale sur les activités polluantes, TGAP ! La fiscalité écologique est un enjeu particulièrement important. Susciter la fabrication et l'utilisation de véhicules moins consommateurs d'énergie et moins consommateurs de place me paraît aller dans le bon sens. Néanmoins, une moindre consommation de recettes sur le carburant, c'est aussi une moindre recette de TIPP. L'environnement exige donc une réflexion plus vaste.
Dans la mesure où la commission et le Gouvernement ne souhaitent pas aller dans ce sens, momentanément, je suivrai la commission. Je demande simplement au Gouvernement de nous dire comment il entend développer une fiscalité écologique comprenant à la fois les sources d'énergie, les véhicules polluants et même la protection des zones humides ou des zones naturelles, elles qui coûtent chères aux collectivités sans leur rapporter.
Le débat est vaste et nous attendons du Gouvernement une réponse globale. En l'espèce, j'ai beaucoup de sympathie pour ces amendements. Je suivrai la commission, mais je pense que ce sera l'honneur du Sénat d'aller plus loin.
M. le président. La parole est à M. Serge Lepeltier, pour explication de vote.
M. Serge Lepeltier. Sur l'argument du coût budgétaire, je rejoins notre collègue Gérard Longuet. Les entreprises qui, actuellement, achètent ce type de voiture avec deux places et un petit coffre, ont, en fait, rarement utilisé de ce coffre. Les véhicules servent essentiellement aux représentants ainsi qu'à certaines catégories de personnels.
Il s'agira donc simplement de faire de ces véhicules des voitures un tout petit peu plus confortables, mais ayant moins de trois mètres de long.
Je ne suis pas certain que l'évaluation qui nous est annoncée soit réaliste. Il y a donc un véritable problème. D'ailleurs, monsieur le ministre, l'argument du coût est presque fallacieux. Selon vous, cette mesure, si elle est efficace, coûtera cher. Mais, quand on prend une mesure, on souhaite qu'elle soit efficace ! Faut-il comprendre que, en tant que ministre du budget, vous n'accepteriez que les mesures qui ne coûtent rien, parce qu'elles ne sont pas efficaces ? Mais alors, qu'en est-il du développement durable qui est défendu ici ?
Cela me rappelle la proposition que j'avais faite - sur laquelle je reviendrai - d'une prime à la voiture propre. Quand je défends cette idée, on me rétorque que la mesure est, bien sûr, extrêmement intéressante, mais qu'elle serait coûteuse. Eh oui, le développement durable peut avoir un coût. Reste à savoir combien notre société est prête à lui consacrer.
Nous sommes confrontés à une vraie question de principe : on ne peut pas refuser un dispositif parce qu'il peut être efficace, et donc avoir un certain coût. Le raisonnement doit s'attacher à l'objectif et à l'efficacité que l'on en attend.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Masseret, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Masseret. Je n'ai pas été convaincu par l'argument des deux milliards d'euros ; c'est l'argument massue typique de Bercy ! Quand une mesure ne convient pas, on réalise un chiffrage si exorbitant que tout le monde se met au garde-à-vous et, « circulez, il n'y a plus rien à voir » !
En effet, nous ne savons pas d'où provient un tel montant, qui supposerait que tous les constructeurs fabriquent ce type de voiture et que les Français les achètent. Ce n'est pas ainsi qu'il faut argumenter !
J'ajoute, pour détendre l'assistance, que cette voiture roule très bien : je l'ai moi-même utilisée l'an dernier lors de la campagne sénatoriale et ma liste a obtenu trois élus sur cinq ! (Sourires.)
M. Gérard Longuet. Vous ne pouviez pas être trois dedans, ou alors il y en avait un dans le coffre ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Masson. Monsieur le ministre, je suis absolument stupéfait par le chiffre que vous avez avancé. Pour être crédible, un argument doit être cohérent !
Avec deux milliards d'euros, vous financez la moitié du TGV Est. Or la voiture en question a été produite à raison de 100 000 unités, dont moins de 10 000 ont été vendues en France. Sur ces dernières, seules 189 ont été achetées par des entreprises l'an dernier.
Si la France risque la faillite pour 189 voitures, monsieur le ministre, les finances publiques sont vraiment au plus bas !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert, ministre délégué. Monsieur le président, j'aborde cette discussion avec beaucoup de calme et d'attention. Je vais tenter de répondre aux orateurs qui se sont exprimés.
Je veux dire à M. Gérard Longuet - avec qui, il est vrai, je suis rarement en désaccord ; et, si c'est le cas, nous avons l'honneur, du fait de nos responsabilités, de nous en expliquer les raisons - que je ne suis pas convaincu que l'amendement sera sans effet sur les finances publiques. En effet, certains propriétaires de véhicules de ce type qui n'ont pas aujourd'hui accès au droit à déduction en demanderont le bénéfice, ce qui entraînera à l'évidence un coût budgétaire qu'il me paraît difficile de contester.
M. Yves Fréville. Tout à fait !
M. Alain Lambert, ministre délégué. S'agissant de l'estimation qui en est faite, Roland du Luart est sorti de ses gonds. Il s'agit du premier procès « en évaluation fallacieuse » auquel je suis confronté - il y en aura certainement d'autres -...
M. Roland du Luart. Je n'ai pas employé cette expression !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Je ne vous imputais pas ces propos, monsieur du Luart, mais, pour simplifier et pour gagner du temps, je répondais conjointement à deux interventions.
Ce procès est, il est vrai, souvent intenté à ceux qui ont la tâche de siéger au banc du gouvernement.
En vue de la relecture qui sera faite de nos travaux, y compris par les juridictions, je voudrais indiquer que l'estimation que j'ai faite correspond au coût de cette déduction pour l'Etat lorsque l'ensemble des véhicules de tous les constructeurs y ouvriront droit.
J'ajoute que la Cour de justice des Communautés européennes aura les moyens juridiques de contraindre la France à étendre à tous les véhicules de transport de personnes la déduction qui serait accordée à la Smart.
En outre, d'autres constructeurs, dont les véhicules, à quelques centimètres près, sont susceptibles de bénéficier des droits à déduction auxquels vous faites allusion seront naturellement très attentifs à nos travaux.
Par conséquent, mesdames, messieurs les sénateurs, si les amendements étaient maintenus, il faudrait que chacun prenne ses responsabilités, et je demanderais qu'il soit procédé à un vote par scrutin public. Car vous ne manquerez pas, les uns et les autres, d'avoir la visite de tous les constructeurs automobiles français, et je tiens à ce que chacun d'entre vous puisse répondre des choix qu'il a faits.
Le Gouvernement, pour sa part, n'a pas l'intention de proposer ou de soutenir une norme qui vise une catégorie de constructeurs, si estimables soient-ils.
M. le président. La parole est à M. Yves Fréville, pour explication de vote.
M. Yves Fréville. Je ne voterai pas ces amendements. Je suis l'élu d'un département qui compte une très importante usine de production automobile, mais je ne me placerai pas sur ce terrain.
En premier lieu, l'article 273 du code général des impôts autorise le Gouvernement à se prononcer par décret sur les droits à déduction. Il serait maladroit, de la part du Parlement, de vouloir interférer sur des points particuliers avec ce principe.
En deuxième lieu, il serait tout aussi maladroit de procéder par voie d'exception en matière fiscale, ce qui serait le cas en l'espèce.
En troisième lieu, enfin, je ne suis pas opposé à une politique d'incitation fiscale en matière d'environnement ; encore faudrait-il que nous fixions des règles afin que toutes les entreprises soient placées en situation d'égalité.
Par conséquent, si le Parlement veut favoriser la construction de voitures d'un certain gabarit leur permettant de stationner le long des trottoirs, il serait logique qu'il le dise clairement sous la forme « d'appel d'offres fiscal », pour que tous les constructeurs soient placés à égalité en vue d'adapter leurs modèles et de répondre, en quelque sorte, à cet « appel d'offres ».
Telles sont les raisons pour lesquelles je ne voterai pas ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse. Sur cette affaire, j'avoue être très partagé, parce que, si je comprends parfaitement la motivation de mes collègues - notamment de mes amis M. Masseret, Mme Printz, M. Todeschini, mais aussi de M. Masson -, je comprends également un peu la position du Gouvernement.
Cette affaire, au fond, fait partie des mystères fiscaux qui émaillent quelquefois notre législation : M. du Luart rappelait voilà un instant le dialogue que j'avais eu avec notre ancien collègue Geoffroy de Montalembert sur les raisons profondes pour lesquelles les bûches de plus de 1,20 mètre destinées aux cheminées étaient taxées au taux fort de TVA, et celles de moins de 1,20 mètre au taux inférieur. Je dois dire que les services ne m'ont jamais vraiment fourni la réponse : on ne sait pas !
C'est exactement comme lorsque j'étais jeune secrétaire de groupe à l'Assemblée nationale et qu'un député s'étonnait que la vignette automobile soit réclamée aux voyageurs représentants de commerce mais pas aux représentants d'assurance. Pourquoi les uns et pas les autres ? Le ministre avait répondu, de guerre lasse : « Parce que ». (M. le ministre délégué sourit.) Mais, « Parce que » n'étant pas une réponse, le ministre avait ensuite expliqué, en aparté, que le président Félix Gaillard s'était rendu, à l'issue de la séance, à une heure du matin, bien fatigué, au congrès des représentants d'assurance et qu'après trois ou quatre coups de rouge, il avait lâché. (Sourires.)
J'ajouterai même que feu notre collègue le doyen de Montalembert ne comprenait pas pourquoi le tracteur qui remplaçait un tracteur était déductible, alors que le poulain qui venait à la suite de la jument ne l'était pas. (Rires.) Donc, on ne peut pas comprendre.
J'en reviens à la question, qui est sérieuse. Si j'ai bien compris, il n'y a pas d'obstacle du côté de l'Europe, sauf le risque d'extension ; si j'ai bien compris, il s'agirait de modifier une disposition réglementaire.
A ce propos, monsieur Fréville, je ne suis pas certain que, dans ce cas, on ait eu raison de classer cette disposition dans le domaine réglementaire, parce qu'elle me paraît relever du domaine de la loi, mais passons.
Surtout, je reste sur ma faim, dans cette affaire, sur ce que font nos partenaires européens. Nous ne savons pas ce qui se passe dans le reste de l'Europe !
Les évaluations budgétaires sont toujours difficiles à faire. Je n'incriminerai pas, comme certains collègues, Alain Lambert : il n'est pas facile de faire une évaluation, on peut toujours se tromper, et l'administration a tendance à surévaluer parce qu'elle veut se réserver des marges. Mes chers collègues, c'est humain ! Donc, si tous les véhicules de tous les constructeurs..., mais ce n'est sans doute pas demain la veille.
J'ai cru comprendre que nous en étions arrivés à une situation de blocage, puisque le Gouvernement est prêt à demander un scrutin public sur cette affaire. Monsieur le ministre, ne serait-il pas préférable que nous ayons une petite discussion entre nous avant d'en arriver à l'irrémédiable, que nous en reparlions, par exemple, lors du collectif et que, d'ici là, vous nous apportiez tous les éléments qui nous manquent ? Il serait notamment intéressant de savoir si, dans le cadre européen, nous sommes dans une situation différente des autres Etats. C'est cela qui est important ; la recette budgétaire suit.
Je propose donc que les amendements soient retirés - je n'ai pas consulté mon ami Masseret, qui va peut-être m'étrangler à la sortie (Sourires) - et que le débat soit renvoyé au moment de l'examen du collectif, afin que la commission des finances, le ministre et les auteurs des amendements aient la possibilité et le temps de rapprocher leurs points de vue et de trouver une solution acceptable ou, au moins, de fournir des arguments véritablement convaincants pour les uns comme pour les autres.
Franchement, je dois le dire, au terme de cette discussion, je me sens un peu gêné : je ne veux faire un mauvais coup ni aux productions qui sont en cause ni aux finances de mon pays.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Notre débat est assez surréaliste. D'ailleurs, Michel Charasse faisait état de précédents débats et rappelait quels sommets peuvent atteindre les absurdités du code général des impôts.
Je voudrais simplement rappeler brièvement ce qui est en jeu en l'espèce.
En effet, les véhicules de société à caractère utilitaire peuvent bénéficier d'un droit à déduction, pourvu qu'ils servent d'abord au transport de matériels. Il nous est proposé de rendre éligible à ce droit les véhicules n'ayant pas vocation première à transporter des matériels et mesurant moins de trois mètres.
La discussion porte sur l'enjeu budgétaire. Le ministre chargé du budget craint en quelque sorte la cannibalisation de l'impôt. Il redoute qu'à partir de la petite Smart - on va enfin dire son nom, parce qu'il n'a pas encore été cité dans l'hémicycle - il y ait un effet de contamination budgétairement dangereux dans l'état actuel de nos finances publiques.
Quand j'entends les défenseurs de la mesure - et croyez-moi, mes chers collègues, j'essaie d'être d'une totale objectivité sur ce sujet -...
M. Gérard Longuet. C'est à votre honneur !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... soutenir qu'il ne s'agit en définitive que d'un tout petit ajustement destiné à régler la situation des 189 véhicules en cause, j'ai tendance à m'interroger.
Pourquoi mettre tant de passion dans un débat qui concernerait ces seuls véhicules ? C'est probablement parce qu'on voudrait, à partir de ces 189 véhicules, créer une part de marché non négligeable !
Je tiens surtout à faire une remarque : des véhicules qui mesurent légèrement plus de trois mètres, qui n'ont que deux places et qui n'ont pas non plus le fameux coffre d'un mètre de long se trouveraient alors exclus, si je comprends bien, de la déduction.
Or il existe, me semble-t-il, beaucoup de véhicules de ce type - des Twingo, si je ne me trompe... - qui sont produits au Mans ou à Rennes dans certaines grandes usines de producteurs français sur notre territoire mais qui ne pourraient pas, si j'ai bien compris, être considérés comme véhicules de société et bénéficier du droit à déduction. (M. Gérard Longuet fait un signe de dénégation.)
Ce point me semble très litigieux, au vu de la définition que préconise l'amendement défendu par MM. Jean-Louis Masson et Gérard Longuet.
Ces véhicules qui mesurent un peu plus de trois mètres, à quelque dix centimètres près, vont être exclus de la déduction. Comment va-t-on justifier une telle distorsion de concurrence ?
Même si l'on a beaucoup de considération pour la fiscalité dite « écologique », les appellations de cette nature utilisées ces dernières années nous ont laissé un goût amer - n'est-ce pas, cher collègue Serge Lepeltier ? -, puisque nous nous sommes battus contre des fiscalités qualifiées d'« écologiques » mais qui en réalité n'étaient que des fiscalités de rendement.
M. Gérard Longuet. Tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Elles n'avaient rien d'écologique puisqu'elles s'alimentaient de la répétition des comportements les plus anti-écologiques que l'on puisse concevoir.
M. Paul Loridant. Diversion !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Puisque je me réfère à la plaidoirie qu'a prononcée à juste titre Serge Lepeltier, il serait bon de replacer la mesure très ciblée qui nous est soumise ce soir dans un cadre plus général !
S'agissant de cette mesure, il faut tenir compte des faiblesses de raisonnement que l'on a pu noter, ainsi que du risque que représenterait une législation sur mesure. Je me permets de le souligner, ce ne serait sans doute pas à l'honneur de notre assemblée et du Parlement que d'être suspecté de prendre une mesure presque ad hominem, pour une seule production, dans un seul établissement de production.
Compte tenu de ces observations, tout en souscrivant aux orientations générales en faveur d'une fiscalité plus écologique, il me semble, mes chers collègues, dans l'intérêt même de ce que vous défendez, qu'il convient de retirer les amendements. Nous pourrons alors engager une réflexion raisonnable pour aller dans le sens que vous souhaitez, mais, très sincèrement, en ne passant pas par des chemins aussi contestables sur le plan du droit fiscal et des détournements de concurrence.
Enfin, bien sûr, quel que soit le coût budgétaire de cette mesure, je comprends que le ministre du budget soit extrêmement vigilant, compte tenu de ses responsabilités si difficiles, compte tenu de toutes les pressions auxquelles il est sujet pour accroître sans cesse les dépenses publiques tout en réduisant les recettes. Il est le gardien du déficit et il ne peut pas le laisser dériver au-delà de montants qui sont déjà trop élevés.
Pour l'ensemble de ces raisons, mes chers collègues, ne m'en veuillez pas si j'interviens de manière insistante pour solliciter le retrait des amendements. Si ce retrait n'intervenait pas, il faudrait, comme l'a demandé le ministre délégué au budget, se prononcer par scrutin public. Or je ne crois vraiment pas qu'un tel vote puisse être considéré comme un vote positif dans le cadre du combat que vous menez, qui, placé sur un plan plus large, est le combat honorable et nécessaire en faveur d'une fiscalité écologique. M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert, ministre délégué. A la suite des propos que vient de tenir M. le rapporteur général, j'indique que le Gouvernement est à la disposition de la commission des finances pour lui présenter toutes informations utiles.
Par ailleurs, j'apporterai deux éléments complémentaires au débat.
En premier lieu, si l'on décide d'élargir le bénéfice du droit à déduction, on ne pourra plus revenir en arrière par la suite.
En second lieu, je souligne, en réponse à M. Charasse, que l'Allemagne a en effet modifié le taux du droit à déduction. Or elle est aujourd'hui confrontée à un contentieux devant la juridiction communautaire. Nous devons donc être très prudents en la matière.
Quoi qu'il en soit, l'intervention de M. le rapporteur général est frappée au coin du bon sens. Nous sommes, je le répète, à la disposition de la commission des finances pour lui donner tous les éléments d'information nécessaires, et si les auteurs des amendements persistent dans leurs intentions au vu de ces derniers, le problème sera tranché à l'occasion de l'examen du collectif budgétaire.
En tout état de cause, il ne serait pas raisonnable d'introduire dans le projet de loi de finances un dispositif qui n'est, à l'évidence, pas abouti.
Cela me conduit à confirmer que le Gouvernement demandera un vote par scrutin public si les amendements n°s I-19 et I-71 ne sont pas retirés.
M. le président. Monsieur Masson, l'amendement n° I-19 est-il oui ou non maintenu ? M. Jean-Louis Masson. Monsieur le président, je regrette vivement de ne pas pouvoir m'exprimer autrement que par « oui » ou par « non » !
M. le président. Monsieur Masson, vous autoriser à vous exprimer plus longuement reviendrait à relancer le débat. Or j'ai le souci de l'équité.
M. Jean-Louis Masson. C'est tout de même dommage, car il aurait été satisfaisant, sur le plan intellectuel, de pouvoir répondre aux arguments qui ont été avancés. Cela ne m'est pas permis, dont acte !
Quoi qu'il en soit, on nous explique que l'on craint des dérives à long terme. Par conséquent, je suis disposé, éventuellement, à accepter une rectification de l'amendement visant à prévoir que la disposition s'appliquera pendant deux ans.
Faute d'une telle proposition, je maintiendrai mon amendement dans sa rédaction actuelle.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission. Je voudrais joindre ma voix à celles du rapporteur général et du ministre délégué.
En matière de TVA, mes chers collègues, nous devons être extrêmement prudents. Certes, il est toujours très tentant de faire passer de 19,6 % à 5,5 % le taux de la TVA applicable à certains biens ou services ou même, pourquoi pas, de prévoir une exonération totale. Je vous rends cependant attentifs au fait que, dans une économie qui se mondialise, l'impôt sur la consommation est appelé à demeurer une ressource significative aussi bien pour le budget de l'Etat que pour le financement de la protection sociale.
Avant d'ouvrir une nouvelle brèche, nous devons donc bien réfléchir, car nous risquons de priver progressivement l'Etat de ses ressources et d'aggraver les dysfonctionnements de la sphère publique.
M. Charasse a évoqué tout à l'heure le problème des bûches, je prendrai pour ma part l'exemple du passager d'un TGV qui, ayant passé commande dans la voiture-bar, s'entend demander par l'hôtesse s'il compte consommer sur place ou dans son compartiment : dans un cas, le taux de la TVA sera de 19,6 % ; dans l'autre, il sera de 5,5 % ; mais de toute façon le prix payé par le consommateur sera le même. C'est dire si nos pratiques présentent des anomalies ! Peut-être est-ce la conséquence d'un accord discret entre le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et la société gestionnaire des services de restauration dans les TGV, toujours est-il qu'il en est ainsi... Sur le ticket de caisse apparaîtront des taux de TVA différents selon les cas, mais le prix acquitté par le consommateur, étrangement, ne changera pas.
M. Denis Badré. C'est comme pour la restauration rapide !
M. Jean Arthuis, président de la commission. S'agissant des véhicules d'entreprise, je pense que nous devons en rester à la règle, sinon nous commettrons un acte législatif critiquable. Le Gouvernement étant d'accord pour engager la réflexion, j'invite le Sénat à repousser les amendements n°s I-19 et I-71 s'ils devaient être maintenus.
M. le président. L'amendement n° I-71 est-il oui ou non maintenu, monsieur Masseret ?
M. Jean-Pierre Masseret. Faisant miennes les observations de M. Masson, je retire cet amendement : même si je conteste le Gouvernement, j'accepte l'idée d'un approfondissement de la question.
M. Thierry Foucaud. M. Masson n'a pas retiré son amendement !
M. Jean-Pierre Masseret. Je le sais bien, mon cher collègue, mais pour ma part je retire le mien au bénéfice des explications que le Gouvernement nous a données. En effet, celui-ci s'est engagé à reprendre le problème et à nous fournir des informations lors de l'examen du collectif budgétaire. Ce n'est pas parce que je conteste un certain nombre de prises de position du Gouvernement que je me refuse a priori à lui faire confiance aujourd'hui.
M. le président. L'amendement n° I-71 est retiré.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. J'ai entendu M. le ministre nous expliquer, voilà un instant, que l'Allemagne, qui a adopté des dispositions similaires à celles qui nous sont présentées par le biais des amendements en discussion, fait actuellement l'objet d'un contentieux devant la Cour de justice des Communautés européennes.
Mon rappel au règlement tient au fait que, les traités ayant une valeur supérieure à celle des lois, nous ne pouvons pas, en principe, voter de mesures « euro-incompatibles ». Le problème est là !
Dans ces conditions, monsieur le président, comment en sortir ? Soit nous votons l'amendement de M. Masson, mais alors nous commettrons une erreur vis-à-vis de la Constitution ; soit je dépose un sous-amendement affectant l'amendement n° I-19 et tendant à remplacer les mots : « à compter du 1er janvier 2003 cesse » par le mot : « cessera » et à compléter la rédaction proposée pour l'article 273 septies A bis par les mots : « à une date qui sera fixée par décret après consultation de la Commission de l'Union européenne ».
M. Jean-Louis Masson. Très bien ! Je suis tout à fait d'accord !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Alors nous voilà tranquilles ! (Sourires.)
M. Michel Charasse. Non, cela peut aller très vite !
Quoi qu'il en soit, je voudrais savoir si la mesure est euro compatible ou pas ! Là est le problème !
M. Jean-Louis Masson. Très bien !
M. le président. Monsieur Charasse, nous n'allons pas rouvrir le débat ! L'amendement n° I-19 ayant été maintenu, je vais maintenant le mettre aux voix.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public, émanant l'une de la commission et l'autre du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 54 :

:
Nombre de votants 314
Nombre de suffrages exprimés 200
Majorité absolue des suffrages 101
Pour l'adoption 11
Contre 189

Le Sénat n'a pas adopté.
Monsieur Masson, maintenez-vous l'amendement n° I-24 ?
M. Jean-Louis Masson. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° I-24 est retiré.
L'amendement n° I-165 rectifié, présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 9, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 278 du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Art. 278. - A compter du 1er janvier 2003, le taux normal de la TVA est fixé à 18,6 %. »
« II. - Le taux de l'impôt sur les sociétés est relevé à due concurrence. Le taux des deux plus hautes tranches de l'impôt est relevé à due concurrence. »
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Par cet amendement, nous demandons, comme nous l'avons déjà fait à maintes reprises, l'abaissement du taux normal de la TVA de 19,6 % à 18,6 %. La mesure que nous présentons prend l'exact contre-pied de la baisse de l'impôt sur le revenu que vous avez fait voter, messieurs les ministres. Elle traduit notre choix en faveur d'une relance de la croissance par la justice fiscale et le soutien à la consommation populaire.
Je rappellerai, une fois de plus, combien la fiscalité indirecte, notamment la TVA, est injuste, je dirai même perfide, et combien elle pénalise les ménages les plus modestes.
L'enquête de l'INSEE sur le budget des familles citée dans le rapport de 1999 du Conseil des impôts sur la TVA estime à 13 % la part du revenu d'un ménage gagnant 9 000 euros par an prélevée par le biais de la TVA ; cette part est inférieure à 7 % pour un ménage dont les ressources dépassent 70 000 euros par an.
Monsieur le ministre délégué, nous vous avons entendu répéter ici que la baisse de l'impôt sur le revenu était un signal adressé à ceux qui vivent des revenus de leur travail : cela ne me semble pas exact.
Les contribuables les plus aisés, qui en profiteront le plus, par exemple ceux qui sont concernés par le taux marginal et qui gagneront globalement, grâce à vous, 550 millions d'euros, sont en effet aussi ceux pour lesquels les salaires représentent une moindre part du revenu total : 43 % de celui-ci, contre 64 % en moyenne.
La baisse de la TVA, au contraire, profiterait avant tout à ceux de nos concitoyens qui se serrent la ceinture tous les jours, en premier lieu aux salariés dont les revenus sont les plus modestes et dont la propension à consommer est la plus forte. Ces derniers n'utiliseraient pas le bénéfice retiré de la baisse de la TVA pour spéculer...
La mesure que nous préconisons constitue un soutien direct à la consommation populaire, moteur d'une croissance saine et créatrice d'emplois stables.
Alors que vous allégez le seul impôt progressif, donc juste, de notre fiscalité, nous combattons, pour notre part, le plus injuste d'entre tous les impôts. Dois-je répéter également, n'en déplaise à certains de nos collègues toujours prêts à s'appuyer sur des comparaisons internationales - plus ou moins fumeuses d'ailleurs - pour justifier le dumping social et fiscal que le taux normal de la TVA en France est supérieur à celui de nos principaux partenaires européens - il est de 17,5 % en Grande-Bretagne, de 16 % en Allemagne -, et qu'il se situe très au-delà du taux plancher prévu pour l'Union européenne, c'est-à-dire 15 % ? La baisse du taux de la TVA dans notre pays irait donc dans le sens de l'harmonisation européenne que vous préconisez par ailleurs !
J'ajouterai que le coût de la mesure que nous présentons et qui vise à revenir au taux normal de la TVA antérieur à l'augmentation décidée en 1995 par le gouvernement d'Alain Juppé est sensiblement inférieur - il est de moins de 2 milliards d'euros - au coût cumulé des abaissements d'impôt sur le revenu prévus et qu'il grèverait moins les dépenses publiques et sociales de l'Etat, pour une plus grande efficacité économique.
Je contrerai enfin l'argument que l'on nous oppose généralement et selon lequel la baisse de la TVA serait en grande partie annulée par l'augmentation des marges. Outre qu'il témoigne du peu de confiance accordé à certains acteurs économiques, il est démenti par l'enquête effectuée, en 2000, par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes après l'abaissement du taux normal de la TVA de 20,6 % à 19,6 %. Ce dernier avait entraîné, dans l'année, une baisse de 0,8 % des prix des produits et des services concernés, l'ensemble des prix, y compris dans la distribution générale, reflétant cette baisse, au moins à moyen terme.
C'est au bénéfice de tous ces éléments, chers collègues, que nous vous invitons à adopter l'amendement n° I-165.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission se demande si cet amendement est vraiment d'actualité.
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est tout ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Le coût de la mesure présentée est très élevé, alors même, vous le savez, que la situation des finances publiques est très tendue. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mes chers collègues, si vous voulez une réponse plus détaillée,...
Mme Marie-Claude Beaudeau et M. Thierry Foucaud. Oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... je vous renvoie aux conséquences de la dernière mesure de baisse d'un point du taux de la TVA, prise par le gouvernement de M. Jospin, voilà quelques années.
M. Denis Badré. Cinq milliards d'euros !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Elle a coûté cher : cinq milliards d'euros, comme le rappelle très opportunément M. Badré. Pour quel résultat ? Je vous pose la question !
M. Jean-Pierre Masseret. Pour soutenir la consommation !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. Défavorable.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.
M. Thierry Foucaud. Je suis étonné de la réponse de M. le rapporteur général, car elle est identique à celle que nous avait faite le ministre des finances, l'an dernier, lorsque nous avions demandé, déjà, l'abaissement d'un point du taux normal de la TVA.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous voyez bien que ce n'est pas une réponse sectaire ! (Sourires.)
M. Thierry Foucaud. Il est quand même très surprenant que la Haute Assemblée préfère de beaucoup s'interroger sur l'impôt de solidarité sur la fortune ou défendre la réduction de l'impôt sur le revenu plutôt que de consacrer ses débats à l'avenir de la fiscalité indirecte. On sait pourtant - tous les rapports publiés sur la question le prouvent -, que la fiscalité indirecte est le facteur essentiel d'inégalité fiscale, car elle pèse plus lourdement sur le budget des plus modestes de nos concitoyens que sur celui des ménages les plus aisés.
Mais, on l'aura compris, telle n'est pas l'orientation du débat. M. le rapporteur général vient d'ailleurs de le rappeler : il préfère réduire l'ISF et l'impôt sur le revenu, s'agissant notamment des tranches les plus élevées du barème.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-165 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° I-37, présenté par MM. Ostermann, Bailly, Besse, Bizet, de Broissia, Del Picchia, Doublet, Fournier, Karoutchi, Murat, Peyrat, de Richemont, Rispat, Trillard et Valade, est ainsi libellé :
« Après l'article 9, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le 2° de l'article 278 bis du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Produits destinés à l'alimentation humaine à l'exception du caviar. »
« II. - La perte de recettes pour l'Etat résultant du I ci-dessus est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
L'amendement n° I-166, présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 9, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le 2° de l'article 278 bis du code général des impôts est ainsi rédigé :
« sur l'ensemble des produits destinés à l'alimentation. »
« II. - Le taux de l'impôt sur les sociétés est relevé à due concurrence. »
L'amendement n° I-74, présenté par M. Pelchat et les membres du groupe des Républicains et Indépendants, est ainsi libellé :
« Après l'article 9, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le premier alinéa du 2° de l'article 278 bis du code général des impôts, après les mots : "produits destinés à l'alimentation humaine à l'exception" sont ajoutés les mots : ", et sous réserve que les dispositions suivantes ne soient pas contraires au principe d'égalité devant les charges publiques". »
Les deux derniers amendements sont identiques.
L'amendement n° I-75 rectifié est présenté par MM. Pelchat, Pintat et les membres du groupe des Républicains et Indépendants.
L'amendement n° I-204 rectifié est présenté par M. Détraigne, Mme Férat, MM. Moinard et Badré.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
« Après l'article 9, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Les deuxième (a) , troisième (b) , et quatrième (c) alinéas du 2° de l'article 278 bis du code général des impôts sont supprimés.
« II. - La perte de recettes résultant pour l'Etat des dispositions du I est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. Bernard Murat, pour défendre l'amendement n° I-37.
M. Bernard Murat. Il devient quelque peu difficile de défendre nos amendements, car nous finissons par avoir l'impression d'agresser en permanence les ministres qui sont au banc du Gouvernement (M. le ministre délégué fait un geste de dénégation) ; or croyez bien que telle n'est pas du tout notre intention ! Nous essayons de faire avancer les débats et, année après année, c'est bien souvent que nous examinons des amendements similaires.
Tout à l'heure, il a été question de la bûche de bois de Michel Charasse ; pour ma part, j'évoquerai plutôt la bûche de Noël ! En effet, je souhaite revenir une fois encore sur le problème de la TVA portant sur les produits alimentaires qui, à l'exception du chocolat et de la confiserie en tout ou partie, de la margarine et des graisses végétales, qui restent soumis au taux normal de 19,6 %, relèvent du taux réduit de TVA.
Une telle différence de taxation entraîne des distorsions de concurrence préjudiciables au bon fonctionnement du marché intérieur européen, ainsi que de nombreux conflits d'interprétation relatifs à la composition des différents produits concernés.
Afin de remédier à ces conséquences néfastes pour nombre de petites et moyennes entreprises, le présent amendement vise à instaurer des baisses de TVA ciblées sur ces produits devenus de consommation courante.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau, pour présenter l'amendement n° I-166.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Partant du constat que les produits destinés à l'alimentation ne font pas tous l'objet d'une taxation à 5,5 %, nous vous proposons de rendre plus cohérent l'article 278 bis du code général des impôts, qui ne mérite pas de nous faire sourire par des digressions devenues ici traditionnelles. En effet, le chocolat - quelle que soit la forme sous laquelle il est présenté - et la margarine sont désormais des produits de consommation courante.
Il faut également éviter de prendre prétexte des difficultés communautaires et de se réfugier derrière des paravents europens. Il nous est possible de voter librement et souverainement cet amendement, et nous pouvons prendre une telle décision sans attendre, messieurs les ministres !
Cette décision de cohérence ne serait-elle pas également efficace sur un plan économique ? On voit bien, en cette fin d'année, l'obstacle que constitue le prix de vente des confiseries et des chocolats. Faire baisser leur prix permettrait d'en vendre davantage ! On oublie trop souvent que plus de consommation, c'est plus de chiffre d'affaires, plus de rentrées de recettes fiscales et, par là même, plus de production. En cette période de ralentissement de la croissance, une telle conséquence ne serait pas superflue !
Monsieur le ministre, la consommation plie mais ne rompt pas... pour le moment : l'OCDE vient d'indiquer que la consommation des ménages se redresse légèrement. Les économistes pensent qu'un rebond est possible qui permettrait à la consommation de tirer la croissance, alors que, malheureusement, les investissements des entreprises marquent le pas. C'est parce que nous n'oublions pas les liens très forts qui unissent consommation et croissance que nous défendons cet amendement.
La consommation des ménages a augmenté de près de 4 %, en moyenne annuelle, de 1998 à 2001, contre 1,3 % de 1987 à 1997.
C'est la solidité de la consommation qui a jusqu'ici amorti ce que j'appelle avec vous le « creux conjoncturel ». Ainsi, la viande représente un quart du budget alimentaire des familles. La part des produits laitiers augmente légèrement, celle des produits à base de farine diminue. Quant aux confiseries et au chocolat, la progression est réelle - l'évolution de la maladie du diabète le confirme d'ailleurs malheureusement !
M. Jean Arthuis, président de la commission. C'est ennuyeux !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ne faut-il pas adapter l'offre non seulement aux besoins, mais aussi aux possibilités ? Tout commande donc que le taux de la TVA soit encore réduit pour les produits alimentaires qui, jusqu'ici, échappaient à cette baisse.
Reste à résoudre la question du coût de cet amendement, qui, je vous l'accorde, s'élève à 400 millions d'euros environ. Mais je n'ai pas eu la possibilité de faire confirmer ce chiffre. La force de notre proposition de gage est évidente. Le taux de l'impôt sur les sociétés serait relevé à due concurrence, et notre amendement tient compte des baisses intervenues ces dernières années.
Sur un plan plus général, il représente, je crois, un facteur de justice sociale : les plus aisés dans notre pays ont bénéficié d'une baisse de l'impôt ; cette baisse de l'impôt sur l'ensemble des produits alimentaires constituerait-elle aussi un élément de justice fiscale, tout en contribuant à la relance de la consommation et à la progression de la croissance.
M. le président. La parole est à M. Roland du Luart, pour défendre les amendements n°s I-74 et I-75 rectifié.
M. Roland du Luart. Alors que, depuis de nombreuses années, le Parlement soulève le problème des discriminations fiscales dans le secteur alimentaire, le traitement de cette question est systématiquement repoussé.
Dès lors, l'amendement n° I-74 tend à permettre l'examen de la constitutionnalité des dispositions prévues à l'article 278 bis du code général des impôts en subordonnant leur application à leur conformité au principe d'égalité devant les charges publiques. Le Sénat ne saurait s'opposer à son adoption, sauf à souhaiter que le Conseil constitutionnel ne puisse disposer des moyens de se prononcer sur la conformité de ces dispositions aux principes généraux du droit, c'est-à-dire à entraver le contrôle de constitutionnalité d'une disposition controversée.
L'amendement n° I-75 rectifié, quant à lui, vise à appliquer au chocolat, aux produits de confiserie ainsi qu'aux margarines et graisses végétales le taux de TVA réduit applicable aux autres produits alimentaires.
Il tend ainsi à mettre fin à une incohérence de la fiscalité française, puisque, dans l'état actuel de la législation, 98 % des produits alimentaires - dont le foie gras et les langoustes - sont soumis au taux réduit de TVA de 5,5 %, le chocolat et la confiserie ainsi que la margarine et les graisses végétales demeurant soumis, par exception à ce principe, au taux normal de 19,6 %. Or ces produits sont aujourd'hui des produits de consommation courante et non plus des produits de luxe.
Il convient donc de corriger cette situation injuste et d'appliquer le même taux de TVA réduit à l'ensemble des produits alimentaires, sans distinction.
M. le président. La parole est à M. Denis Badré, pour présenter l'amendement n° I-204 rectifié.
M. Denis Badré. Le rapport que j'ai eu l'honneur de signer, il y a de cela trois ou quatre ans, et qui a servi de « bible » à nos débats sur la possibilité de passer au taux réduit de TVA pour un certain nombre de produits ou de services...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Une bible, assurément !
M. Denis Badré. ... fixait exactement ce qui était euro-compatible et ce qui ne l'était pas. Il faisait donc la part entre ce qui relevait de la responsabilité de Bruxelles et ce qui relevait de la responsabilité du gouvernement français, qui peut ensuite, en fonction de ses moyens, choisir telle ou telle priorité.
Sur le sujet particulier, le rapport soulignait que de nombreuses difficultés apparaissent là où les limites sont imprécisément dessinées. En réponse à la question que posait notre collègue Mme Beaudeau tout à l'heure, je confirme que le chocolat, la margarine et certains autres produits alimentaires ne soulèvent aucune difficulté de la part de Bruxelles : nous pouvons faire ce que nous voulons, et c'est devant un choix franco-français que nous sommes placés.
En revanche, qui dit limites dit difficultés. Pour ce qui est du chocolat, les limites tiennent au fait que l'on ne sait pas très bien à partir de quand il s'agit d'un produit de confiserie - tablette ou autres -, ce qui entraîne des problèmes sans fin. J'ajoute, prolongeant la réflexion, que l'on rencontre également des difficutés de distorsion de concurrence, aux frontières et ailleurs.
La question se pose donc réellement, mais, malheureusement, il est clair que la réponse que propose notre collègue coûterait cher au budget français. J'avais déposé des amendements en ce sens les années précédentes, lorsque la conjoncture et la croissance nous permettaient de régler ce sujet. Ils n'ont pas été retenus à l'époque, et je le regrette.
Je ne peux pas, sauf à être incohérent avec les positions qui ont été les miennes les années précédentes, ne pas rappeler que le problème est réel. C'est pourquoi j'ai cosigné cet amendement - c'est d'ailleurs la seule raison de la rectification dont il a fait l'objet -, ce qui me permet de souligner l'importance du sujet et de montrer que nous n'aurons plus de difficultés dans le domaine alimentaire, qu'il s'agisse de chocolat ou de restauration, le jour où nous aurons supprimé ces limites artificielles et difficiles à cerner et lorsque tout ce qui est alimentaire, transformé ou non, servi à la place ou non, dans les wagons-restaurants ou à la place dans les trains, comme le rappelait le président de la commission des finances tout à l'heure, constituera une seule catégorie.
La mesure aura un certain coût, et c'est pourquoi je demande instamment au Gouvernement, qui a pris un engagement pour la restauration, d'adopter la même démarche, dès que ce sera possible, pour les derniers reliquats de produits alimentaires, chocolat ou margarine.
Je souhaite que ce problème soit traité dès que la France aura les moyens de le faire, et c'est pourquoi j'ai tenu à m'associer de nouveau à cet amendement.
Cela étant, si M. le ministre et M. le rapporteur général me demandent de le retirer, je le dis dès maintenant, je le retirerai ; mais vous aviez bien compris que telle serait la conclusion de mon intervention.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Puisque nous abordons la discussion relative aux taux de TVA, mon propos revêtira un caractère quelque peu général.
Le vrai problème, le problème stratégique, c'est la hiérarchie des taux de TVA...
M. Yves Fréville. Tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... et la répartition des produits et des services entre les différents paliers.
Si je ne m'abuse, la Commission européenne met actuellement en chantier de nouvelles réflexions qui devraient être soumises aux Etats membres, MM. les ministres le savent mieux que moi. Il conviendra donc que la France sache où est son intérêt et qu'elle prépare suffisamment en amont les positions qui lui sembleront être bonnes pour elle.
Les critères d'examen de ce problème sont doubles. D'un côté, il faut avoir le souci de l'égalité pour traiter les branches professionnelles à égalité ; de l'autre côté, il ne faut pas obérer excessivement le budget de l'Etat. En d'autres termes, nous ne devons pas nous priver de ressources dont nous avons par ailleurs cruellement besoin pour équilibrer l'ensemble des budgets et des comptes de l'Etat. Il nous faut engager la réflexion sur le devenir de la hiérarchie des taux avec le plus grand sérieux, afin d'être en mesure de prendre éventuellement en compte de nouvelles propositions tout en respectant l'intérêt de nos finances publiques et le souci de l'équité.
Tels sont les éléments d'ordre général que je tenais à rappeler avant de détailler les différents aspects de la TVA.
Mes chers collègues, j'attire votre attention sur le fait que nous n'avons plus les marges de manoeuvre qui existaient en 1998 et en 1999. La « bible », comme l'a lui-même désignée notre excellent collègue Denis Badré - avec le sourire qui est toujours le sien -, s'intitule Comment baisser le taux de TVA et a été élaborée pendant la session de 1998-1999, à l'époque où existaient ces marges de manoeuvre dont nous ne disposons plus aujourd'hui.
M. Roland du Luart. Hélas !
M. Philippe Marini, rapporteur général. « Hélas ! », dit en écho notre collègue M. Roland du Luart.
Nous ne pouvons pas, mes chers collègues, la situation ayant évolué, reprendre sans cesse les mêmes antiennes, les mêmes raisonnements, les mêmes amendements, comme si entre-temps rien ne se passait ou ne s'était passé.
Je tiens à rappeler que, depuis la publication de ce rapport, nous n'avons pas eu connaissance, monsieur le ministre, de nouveaux éléments d'appréciation ou d'évaluation des pertes fiscales susceptibles d'être constatées par l'Etat. Je reprends donc les chiffres de M. Badré, puisque je n'en ai pas de plus récents, si bien que je parlerai encore en francs.
L'application du taux réduit coûterait ainsi 457 millions de francs par an pour la margarine et les graisses végétales ; elle représenterait une perte de 3,2 milliards de francs pour l'ensemble des produits de confiserie et le chocolat et pour les produits de toute nature, dont 400 millions de francs pour le seul chocolat au lait. Sans doute serait-il précieux de disposer d'estimations actualisées au moment de nous prononcer sur les différents amendements qui ont été formulés !
Quant aux amendements qui viennent d'être exposés, la commission en souhaite bien sûr le retrait. Elle considère comme positif que leurs auteurs aient exprimé leurs préoccupations, mais elle souhaite ardemment que le Gouvernement énonce une stratégie en matière de taux de TVA : quels sont, messieurs les ministres, les objectifs que vous vous fixez ? Quelle est, dans le concert européen, la position que vous envisagez pour notre pays ?
Voyez-vous toujours un taux réduit à 5,5 % ? Envisagez-vous des taux intermédiaires ? Combien de paliers ?...
Ce sont des questions de fond. Peut-être ne pouvez-vous pas répondre à toutes ce soir, car j'imagine qu'un certain nombre d'arbitrages ne sont pas encore intervenus, mais ne tournons pas autour du pot ! Ce sont bien les vraies questions, celles qu'il faudra trancher. Dites-nous, je vous prie, dans quel esprit vous abordez ce sujet et si vous pouvez donner un peu d'espoir, même partiel, à tous les estimables chocolatiers, confiseurs, fabricants de margarine et autres professionnels particulièrement honorables dont la Haute Assemblée se soucie au premier chef.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il y a d'abord les clients !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission. Comme M. le rapporteur général, je voudrais interroger le Gouvernement. Je pense en effet que nous aurons du mal à supporter l'écart appliqué en France entre le taux normal de 19,6 % et le taux réduit de 5,5 %. On sent bien qu'une pression s'exerce en faveur de la réduction des taux les différentes professions se préparent à revendiquer pour obtenir satisfaction.
Je ne vais pas revenir sur le contexte historique de la directive européenne de 1991, mais convenons qu'elle n'est pas adaptée à la situation.
La TVA est un impôt de consommation et la ressource qu'elle engendre doit revenir à l'Etat où résident les consommateurs, même si des arbitrages peuvent intervenir aux frontières.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, ne serait-il pas opportun de demander, à l'échelon européen, l'ouverture d'une négociation afin de revoir cette directive et d'instituer un taux intermédiaire qui pourrait s'élever à 10 % ou 12 % ? Si l'on veut procéder à des aménagements de notre barème de TVA, il me paraît indispensable qu'il y ait un taux intermédiaire, faute de quoi nous obtiendrons de bien médiocres résultats. Je ne vois pas au nom de quoi nos partenaires européens pourraient critiquer le fait que nous demandions la fixation de trois taux de TVA !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. Je vais essayer de faire le lien entre tous les échanges qui viennent d'avoir lieu.
Tout d'abord, monsieur Murat, je tiens à vous dire que l'on ne se sent absolument pas assiégé quand on se trouve au banc du Gouvernement ou à celui de la commission. Il est tout à fait légitime que le débat ait lieu. Ce qui compte, c'est que les Français sentent leurs préoccupations exprimées par la représentation nationale et que celle-ci reçoive du Gouvernement les informations qui lui sont utiles pour former son propre jugement.
Au demeurant, comme M. le rapporteur général l'a rappelé il y a un instant, nous nous trouvons au centre d'un faisceau de contraintes contradictoires : chaque fois que nous diminuons les prélèvements, cette baisse influe sur le déficit alors que notre préoccupation commune est de réduire celui-ci.
Quoi qu'il en soit, tous les échanges auxquels nous nous livrons, les uns et les autres, sont de nature à éclairer nos compatriotes, et tel est notre rôle.
Marie-Claude Beaudeau a raison de dire que nous ne devons pas nous réfugier derrière la réglementation européenne pour esquiver nos responsabilités politiques. Mais, madame la sénatrice, aucune réglementation communautaire ne s'oppose à l'amendement que vous avez déposé, même si je vais émettre un avis défavorable à son encontre !
Je vais maintenant répondre à M. le rapporteur général et à M. le président de la commission des finances.
Vous avez raison, créer des taux intermédiaires, entre 8 % et 12 % environ, est sans doute une bonne idée. Nous pourrons la présenter à la Commission, qui n'est pas opposée au principe de l'ouverture d'une discussion. Il s'agit en fait, comme vous l'avez souligné, de limiter la pression liée à l'écart de 10 à 15 points entre le taux normal et le taux réduit, écart qui est devenu insupportable. Il s'agit aussi de revoir la hiérarchie des taux.
Une note est en préparation sur le sujet. Nous pourrons ainsi, monsieur le rapporteur général, vous fournir l'ensemble des informations à jour.
Vous êtes allés plus loin dans vos interrogations, puisque vous nous avez demandé quelle était notre stratégie.
Je vais être très loyal avec vous : cette stratégie est difficile à élaborer dès lors que nous sommes enserrés dans le faisceau de contraintes que vous connaissez mieux que personne. Le programme fiscal que nous souhaitons développer dans les années qui viennent pourra être réalisé en fonction des marges de manoeuvre que nous réussirons à dégager. Il est un peu trop tôt pour que nous puissions vous éclairer de manière définitive sur les pistes que nous pourrons ouvrir.
Ces voies sont d'ailleurs à débattre entre nous. Nous avons toujours veillé à nouer cet échange direct, et nous sommes, Francis Mer et moi, à votre disposition pour discuter avec vous des évolutions possibles du taux de TVA.
Bref, monsieur le président, pour l'instant, je souhaite le retrait des différents amendements, tout en comprenant parfaitement l'objectif poursuivi par leurs auteurs. Ce sont des raisons purement budgétaires qui conduisent le Gouvernement à émettre cet avis défavorable.
M. le président. Mes chers collègues, accédez-vous au souhait de M. le ministre ?
M. Bernard Murat. Je retire l'amendement n° I-37.
M. Roland du Luart. Je retire les amendements n°s I-74 et I-75 rectifié.
M. Denis Badré. Je retire l'amendement n° I-204 rectifié.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Pour ma part, je maintiens l'amendement n° I-166.
M. le président. Les amendements n°s I-37, I-74, I-75 rectifié et I-204 rectifié sont retirés.
Je mets aux voix l'amendement n° I-166.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)